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Europe économique contre Europe patrimoniale ? le Pont des Trous de Tournai menacé

tournai_blason_ecu_armoiries_belgique-medievale_pont-des-trousSujet : patrimoine médiéval, histoire, culture, monument classé, Belgique médiévale, Europe économique, Europe médiévale, polémique, pont militaire fortifié.
Période : Moyen-âge central, XIIIe, siècle.
Lieu : Pont des Trous, Tournai, Belgique

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionepuis quelques jours, un séisme secoue le monde des passionnés de patrimoine médiéval, de la Belgique à la France et même jusque Navarre. Sous la houlette de Bruxelles et pour des raisons d’aménagement fluvial, la municipalité wallonne de Tournai vient, en effet, d’entériner la décision de détruire un des fleurons de son patrimoine médiéval : le Pont des Trous. Programmée pour le courant de cette année 2019, la disparition de l’ouvrage pourrait entraîner, dit-on, le risque de déclassement de Tournai au patrimoine mondial de l’UNESCO et toute l’affaire a pris des proportions telles que la presse française s’en est émue à son tour.

Construit originellement entre la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle, ce remarquable ouvrage avait été presque entièrement détruit pendant la seconde guerre mondiale; Reconstruit quelques années plus tard et durant l’après-guerre, son classement a été rendu officiel par décret ministériel en 1991.  A ce jour, lpont_a_trous_vu_dessuse Pont des Trous est considéré comme un des plus prestigieux monuments de la cité et même, au delà, de la Belgique médiévale. Cette porte d’eau fortifiée est aussi d’une grande rareté puisqu’elle compte  parmi les trois seuls ponts militaires fluviaux, datant du Moyen-âge, encore préservés, au niveau mondial.

Pot de fer contre pot de terre ?

Évalué à la bagatelle de 7 milliards d’Euros d’investissement (2013 – source wikipédia), le projet européen d’un puissant axe fluvial Seine-Escaut est dans les cartons de Bruxelles depuis près de 15 ans déjà : il avait, du reste, connu des précédents, au milieu des années 70. Aujourd’hui, ce gigantesque chantier est financé par les Etats, par l’Europe (soit encore les Etats) et par une part privée. Largement sous-évalué au départ en terme d’investissement, le projet a failli être abandonné, après 2008. Depuis, les budgets titanesques engagés ont même été réduits à la baisse, obligeant ses instigateurs à faire quelques concessions sur leurs ambitions de départ. Ces grignotages sont-ils étrangers à la polémique du jour ? Ont-ils pu gréver les moyens alloués à la préservation des ouvrages d’art que ce projet pouvait emporter dans sa marche ? Difficile de l’affirmer. Jusque là, il n’y a guère eu de bras de fer entre Europe projet_transport_fluviale_europe_tournai_pont-a-trous_séconomique et Europe culturelle,  puisque la première en sort, la plupart du temps, victorieuse quand l’autre se trouve, par quelque hasard, à la table. A travers la polémique autour de la destruction du Pont des Trous, c’est peut-être, d’ailleurs, cette question de fond qui est, en partie, soulevée.

Les enjeux économiques :
interconnexion et mondialisation

Pour prendre la mesure économique du projet Seine-Escaut, l’enjeu en terme de Fret de marchandises se chiffrerait à plus de 13 millions de tonnes annuelles dès les premières années de mise en service. Cette nouvelle voie permettrait ainsi aux grosses compagnies (céréales, matériaux déconstruction, métaux ferreux, etc…) de réduire considérablement leurs frais de transport sur cette partie de l’Europe. Du point de vue des coûts, le transport fluvial par gabarits standards à moyens (péniches) soutient, en effet, largement la comparaison avec le transport routier ou même ferroviaire puisqu’il est de deux à trois fois moins cher. Quant aux plus grands gabarits  dont il est question ici, ils permettent encore de gagner quelques sérieux points de marge par tonne transportée. Si son unique inconvénient demeure sa lenteur, le transport fluvial est aussi statistiquement plus sûr et il nécessite aussi moins de main d’oeuvre que le transport routier. D’un point de vue purement entrepreneurial  et économique, c’est donc un Win winner.  Au titre des autres arguments soulevés en faveur de ce projet, on compte encore sur le désengorgement de certains axes routiers et sur un impact écologique favorable en terme de bilan carbone.

