Sujet : Cinéma, Perceval le Gallois, 7eme Art, littérature, poésie médiévale, reconstruire le moyen-âge, légendes arthuriennes, roman arthurien, conte du Graal. Période : moyen-âge central Auteur : Eric Rohmer, Chrétien de Troyes Société de distribution : les films du Losange
La société produisit, bien sûr, ce Perceval qui demeure, à travers le temps, un chef d’oeuvre pour qui sait s’ouvrir à l’étonnement et se libérer des codes attendus. Nous l’avions déjà évoqué, ce film est un voyage au plus près du Conte du Graalde Chrétien de Troyes, autant qu’une plongée artistique dans un moyen-âge visuel et allégorique et sa qualité vaut que nous en disions ici un mot de plus.
« Il n’y a pas un plan de Perceval qui ne soit le fruit d’une mûre réflexion, d’un parti pris esthétique, d’une connaissance profonde de l’œuvre originale. Joignant l’érudition de l’historien au raffinement du miniaturiste, Rohmer nous propose le plus merveilleux des voyages dans le temps. » Jean de Baroncelli, Le Monde, 13 octobre 1978
Comment reconstruire le moyen-âge des légendes et approcher l’oeuvre littéraire de Chrétien de Troyes au moyen du cinéma ? Avec Perceval le Gallois, Eric Rohmer en faisait une démonstration magistrale en donnant, plus qu’une simple réponse, une vision profonde qui interrogeait autant la restitution de l’oeuvre du célèbre auteur médiéval que la manière de faire du cinéma : le 7eme Art au service de la littérature médiévale, donc mais au delà, l’art cinématographique comme medium de reconstruction et support de l’évocation d’un monde dans lequel il va puiser les codes et les clefs, en réinventant au passage les siens.
De fait, il faut se tenir devant cette oeuvre d’Eric Rohmer sans a priori, comme l’on se tient face à un tableau de maître, pour le recevoir dans sa totalité et rechercher, à travers le pinceau de l’artiste et la fresque qu’il nous propose, les arcanes de l’allégorie: celles d’un moyen-âge reconstruit à travers l’approche compréhensive de ses codes intrinsèques.
Et ce n’est pas par hasard si près de quarante ans après sa sortie dans les salles, on redécouvre aujourd’hui encore ce Perceval dans toute sa profondeur. Plus que de fournir des arguments intellectuels à la glose, à laquelle nous nous prêtons ici de bonne grâce, il est encore et peut-être d’abord une émotion que l’on démêle patiemment après l’avoir reçue.
Les films du Losange
Alors, oser le 7eme Art comme une recherche artistique insatiable capable de remettre en jeu ses propres codes pour les réinventer ? C’est un défi que les films du Losange continuent à travers le temps de vouloir relever, en explorant cette question dans toutes ses dimensions et en donnant leur chance à des réalisateurs qui interrogent aussi le cinéma en tant qu’Art, c’est à dire, comme une « discipline » qui échappe aux ornières et ne cède jamais aux recettes faciles, une aventure buissonnière à la recherche de sens et de nouvelles formes d’expression.
Pour conclure et puisqu’il est question ici de mention spéciale, il faut découvrir ou revoir le Perceval d’Eric Rohmer mais il faut aussi à travers ce film, saluer la société qui a rendu cela possible. Depuis plus d’un demi-siècle, avec plus de 80 films à son actif, les films du Losange poursuivent sans relâche leur quête d’un cinéma différent. Voici l’adresse de leur site web à visiter sans modération.
En vous souhaitant une merveilleuse journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : légendes arthuriennes, littérature médiévale, Période : moyen-âge central, XIIe Auteur : Chrétien de Troyes (1135-1185) Titre : le conte de Graal ou Perceval le Gallois Média : documentaire et trailer Réalisateur : Eric Rohmer
Bonjour à tous,
n 1964, bien avant la sortie de son film Perceval le Gallois, le cinéaste Eric Rohmer connaissait déjà bien son sujet. Il en faisait la démonstration en réalisant un documentaire de vingt minutes sur le roman de Chrétien de Troyes pour le compte de l’institut Pédagogique National et dans le cadre de la série « En profil dans le texte ».
