Sujet : musiques anciennes, inspiration médiévale, folk, ethnomusicologie, musiques traditionnelles, vielle à roue, danse médiévale, Titre : Reverse dance,Medieval Dance. Compositeur/ Interprête : Andrey Vinogradov Album : Music For Hurdy-Gurdy, 2016. Média : chaîne youtube officielle de l’artiste
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous effectuons un retour en musique aux inspirations médiévales du compositeur et joueur de vielle à roue Andrey Vinogradov. Cette fois, c’est une pièce dansée que nous propose le maître de musique russe. Conforme à son style, mais aussi aux sonorités de cet instrument unique, sa composition s’étire du côté de répétitions envoûtantes. Elle a pour titre « Reverse dance » et nous espérons que vous l’apprécierez autant que nous l’apprécions nous-même.
L’album d’Andrey Vinogradov
Pour rappel, l’album de ce talentueux musicien est toujours disponible à la vente en ligne, au format CD ou même MP3 dématérialisé. Pour plus d’informations, vous pouvez vous reporter au lien suivant Music for Hurdy-Gurdy by Andrey Vinogradov
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale, fine amor, fine amant Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210) Titre : Pos tôrnatz sui en Proensa Interprète : Ensemble Beatus Album : l’Orient des Troubadours (2011)
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, à l’art des troubadours du moyen-âge central, en compagnie de Peire Vidal. De retour dans sa chère Provence natale, le poète dédiait cette pièce, à sa dame, à son seigneur mais encore, et peut-être même, principalement, à la fine amor (fin’amor) et aux qualités supposées du fine amant véritable.
La belle interprétation que nous avons choisie de vous proposer de cette chanson médiévale courtoise nous est servie par l’Ensemble Beatus avec Jean-Paul Rigaud au chant, accompagné de Jasser Haj Youssef. Nous profiterons de cet article pour vous présenter cette formation plus en détail.
« Pos tôrnatz sui en Proensa » avec l’Ensemble médiéval Beatus
L’ensemble Beatus aux temps médiévaux
Fondé dans le courant de l’année 2005, en terre limousine, l’ensemble Beatus s’est distingué, depuis, sur la scène des musiques médiévales. On connait, par ailleurs, son fondateur et directeur Jean-Paul Rigaud pour être unpassionné du genre. Ce dernier a été, en effet, maintes fois, salué et primé pour la qualité de ses interprétations, aux côtés de Diabolus In Musica, mais encore de Sequentia, Perceval ou Organum, pour ne citer que ces ensembles.
Bien qu’enfant du sol occitan et trempé de racines limousines, Beatus n’a pas limité son répertoire à l’art des anciens troubadours locaux. On le retrouve, en effet, à l’exploration des musiques et chants, profanes ou liturgiques, du Moyen-âge, des XIIe au XVe siècles, Le travail privilégié par la formation se situe au carrefour de l’ethnomusicologie et de la musique contemporaine et, pour son directeur, il est avant tout question de développer « une approche de ces répertoires dans leur relation avec la création artistique, musicale et littéraire actuelle. »
Beatus a produit, jusque là, quatre albums. Les deux premiers, dont celui du jour, sont dédiés à l’art des troubadours, Le troisième, intitulé le Lys et le lion, porte sur les chants polyphoniques de la France et de l’Angleterre médiévales du XIVe siècle. Enfin, le quatrième « Lux Lucis », part à la redécouverte des chants sacrés médiévaux d’Occident et d’Orient, sur le thème de la lumière, avec l’appui des Manuscrits anciens de l’abbaye Saint-Martial de Limoges.