Les gabarits

Concernant l’incidence de ce chantier sur Tournai, il impose d’y élargir le lit du fleuve en plusieurs endroits, pour favoriser, comme sur l’ensemble de cette voie fluviale, le passage de péniches de classe Va. Avec des largeurs de 11,40 mètres minimum, ce type de transport fait partie de la plus grosse catégorie d’embarcations fluviales. Ils s’agit, en un mot, de véritables mastodontes du fret. Pour en donner une idée, les péniches qui naviguent sans trop de difficultés, depuis des décennies, sur la plupart des fleuves aménagés d’Europe, y compris l’Escaut, font des longueurs de 38 à 55 mètres pour des tonnages de 250 à 750 T et des largeurs de 5 à 7 mètres. Les classes A sont, quant à elles, capable d’affréter de 1500 à 3500 tonnes pour des longueurs allant de 115 à 140 mètres.

transport_fluviale_tournai_polemique_pont-medieval_moyen-age

La largeur maximale de l’arche principale du Pont des Trous n’étant que de 11,30 mètres, le calcul a été vite fait et ce qui, pour certains, pouvait constituer un fleuron d’architecture médiévale s’est ainsi trouvé réduit à n’être plus qu’un « goulot d’étranglement » du point de vue des porteurs du projet. Toutes les possibilités de contournement mises à l’étude ayant, par ailleurs, été rejetées, comme non viables car trop coûteuses, il ne restait plus pour Tournai qu’à refuser le projet en bloc ou l’entériner, et c’est ce dernier choix qui a été retenu.

Communication politique & urbanisme :
du global au local

Pour se conformer aux attentes européennes, la municipalité s’est ainsi engagée sur un réaménagement des berges de l’Escaut à grande échelle, en essayant d’en positiver, dans le même temps, les aspects urbanistiques. De fait, du côté européen, comme de cette dernière, on n’a pas ménagé les efforts en direction des habitants du lieu pour accompagner l’opération. Un site web a notamment été mis en place, ayant pour slogan « Tournai is Scaldis », ie « Tournai c’est l’Escaut ».  Les habitants de la cité sont ainsi invités à se tourner vers leur fleuve, même s’ils n’ont sans doute pas attendu jusque là pour le faire : ce dernier serpente, en effet, à travers tout le centre-ville de la cité et contribue à son charme depuis de siècles.

En décryptant les communiqués officiels en faveur de ce qui est présenté comme « un projet-pilote en Wallonie« , les arguments jouent prioritairement sur la fibre « éco-responsable » (bilan carbone global du projet) mais on y parle aussi de « renouveau urbanistique ». pont_a_trous_tournai_architecture_patrimoine_medieval_moyen-ageL’élargissement du lit du fleuve et le chantier se trouvent présentés comme « une opportunité inespérée » pour que la ville, ses habitants, mais aussi les touristes se « réapproprient le fleuve sur tout son tracé tournaisien« . Dans le même esprit, on parle encore de « redonner aux abords du fleuve le cachet qu’ils méritent » mais, au fond, lequel et celui de qui ? La question est posée. A l’évidence pas celui des amoureux d’histoire et de Culture. Si l’on a de doutes que quelques nouvelles aires d’agrément pourraient voir le jour, dans un cité qui se pose comme témoin du patrimoine historique médiéval wallon et belge, le « c’est neuf donc c’est mieux » semble tout de même un peu léger pour justifier de la destruction pure et simple d’un ouvrage du XIIIe siècle et de la partie des quais eux, aussi classés, qui s’y trouve attachée.

Au delà des intentions politiques sous-jacentes, l’exercice de communication politique demeurait, il faut bien le dire, bien périlleux face à la décision. Pour transposer, on imaginerait assez mal un projet de construction de multiples voies ferroviaires marchandes  passant au milieu du château de Versailles, en rognant, au passage, certains de ses édifices, avec des responsables qui viendraient expliquer qu’il s’agit là d’une « opportunité inespérée pour les touristes de redécouvrir l’histoire de France et se l’approprient« . Le magazine Le Point du 12 février ne s’y est d’ailleurs pas trompé, en titrant laconiquement Tournai : un pont médiéval sacrifié pour le transport de marchandises ? (voir article ici)

Ajoutons que, si l’incidence défavorable du projet sur le tourisme patrimonial et culturel local demeure un risque manifeste, son impact positif en terme économique sur la ville ou ses habitants, s’il existe, n’est mentionné nul part, suggérant que la grande majorité de ce fret ne fera qu’y passer.

Le nouveau monument prévu

Si la destruction de Pont des Trous suit son cours, un nouvel ouvrage moderne devrait bientôt le remplacer (voir photo). Chacun jugera si le design prévu est vraiment à la hauteur de l’ancien. Il semble, en tout cas, avoir été voté par la grande majorité du conseil municipal de Tournai en 2016.

L’engagement a, semble-t-il, été pris d’utiliser la pierre et de maintenir les deux tours. Pourtant, cette mince arche triple, tendue vers le ciel et qui se présente plus comme un « clin d’oeil » symbolique à l’ouvrage historique original, que comme une tentative de le conserver au plus près, divise les habitants du lieu. On murmure même que certains  d’entre eux l’auraient déjà surnommés, l’arche « Mc Donald’s » (voir article du point)

Alors Europe économique contre Europe culturelle ou encore pot de fer contre pot de terre ? On l’a bien compris, ce dont il est question ici, ce ne sont pas tant les velléités d’aménager le transport fluvial que le peu de traitement qui est fait, dans la balance, entre perspectives macro-économiques d’un côté, et respect de la culture, de l’histoire et du patrimoine, de l’autre.

