Sujet : fabliau, poésie médiévale, conte populaire satirique, trouvère d’Arras Période : Moyen Âge central, XIIe siècle Auteur : Jean (ou Jehan) Bodel (1167-1210) Titre : de Brunain, la vache du prêtre Média : lecture audio en vieux français
Bonjour à tous,
ans la foulée de l’article précédent sur Jean Bodel, sa vie, son œuvre et le fabliau « De Brunain, la vache au prestre » nous vous proposons aujourd’hui et pour exactement le même prix, sa lecture audio. Elle est pas belle la vie?
Lecture audio : Brunain la vache au prestre,
dans la langue de Jean Bodel
Aparté prononciation, le [oi] en [wé]
C’est moé le roé! Il est généralement entendu que la diphtongue [oi] se prononçait « oué » ou [wé] pour le dire en phonétique correct, en français ancien.
Seulement voilà, il se trouve que nos dernières lectures sur le vieux français et sa prononciation, semble confirmer que le passage du {oi] au [wé] serait postérieur au XIIIe siècle. Avant cela, il est possible, même, si cela reste difficile, à affirmer que [oi] se prononçait de manière diphtongué comme dans « oyez, oyez bonne gens« , ce qui pourrait s’écrit « oye » ou « olle » (en liant les deux l en ye comme en espagnol). Ex : S’averoie dans la phrase « S’averoie planté de bêtes » pourrait alors se voir prononcer, quelque que chose comme: « S’averouaille » Comme il est difficile d’en avoér la certitude absolue et pour que le texte reste plus compréhensible je n’ajoute pas cette difficulté et me contente de de prononcer [oi] comme il s’écrit. A quelques reprises pour le respect de la rime, je le diphtongue toutefois légèrement en [owa]. comme justement dans ce même exemple de « S’averoie planté des bêtes », mais je ne vais pas jusqu’au « Aye » et je le coupe avant.
Notons tout de même que la difficulté de restitution de la prononciation du vieux français médiéval est immense parce que nous n’en avons que quelques traces et les témoignages d’auteurs souvent, eux-mêmes, de la renaissance. Les premiers enregistrements sonores ne datant que de la toute fin du XIXe, se situent déjà à plus de six siècles de notre sujet d’étude. Le reste fait appel à l’évolution de l’écrit et des diphtongues bien souvent en extrapolant des glissements progressifs du latin vers le vieux français, entérinés, par la suite, par des changement dans l’orthographe écrite. Dans d’autres cas, des graphies différentes pour un même vocable à époques identiques peuvent encore nous renseigner sur des prononciations plausibles. Si l’on ajoute à cela le fait qu’il y avait en plus d’un certain standard, sans doutes des myriades d’accents en fonction des régions, la difficulté se corse encore. Il faut donc faire des choix dans le champ des hypothèses.
Une belle journée à tous!
Fred
Pour moyenagepassion.com « L’ardente passion que nul frein ne retient poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient » Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C.
Sujet : fabliau, poésie médiévale, conte populaire satirique, cupidité, vieux français, trouvères d’Arras Période : moyen-âge central, XIIe,XIIIe siècles Auteur : Jean (ou Jehan) Bodel (1167-1210) Titre : de Brunain, la vache du prêtre
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons de partir pour la fin du XIIe siècle avec un fabliau champêtre qui nous conte l’histoire d’un prêtre cupide et d’un Vilain crédule. Nous le devons à Jean Bodel d’Arras, poète et auteur médiéval que l’on considère souvent comme l’un des premiers à avoir écrit des fabliaux en langue française, même si l’origine de ces petites historiettes humoristiques et caustiques date sans doute de bien avant.
Jehan Bodel : éléments de biographie
n ne connait pas précisément la date de naissance de ce jongleur trouvère qui vécut dans la province d’Arras de la fin du XIIe siècle au début du XIIIe. Sa mort est en revanche datée, puisqu’on le retrouve dans le registre de la confrérie des jongleurs d’Arras auxquels il appartenait.
