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La housse partie : un fabliau médiéval du trouvère Bernier, adapté en français moderne

fabliau_moyen-âge_trouvere_bernier_la_housse_partie_monde_medievalSujet : fabliau
Titre ; la housse partie
Auteur présumé : le trouvère Bernier
Période : XIIIe siècle, moyen-âge central
Tiré de  l’ouvrage : morceaux choisis des auteurs français, moyen-âge et seizième siècle. XIXe siècle.
Auteur : Louis Petit de Julleville

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui nous vous proposons une adaptation, traduction et mise en vers d’un fabliau du moyen-âge, plus précisément du XIIIe siècle, qui a pour titre: « La housse partie ». En français moderne, on pourrait traduire ce titre par « la couverture partagée » ou « coupée en deux ». Au passage, il est intéressant de noter que l’espagnol a gardé du latin ce sens de « partager » : « compartir » partager des biens de la nourriture avec autrui et encore « partir »: séparer, couper en deux. Dans le mot « partir » en français, l’étymologie est la même et vient du latin « partire » (séparer) et  il y a encore finalement ce sens de séparation mais le verbe « partir » dans le sens de « faire des parts » n’est plus usité.

Ce fabliau « la housse partie » est attribué au trouvère Bernier et nous l’avons tiré d’un ouvrage du XIXe siècle, « Morceaux choisis des auteurs français, moyen-âge et seizième siècle », de Louis Petit de Julleville (1841-1900), érudit, docteur es lettres et professeur de littérature médiévale. La version de ce fabliau que nous trouvere_bernier_XIIIe_moyen_age_fabliau_la_housse_partieprésentons ici est la même que la sienne, à ceci près bien sûr que nous l’avons adapté en vers. C’est une version un peu raccourcie qui passe, assez rapidement,  sur l’introduction du fabliau pour aller au coeur de l’histoire et jusqu’à sa fin.

Vous noterez, au passage, les similitudes du langage employé dans ce fabliau avec celui de Rutebeuf – le testament de l’âne – que nous avions déjà adapté en vers ici et même mis en lecture audio. Je ne parle pas, bien sûr, que du vocabulaire mais également des tournures et du style.

Le Début de l’histoire

Pour permettre à son fils de marier une noble, un riche bourgeois d’Abbeville lui a cédé tous ses biens; l’homme vit donc, désormais, chez le couple mais sa belle fille, lassée de l’entretenir presse son mari de mettre son père dehors ce que l’époux ingrat autant que soumis consent finalement à faire.

La couverture partagée »
Traduction, adaptation en vers

Celui qui sa femme redoute
Maintenant vient trouver son père
Et lui dit  d’un air empressé
« Père, père, allez-vous en.
Allez chercher pitance ailleurs,
On vous a donné à manger
En ce logis douze ans ou plus
Mais faîtes vite et sans tarder »
Le père l’entend, durement pleure,
vient à maudire le jour et l’heure
Qui  l’ont fait vivre si  longtemps:
« Ha! Beau doux fils que me dis-tu?
Par Dieu, si honneur tu me portes
Laisse-moi ici devant la porte
J’y occuperais peu de place
ne demanderais point de feu
ni courte-pointe ni tapis
Je me tiendrai dehors, ici
sous le couvert de l’appentis
fais-moi porter un peu de paille.

(Le fils, hélas, reste intraitable,
Et voilà le père qui s’en va,
Mais avant de sortir de là
Il supplie encore son fils
de lui concéder un service)

« Beau doux fils, tout mon coeur tremble
Je redoute tant la froidure
Donne moi une couverture
De celle dont tu couvres ton cheval
Que le froid ne me fasse mal. »
Pressé de s’en débarrasser
et voyant qu’il ne peut le faire
s’il ne lui donne quelque chose
Avant que son père s’en aille
L’homme fait appeler son fils
Quand il l’appelle l’enfant accourt
« Que vous plait sire? » dit l’enfant
« Mon cher fils, je te demande
Si tu trouves l’étable ouverte,
donne à mon père la couverte
qui est sur mon cheval noir.

(L’enfant descend à  l’écurie,
Prend la couverte sur la bête,
La coupe en deux et s’en revient
Une moitié dans une main.
« Pourquoi donc l’as-tu coupée? »
Demande le père irrité.
Donne-lui au moins les deux moitiés! »)

« Je n’en ferais rien, dit l’enfant
Avec quoi seriez-vous payé?
Je vous en garde l’autre moitié!
Car de moi vous n’aurez pas plus
Et si je suis un jour le maître
je serais juste avec vous
Comme vous le fûtes envers lui.
Et comme il vous légua ses biens
Pareillement je les veux bien
Et de moi, alors n’obtiendrez
Qu’autant que vous lui donnerez
Si le laissez mourir chétif
Tel ferais de vous si je vis
Le père l’entend et puis soupire
entre en lui-même et réfléchit
Et des paroles que l’enfant dit
L’homme, un grand exemple, prit
Lors, vers son père tourna le chef,
« Père fait-il, revenez donc là,
C’était le Diable et le péché
qui, par ma bouche, s’exprimaient
Mais qu’a Dieu plaise, ce ne peut-être
Et je vous fais seigneur et maître
de ma maison à tout jamais… »