Au vue des investissements engagés pour faire place aux convois géants désirées par l’Europe, on s’explique mal que n’ait été prévu, dès les départ, dans les budgets, une solution pour partir de la réalité locale, culturelle et historique du terrain, afin de la préserver : éviter la destruction du pont, privilégier une alternative sérieuse pour le sauvegarder, ou même pourquoi pas le modifier ou le déplacer avec l’appui de spécialistes de la construction médiévale. Bref, y consacrer des moyens à la mesure de ce projet d’envergure pharaonique. De fait, face à l’émoi et aux contestations des amoureux d’histoire, de patrimoine et d’Histoire médiévale, une pétition a été ouverte pour la sauvegarde de l’ouvrage. Obligera-t-elle les instances européennes et la municipalité à revoir leur copie ? On ne peut que l’espérer. Stephane Bern, notre nouveau « Monsieur Patrimoine national », l’a, en tout cas, déjà signé.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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800 Manuscrits anciens de la France et de l’Angleterre médiévales nouvellement mis en ligne

manuscrits_anciens_bnf_british-library-haut_moyen-age_monde_medieval_bibliotheque_numeriqueSujet : manuscrits anciens, monde médiéval, Europe médiévale, France médiévale, Angleterre médiévale, mécénat, digitalisation, bibliothèque numérique, préservation, patrimoine culturel.
Période : du haut moyen-âge au moyen-âge central (700-1200)
Porteur de projet : Fondation Polonsky
Partenaires : BnF, British Library (2016-2018)

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion-copiaoilà une excellente nouvelle qui devraient combler les amateurs de culture médiévale et de beaux manuscrits anciens. Avec le soutien de la fondation Polonsky, la Bibliothèque Nationale de France et la British library ont, en effet, depuis 2016, conjugué leurs savoir-faire et leurs efforts pour digitaliser et mettre à la disposition du public et des chercheurs plus de 800 manuscrits anciens, en provenance du monde médiéval.

Les relations franco-anglaises du haut moyen-âge au moyen-âge central

La sélection, qui porte sur les plus beaux ouvrages témoignant des relations franco-anglaises du haut-moyen-âge au moyen-âge central, a fait l’objet de toutes les attentions. On y trouvera ainsi de véritables chef-œuvres d’enluminures couvrant de vastes champs thématiques : psautiers, bibles, hagiographies, mais aussi ouvrages bede_chronique_historique_fondation_polonsky_british-library_Bnf_manuscrits-anciens_enluminures_moyen-age  de sciences, musique, histoire, médecin, philosophie ou encore de littérature médiévale.

Du point de vue linguistique et au vue de la période une grande partie de ces ouvrages  est  en langue latine, mais on en trouve aussi en anglo-saxon, en anglais moyen, en français ancien, en gallois et encore en anglo-normand.

Pour qui ne maîtrise pas nécessairement ces idiomes ou qui n’est pas versé en paléographie, on pourra largement se contenter de feuilleter ces merveilleux manuscrits pour y découvrir de véritables trésors de miniatures et d’enluminures. Rappelons qu’il s’agit d’une collection qui n’a pas son pareille au niveau mondial.


La Fondation Polonsky

A l’initiative du projet et de son financement, on retrouve la Fondation Polonsky. Cette institution, dédiée au mécénat et basée en Angleterre, se consacre toute entière au financement de projets en relation avec les « Humanities », soit d’une manière large le champ des Sciences Humaines et sociales, avec des visées claires de préservation de l’héritage culturel et historique de l’humanité.

Préservation & démocratisation du patrimoine historique et culturel de l’Humanité

fondation_Leonard_Polonsky_mecenat_monde_medieval_manuscrits_anciens_moyen-ageDepuis sa création par Leonard Polonsky, la fondation a apporté son soutien à de nombreux projets à travers le monde, sans se limiter aux manuscrits anciens. Entre autres actions, on relèvera une collaboration semblable à celle qui fait l’objet de cet article et qui a permis de 2012 à 2017 de réunir la prestigieuse Bodleian Library d’Oxford et la Bibliothèque apostolique du Vatican.  Le fruit de ce financement avait alors rendu possible la numérisation et la mise à disposition des chercheurs, mais aussi du grand public, du fleuron de ces deux collections. La période ciblée était, cette fois, le moyen-âge tardif et le XVe siècle. Un nombre impressionnant de manuscrits grecs, latins et hébreux du XVe siècle ont été ainsi digitalisés à cette occasion, pour un total de plus de 1,5 million de pages. Si vous en avez la curiosité, vous pouvez consulter le site de ce programme ici.


France Angleterre, 700-1200 : manuscrits médiévaux de la BnF et de la British Library,

Pour revenir au projet faisant intervenir la Bibliothèque Nationale de France et de la British library, après deux ans de travail soutenu, cette superbe collection est enfin consultable en ligne et un site spécial lui a même été dédié. A lire et découvrir les publications enthousiastes des conservateurs, copistes et de l’ensemble des acteurs impliqués des deux côtés de la Manche, on ne peut que mesurer la passion qui les a portée tout au long de ce projet et on ne peut que se réjouir avec eux de voir, aujourd’hui, le fruit de leurs efforts récompensés. Des trésors de patience et de précautions ont, en effet, été nécessaires pour mener à bien cette opération dans le respect des manuscrits anciens et de leur fragilité.