Arras (Pas-de-Calais) est alors une ville en plein développement économique et commercial qui exporte ses produits, ses draps et ses tapisseries jusqu’en Orient. La classe bourgeoisie et marchande y est florissante et les trouvères d’Arras y donneront naissance à une forme de poésie bourgeoise dont Jean Bodel est un des premiers à ouvrir le bal.
Fait cocasse ou étrange suivant la foi que l’on veut y préter, au début de ce même siècle, une légende locale prête à deux trouvères fâchés entre eux d’avoir été réunis par une vision qui les aurait enjoint de se rendre à la cathédrale de la ville. Ils s’y tenaient des malades souffrant du mal des ardents, cette maladie qui surgissait après l’ingestion de seigle contaminé par l’Ergot et qui a frappé, à plusieurs reprises, des villes du moyen-âge. Après moultes hésitations et palabres, les deux jongleurs se seraient réconciliés et la vierge leur aurait alors remis une sainte chandelle avec laquelle ils purent guérir de leur mal tous ceux qui se trouvaient là. Hasard de l’Histoire ou bienveillance de la ville à l’égard des trouvères du fait de cette légende, au XIIe siècle et aux siècles suivants, la province arrageoise donnera naissance à de nombreux poètes et trouvères au nombre desquels on comptera notamment Adam de la Halle.
Jehan Bodel a laissé derrière lui neuf fabliaux, quelques pastourelles, ainsi que diverses pièces poétiques et dramatiques. Passant avec aisance du genre lyrique au drame, avec des incursions dans le genre comique et plus populaire, certains auteurs dont Charles Foulonqui lui a dédié une thèse d’état, en 1958, n’ont pas hésité à le qualifier de génie. Outre ses oeuvres poétiques, on lui doit encore une chanson de geste de plus de huit mille alexandrins qui conte la guerre de l’Empereur Charlemagne contre les saxons : « La Chanson des Saisnes« . ainsi qu’une pièce de théâtre dramatique et religieuse: le Jeu de saint Nicolas, un « miracle » inspiré d’un auteur et historiographe carolingien du IXe siècle, Jean Diacre Hymmonide (825-880) et traduite par le poète normand Wace (1100-1174).
Ce Jeu de Saint-Nicolas, sans doute l’écrit le plus étudié de Jean Bodel, conte la conversion de sarrasins au christianisme. Au moment de la rédaction de cette pièce, connue à ce jour comme une des premières pièces de théâtre écrites en français, le poète avait vraisemblablement déjà pris la croix pour la IVe croisade. Engageant ses contemporains à se joindre à l’expédition en terre sainte à travers, il y mit aussi en avant la subtilité d’une conversion au christianisme pour laquelle les armes ne seraient pas nécessai-rement d’un grand secours; le roi des sarrasins, bien que, vainqueur sur les chrétiens et les ayant décimé, finira, en effet, par se convertir tout de même. En dehors des aspects religieux de la pièce, Jean Bodel y brosse encore des tableaux sociaux et humoristiques de l’époque ayant pour théâtre les tavernes de l’arrageois.
A peine âge de quarante ans et ayant contracté la lèpre, Jehan Bodel fera ses adieux à ses amis et à la société dans ses « congés » avant de se retirer dans une léproserie dans le courant de l’année 1202. Il y mourra quelques huit ans plus tard.