Pour ceux qui ne connaissent pas du tout le Perceval de Chrétien de Troyes et qui souhaiteraient en avoir une première approche, voila donc une excellente introduction. Peut-être vous donnera-t’elle l’envie d’aller au plus près d’un des textes fondateurs des légendes arthuriennes à la française. Comme nous l’expliquait Richard Trachsler dans une conférence sur le roman arthurien donnée à la grande Ecole des chartes, Chrétien de Troyes semble bien avoir été, et de loin, l’un des auteurs les plus populaires du corpus arthurien durant la période médiévale. De fait, on peut difficilement s’intéresser aux légendes arthuriennes en en faisant l’économie.
Ce documentaire d’Eric Rohmer a, en quelque sorte, une double valeur historique. La première renvoie, bien sûr, au moyen-âge central et aux prémices du roman arthurien à la française: les vers de Chrétien de Troyes feront date et marqueront à jamais le cycle de la légende du Graal. Pour ce qui est de la deuxième valeur historique de ce programme, elle concerne le septième art et nous témoigne de l’intérêt de longue date d’Eric Rohmer pour l’oeuvre de Chrétien de Troyes avant de la porter sur grand écran.
(Gravure supposée de Chrétien de Troyes, anonyme, XVIe siècle BnF)
Illustré par de nombreuses enluminures d’époque et quelques beaux extraits de l’oeuvre originale, nous suivons ici, pas à pas, le Perceval de Chrétien de Troyes. C’est le plus ingénu des chevaliers d’Arthur, mais aussi celui qui sera le plus proche d’atteindre le but ultime de la quête : le Saint Graal. On regrette presque que le programme n’ait pu être réalisé en couleurs pour apprécier à plein les enluminures, mais hormis cela, sa valeur pédagogique n’a pas pris une ride au moment d’approcher ce très célèbre conte du moyen-âge central.
Le Conte du Graal
« Et lui, qui ne savait son nom, le devine et répond qu’il s’appelait Perceval le Gallois. Il ne sait s’il dit vrai ou non, mais il disait vrai, bien qu’il n’en sût rien. » Chrétien de Troyes – Perceval le Gallois ou Le Conte de Graal
Ceux qui connaissent le Kaamelottd’Alexandre Astier ne pourront s’empêcher de sourire à la lecture de la citation en prose ci-dessus (« Provençal le Gaulois ! même pas foutu de connaître son nom). Il faut dire que le Perceval de Chrétien de Troyes semble personnifier l’ingénuité et la spontanéité qui l’accompagne. On se souviendra notamment de la première apparition de ce personnage dans le roman médiéval et de sa rencontre avec les chevaliers qu’il prend pour des anges et qu’il harangue de ses questions, au risque d’émousser la patience de certains d’entre eux, par son ignorance.
Avec le roman de Perceval le Gallois, Chrétien de Troyesnous contera donc le voyage initiatique de ce jeune « valet » d’abord tenu loin du monde et qui sera finalement rattrapé par sa destinée, à la grande tristesse de sa mère qui avait tout fait pour le préserver de l’univers de la chevalerie, de crainte qu’il n’en périsse comme ses frères et son père avant lui. Finalement adoubé, Perceval se signalera par ses faits, mais il passera pourtant à côté des épreuves les plus importantes qui lui seront soumises sans les relever, même si ce sera pour mieux en tirer les leçons.
Le paradoxe d’une innocence nécessaire et nécessairement perdue
Cette parabole d’un Perceval, « récipient » vide ou récipiendaire » qui fait de son mieux pour s’emplir des valeurs de la chevalerie, les suivant même trop littéralement, pour finir par comprendre qu’il aurait dû savoir s’en affranchir et dépasser sa timidité pour rejoindre sa véritable destinée est à l’image même de la difficulté de la quête du Graal. L’erreur et l’errance sont nécessaires dans ce parcours qui conduit au dépassement de soi véritable et à la renaissance dans les valeurs chrétiennes qui deviennent ici, et plus que jamais, indissociables de celles de la chevalerie.
Paradoxalement, cette innocence qui semble presque être une des raisons, sinon une des conditions nécessaires pouvant expliquer le succès de Perceval, est à jamais perdue mais peut-être n’a-t-elle pas été sacrifiée en vain ? La leçon sera lourde pourtant qui résonnera comme une sentence imparable et une malédiction pour n’avoir pas poser les bonnes questions qui auraient pu sauver le roi et le royaume, autant que pour avoir laissé mourir sa mère. A peine nommé « Perceval le Gallois » le voilà déjà rebaptisé « Perceval l’infortuné ».