Le site web des 800 manuscrits

Sous le nom de France et Angleterre : manuscrits médiévaux entre 700 et 1200, il est en place depuis la semaine dernière à l’adresse suivante : manuscrits-france-angleterre.org  ( notons que le site  a également un homologue du côté anglais sur le site de la british library et au lien suivant).

evangile_bible_Echternach_Enluminures_miniatures_fondation_polonsky_british-library_Bnf_manuscrits-anciens_moyen-ageCeux d’entre vous qui sont familiarisés avec le site Gallica.fr de la BnF (que nous ne finissons jamais assez ici de remercier pour ses précieuses ressources), ne devraient pas être déroutés par l’interface de recherche de ce nouveau « bébé » de la BnF. C’est en effet le moteur marque blanche de Gallica qui a servi de base à son interface, à son indexation et à sa navigation.

En plus de fonctionnalités avancées pour les recherches les plus pointues, vous y trouverez également des entrées multiples par thème, par auteur, par lieu ou par siècle.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Denis 1er du Portugal, roi troubadour, poète & laboureur du Moyen Âge central

roi_troubadour_poete_denis_1er_portugal_poesie_chansons_medievales_moyen-age_centralSujet :  roi poète, roi troubadour, troubadour, lyrique courtoise, galaïco-portugais, poésie médiévale, chansons médiévales, Cantigas de Amigo, portrait, biographie, galicien-portugais
Période : Moyen Âge central, XIIIe, début XIVe s
Auteur : Roi Denis 1er du Portugal  (1261-1325)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons aujourd’hui à l’Europe médiévale et le vent de l’Histoire nous mène, cette fois-ci, vers la péninsule ibérique pour y découvrir un grand roi laboureur et poète de la deuxième moitié du XIIIe et des débuts du XIVe siècle : le roi Denis 1er du Portugal (Diniz ou Dionisio 1er).

Dans la lignée des grands de Castille
et du Portugal

Grand féru de culture et de littérature, ce sixième souverain du Portugal fut surnommé le roi troubadour et il compte, de fait, parmi les plus grands troubadours de langue galaïco-portugaise au Moyen Âge central. Ce goût pour les lettres et la musique, n’était pas tout à fait un hasard, puisque ce souverain appartenait à ce lignage nobiliaire de la péninsule espagnole particulièrement fécond sur le plan culturel et dans lequel l’histoire a compté quelques grands noms. Alphonse X de Castille, ou Alphonse le Sage était, en effet, rien moins que le grand-père de Denis.

blason_armoirie_medievale_portugal_roi_denis_1erSans doute ce dernier a-t-il encore hérité de son père Alphonse III d’excellents talents d’administrateur mais aussi d’une certain qualité d’écoute auprès du peuple.  Son géniteur œuvra, en effet, à renforcer la main mise de la couronne sur ses territoires par un habile maillage de petits seigneurs et de représentants du pouvoir central, mais il s’employa aussi à refréner les privilèges de la noblesse et de l’Eglise. On lui prête ainsi d’avoir favoriser le développement des classes moyennes, mais aussi le développement urbain. A noter que  Alphonse III fut aussi à  l’initiative de la création de Lisbonne comme capitale du pays.

Eléments de biographie :
roi poète et roi laboureur

De son côté, couronné à l’âge de 18 ans et déjà bien formé aux compétences et devoirs exigés par sa fonction, le roi Denis ne se contenta pas de laisser en héritage des chansons et des poésies qui comptent parmi le fleuron de la littérature galaïco-portugaise. Après avoir visité ses différentes provinces et dans la continuité de son père, il fut soucieux d’administrer, au plus près, son royaume et de protéger son peuple et notamment ses classes les plus défavorisées. Son épouse, Isabelle, fille du roi d’Aragon, surnommée roi_troubadour_poesie_chanson_medievale_statue_roi_denis_1er_universite_coimbra_portugalelle-même la reine sainte, alla d’ailleurs dans le même sens et fut également connue pour sa grande  charité chrétienne.

(ci-contre statue du Roi Denis,
Université de Coimbra, Portugal)

Au cours de son règne, le Roi Denis entreprit de grandes avancées dans le domaine commercial et économique. Sur le plan agricole, ses actions d’envergure le firent même surnommer par ses sujets, comme le roi laboureur.

Bien sûr, nous sommes au XIIIe siècle et  peu de royaumes échappaient alors aux travers de leur temps. Il eut donc à gérer d’inévitables tensions d’héritage (avec sa propre descendance), quelques querelles de territoire avec ses voisins castillans et encore des luttes de pouvoir contre l’Eglise et ses ambitions politiques. Pourtant, d’une manière générale, une large partie de son règne s’inscrivit sous le signe de la paix.  Sa nature et son caractère n’y sont sans aucun doute pas étrangers ; l’homme n’était ni un conquérant assoiffé, ni un belliciste et il laissa pour longtemps l’image d’un grand souverain dans l’esprit du peuple portugais. Sur le plan culturel, il fonda également l’Université de Coimbra qui contribua au rayonnement du Portugal  au sein de l’Europe médiévale.