En 2011, Jean-Paul Rigaud s’associait au musicien, violoniste et compositeur tunisien Jasser Haj Youssef. Muni de sa viole d’amour. ce dernier délaissait un temps le Jazz, pour une excursion aux sources de l’imaginaire courtois, sous l’angle des influences arabo-andalouses de l’art des tout premiers troubadours. Du point de vue de l’interprétation et de la restitution, une certaine modernité était, là aussi, de mise avec un programme, qui, des propres mots de l’Ensemble « ne prétend pas à une reconstitution historique mais propose, à partir des sources manuscrites, une interprétation actuelle des cansos de troubadours dont l’oeuvre est imprégnée d’un Orient vécu ou rêvé ».
Ainsi, avec un total de douze pièces, l’album suggère et souligne de possibles rapprochements entre Orient et Occident médiéval, en alternant des chansons et compositions de troubadours célèbres – Guillaume d’Aquitaine, Peire Vidal, Rimbaut de Vaqueiras, Gaucelm Faidit, Jaufre Rudel, etc… – avec des pièces instrumentales issues du
répertoire oriental traditionnel et qui laissent une large place à l’improvisation. L’album est toujours disponible à la vente au format CD ou MP3. Voici un lien utile pour plus d’informations : L’Orient des troubadours par l’Ensemble Beatus
« Pos Tornatz Sui en Proensa », le fine amant courtois tout entier livré au bon vouloir de sa dame
En caricaturant un peu, on friserait presque la dialectique du maître et de l’esclave, à travers cette rhétorique dont Peire Vidal se fait ici le chantre. Si le cadre reste la lyrique médiévale courtoise, il nous parle, en effet, dans cette chanson, d’un abandon total du fine amant qui, se livrant sans réserve au pouvoir et au bon vouloir de sa dame (au point même qu’elle pourrait le donner ou le vendre), retirerait à travers cela, une source du pouvoir qu’il peut avoir sur elle. Patience, impeccabilité, fidélité, abandon, voilà les armes véritables de l’amant courtois. Peine et souffrance, son lot, la conquête, sa récompense. Il faut, bien sûr, voir, là, une envolée lyrique, bien plus littéraire que factuelle, tout à fait dans la veine courtoise, et peut-être encore la marque de la grandiloquence qui est une des signatures de ce poète occitan mais l’idée demeure intéressante par les cartes qu’elle met en main du fine amant (prêt à se réduire presque à néant pour parvenir à ses fins) et la dialectique de pouvoir qu’elle sous-tend.
Pour le reste, après quelques vers teintés de mystère (strophe II) qui pourraient évoquer, par leur nature allusive, les formes du Trobar Clus, on ne pourra que louer la qualité et la pureté incomparable du style de Peire Vidal.
E poiran s’en conortar En mi tuit l’autr’ amador, Qu’ab sobresforsiu labor Trac de neu freida foc clar Et aiguà doussa de mar.
En pourront s’en réconforter En moi tous les autres amants, Car, par grands efforts de labeur, Je tire de la neige froide un feu clair Et de l’eau douce, de la mer.
Les paroles adaptées de l’Occitan au français moderne
Pour base d’adaptation de cette chanson médiévale, nous avons suivi la traduction de Joseph Anglade ( Les poésies de Peire Vidal, Librairie Honoré Champion, 1913). Nous nous en sommes toutefois largement éloignés, par endroits, avec l’appui de quelques bons vieux dictionnaires et lexiques d’occitan médiéval.
I Pos tôrnatz sui en Proensa Et a ma domna sap bo, Ben dei far gaia chanso, Sivals per reconoissensa : Qu’ab servir et ab bonrar Conquier hom de bon senhor Don e benfait et honor, Qui be-l sap tener en car : Per qu’eu m’en dei esforsar.
Puisque je suis revenu en Provence, Et que ce retour plait à ma dame Je me dois de faire une chanson joyeuse, Au moins par reconnaissance; Car en servant et en honorant On obtient de bon seigneur Don et bienfait et honneur, Pour qui qui sait bien le chérir : Aussi dois-je m’en efforcer.