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Le texte original en vieux français

Cil qui sa fame doute et crient
Maintenant a son père vient,
Ce li ad dit isnelement :
« Pères, pères, alés vous enl…
Alès vous aillors porchacier.
On vous a doné a mangier
En cest ostel douze ans ou plus.
Mes fetes tost, si levés sus… »
Li peres l’ot, durement pleure,
Sovent maudit le jor et l’eure
Qu’il a tant au siècle vescu :
« Ha, biaus dous fis, que me dis-tu?’
Por Dieu itant d’onor me porte
Que ci me lesses a ta porte.
Je me girrai en poi de leu.
Je ne te quier ne point de feu,
Ne coûte pointe ne tapis,
Mes la fors sous cel apenlis
Me fai baillier un pou d’es train. »

(Comme le fils reste intraitable,  le vieillard s’éloigne mais avant de sortir, il supplie qu’on lui donne au moins une couverture pour se prémunir du froid.)

Biaus dous fis, tos li cuers me tremble,
Et je redout tant la froidure.
Done moi une couverture
De qoi tu cuevres ton cheval,
Que li frois ne me face mal. »
Cil qui s’en bee a descombrer
Voit que ne s’en puet délivrer
S’aucune chose ne li baille.
Por ce que il veut qu’il s’en aille,
Commande son fil qu’il li baut.
Quant on le huche, l’enfes saut :
« Que vous plest, sire? dist l’enfant.
« Biaus fis, fet-il, je te commant
Se tu trueves l’estable ouverte
Done mon pere la couverte
Qui est sus mon cheval morel… »

(L’enfant descend à l’écurie, trouve la couverture, la coupe en
deux et en rapporte la moitié  : « Pourquoi l’as-tu coupée?, demande le père irrité. Donne-lui au moins les deux parts! »)

 » Non ferai, dit l’enfes, sens doute .
De qoi seriiés vous paiié?
Je vous en estui la moitié,
Que ja de moi n’en avrés plus,
Si j’en puis venir au desus.
Je vous partirai autressi
Comme vous avés lui parti.
Si comme il vous dona l’avoir
Tout ausi je le vueil avoir.
Que ja de moi n’en porterés
Fors que tant com vous li donrés.
Se le laissiés morir chetif,
Si ferai je vos, se je vif. »
Li peres l’ot, parfont souspire,
Il se repensse et se remire ;
Aus paroles que l’enfes dist,
Li peres grant exemple prist.

Vers son pere torna sa chiere:
« Peres, fet-il, tornés arriere.
C’estoit enemis et pechié
Qui me cuide avoir aguetié :
Mes se Dieu plest, ce ne puet estre
Or vous fas-je seignor et mestre
De mon ostel a tos jors mes…. »

Voilà, mes amis, un peu de saveur médiévale sur la gratitude des enfants que nous aurons réussi à partager, nonobstant la mauvaise humeur manifeste de l’équidé atrabilaire qui s’est invité sur cette page et qui, visiblement n’aura pas apprécié l’histoire, on se demande bien pourquoi. Quoiqu’il en soit et concernant notre fabliau, il est heureux que les temps aient changé!

Fred
pour moyenagepassion.com
« A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »

Fabliau du moyen-âge : le testament de l’âne de Rutebeuf, adapté en vers

rutebeuf_troubadour_medieval_musique_moyen_age_passionSujet : fabliau, « poésie » médiévale, troubadour, trouvère, poésie médiévale
Titre : le testament de l’âne
Auteur : Rutebeuf
Période :  XIIIe siècle, moyen-âge central

Bonjour à tous,

J_lettrine_moyen_age_passion‘espère que ce billet de blog vous trouve en joie.  Nous revenons encore, ici,  sur le trouvère et poète du XIIIe siècle Rutebeuf auquel nous avons déjà consacré quelques articles ici, mais, cette fois, pour aborder un de ses fabliaux : le testament de l’âne.

Le fabliau,  est un genre qui a été extrêmement populaire pendant une grande partie du moyen-âge. Dans ces petites histoires légères, paraboles de la société médiévale, on faisait passer de la critique, des satires sociales et de l’humour et pour aborder ce genre, nul mieux que  Rutebeuf ne pouvait nous servir d’introduction. Dans le texte original, Rutebeuf est presque toujours dur à comprendre à la première lecture, quelquefois même impossible. Le français qu’il utilise est un lointain ancêtre de notre langue, si loin que les formes ont pour la plupart changé. Pourtant l’homme, était, dit-on, jongleur et peut-être de cet art, a-t’il tiré son habileté à jongler avec les mots. La musicalité de ses textes, autant que les mystères qu’ils semblent refermer fascinent encore et sont autant d’invitations au voyage, en l’occurrence un voyage vers le passé et vers le monde qui nous préoccupe ici, le monde médiéval.