« Perceval l’infortuné. Ah ! malheureux Perceval, comme il t’est mésavenu de n’avoir pas posé ces questions. (sur le Graal et sur la lance) C’eût été un tel bienfait pour le bon roi infirme qu’il eût retrouvé l’usage de ses jambes et eût été désormais capable de gouverner sa terre. Et quel service rendu à tous les autres ! Mais maintenant sache qu’il. en coûtera cher à autrui et à toi. Et c’est ton péché qui en est la cause, car tu as fait mourir ta mère de douleur. » Chrétien de Troyes – Perceval le Gallois ou Le Conte de Graal
Au final, le héros devra parvenir à trouver son propre chemin et sa propre vérité dans une allégorie du dépassement de soi qui passera par la transcendance. La quête du chevalier ne peut se faire sans Dieu. Dernier roman de Chrétien de Troyes, le conte de Graal restera inachevé et sans doute l’auteur médiéval a-t-il laissé ainsi involontairement ouvert le mystère de Perceval et de sa destinée, autant que celui du Graal, pour de longs siècles après lui. Le plus pur et le plus innocent des chevaliers de la table ronde était-il à jamais destiné à faillir ? Certains auteurs ont écrit leur propre suite, en le faisant triompher et en lui faisant trouver et, cette fois, saisir le Graal. Chrétien de Troyes n’en a pas eu le temps. L’aurait-il fait du reste?
Le Perceval d’Eric Rohmer sur grand écran
Il faudra pas moins de quatorze ans pour que la fascination d’Eric Rohmer pour l’oeuvre de Chrétien de Troyes et pour le personnage de Perceval le Gallois qu’il exprimait déjà dans ce documentaire, prenne forme sur grand écran.
Loin des tendances visuelles du cinéma d’alors, le réalisateur décidera de coller à l’approche graphique médiévale pour les décors de son film, utilisant des codes ambitieux qui ne seront pas décryptés par tous avec la même facilité. Les châteaux plus petits que les personnages, les décors plus théâtraux que cinématographiques, Eric Rohmerentendra situer son oeuvre dans un espace visuel reconstruit en référence aux miniatures médiévales, en prenant les codes du cinéma à contre-pied.
Nous partageons ici le trailer donné à l’époque pour présenter le film. On y reconnaîtra outre Fabrice Luchini qui décrochait là un premier rôle de taille, la présence de Arielle Dombasle en Blanchefleur et celle de André Dussollier en Gauvain.
Le choix de coller au plus près de l’oeuvre écrite avec des jeux d’acteurs qui, là aussi, s’inscriront dans un espace pas tout à fait vraiment théâtral mais pas sans doute pas non cinématographique, ne destinera pas le film au plus grand nombre, ni aux amateurs de format « standard ». Il recevra tout de même de nombreux éloges et trouvera ses détracteurs et son public. Le film obtiendra d’ailleurs le prix Méliès en 1979 et 2 nominations aux César en 1980 et il est indéniable que Eric Rohmer signera là une oeuvre totalement originale et au plus près du texte de Chrétien de Troyes et de son roman arthurien médiéval.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : médecine, citations médiévales, école de Salerne, Europe médiévale, moyen-âge, ouvrage, manuscrit ancien. Période: moyen-âge central Titre: l’Ecole de Salerne (1880) Auteur : collectif d’auteurs anonymes Traducteur : Charles Meaux Saint-Marc Média : lecture audio
Bonjour à tous,
our ce qui est du post d’aujourd’hui, nous prolongeons le plaisir de la compagnie de la médecine médiévale de l’Ecole de Salerne. Il faut dire que résister à la lecture de quelques strophes du Flos Medicinae relevait de la gageure et je me suis trouvé dans l’incapacité de ne pas y céder. Et comme, pour une fois, le texte n’est pas en vieux français mais en français moderne du XIXe siècle avec, il faut l’avouer, une qualité dans la versification qui le distancie sûrement de son original latin, au niveau sémantique mais qui est savoureuse, il nous fallait un peu corser la difficulté. Alors plutôt que notre voix pour se prêter à l’exercice, nous avons décidé d’en emprunter deux autres. Du Docteur Knock à l’école des femmes, celle de Louis Jouvet est la première des deux, et pour sa filiation avec lui, autant que pour ses grandes lectures, celle de Fabrice Luchini est la deuxième. Toute ressemblance avec des personnes existantes ne pouvant être qu’allégorique, le genre auquel nous nous exerçons ici pourrait avoir pour nom l’imitation de loin.