II Ses peccat pris penedensa E ses tort fait quis perdo, E trais de nien gen do Et ai d’ira benvolensa E gaug entier de plorar E d’amar doussa sabor, E sui arditz per paor E sai perden gazanhar E, quan sui vencutz, sobrar.
Sans avoir péché je fis pénitence Et sans tort je demandai pardon ; Et je tirai de rien un gentil don, Et de la colère, la bienveillance, Et la joie parfaite, des pleurs, Et de l’amer, la douce saveur ; Et je suis courageux par peur, Et je sais gagner en perdant, Et, quand je suis vaincu, triompher* (surpasser)
III E quar anc no fis falhensa, Sui en bona sospeisso Quel maltraitz me torn en pro, Pos lo bes tan gen comensa. E poiran s’en conortar En mi tuit l’autr’ amador, Qu’ab sobresforsiu labor Trac de neu freida foc clar Et aiguà doussa de mar.
Et comme jamais je ne commis de faute, J’ai bon espoir Que l’effort * (souffrance, peine) tourne à mon profit, Puisque le bien commence si gentiment. En pourront s’en réconforter En moi tous les autres amants, Car, par grands efforts de labeur, Je tire de la neige froide un feu clair Et de l’eau douce, de la mer.
IV Estiers non agra garensa, Mas quar sap que vencutz so, Sec ma domn’ aital razo Que vol que vencutz la vensa ; Qu’aissi deu apoderar Franc’ umilitatz ricor, E quar no trob valedor Qu’ab leis me pose’ aiudar, Mas precs e merce clamar,
Sans cela, je n’aurais pas de salut (secours); Mais quand, me sachant vaincu, Ma dame suit un tel principe Qu’elle veut que, vaincu, la vainque : Car ainsi doit l’emporter La franche humilité sur la puissance (la franche et noble humilité ?) Et je ne trouve aucune aide, Qui, auprès d’elle, me puisse secourir, Autre que lui demander pitié et merci.
V E pos en sa mantenensa Aissi del tôt m’abando, Ja ,no’m deu de no ; Que ses tota retenensa Sui seus per vendr’e per dar. E totz hom fai gran folor Que ditz qu’eu me vir alhor ; Mais am ab leis mescabar Qu’ab autra joi conquistar.
Et puisque, en son pouvoir (territoire, garde, …) Ainsi, tout entier, je m’abandonne, Jamais elle ne me refuse : Car, sans aucune réserve, Je suis sien pour vendre ou pour donner, Et tout homme fait grande folie Qui dit que je me tourne ailleurs, Puisque je préfère faillir auprès d’elle Qu’avec une autre conquérir le bonheur ( me procurer de la joie).
VI E cel que long’ atendensa Blasma, fai gran falhizo ; Qu’er an Artus li Breto, On avian lor plevensa. Et eu per lonc esperar Ai conquist ab gran doussor Lo bais que forsa d’amor Me fetz a mi dons emblar, Qu’eras lo-m denh’ autreiar.
Et celui qui longue attente, Blâme, commet une grande faute : Car, hier, en Arthur, les Bretons avaient mis leur confiance, (1) Et, moi, par une longue attente J’ai conquis avec grande douceur Le baiser que la force d’amour Me fit ravir à ma dame, Et que, désormais, elle daigne m’octroyer.
VII Bels Rainiers, per ma crezensa, Noms sai par ni companho, Quar tuit li valen baro Valon sotz vostra valensa. E pos Deus vos fetz ses par E.us det mi per servidor, Servirai vos de lauzor E d’als, quant o poirai far, Bels Rainiers, car etz ses par.
Beau Rainier, par ma foi, Je ne vous connais ni pair ni compagnon, Car tous les vaillants barons Valent moins que votre vaillance. Et puisque Dieu vous fit sans égal Et me donna à vous pour serviteur, Je vous servirai en faisant votre éloge Et de toute manière que je pourrai, Beau Rainier, car vous êtes sans égal.