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De l’humour de Rutebeuf et du temps passé

On a souvent dit de Rutebeuf que  son humour, ses jeux de mots ou ses sous-entendus étaient à tiroir et difficiles à comprendre ou à retraduire dans toute leur subitilité et rien n’est moins vrai. Mais nous le savons bien que l’humour est toujours lié à l’air du temps, et ce même quand il touche des vérités profondes. Et même un trait d’humour peut nous faire encore rire ou sourire en traversant les âges, il perd presque toujours une partie de ses sous-entendus souvent impénétrables pour qui est totalement étranger à la culture ou à l’époque qui l’a vu naître. Pour prendre un exemple trivial, emprunté au cinéma,  il n’est pas rare que si nous avons aimé et ri d’un film comique, en le revoyant dix ans après, on se rende compte que le monde a changé et si les références nous le_testament_de_l_ane_rutebeuf_poesie_medievale_moyen-age_passionfont encore rire, c’est souvent parce que nous savons les replacer alors dans cette même époque ou ce temps que nous avons connu. Et quand l’humour ne touche rien de profond et n’a d’autres ambitions que de nous faire rire de l’air du temps, il peut même devenir déplacé ou désuet, même parfois pour qui l’a connu. Que dire alors d’un humour qui nous vient de près de huit cent ans en arrière? Comment pourrait-on prétendre en avoir toutes les clés? Si nous ne pouvons les avoir, peut-être peut-on au moins deviner entre les lignes, l’époque dont cet humour nous parle. Sans doute est-ce, avec Rutebeuf, ce à quoi il nous faut en partie nous résigner: tenter d’attraper un peu de ce monde médiéval au vol quand nous le traduisons, un peu de l’esprit de l’auteur, conscient que comprendre toutes ses subtilités nous impose encore d’autres détours qui ne suffiront sans doute pas à nous aider à le percer.

L’outrecuidance de traduire

D’une manière générale et sans parler uniquement d’humour, on pourra encore argumenter avec Alain Guerreau, cet esprit aiguisé et acerbe, merveilleux empêcheur de tourner en rond des historiens médiévistes, qu’il est vain, sans mille précautions, d’essayer de traduire les mots, les poésies, les textes qui nous proviennent du monde médiéval, tant c’est un monde éloigné du notre, au point de nous être étranger. Nous ne pouvons, pourtant, nous y résigner mais puisse la conscience des limites de l’exercice nous servir, ici, un peu d’excuse à notre outrecuidance.

fabliau_rutebeuf_satire_argent_eglise_testament_de_l_ane_monde_medievalJ’ajouterai encore que si on lit et l’on savoure les fables d’un Jean de
la Fontaine, en ce qu’il adresse des vérités de la condition humaine qui nous paraissent intemporelles, pourquoi ne pourrait-on faire de même avec un Rutebeuf en espérant qu’il nous transmette peut-être au sortir aussi quelques vérités immuables, ou à tout le moins, un peu de cette modernité qui lui ferait nous ressembler, dont nous puissions nous délecter ou que nous puissions transposer. Quoiqu’il en soit, il y a quelque chose venant de ce jongleur et trouvère du XIIIe siècle aux manies malgré tout bourgeoises, qui encore nous interpelle. Dans sa langue ou dans leur musique, dans sa truculence verbale. C’est ce quelque chose qui fait que nous ne voulons pas renoncer à en percer le sens sans préjuger aucunement de ce que nous y trouverons et le découvrant en quelque sorte au fil des textes.  A défaut d’être celui qui, de sa fenêtre, connait déjà tout de sa rue, nous sommes, nous, ce passant en ballade qui flâne, curieux de tout, les yeux neufs. (photo ci-dessus, évêques, prêtres et chanoines en prière pour un sculpture gothique de la fin du XVe siècle)

Méthode utilisée pour versifier
« le  testament de l’âne » en français moderne

Je ne doute qu’il existe déjà des versions du testament de l’âne en vers, mais pour être très honnête, je n’ai pas, il me faut bien l’avouer, écumé toutes les bibliothèques de France et de Navarre pour les débusquer. Je pense que même si j’en avais trouvé j’aurais, de toute façon, fait ce même travail de recherche du sens original, à la source du texte de Rutebeuf, pour comparer ou comprendre les interprétations d’un éventuel traducteur-versificateur. Qu’on ne m’accuse donc pas de plagiat mais plutôt d’ignorance si des versions existent, proches de la version que je testament_de_l_ane_fabliau_satirique_rutebeuf_monde_medievalprésente ici  et que j’ai  travaillé sans m’appuyer sur des versifications existantes. (ci contre enluminure médiévale, non datée)