La notion de « satire » dans les fabliaux
On a pu se poser, quelquefois, la question de savoir s’il fallait ranger les fabliaux, ceux de Jean Bodel compris, dans le genre satirique. C’est une question à laquelle certains auteurs répondent non, mais encore faut-il bien sûr s’entendre sur ce que l’on range sous le terme de satire ou genre satirique. Nous concernant, c’est toujours dans son sens large que nous l’utilisons et l’appréhendons: « Écrit dans lequel l’auteur fait ouvertement la critique d’une époque, d’une politique, d’une morale ou attaque certains personnages en s’en moquant. » ou « Œuvre en prose et en vers attaquant et tournant en ridicule les mœurs de l’époque. »
La notion de « virulence » ou de « violence » n’étant que très relative et sa mesure fortement liée à une époque, il ne semble pas qu’elle puisse véritablement retenue comme pertinente. D’une certaine manière et pour être très clair dans notre définition, la causticité suffit pour faire d’un texte un texte satirique, ce qui n’exclut pas, bien sûr, que la satire puisse avoir des degrés.
Il semble utile d’ajouter qu’une certaine forme d’anticléricalisme qu’on trouve souvent dans les fabliaux ne doit pas nous tromper. Durant le moyen-âge, même si l’on se gausse des prêtres ou des moines débauchés, cupides, goinfres ou même encore fornicateurs, on le fait toujours depuis l’intérieur de la religion. On retrouvera cela dans les fabliaux et dans certaines poésies de Rutebeuf ou même de Villon. Pour autant qu’ils peuvent être acides à l’égard de certains membres du corps religieux (leur soif de pouvoir, leur propension à vouloir s’enrichir, la distance qu’ils tiennent entre le contenu de leurs prêches et leurs pratiques réelles, etc…), ces critiques ne visent pas tant, la plupart du temps, à ébranler l’église comme institution, ni à remettre en cause son existence, mais bien plutôt à la nettoyer de ses mauvais « représentants ». Dans des siècles où le salut de l’âme est une question au centre des préoccupations, on se sent forcément concerné par la probité et la conduite de ceux qui, de la naissance à la mort, sont supposés être les garants de ce salut.
De Brunain, la vache au prestre,
dans le vieux français de Jean Bodel
Le fabliau du jour nous met face à l’image du prêtre cupide et accapareur qui ne pense qu’à s’enrichir, que l’on retrouve souvent dans les fabliaux et du vilain quelque peu en manque de second degré mais qui sortira tout de même victorieux de l’histoire.
D’un vilain cont et de sa fame, C’un jor de feste Nostre Dame Aloient ourer* â l’yglise. (prier) Li prestres, devant le servise, Vint a son proisne* sermoner, (chaire) Et dist qu’il fesoit bon doner Por Dieu, qui reson entendoit ; Que Dieus au double li rendoit Celui qui le fesoit de cuer.
« Os »*, fet li vilains, « bele suer, (de Oïr) Que nos prestres a en couvent : Qui por Dieu done a escient, Que Dieus li fet mouteploier ; Mieus ne poons nous emploier No vache, se bel te doit estre, Que pour Dieu le dotions le prestre ; Ausi rent ele petit lait. « Sire, je vueil bien que il l’ait. Fet la dame, par tel reson.»
A tant s’en vienent en meson, Que ne firent plus longue fable. Li vilains s’en entre en l’est able, Sa vache prent par le lien, Presenter le vait au doïen. Li prestres est sages et cointes. « Biaus Sire, fet-il a mains jointes, Por l’amor Dieu Blerain vous doing ». Le lïen li a mis el poing, Si jure que plus n’a d’avoir. * (n’est plus à lui)
« Amis, or as tu fet savoir Fet li provoires dans Constans, Qui a prendre bee toz tans. « Va t’en, bien as îet ton message, Quar fussent or tuit ausi sage Mi paroiscien come vous estes, S’averoie plenté* de bestes. »* (J’aurais des quantités de)
Li vilains se part du provoire. Li prestres comanda en oirre C’on face por aprivoisier Blerain avoec Brunain lïer, La seue grant vache demaine*. (personnelle) Li clers en lor jardin la maine, Lor vache trueve, ce me samble. Andeus les acoupla ensamble: Atant s’en tome, si les lesse.