L’œuvre du roi Denis 1er du Portugal

En plus d’avoir œuvré pour la littérature portugaise, il favorisa également le développement de la lyrique et de l’art des troubadours et il fut lui-même, comme nous le disions plus haut, l’un des plus prestigieux par le titre, mais aussi l’un des plus prolifiques d’entre eux.

Au titre de son legs, on compte autour autour de 138 pièces dans lesquelles on trouvera des Cantigas de Amigo  (52), des Chansons de Amor (76), mais aussi des Chansons de maldizer (10, « chansons de médisance »,  forme de poésies critiques sur le ton de l’humour et qu’on peut comparer aux sirvantois ou sirvantès occitans).

Sources, manuscrits et chansonniers

Du point de vue des sources contenant les œuvres de Don Denis, on citera notamment  le volumineux   Cancioneiro Colocci-Brancuti. Datée du XVIe siècle, cette véritable bible de la littérature galaïco-portugaise présente près de 1570 pièces dont un nombre considérable de cantigas. Entre autres manuscrits, le Cancioneiro da ajuda, mais également le Cancioneiro da Vaticana, contiennent encore des pièces du roi troubadour portugais. 

Cette liste n’a rien d’exhaustive et on doit au romaniste suisse  Henry R. Lang (1853-1934)  d’avoir regroupé l’œuvre du Roi Denis sous la forme d’un ouvrage de synthèse que vous pourrez trouver, si vous en avez la curiosité, à l’adresse suivante : Cancioneiro d’el Rei Dom Denis   by Diniz, King of Portugal, 1261-1325; Lang, Henry Rosemann (1853).

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Le parchemin Sharrer & ses notations musicales

Seulement sept des pièces composées par le roi poète portugais nous sont parvenues avec leur notation musicale. Il a fallu attendre pour cela la mise à jour fortuite, tardive et presque « miraculeuse », en 1990, du Parchemin Sharrer. Découvert à Lisbonne par Harvey L Sharrer, le document avait servi à fabriquer la reliure d’un registre notarial du XVIe siècle. On suppose que ce précieux fragment de document a pu provenir d’un chansonnier mentionné par ailleurs et dont on n’a jamais retrouvé la trace.

Voilà pour ces éléments de biographie sur le Roi Denis 1er et son œuvre. Comme vous vous en doutez, nous aurons bientôt l’occasion de publier et détailler ici quelques-unes de ses plus belles pièces.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Découvrez une autre cantiga de amigo du Moyen Âge.

Constance de Castille l’histoire et la destinée d’une princesse captive, prise dans les tourments de son siècle

armoirie_castille_europe_medievale_espagne_moyen-ageSujet : auteur médiéval, biographie, portrait, Espagne Médiévale, Europe médiévale, Alphonse XI, conflits nobiliaires, princesse captive, donjon
Période : Moyen-âge central (XIIIe & XIVe siècle)
Personnage :  Constance de Castille (1316-1345)
Ouvrage : « Le conte de Lucanor » par Adolphe-Louis de Puibusque (1854)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionnfermée dans le donjon de quelque forteresse ou forcée à la retraite, au fond d’un austère couvent, l’image de la princesse captive au moyen-âge trouve, sans nul doute, son fondement dans une certaine réalité historique. Sans même y ajouter l’archétype littéraire du chevalier courtois venu la délivrer, on peut ainsi compter un certain nombre de nobles dames ou damoiselles de bonne lignée, promises aux plus prestigieuses épousailles et qui, une fois les noces célébrées, connurent de tragiques destinées, en se retrouvant éloignées du pouvoir et même répudiées ou retenues prisonnières ou cloîtrées,

Les raisons derrière les remises en cause de ces alliances sont diverses, quelquefois mystérieuses et le résultat de quelque mésentente ou même de quelque susceptibilité royale (on se souvient de l’étrange et douloureux destin de la princesse Ingerburge du Danemark sous Philippe-Auguste), quelquefois bousculées à la faveur de nouvelles stratégies géo-politiques des puissants, et d’autres fois encore, un peu des deux. Il faut peut être encore y deco_medieval_espagne_moyen-ageajouter que certains mariages arrangés, très jeunes, entre les grandes familles nobiliaires et sans l’accord des intéressés, ont quelquefois contribué à faire virer ces unions en eau de boudin, quand, passant au dessus des devoir de la fonction, quelques puissants décidèrent de ne pas s’y conformer ou même quand leur âge n’a pas permis de consommer l’union.

Si tous ces cas ne semblent pas, non plus, être légions, on en connaît tout de même quelques exemples documentés. Eloignées de la cour et de ses enjeux, mises à l’écart dans quelques palais ou châteaux plus ou moins dorées ou dans quelque établissement religieux, ces princesses ou reines, déchues avant que d’avoir régné (ou si peu) et souvent même, avant d’avoir conçu des héritiers, ont pu rester ainsi, de longues années, sous la main des rois et de leur bon vouloir, recouvrant ou non, plus tard, des rôles secondaires.