Concernant la méthode, j’ai cherché à la ronde des traductions de ce testament de l’âne. Il en existe plusieurs. des légions de versions en prose, qui ne m’intéressaient qu’à moitié, puisque je recherchais en plus du sens à retraduire la musicalité des vers.  Dans certaines de ces versions, il y a même des approches qui pourraient paraître fantaisistes tant leurs digressions semblent s’éloigner du texte original, c’est ce moment où se mêle inextricablement l’interprétation du conteur ou du traducteur aux intentions de Rutebeuf. C’est le cas notamment des commentaires de Jean-Baptiste Legrand d’Aussy, dans son ouvrage « Fabliaux ou contes, fables et romans du XIIe et du XIIIe » (daté du XVIIIe siècle). L’auteur y fait dire à Rutebeuf et son testament de l’âne des choses qu’il n’a pas dite et qui en sont même fort loin. C’est un exercice parmi d’autres mais cela ne présente pas grand intérêt pour notre démarche. Nous cherchons en effet  à comprendre le michel_zink_rutebeuf_oeuvres_completes_testament_de_l_ane_fabliau_medievalpoète et non son traducteur ou celui qui en parle.

Nous préférons largement pour ce qui nous intéresse les oeuvres originales de Rutebeuf, transcrites à la virgule et l’ouvrage du XIXe siècle d’Achille Jubinal : Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIIIe siècle, recueillies et mises au jour pour la première fois. (Nouvelle édition, revue et corrigée, Paris, Daffis, 1874-1875). Il y a enfin et je crois que, sans ce support, nous ne nous serions sans doute pas attelé à la tâche, la référence incontournable de l’académicien Michel Zink : Rutebeuf, Oeuvres complètes ( en photo ci-dessus), Dans son approche et son travail de traduction, il n’a pas, lui, cherché à retraduire la musique de Rutebeuf mais s’est attaché uniquement au sens ce qui est fort louable et extrêmement utile pour l’exercice auquel nous nous livrons. Sa compréhension n’est ainsi pas bridée par l’exercice du ver et de la rime et se livre entière, sans cette contrainte. Pour remettre ce testament de l’âne en français moderne et en vers, nous n’avons pourtant pas suivi toutes les idées de notre académicien et, dans quelques cas de figures, nous y avons préféré une approche du texte de Rutebeuf qui nous semblait plus littérale. Je l’avais dit « Outrecuidance quand tu nous tiens! » Nous nous sommes aussi appuyé sur un article de synthèse de Jacques E Merceron que je cite plus bas.

Sur l’interprétation de ce fabliau

Je ne vais pas, ici, me lancer dans une interprétation longue des différents niveaux de lecture de ce fabliau de Rutebeuf et je préfère le livrer nu et entier à votre sagacité. Certaines notes que j’ajoute à la fin de la traduction sont importantes toutefois. Pour être encore honnête, la traduction étant fraîche, je trouve que ce testament de l’âne offre une lecture satyrique à plusieurs niveaux assez complexe et je serais bien présomptueux d’affirmer que j’ai déjà démêlé cet écheveau. Peut-être en ferons-nous un article futur, c’est à voir. Souvenons-nous simplement, tout du long, que la critique de Rutebeuf se fait toujours depuis l’intérieur de sa propre foi. Dans ce fabliau, c’est un chrétien qui interpelle les mauvais chrétiens ou les mauvais prêtres, en plus de fustiger les conséquences de l’obsession du gain. Ainsi nous y voilà encore? L’argent met tout le monde d’accord? La satire peut-elle échapper à une certaine forme de cynisme? C’est une vraie question. Quoiqu’il en soit, pour l’instant, ce texte garde encore ainsi de son mystère et l’exercice de la versification en français moderne ne l’a, semble-t-il et heureusement, pas épuisé. Avant de vous livrer cette traduction, je vous conseille si vous voulez avoir une vision un peu plus claire de ce que peut cacher le phrasé de Rutebeuf et notamment une forme d’ironie qui ne se rutebeuf_troubadour_trouverre_ppete_moyen-agelivre peut-être pas au premier abord, l’article de Jacques E. Merceron sur ce testament de l’âne et sur la notion de « bontei » utilisée par notre trouvère du XIIIe siècle dans ce fabliau.


Important : utilisation de cette version en vers  du testament de l’âne de Rutebeuf

Si vous souhaitez utiliser cette traduction, sur le web ou ailleurs, voici les liens à inclure sur vos pages.

Lien vers cet article : https://www.moyenagepassion.com/index.php/2016/03/28/fabliau-du-moyen-age-le-testament-de-lane-de-rutebeuf-traduit-en-vers/

Réferénce au site  à inclure: traduction du testament de l’âne de Rutebeuf de  http;//www. moyenagepassion.com  » A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes ».


Le testament de l’âne de Rutebeuf
en français moderne et en vers

Ainsi, nous voilà donc, le texte original de Rutebeuf dans une main, la traduction de Michel Zink de l’autre et la ferme intention de retrouver la musique de ce fabliau autant que son sens profond en le passant de son français ancien dans notre français moderne; en bref, coller au plus près de Rutebeuf et de sa poésie, tout en respectant l’exercice du ver et du pied. Je dois avouer que dans deux cas de figure précis, le sens ne pouvait pas être retranscrit  sauf à y ajouter un pied, notre version a donc deux pieds de plus que la sienne. Si je voulais faire de l’humour je dirais que si vous voyez deux pieds dépassés, ce sont donc ceux de votre serviteur, mais je n’y céderais pas de craint que vous ne pensiez que je l’ai fait  à dessein juste pour faire ce mot.