La vache le prestre s’ebesse, Por ce que voloit pasturer, Mes Blere nel vout endurer, Ainz sache li lïen si fors ; Du jardin la traïna fors : Tant l’a menee par ostez*, (maisons) Par chanevieres* et par prez, (champs de chanvres) Qu’ele est reperie a son estre Avoecques la vache le prestre, Qui mout a mener li grevoit. *(A qui il déplaisait tant d’être menée)
Li vilains garde, si le voit : Mout en a grant joie en son cuer. « Ha », tet li vilains, « bele suer, Voirement est Dieus bon doublere, Quar li et autre revient Blere ; Une grant vache amaine brune ; Or en avons nous deux por une : Petis sera nostre toitiaus*. » (étable)
Par example dist cis fabliaus Que fols est qui ne s’abandone* ; (ne se résout pas) Cil a le bien cui Dieus le done,*(Celui qui a le bien c’est celui à qui Dieu le donne) Non cil qui le muce et entuet* : (Non celui qui le cache et l’enfouit) Nus hom mouteploier ne puet Sanz grant eür*, c’est or dei mains. (chance, sort) Par grant eür ot li vilains Deus vaches, et li prestres nule. Tels cuide avancier qui recule. Explicit De Brunain la vache au prestre.
Une très belle journée à tous et longue vie!
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : fabliau médiéval Titre : la housse partie Auteur : le trouvère Bernier Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Média : lecture audio, vidéo utube
Bonjour à tous !
‘espère que tout va bien de votre côté du monde et que la vie vous apporte chaque jour un peu de ce bonheur ineffable qu’il est quand même difficile de connaître sans être vivant. Nous vous proposons aujourd’hui une lecture audio du fabliau « la housse partie » du trouvère Bernier pour replonger encore dans la musique de cette langue médiévale et de ce vieux français, si loin et si proche de nous, à la fois.
« Où qu’elle est la housse partie? »
Alors, par contre, autant quand même le préciser d’entrée de jeu, si vous venez juste par hasard d’atterrir sur ce blog dédié au monde médiéval, cette « housse partie » n’a pas grand chose à voir avec une réunion de gens bizarres, éventuellement amateurs de psychotropes et qui dansent pendant plusieurs jours de suite, dans un champ, sur des rythmes endiablés. En plus, ça ne s’écrit pas du tout pareil, donc bon… Pour être clair, la housse partie dont il s’agit ici est un fabliau et pas du tout un festival techno, dont le titre signifie « la couverture coupée en deux ». Du coup, autant être honnête, pour ceux qui sont peut-être là par hasard, à la suite d’une erreur de frappe dans google, à la recherche de l’adresse du prochain festival rave underground qui déchire, ça risque d’être un peu compromis, mais bon, si vous en êtes, restez quand même, ça ne mange pas de pain, en plus nous avons mis une musique qui pète à la fin de la vidéo.
Les chiens, le cinéma chinois et un ouzbek problématique.
our le reste, afin de ne pas trop corser l’exercice et parce que c’est bien aussi pour apprendre, cette fois-ci, les deux versions vieux françois et français moderne sont présentes dans la vidéo. Cela permet encore de se rendre compte que le français médiéval et le français moderne sont quand même des langues plus proches entre elles que l’ouzbek ne l’est du pékinois (le langue pas le chien) et je dis ça bien sûr sans animosité aucune. J’ai toujours aimé les chiens, j’adore le cinéma et la cuisine chinoise. Bon, tant pis, avouons-le, concernant mon niveau d’ouzbek, il plafonne par contre résolument à des niveaux voisins de zéro, voir de moins un, ce qui aurait surement le mérite de déclencher l’hilarité de plus d’un local, même s’il n’est pas dans mes projets immédiats de me rendre en terre Ouzbek.