Depuis le début du XIIIe siècle, Rome entend bien promouvoir la nature sacrée du mariage et avoir son mot à dire sur les unions et les désunions entre chrétiens. Aussi, il faut le dire, ces revirements d’alliance et ces répudiations après mariage n’ont pas toujours été du goût de l’Eglise qui les a souvent réprouvées, sanctionnant les souverains avec plus ou moins de succès, et plus ou moins de véhémence aussi, en fonction des exigences de son propre échiquier.

Quoiqu’il en soit, pour que la légende de la princesse captive retrouve un peu de sa réalité historique, nous voulons aujourd’hui aborder la destinée de Constance de Castille, fille de Don Juan Manuel et de Constance d’Aragon, qui fut princesse et même reine consort de Castille dans l’Espagne du moyen-âge central. C’est aussi l’occasion de produire un document intéressant puisqu’il s’agit d’une lettre  qu’elle est supposée avoir écrite au roi Alphonse XI, à l’âge de sa maturité  et alors qu’elle était encore captive de ce dernier.

Otage de conflits nobiliaires dans
l’Espagne médiévale agitée d’Alphonse XI

Nous avons déjà abordé largement ici la biographie de l’auteur, grand seigneur et  chevalier espagnol Don Juan Manuel, aussi nous n’y reviendrons pas dans le détail. A cette occasion, nous avions aussi parlé de sa fille Constance qui fait l’objet de cet article et qui fut, pense-t-on, instrumentalisée par Alphonse XI pour tenter de faire plier le genou au grand et puissant vassal. L’histoire est peu claire, mais les faits le demeurent et il nous faut ici les rappeler brièvement.

Peu après s’être promis à la fille de notre chevalier, sans doute pour contrecarrer un mariage prévu et annoncé de cette dernière avec Juan de Haro dit Jean le Borgne, autre puissant vassal d’Espagne, nouvellement allié de Don Juan Manuel, le roi Alphonse XI, alors âgé de 16 ans (et, dit-on, sous la pression de quelques conseillers perfides), fit une autre promesse au même Jean le borgne. En contrepartie de l’union qui venait de passer sous le nez de ce dernier, le roi promit, en effet, au noble de lui accorder la main de sa propre soeur. Las !, on découvrit bientôt que l’affaire était un vil stratagème puisqu’elle servit au monarque à attirer Jean le Borgne dans un piège et à le faire occire froidement. Devant l’assassinat de son allié et voyant que le roi avait usé d’une fausse promesse de mariage pour le défaire mortellement, Don Juan Manuel en déduisit sans doute, de son côté, que l’engagement du roi envers sa propre fille pouvait être de même nature et cacher quelque tortueux complot. Il quitta donc l’armée royale, aux côtés de laquelle il s’était mis à guerroyer de nouveau suite à la célébration de l’alliance du roi avec sa fille, et il rentra en ses terres pour se mettre à l’abri.

On ne peut affirmer que le roi avait ourdi les deux plans, en même temps, pour se débarrasser des deux nobles gênants; il n’avait pas, alors, encore tenté de tuer Don Juan Manuel, comme il le fera par la suite. Si ses intentions n’étaient pas telles, il s’est montré, en tout cas, bien maladroit dans la gestion de sa relation avec le très puissant vassal, pour éveiller, de la sorte, sa méfiance. Suite aux événements, Alphonse XI usa de l’attitude méfiante du vassal et de son départ pour répudier la princesse, avec laquelle il n’avait encore pu consommer l’union pour des raisons de différence d’âge, et la fit enfermer ; au moment du mariage, en 1325, le roi venait tout juste d’être couronné et n’avait que 16 ans. Constanza en avait 9. L’union avait duré à peine deux ans et quelque temps après avoir fait cloîtrer sa jeune épouse, il prenait pour épouse Marie-Contance du Portugal.

La liberté recouvrée

Autant que le conflit dura entre le monarque et son vassal dura, la princesse fut tenue ainsi, soit de l’âge de 10-11 ans (1326-1327) à celui de 20-25 ans (1335-1340). Quand les deux hommes finirent à nouveau par s’entendre, le roi ne la libéra pourtant pas. Quand ils guerroyèrent à nouveau, côte à côte, pour lutter contre les sarrasins, il ne le fit toujours pas. Avait-il conçu pour elle un étrange sentiment dont il ne pouvait se défaire tout en ne pouvant le consommer ? Il est bien difficile, là encore, de l’affirmer.

deco_medieval_espagne_moyen-ageIl fallut, en tout cas, le besoin logistique qu’il avait du Portugal dans sa lutte contre l’invasion sarrasine pour qu’il consente à la libérer. L’histoire dit que le souverain du Portugal qui entendait bien voir Pierre 1er, l’héritier du royaume épouser Constance dut en effet s’y prendre à deux fois avant que le monarque espagnol accepte de s’exécuter. Sans les exigences stratégiques on peut d’ailleurs se demander s’il l’aurait fait.