Le testament de l’âne

Qui veut du monde être à l’honneur
Tout en suivant la vie de ceux
Qui ne vivent que pour l’argent (1) 
En récolte bien des nuisances
Tout entouré de médisants
Ne songeant qu’à lui faire du tord
Le voilà cerné d’envieux
Fussent-ils aussi beaux que gracieux,
Sur dix qui sont assis chez lui,
Des médisants, il y en a six
Et des envieux pas moins de neuf.
Dans son dos, ils n’ont cure de lui, (2) 
Mais par devant, ils lui font fête
Chacun inclinant bas la tête
Comment ne seraient-ils envieux
ceux qui n’en profitent avec lui ?
Quand déjà ceux-là, à sa table,
ne sont pour lui ni sûrs, ni fiables?

A l’évidence, ça ne peut être.
Je vous le dis à cause d’un prêtre
Qui avait une bonne église*  (*paroisse)
mais dont la seule aspiration
était d’enrichir ses avoirs
Il y passait tout son savoir
Couvert de robes et de deniers
Et du blé tout plein ses greniers
Car le prêtre savait s’y prendre (3)
et pour la vente se faire attendre
de la pâques à la Saint-Rémi.
Et il n’avait d’ami si cher
qui puisse rien tirer de lui,
sauf à grand force l’y soustraire.
Chez lui, il y avait un âne
Comme on n’en vit de mémoire d’homme,
Qui vingt ans entiers le servit
Jamais pareil serf, on ne vit
Mais l’âne mourut de vieillesse
Qui tant avait fait sa richesse
Et au prêtre il était si cher
Qu’il ne voulut qu’on l’écorchât
Et l’enfouit dans le cimetière
pour que sa dépouille y resta (4) 

L’évêque avait d’autres manières
ni cupide, ni grippe-sous
Mais courtois et bien éduqué
A tel point que même alité,
à la vue d’un homme de bien,
on n’eut pu le tenir au lit.
La compagnie des bons chrétiens
c’était sa médecine à lui.
Sa grande salle toujours pleine,
Rien à redire sur sa Maison,
Et quoiqu’il ait pu désirer,
Nul de ses gens ne s’en plaignait.
S’il avait meubles, c’était des dettes,
car qui trop dépense s’endette.

Un jour qu’en grande compagnie
Se tenait notre homme de bien
On parla de ces riches clercs
et des prêtres avares et chiches
Qui ne font bonté ni honneur
A leur évêque, ni au seigneur.
On fit son affaire à ce prêtre
si riche et si plein de lui-même.
Ainsi sa vie fut bien décrite,
Aussi bien qu’un livre l’eut fait,
Et on lui prêta plus d’avoirs
Que trois comme lui eurent pu avoir
Car l’on en dit toujours bien plus
Que ce qu’à la fin on y trouve.
« Il a encore fait quelque chose
Qui faudrait son pesant d’argent
pour qui voudrait le révéler »
Dit-un qui veut se faire bien voir,
« Et qui vaudrait grande récompense »
– « Et qu’a-t’il fait? » s’enquiert le sage
– Il a fait pire qu’un bédouin
puisqu’il a, son âne Baudouin,
enterré en la terre bénite.
– Maudit soit-il!
fait l’évêque, si cela était avéré
Honni soit-il, lui et ses biens!
Gautier, convoquez-le ici
écoutons ce prêtre répondre
Sur ce dont Robert l’accuse,
Et je dis, que Dieu m’y assiste
Si c’est vrai, j’en aurais l’amende!(5)
« – Sire je veux bien que l’on me pende,
Si ce que j’ai dit n’est pas vrai
Je l’affirme, à votre bonté,
jamais il ne rendit  hommage, » (6)

On convoqua donc le prêtre,
il est là, il lui faut répondre
A son évêque de l’affaire
Qui peut le faire destituer.
« Traître à Dieu, Homme déloyal,
Qu’avez-vous donc fait de votre âne?
dit l’évêque, quel grand méfait* (*offense)
A notre église* avez-vous fait? (*Sainte)
Jamais je n’en vis de plus grand
Qui avez mis en terre votre âne
Là où l’on enterre les chrétiens!
Par Sainte Marie l’égyptienne
si la chose peut être établie
par des témoins dignes de foi,
je vous ferais mettre en prison.
Jamais n’ais ouïe de si grand crime! » (7)
« Très doux seigneur, dit le prêtre

bien des choses peuvent se dire,
mais je demande un jour entier
pour réfléchir à cette affaire
Ce serait un juste délai
pour y repenser, s’il vous plait
(non qu’il me plaise d’argumenter) (8)