Vous allez me dire que je n’en finis pas de chercher des peaux de banane sur lesquelles glisser et vous n’aurez sans doute pas tord, mais comme je ne cesse ici de le réaffirmer avec le poète latin Publilius Syrus du premier siècle avant notre ère: « L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient». Il faut donc bien, fidèle à cette maxime, se situer, de temps en temps, dans la prise de risque pour étonner et pour se divertir aussi.
Un OVNI médiéval
ous voici donc rendu avec une lecture audio sur le sujet très sérieux de la médecine médiévale, à la façon de Louis Jouvet et de Luchini, même si, encore une fois, ce n’est que de très loin. Techniquement, on pourrait être tenté d’appeler cela un OVNI, comprenez un Objet Versifié Non Identifié. Tout cela a un goût de fêtes de fin d’année, un goût d’enfance aussi parce que cette chose là qui consiste à s’amuser à calquer des notes, des rythmes, des accents ou des voix, en les empruntant aux autres ne s’explique pas. Elle prend sûrement sa source dans un mimétisme grégaire. On la commence comme un enfant qui joue à ressembler aux adultes, et puis elle fait partie de vous et, quelquefois, s’y enracine. Pourtant, toute réserve gardée sur la ressemblance de facto à l’original, au delà du singer, c’est aussi une question d’alchimie, une façon de prendre, un peu, de l’essence de l’autre pour le retraduire, une sorte de transmutation ou de distillation empathique. Et comme il est question d’empathie, rien ne pourrait mieux la traduire qu’une maxime un peu étirée: dis-moi qui tu singes, je te dirais qui tu es.
Alors voilà, nous y sommes. La peau de banane étant droit devant, laissez-moi prendre un peu d’élan et je suis à vous!
La médecine médiévale de Salerne avec Louis (pratiquement) Jouvet et Fabrice (presque) Luchini
Une très belle journée à tous!
Fred
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e récidive avec le poète et trouvère Rutebeuf, en vous proposant, cette fois-ci une lecture audio du fabliau « Li testament de l’asne » (« le testament de l’âne ») dont nous parlions, il y a quelques jours, ici, et que nous avions alors traduit ou adapté plutôt en vers et en français moderne (article ici).
Après avoir cherché la musicalité de Rutebeuf dans le ver en français moderne, je vous convie, cette fois, toute à la fois à une expérience auditive et un voyage dans le monde médiéval, puisque nous tentons, de faire revivre ce célèbre fabliau médiéval dans la langue de son auteur. C’est un français ancien, vous y trouverez peut-être des accents de terroir, tant les R ne se roulent plus que dans certaines de nos campagnes et chez certains de nos anciens. Bien sûr, il n’y a, ici, pas d’autres prétentions que celle de faire des expérimentations dans notre petit laboratoire verbal et alchimique,
en l’occurrence pour ce qui est de l’expérience d’aujourd’hui de mesurer si nous sommes capables de comprendre au moins un peu de ce fabliau et de ce verbe qui a fait l’histoire de notre langue, à plus de cinq cent ans de son écriture par Rutebeuf. N’hésitez pas à nous donner vos impressions. Il me semble tout de même que l’oreille aide un peu, même si elle ne permet pas de tout percer (dommage! pour une fois qu’une occasion lui était donnée de prendre sa revanche.)
uoiqu’il en soit, je le dis, quand même, Fabrice Luchini n’a qu’à bien se tenir! Mais je plaisante bien sûr, je n’en ai ni le talent ni la prétention, et je le disais en pensant à ses lectures et notamment à celles qu’il a fourni sur les textes de Jean de Lafontaine. Notez bien, par ailleurs, que pour ce qui est de tenir Fabrice Luchini, il demeure évident que personne n’y parvient véritablement, et c’est bien justement comme ça qu’on l’aime aussi, créatif, inspiré, débridé, drôle et libre! Mais ceci est un autre sujet, ne commençons pas à nous disperser (percer?)
Allons, place à Rutebeuf et à son testament de l’âne dans le texte!
Longue vie à tous.
Frédéric Effe
Pour moyenagepassion.com