Triste sort, après sa longue réclusion et ayant conquis le droit de commencer une nouvelle vie au Portugal, Constance connut encore quelques déboires. Après lui avoir donné quelques héritiers, Pierre 1er se tourna, en effet, bien vite vers une autre maîtresse, Inés de Castro, dame de compagnie de la même Constance. Il alla même jusqu’à l’épouser en secret, semble-t-il. Un peu plus tard, la favorite en question se fera assassinée ce qui n’empêchera pas le souverain portugais de déclarer publiquement vouloir la faire reconnaître  officiellement reine du Portugal, créant ainsi rien moins qu’un scandale public et jetant quelque peu, au passage, une nouvelle salve d’opprobre sur la pauvre Constance, achevant de sceller son étrange et malheureux destin. D’entre les trois enfants conçus de ce second mariage, elle aura, tout de même, pour consolation, d’avoir donné naissance au futur roi  Ferdinand 1er du Portugal.

Sur la Lettre de Constance
de Castille au roi Alphonse XI

La lettre qu’écrivit Contance à Alphonse XI se situe au moment ou le Portugal demande sa libération en vue du mariage. Empressons-nous d’ajouter, avant d’aller plus loin que les événements narrés ici, ainsi que le document, nous sont connus par une chronique datant du milieu du XVIIe siècle : Chronica de el Rey dom Alfonso o quarto do nome e settimo dos Reys de Portugal, assi com a deixou escrita, Ruy de Pina (1653).

Si le récit est admis comme authentique dans ses grandes lignes, deux siècles après cet ouvrage, dans le courant du XIXe siècle, l’historien Ferdinand Denis souleva quelques doutes sur l’authenticité de la lettre (Chroniques chevaleresques de  l’Espagne et du Portugal, 1839). Elle pouvait, selon lui,  être « sujette à caution » et il affirma même que si ce n’était le cas, elle avait été, de toute façon, remaniée ou retouchée ici ou là, par quelques historiens de ce même XVIIe siècle. Pour information toujours, il semble que les documents originaux ayant servi de base au chroniqueur Ruy de Pina et auxquels il avait véritablement accès, avaient, disparu entre temps.  L’histoire emportera donc avec elle ce secret, autant que les doutes de l’historien.

deco_medieval_espagne_moyen-ageCes réserves étant émises, d’après les Chroniques de Ruy de Pina, le roi Alphonse XI avait adressé, par voie épistolaire, un premier refus formel en direction de la cour portugaise en s’opposant au remariage de Constance et en y exposant comme motif principal, les anciens conflits qui l’avaient opposés avec Don Juan Manuel. Bien que l’eau avait coulé sous les ponts et que le conflit avec le Prince de Villena semblait être résolu depuis, le monarque déclarait, peu ou prou, qu’il lui était impossible, au vue de ce passé, de libérer la dame.  Dans le même temps, il faisait adresser (« secrètement ») à Constance une autre lettre, dans laquelle il lui affirmait que seuls ses conseillers avaient été la cause de leur désunion passée et qu’il comptait bien plus tard faire annuler son mariage actuel pour pouvoir réparer ses erreurs. Autrement dit, restituer son ancienne épouse dans son statut, dans ses fonctions et à ses côtés. En conséquence, il demandait aussi à la jeune fille de lui demeurer fidèle et de ne pas se donner à un autre. Tout cela donc 10 ans après l’avoir, « mis au placard ». Il faut quand même, pour utiliser une autre expression et pour plaisanter toujours, « en avoir sous le pied ».

Etait-il sincère ? Qui pourrait le dire ? Son jeu apparaît si trouble qu’on se prend à en douter. On sait, par ailleurs, qu’à la même période, il accordait largement ses faveurs à sa maîtresse Eleonora de Guzman contre la reine Marie-Contance du Portugal dont il s’était détourné (la lettre en fera état).  Après une attente de plus d’une décennie, la noble fille de Don Juan Manuel, étant quelque peu vaccinée des manipulations du roi, de sa nature tortueuse et de ses fantaisies, lui adressa donc une lettre en réponse dont voici la teneur, encore une fois réserves prises sur les doutes mentionnés plus haut (au passage, et pour faire un appel du pied à d’éventuels historiens spécialistes des ces questions, après les objections et doutes soulevés par Ferdinand Denis sur ce document et sur son sérieux, on aimerait vraiment pouvoir retrouver la trace d’un original afin de le comparer avec la version ci-dessous, et si possible rétablir un peu de vérité historique… ).

La lettre dépeint, en tout cas, Constance à son avantage et on peut y lire la relation complexe entre position obligée d’allégeance et obligations, mais aussi le courage et la force de la jeune femme qui « claque le bec » à son roi (ça fera trois).