« Je vous donne cette journée »
mais ne me tiens pas acquitté
de cette chose, si elle est vraie. »
« Monseigneur, il ne faut y croire. »
Sur ce l’évêque renvoie le prêtre
sans trouver l’affaire amusante.
Mais le prêtre ne s’émeut point
qui sait qu’il a pour bonne amie
sa bourse qui toujours se tient prête
pour réparer ou au besoin.
Le fou peut bien dormir ou non,
voilà que déjà le temps vient. (9) 
Le temps vient, le prêtre revient.
Vingt livres cachées dans une ceinture
Bien comptées et en bon argent
voilà ce qu’il porte avec lui
sans craindre la faim ou la soif (10)
Quand l’évêque le voit venir
il ne peut contenir ses mots:
« Votre délai est expiré
Prêtre au bon sens dévoyé ! » (11)
« Sire, j’ai réfléchi, il est vrai,
Mais laissons dehors les querelles
Ne devez-vous en étonner
Qu’au conseil il faille concilier.
Je veux vous parler en conscience
et s’il m’en coûte pénitence
Sur mes biens ou sur ma personne
Alors que vous me l’infligiez.

L’évêque approche alors l’oreille
pour recevoir les confidences
Et le prêtre lève le chef* (*la tête)
Alors peu soucieux de son or. (12)
Sous sa cape, il tenait l’argent
Qu’il n’osait pas montrer à tous
Et chuchotant, conta son conte
« Monseigneur, il y a peu à dire.
Mon âne a vécu bien longtemps
Il me fut d’une aide précieuse (13)
Et m’a servi sans rechigner
Fort loyalement, vingt ans entiers
Et que Dieu veuille bien m’absoudre
Chaque année, il gagnait vingt sous
Si bien qu’il épargnât vingt livres
Et pour échapper aux enfers
Il vous les lègue en testament.
L’évêque dit  » Dieu le protège »
« Que ses fautes soient pardonnées
Et tous les péchés qu’il a fait ! »

Ainsi, vous avez pu l’entendre,
Voilà l’évêque réjoui,
du riche prêtre pour sa méprise
Qui la bonté lui a appris   (variante : Qui lui apprit à s’amender) (14)

Rutebeuf nous dit et enseigne
Qui deniers tient dans ses affaires (15)
n’ait crainte de faire de faux-pas
Notre âne est demeuré chrétien
Mais nos rimes s’arrêtent là
Car il a bien payé son legs (16)

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Notes sur la traduction

(1) s’extasier devant le gain
(2) « Par derrier nel prisent un oef ». Intraduisible litteralement
(3) Savait bien vendre
(4) Ici demeurerait ses restes, sa dépouille: « ici lairait cette matiere »
M Zink traduit : « En voilà assez sur ce sujet. » Je pense qu’il y a jeu de mots de Rutebeuf, ici, sur la matière du corps de l’âne et la matière, le sujet dont il parle.
(5) « Si c’est vrai il m’en répondra » » « Si c’est vrai, il réparera ». « Se c’est voirs, j’en avrai l’amende. » M Zink : j’en aurais « réparation ». Pas nécessairement pécuniaire. 
(6) Un pied de plus ici :  « Si ne vos fist onques bontei ». M Zink ; « D’ailleurs pour vous il ne fut jamais attentionné »
(7) « C’onques n’oÿ teil mesprison »  Variante : car jamais je ne vis tel crime.
(8)  « Non pas que je i bee en plait ». Michel Zink : « non que je sois procédurier »
(9) Un pied de plus ici aussi « Que que foz dors, et i termes vient »
Cela ressemble à un début de proverbe adapté un peu, quelque chose que je comprends un peu comme cela : « le fou peut bien dormir ou non, le temps passe et passe toujours »
(10) « N’a garde qu’il ait fain ne soi » Comme sa bourse est plein d’argent il ne craint pas d’avoir faim ou soif car il peut y pourvoir
(11)  « Qui aveiz votre senz beü. » M Zink traduit par « vous qui avez noyé votre bon sens dans la boisson ».  Même si litteralement « qui avez votre bon sens bu » pourrait le suggérer, je ne pense pas que l’évèque traite le prêtre d’alcolique, mais plutôt que c’est une expression pour lui signifier qu’il a perdu tout bon sens.
(12) Qui alors n’en menait pas large et ne s’attachait plus à l’argent. « Qui lors n’out pas monoie chiere. »
(13) »Mout avoie en li boen escu ». Intéressant de voir ici la notion de protection de bouclier du verbe original de Rutebeuf,
(14) « A bontei faire li aprist. » Même si elle est surement décevante en tant que chute parce qu’un peu compliquée, je pense vraiment que la traduction : « qui lui apprit à s’amender » est de loin la plus juste parce qu’elle contient le double sens de s’amender : « devenir meilleur » et s’amender: « payer tribu ou payer sa charge », en l’espèce et en espèces, à son évêque. Variantes : « Qui à faire le bien, lui apprit. »  M Zink :  « qui lui apprit à avoir des intentions, à être attentionné » (envers son évêque). J. Dufournet : « l’évêque se réjouit que le prêtre ait péché, car il lui apprit ainsi à faire le bien ». Cette phrase est probablement la plus difficile à traduire de tout le texte parce que la subtilité de Rutebeuf s’y exprime tout entière. On peut la traduire encore par « Qui lui apprit à être bon » ou même « Qui la bonté lui a appris » ou même la charité, sauf à ne pas oublier la charge ironique qu’elle contient de la part de l’auteur. Il n’est en effet ici, pas question du fait que le prêtre soit tout d’un coup devenu bon ou ait développé cette qualité intrinsèque. Puisque visiblement « tout s’achète », l’homme ne changera pas et son système  lui réussit à  l’évidence. Cette preuve de « bonté » doit se comprendre doublement et ironiquement, mais, en l’occurrence, c’est surtout dans le cadre ecclésiastique qu’elle s’exerce car, enfin, c’est envers son église et plus surement envers son évêque (« dispendieux, mondain et endetté », nous dit Jacques E Merceron ), que le prêtre « fait bonté » ou « montre ses attentions ». Sur le fond, et Rutebeuf en joue sûrement aussi ici, il y a une relation hiérarchique et presque organique du prêtre à l’évêque qui induit que si le prêtre se conduit bien il fait « honneur » à son évêque, « il rend hommage à la bonté de son évêque » « il lui fait amende » « il s’amende envers lui » et du même coup envers l’église tout entière. Pour le coup, il semble que ce soit dans la poche de l’évêque que l’argent aille échouer et c’est encore, ici, Rutebeuf, le bon chrétien qui satirise sur les hommes dévoyés que l’argent achète, et sur les hommes cupides qui pensent que tout peut s’acheter, fait auquel, je le déplore un peu, ce texte donne raison avec cynisme, mais s’il ne le faisait pas sans doute serait-il moins drôle. C’est ce monde dont Rutebeuf nous dit peut-être encore, que même les ânes deviennent chrétiens pourvu qu’ils en aient les moyens.
(15) variantes : Que ceux à la bourse bien pleine
(16) variantes :  car son leg paya bel et bien