(1) traduction de J. Langlade : « car maintenant les Bretons ont leur Arthur où ils avaient mis leur espoir. »
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.
Sujet : musique, chanson, poésie médiévale, vieux français, trouvères d’Arras, fin’amor rondeau. amour courtois, langue d’oïl. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Adam de la Halle (1235-1285) Titre :Fines Amouretes ai Interprète : New Orleans Musica da Camera Album : Les Motés d’Arras (2003)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle chanson médiévale du trouvère Adam de la Halle. Ce rondeau polyphonique à trois voix qui se classe dans le registre de la lyrique courtoise et de la fin’amor nous fournira l’occasion de vous toucher un mot d’une célèbre formation de musiques médiévales outre-atlantique : leNew Orleans Musica da Camera.
Le New Orleans Musica da Camera
Un demi-siècle de musiques et de scène
Fondé dans le courant de l’année 1966, l’ensemble New Orleans Musica da Camera compte parmi les formations de musiques anciennes américaines à la plus longue carrière. Ils ont, en effet, joué pendant près de 52 ans et donné près de 700 concerts. On doit sa création à l’architecte et passionné de early music Milton G. Scheuermann Jr.
Leur répertoire couvre une période qui s’étend du Moyen Âge central jusqu’au début de la période baroque. Au plus près de l’ethnomusicologie, l’ensemble privilégie les instruments anciens, en tentant de restituer au plus près les techniques d’époque. Visiter le site web de la formation
Les Motés d’Arras, Song of Arras
Enregistré au début des années 2000, l’album Song of Arras ou Les Motés d’Arras du New Orleans Musica da Camera partait à la rencontre du XIIIe siècle et de la prolifique cité médiévale.
De Jean Bodel, à Adam de la Halle en passant par Moniot d’Arras, Gauthier de Dargies, et quelques autres auteurs et compositions anonymes de la période médiévale, l’ensemble proposait ainsi quatorze pièces en provenance du Moyen Âge central. Adam de la Halle y occupait la place principale avec pas moins de cinq titres de son répertoire. On trouve encore cet excellent album à la vente et son éditeur a même eu la bonne idée de le proposer au format MP3, en plus du format CD : The Song of Arras – New Orleans Musica da Camera
Fines Amouretes ai, un rondeau d’Adam de la Halle
Fines amouretes ai , Dieus ! si ne sai Quant les verrai.
Or manderai mamiete Qui est cointe* (coquette, élégante) et joliete Et s’est si savérousete* (savoureuse, délicieuse) C’astenir ne m’en porrai.
Fines amouretes ai , etc.
Et s’ele est de moi enchainte (1) Tost devenra pale et teinte ; S’il en est esclandèle* (blâmée) et plainte Déshonnerée l’arai.
Fines amouretes ai, etc. Miex vaut que je m’en astiengne, Pour li joli* (plaisant, enjoué) me tiengne, Et que de li me souviengne; Car s’onnour le garderai.
Fines amouretes ai , etc.
(1) Littré : XIIIe s. « Enchainte suis d’Ugon, si qu’en leve mes gris (ma robe de gris) », Audefroi le Bastard, Romancero; – XIIe s. « Quant la dame se sent enceinte, Si est forment muée e teinte », Grégoire le Grand, p. 10 –
Partition – Notation moderne
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : chanson médiévale, musisque médiévales, poésie, chevalier, trouvère, trouvère d’Arras, chanson de croisades Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe. Auteur : Conon de Béthune (?1170 –1220) Titre : «Bien me deüsse targier» Interprètes : Alla Francesca Album : Richard Cœur de Lion, Troubadours & Trouvères, (1997)
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, à la fin du XIIe siècle avec la poésie du trouvère Conon de Bethune. Après avoir publié le servantois d’Huon d’Oisy à son encontre, nous vous proposons ici d’explorer la chanson ayant justement motivé ces railleries.
Rappelons-le, avant son départ pour la 3eme croisade, Conon avait composé ce chant pour motiver les seigneurs dont il était contemporains, et même surtout pour fustiger certains d’entre eux au sujet de leurs agissements autour de l’expédition en Terre Sainte. Pour une raison inconnue, le trouvère fut pourtant contraint de rentrer prématurément et entre temps Huon d’Oisy, son « maître dans l’art de trouver » (comme on l’apprend dans cette chanson) avait fait d’autres alliances notamment contre Philippe-Auguste. Cet aspect politique a pu, sans doute, motiver qu’il se gaussa, de façon si mordante, du retour précipité du trouvère.
Alla Francesca à la redécouverte
des troubadours et trouvères
En 1996, la très sérieuse formation Alla Francesca se proposait un voyage dans la France du moyen-âge central, à la découverte de l’art de ses troubadours mais aussi de ses trouvères.
Sorti un an plus tard, en 1997, l’album ayant pour titre Richard Coeur de Lion, Troubadours & trouvères est le cinquième du célèbre ensemble médiéval (voir autre article sur leur interprétation de la complainte de Richard Cœur de Lion). Alla Francesca y présentait quatorze pièces issues du répertoire de la France médiévale des XIIe et XIIIe siècles, interprétées avec la virtuosité à laquelle ses talentueux artistes nous ont habitué, depuis la création de leur formation.
On pouvait y retrouver des auteurs en langue d’oil (Gace Brûlé, Guiot de Dijon, le Châtelain de Coucy, Conon de Béthune) mais aussi des troubadours célèbres tels que Bernard Vendatorn, Gaucelm Faidit, Richard Cœur de Lyon et encore d’autres pièces anonymes en langue latine ou en vieux français. A ce jour et pour notre plus grand plaisir, cet album est toujours édité et distribué par Opus 111. Vous pourrez trouver plus d’informations le concernant sous ce lien : Richard Cœur de Lion – Troubadours & Trouvères.
Les paroles de la chanson de Conon de Bethune
A la difficulté de compréhension du vieux français, cette chanson vient encore ajouter des allusions au contexte politique et économique des croisades. D’un point de vue de son sens général, le trouvère se plaint d’avoir à s’arracher au pays et notamment à sa dame, pour devoir aller combattre pour Dieu. Il nous parle donc de cette tension entre ce devoir chrétien et guerrier qui l’appelle et ses attachements amoureux et courtois. Ainsi « personne ne quitte la France plus tristement que lui« . S’il part aussi le cœur joyeux de servir Dieu, son corps résiste, car il sait qu’en se croisant, il se trouvera doublement en pénitence. Combattre et renoncer aussi et pour un temps à ses désirs de chair et ses sentiments. Pour toutes ces raisons, il n’en est que plus méritant nous explique-t-il, et il tient vraisemblablement à ce que cela se sache.
Pour le reste comme indiqué plus haut, il fustigera ici certains barons de son temps pour s’être croisés uniquement par intérêt, autant qu’il critiquera un négoce qui s’était organisé alors et qui consistait à pouvoir éviter la croisade en achetant contre argent sonnant et trébuchant son salut à l’Eglise.
Pour le trouvère, pas question de se défiler, ni de faire prévaloir quelque intérêt malveillant ou vénal, il s’érige en donneur de leçons pour défendre l’expédition en terre sainte au nom de Dieu seul, fut-ce au prix de sacrifices. Comme nous le disions plus haut et dans d’autres articles, Huon d’Oisy lui en fera bientôt payer le prix par sa moquerie.
« Bien me deüsse targier » dans la langue d’oil de Conon de Bethune
Bien me deüsse targier* (défendre; fig: renoncer) de chançon faire et de mos et de chans, quant me convient eslongier* (m’éloigner) de la millor de totes les vaillans; si em puis bien faire voire vantance, ke je fas plus por Dieu ke nus amans, si en sui mout endroit l’ame joians, mais del cors ai et pitié et pesance*(chagrin).