T_lettrine_vert_moyen_age_passionrès-puissant et excellent prince, que Dieu a pourvu si honorablement de grandes vertus, et que la fortune a doté si largement de ses faveurs et de ses bienfaits, don Alphonse, roi de Castille et de Léon, la personne qui vous écrit est Constanza Manuel , celle que vos manques de foi ont si souvent rendue triste, tandis que vos offenses non méritées en ont mis d’autres en un périlleux désespoir. Quoique j’aie raison et désir de souhaiter vengeance, je n’oublie pas l’obéissance naturelle que je vous dois, et je me recommande à votre courtoisie. Très-haut et très-puissant seigneur, sachez une chose : Bien qu’il soit malheureux, le véritable amour garde en soi un tel attachement, que la nature avec tout son pouvoir ne le saurait effacer.

Vous ne l’ignorez pas, seigneur, je ne connaissais pas vos anciennes tendresses, quand, avec des paroles pleines de tromperie et mille raisons feintes, la vérité qui m’était due fut par vous mise à dédain. Vous m’avez trompée en mon très jeune âge, me laissant vous aimer de cette pure affection que m’enseignait l’honnêteté; et parce que les choses qui arrivent en la première jeunesse durent toujours au fond de la mémoire, pour se faire sentir dans les autres temps de la vie, je garde et garderai jusqu’à ma dernière heure le souvenir de vos fausses paroles ; et toutefois, je ne saurais le dire autrement, elles ont été dommageables à votre gloire, réprouvées par Dieu, condamnées par la sainteté de l’Église ces paroles-là ; car vous avez épousé une autre femme ; vous avez demandé et révoqué les dispenses, et le malheur en est retombé sur moi, qui vous portais cet amour fidèle que je croyais un devoir.

La haine est arrivée, l’amertume l’a suivie, et la vérité de tout ce que je dis ici s’est vue en vos œuvres. La source du mal était dans votre cœur, et pourtant vous me parlez d’amour. Non, la même âme ne saurait contenir ce qui est et ce que vous dites. Renoncez, la courtoisie le commande, à tenir un langage inutile à vos fins, qui fait tort à votre sincérité, et qui peut nuire à votre honneur royal, ce qu’en aucune circonstance vous ne devez souffrir. Votre lettre n’a eu pour effet que de me donner un soupçon que j’ai encore, c’est qu’il vous était désagréable de voir quelque chose d’heureux m’ arriver; car vous ne vouliez pas sans doute qu’on pût dire que, malgré votre abandon, j’avais trouvé, pour s’unir à ma destinée, un prince de race royale et digne de porter la couronne.

Il y en a qui m’assurent que ce n’est pas à moi que s’adressent vos rigueurs, mais à don Juan Manuel, et sur cela voilà ce que je réponds : c’est que mon père et seigneur est un ami plus loyal et un meilleur serviteur que tous ces gens qui sont riches de vos deniers et qui possèdent sans foi vos forteresses. Tels que je les connais et qu’ils sont, ils ne méritent pas de vivre avec les moindres de son lignage, et cependant, vous avez suivi leurs conseils, vous avez parlé et agi comme il leur a convenu. Ce n’est pas en une seule occasion que vous avez été contre nous; vous l’avez été en mainte circonstance, et surtout en m’écrivant des choses que vous n’aviez pas l’intention de remplir. Donc, ne me blâmez pas si je refuse de vous croire, ma raison me le défend ; je ne puis tenir pour vraies que les choses dont mes yeux sont témoins, car je sais les mauvais traitements qu’a reçus de vous la bonne princesse qui est votre femme; oui, je sais comment vous agissez avec la reine dona Maria.

Et qui est cause de ces indignités? n’est-ce pas Éléonora Nuñez de Guzman, qui, sept ans avant que vous fussiez né, faisait déjà parler de ses charmes? Vous l’avez prise aux fêtes de Léon, à une époque où, dit-on, sa mère se plaignait amèrement de sa conduite ; il n’était bruit que de Martin de Lara, le bâtard; encore n’était-ce pas, sans doute, le premier qui lui eût donné de l’amour. Personne n’avait oublié Fernand Gonzalez de Ayala. Quand je vins à connaître toutes ces choses, je ne ressentis aucune jalousie, mais je gardai une loyale confiance que vous n’avez jamais méritée; puis, je me sentis plus forte. peut-être parce qu’il s’agissait des peines d’une autre, quand je sus que de plus grands serments et des promesses plus solennelles avaient été faites à la reine et que vous les aviez rompues.

Je ne suis pas seule à souffrir nous allons deux de compagnie, nous sommes deux que vos paroles ont trompées. Dieu soit loué, néanmoins, puisqu’il n’a pas fait tomber sur moi le dur esclavage qui pèse sur l’innocence de la reine ! justice du Ciel, à laquelle rien n’échappe, sévira tôt ou tard; c’est elle qui nous donnera protection et vengeance. Qu’il ne soit donc plus mot de rien entre nous, et lors même, qu’au mépris de tout droit, vous prétendriez exercer quelque violence sur ma personne, sachez bien que mon âme restera toujours libre de votre sujétion. 

Doña Constanza Manual

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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