Sujet : fabliau Titre ; la housse partie Auteur présumé : le trouvère Bernier Période : XIIIe siècle, moyen-âge central Tiré de l’ouvrage : morceaux choisis des auteurs français, moyen-âge et seizième siècle. XIXe siècle. Auteur : Louis Petit de Julleville
Bonjour à tous,
ujourd’hui nous vous proposons une adaptation, traduction et mise en vers d’un fabliau du moyen-âge, plus précisément du XIIIe siècle, qui a pour titre: « La housse partie ». En français moderne, on pourrait traduire ce titre par « la couverture partagée » ou « coupée en deux ». Au passage, il est intéressant de noter que l’espagnol a gardé du latin ce sens de « partager » : « compartir » partager des biens de la nourriture avec autrui et encore « partir »: séparer, couper en deux. Dans le mot « partir » en français, l’étymologie est la même et vient du latin « partire » (séparer) et il y a encore finalement ce sens de séparation mais le verbe « partir » dans le sens de « faire des parts » n’est plus usité.
Ce fabliau « la housse partie » est attribué au trouvère Bernier et nous l’avons tiré d’un ouvrage du XIXe siècle, « Morceaux choisis des auteurs français, moyen-âge et seizième siècle », de Louis Petit de Julleville (1841-1900), érudit, docteur es lettres et professeur de littérature médiévale. La version de ce fabliau que nous présentons ici est la même que la sienne, à ceci près bien sûr que nous l’avons adapté en vers. C’est une version un peu raccourcie qui passe, assez rapidement, sur l’introduction du fabliau pour aller au coeur de l’histoire et jusqu’à sa fin.
Vous noterez, au passage, les similitudes du langage employé dans ce fabliau avec celui de Rutebeuf – le testament de l’âne – que nous avions déjà adapté en vers ici et même mis en lecture audio. Je ne parle pas, bien sûr, que du vocabulaire mais également des tournures et du style.
Le Début de l’histoire
Pour permettre à son fils de marier une noble, un riche bourgeois d’Abbeville lui a cédé tous ses biens; l’homme vit donc, désormais, chez le couple mais sa belle fille, lassée de l’entretenir presse son mari de mettre son père dehors ce que l’époux ingrat autant que soumis consent finalement à faire.
La couverture partagée »
Traduction, adaptation en vers
Celui qui sa femme redoute
Maintenant vient trouver son père
Et lui dit d’un air empressé
« Père, père, allez-vous en.
Allez chercher pitance ailleurs,
On vous a donné à manger
En ce logis douze ans ou plus
Mais faîtes vite et sans tarder »
Le père l’entend, durement pleure,
vient à maudire le jour et l’heure
Qui l’ont fait vivre si longtemps:
« Ha! Beau doux fils que me dis-tu?
Par Dieu, si honneur tu me portes
Laisse-moi ici devant la porte
J’y occuperais peu de place
ne demanderais point de feu
ni courte-pointe ni tapis
Je me tiendrai dehors, ici
sous le couvert de l’appentis
fais-moi porter un peu de paille.
(Le fils, hélas, reste intraitable,
Et voilà le père qui s’en va,
Mais avant de sortir de là
Il supplie encore son fils
de lui concéder un service)
« Beau doux fils, tout mon coeur tremble
Je redoute tant la froidure
Donne moi une couverture
De celle dont tu couvres ton cheval
Que le froid ne me fasse mal. »
Pressé de s’en débarrasser
et voyant qu’il ne peut le faire
s’il ne lui donne quelque chose
Avant que son père s’en aille
L’homme fait appeler son fils
Quand il l’appelle l’enfant accourt
« Que vous plait sire? » dit l’enfant
« Mon cher fils, je te demande
Si tu trouves l’étable ouverte,
donne à mon père la couverte
qui est sur mon cheval noir.
(L’enfant descend à l’écurie,
Prend la couverte sur la bête,
La coupe en deux et s’en revient
Une moitié dans une main.
« Pourquoi donc l’as-tu coupée? »
Demande le père irrité.
Donne-lui au moins les deux moitiés! »)
« Je n’en ferais rien, dit l’enfant
Avec quoi seriez-vous payé?