 La version originale de Rutebeuf :
C’est li testament de l’Asne

Qui vuet au siecle a honeur viure
Et la vie de seux ensuyre
Qui beent a avoir chevance
Mout trueve au siecle de nuisance,
Qu’il at mesdizans d’avantage
Qui de ligier li font damage,
Et si est touz plains d’envieux,
Ja n’iert tant biaux ne gracieux.
Se dix en sunt chiez lui assis,
Des mesdizans i avra six
Et d’envieux i avra nuef.
Par derrier nel prisent un oef
Et par devant li font teil feste:
Chacuns l’encline de la teste.
Coument n’avront de lui envie
Cil qui n’amandent de sa vie,
Quant cil l’ont qui sont de sa table,
Qui ne li sont ferm ne metable?

Ce ne puet estre, c’est la voire.
Je le vos di por un prouvoire
Qui avoit une bone esglise,
Si ot toute s’entente mise
A lui chevir et faire avoir:
A ce ot tornei son savoir.
Asseiz ot robes et deniers,
Et de bleif toz plains ces greniers,
Que li prestres savoit bien vendre
Et pour la venduë atendre
De Paques a la Saint Remi.
Et si n’eüst si boen ami
Qui en peüst riens nee traire,
S’om ne li fait a force faire.
Un asne avoit en sa maison,
Mais teil asne ne vit mais hom,
Qui vint ans entiers le servi.
Mais ne sai s’onques tel serf vi.
Li asnes morut de viellesce,
Qui mout aida a la richesce.
Tant tint li prestres son cors chier
C’onques nou laissat acorchier
Et l’enfoÿ ou semetiere:
Ici lairai ceste matiere.

L’evesques ert d’autre maniere,
Que covoiteux ne eschars n’iere,
Mais cortois et bien afaitiez,
Que, c’il fust jai bien deshaitiez
Et veïst preudome venir,
Nuns nel peüst el list tenir:
Compeigne de boens crestiens
Estoit ces droiz fisiciens.
Touz jors estoit plainne sa sale.
Sa maignie n’estoit pas male,
Mais quanque li sires voloit,
Nuns de ces sers ne s’en doloit.
C’il ot mueble, ce fut de dete,
Car qui trop despent, il s’endete.
Un jour, grant compaignie avoit.
Li preudons qui toz bien savoit.
Si parla l’en de ces clers riches
Et des prestres avers et chiches
Qui ne font bontei ne honour
A evesque ne a seignour.
Cil prestres i fut emputeiz
Qui tant fut riches et monteiz.
Ausi bien fut sa vie dite
Con c’il la veïssent escrite,
Et li dona l’en plus d’avoir
Que trois n’em peüssent avoir,
Car hom dit trop plus de la choze
Que hom n’i trueve a la parcloze.
« Ancor at il teil choze faite
Dont granz monoie seroit traite,
S’estoit qui la meïst avant,
Fait cil qui wet servir devant,
Et c’en devroit grant guerredon.
– Et qu’a il fait? dit li preudom.
– Il at pis fait c’un Beduÿn,
Qu’il at son asne Bauduÿn
Mis en la terre beneoite.
– Sa vie soit la maleoite,
Fait l’esvesques, se ce est voirs!
Honiz soit il et ces avoirs!
Gautiers, faites le nos semondre,
Si orrons le prestre respondre
A ce que Robers li mest seure.
Et je di, se Dex me secoure,
Se c’est voirs, j’en avrai l’amende.
– Je vos otroi que l’an me pande
Se ce n’est voirs que j’ai contei.
Si ne vos fist onques bontei. »

Il fut semons. Li prestres vient.
Venuz est, respondre couvient
A son evesque de cest quas,
Dont li prestres doit estre quas.
« Faus desleaux, Deu anemis,
Ou aveiz vos vostre asne mis?
Dist l’esvesques. Mout aveiz fait
A sainte Esglise grant meffait,
Onques mais nuns si grant n’oÿ,
Qui aveiz votre asne enfoÿ
La ou on met gent crestienne.
Par Marie l’Egyptienne,
C’il puet estre choze provee
Ne par la bone gent trovee,
Je vos ferai metre en prison,
C’onques n’oÿ teil mesprison. »
Dist li prestres: « Biax tres dolz sire,
Toute parole se lait dire.
Mais je demant jor de conseil,
Qu’il est droit que je me conseil
De ceste choze, c’il vos plait
(Non pas que je i bee en plait).

– Je wel bien le conseil aiez,
Mais ne me tieng pas apaiez
De ceste choze, c’ele est voire.
– Sire, ce ne fait pas a croire. »
Lors se part li vesques dou prestre,
Qui ne tient pas le fait a feste.
Li prestres ne s’esmaie mie,
Qu’il seit bien qu’il at bone amie:
C’est sa borce, qui ne li faut
Por amende ne por defaut.
Que que foz dort, et termes vient.
Li termes vient, et cil revient.
Vint livres en une corroie,
Touz sés et de bone monoie,
Aporta li prestres o soi.
N’a garde qu’il ait fain ne soi.
Quant l’esvesque le voit venir,
De parleir ne se pot tenir:
« Prestres, consoil aveiz eü,
Qui aveiz votre senz beü.
– Sire, consoil oi ge cens faille,
Mais a consoil n’afiert bataille.
Ne vos en deveiz mervillier,
Qu’a consoil doit on concillier.
Dire vos vueul ma conscience,
Et, c’il i afiert penitance,
Ou soit d’avoir ou soit de cors,
Adons si me corrigiez lors. »

L’evesques si de li s’aprouche
Que parleir i pout bouche a bouche.
Et li prestres lieve la chiere,
Qui lors n’out pas monoie chiere.
Desoz sa chape tint l’argent:
Ne l’ozat montreir pour la gent.
En concillant conta son conte:
« Sire, ci n’afiert plus lonc conte.
Mes asnes at lonc tans vescu,
Mout avoie en li boen escu.
Il m’at servi, et volentiers,
Moult loiaument vint ans entiers.
Se je soie de Dieu assoux,
Chacun an gaaingnoit vint soux,
Tant qu’il at espairgnié vint livres.
Pour ce qu’il soit d’enfers delivres
Les vos laisse en son testament. »
Et dist l’esvesques: « Diex l’ament,
Et si li pardoint ses meffais
Et toz les pechiez qu’il at fais! »

Ensi con vos aveiz oÿ,
Dou riche prestre s’esjoÿ
L’evesques por ce qu’il mesprit:
A bontei faire li aprist.

Rutebués nos dist et enseigne,
Qui deniers porte a sa besoingne
Ne doit douteir mauvais lyens.
Li asnes remest crestiens,
A tant la rime vos en lais,
Qu’il paiat bien et bel son lais.

Explicit.


Références bibliographiques

Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIIIe siècle, recueillies et mises au jour pour la première fois par Achille Jubinal. Nouvelle édition, revue et corrigée, Paris, Daffis, 1874-1875

Rutebeuf, Œuvres complètes, Michel Zink

Fabliaux ou contes, fables et romans du XIIe et du XIIIe, Jean-Baptiste Legrand d’Aussy

Bonteï et Amende dans le testament de l’âne de Jacques E Merceron, professeur de littérature médiévales aux Etats-Unis

Situation de l’Histoire médiévale, Alain Guerreau


Articles déjà parus sur moyenagepassion à propos de Rutebeuf :

Lectures audios : « la pauvreté Rutebeuf » en Vieux français et en Français moderne.

La pauvreté Rutebeuf ou les misères d’un grand poète  contées au Roi Saint-Louis

« Pauvre Ruteboeuf », la complainte du trouvère et poéte médiéval Ruteboeuf, par Léo Ferré

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En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
moyenagepassion.com
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