On se doit bien efforchier de Dieu servir, ja n’i soit li talans,* (même si son désir est ailleurs) et la char* (chair) vaintre et plaissier* (dompter, faire plier), ki adés* (sans cesse) est de pechier desirans; adont voit Dieus la doble penitance. Hé! las, se nus se doit sauver dolans,* ( se sauver dans la souffance) dont doit par droit ma merite estre grans, car plus dolans ne se part nus de France.
Vous ki dismés * (dîmer) les croisiés, ne despendé* ( dépensez) mie l’avoir ensi: anemi Dieu en seriés. Dieus! ke porront faire si anemi, quant tot li saint*(les justes)trambleront de dotance* (de peur) devant Celui ki onques ne menti? Adont* (Alors) seront pecheor mal bailli* (mal en point): se sa pitiés ne cuevre sa poissance* (puissance).
Ne ja por nul desirier* (désir (de rester)) ne remanrai* (demeurerai) chi* (ici) avoc ces tirans, ki sont croisiet a loier* (contre salaire, paiement) por dismer clers et borgois et serjans; plus en croisa covoitiés ke creance* (convoiteux que croyants), et quant la crois n’en puet estre garans, a teus croisiés sera Dieus mout soffrans se ne s’en venge a peu de demorance*(sans tarder).
Li ques (?) s’en est ja vangiés, des haus barons, qui or li sont faillit. C’or les eüst anpiriés* (mettre à mal), qui sont plus vil que onques mais ne vi! Dehait * (malheur) li bers* (au baron) qui est de tel sanblance con li oixel qui conchïet *(souille) son nit! Po en i a n’ait son renne honi, por tant qu’il ait sor ses homes possance. (1)
Qui ces barons empiriés* (mauvais) sert sans eür,*(sans compter) ja n’ara tant servi k’il lor em prenge pitiés; (2) pour çou fait boin Dieu servir, ke je di qu’en lui servir n’a eür ne kaance* (ni risque ni hasard), mais ki mieus sert, et mieus li est meri* (récompensé). Pleüst a Dieu k’Amors fesist ausi ensvers tos ceaus qui ens li ont fiance* (mettent sa confiance).
Or vos ai dit des barons la sanblance* (mon avis); si lor an poise* (pèse) de ceu que jou ai di, si s’an praingnent a mon mastre d’Oissi, qui m’at apris a chanter tres m’anfance* (dès monenfance).
Par Deu, compains, adés ai ramambrance c’onques aüst …………………………… ami, ne tous li mons ne vadroit riens sans li; magrei Gilon, adés croist sa vaillance. (3)
Notes
(1)« Po en i a n’ait son renne honi, por tant qu’il ait sor ses homes possance ».Il y en a peu qui n’ait honni leur seigneurie, pour autant qu’ils aient d’autorité sur leurs hommes. (Les Chansons de Croisade, J Bédier)
(2) « Qui ces barons empiriéssert sans eür,ja n’ara tant servi k’il lor em prenge pitiés » Celui qui sert ses barons mauvais (dévoyés) sans compter ne les servira jamais suffisamment pour qu’ils le prennent en pitié.
(3)Cette dernière strophe n’est pas reportée dans certaines éditions, sans doute parce quelques pieds de vers se sont perdus en route. Des reconstructions ont été quelquefois proposées, en voici une : « C’onques n’aüst Amours plus fin ami » (voir article de Luca Barbieri, 2016. Université de Warwick). Cela donnerait pour l’ensemble de la strophe la traduction suivante :
« Par Dieu, mon compagnon, je me souviens toujours Que l’Amour n’eut jamais plus fidèle ami (fin amant) et que le monde entier ne vaudrait rien sans lui/elle (Amante, Amour?); Malgré Gilon, sa valeur augmente toujours. »
Vraisemblablement, on ne sait pas non plus qui est ce Gilon, Gilles auquel il est fait ici allusion.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.