Je vous en garde l’autre moitié!
Car de moi vous n’aurez pas plus
Et si je suis un jour le maître
je serais juste avec vous
Comme vous le fûtes envers lui.
Et comme il vous légua ses biens
Pareillement je les veux bien
Et de moi, alors n’obtiendrez
Qu’autant que vous lui donnerez
Si le laissez mourir chétif
Tel ferais de vous si je vis
Le père l’entend et puis soupire
entre en lui-même et réfléchit
Et des paroles que l’enfant dit
L’homme, un grand exemple, prit
Lors, vers son père tourna le chef,
« Père fait-il, revenez donc là,
C’était le Diable et le péché
qui, par ma bouche, s’exprimaient
Mais qu’a Dieu plaise, ce ne peut-être
Et je vous fais seigneur et maître
de ma maison à tout jamais… »
Le texte original en vieux français
Cil qui sa fame doute et crient Maintenant a son père vient, Ce li ad dit isnelement : « Pères, pères, alés vous enl… Alès vous aillors porchacier. On vous a doné a mangier En cest ostel douze ans ou plus. Mes fetes tost, si levés sus… » Li peres l’ot, durement pleure, Sovent maudit le jor et l’eure Qu’il a tant au siècle vescu : « Ha, biaus dous fis, que me dis-tu?’ Por Dieu itant d’onor me porte Que ci me lesses a ta porte. Je me girrai en poi de leu. Je ne te quier ne point de feu, Ne coûte pointe ne tapis, Mes la fors sous cel apenlis Me fai baillier un pou d’es train. »
(Comme le fils reste intraitable, le vieillard s’éloigne mais avant de sortir, il supplie qu’on lui donne au moins une couverture pour se prémunir du froid.)
Biaus dous fis, tos li cuers me tremble, Et je redout tant la froidure. Done moi une couverture De qoi tu cuevres ton cheval, Que li frois ne me face mal. » Cil qui s’en bee a descombrer Voit que ne s’en puet délivrer S’aucune chose ne li baille. Por ce que il veut qu’il s’en aille, Commande son fil qu’il li baut. Quant on le huche, l’enfes saut : « Que vous plest, sire? dist l’enfant. « Biaus fis, fet-il, je te commant Se tu trueves l’estable ouverte Done mon pere la couverte Qui est sus mon cheval morel… »
(L’enfant descend à l’écurie, trouve la couverture, la coupe en
deux et en rapporte la moitié : « Pourquoi l’as-tu coupée?, demande le père irrité. Donne-lui au moins les deux parts! »)
» Non ferai, dit l’enfes, sens doute . De qoi seriiés vous paiié? Je vous en estui la moitié, Que ja de moi n’en avrés plus, Si j’en puis venir au desus. Je vous partirai autressi Comme vous avés lui parti. Si comme il vous dona l’avoir Tout ausi je le vueil avoir. Que ja de moi n’en porterés Fors que tant com vous li donrés. Se le laissiés morir chetif, Si ferai je vos, se je vif. » Li peres l’ot, parfont souspire, Il se repensse et se remire ; Aus paroles que l’enfes dist, Li peres grant exemple prist.
Vers son pere torna sa chiere: « Peres, fet-il, tornés arriere. C’estoit enemis et pechié Qui me cuide avoir aguetié : Mes se Dieu plest, ce ne puet estre Or vous fas-je seignor et mestre De mon ostel a tos jors mes…. »
Voilà, mes amis, un peu de saveur médiévale sur la gratitude des enfants que nous aurons réussi à partager, nonobstant la mauvaise humeur manifeste de l’équidé atrabilaire qui s’est invité sur cette page et qui, visiblement n’aura pas apprécié l’histoire, on se demande bien pourquoi. Quoiqu’il en soit et concernant notre fabliau, il est heureux que les temps aient changé!
Fred
pour moyenagepassion.com « A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »