Sujet : château-fort, reconstitution 3D, vidéo, architecture médiévale, angleterre médiévale, Pays de Galles monument historique, patrimoine anglais. Période : Moyen-âge central, XIIIIe siècle Lieu : Château de Flint ( Flintshire, pays de Galles, frontières anglaises)
Bonjour à tous,
epuis la conquête de l’Angleterre par les normands, dans la deuxième partie du XIe siècle, de nombreuses provinces et villes du Pays de Galles étaient tombées aux mains de ces derniers. Guillaume le conquérant en avaient fait des « marches » à la main d’hommes de confiance et ces fiefs, bien que soumis en dernier ressort à la couronne anglaise, étaient pratiquement indépendants.
Dès la fin de ce même siècle, les provinces demeurées galloises ne tardèrent toutefois pas à se soulever pour partir à la reconquête de leurs territoires perdus. Les échauffourées durèrent ainsi pendant près d’un siècle et demi, sans que les rois anglais en fassent véritablement une priorité.
De Llywelyn le dernier à Edouard 1er
La conquète du pays de Galles
u milieu du XIIIe siècle, en 1258, Llywelyn ap Gruffydd, (Llywelyn le Dernier), noble gallois conquérant se fit couronner Prince de galles. Souverain sur l’ensemble des provinces galloises y compris celles reprises aux anglais, il obtint même la reconnaissance de son titre par le roi Henri III, sous réserve de se plier à quelques conditions et d’accepter aussi de se déclarer le vassal de la couronne anglaise.
Un traité fut signé en 1267 à Montgomery mais les ambitions politiques et conquérantes du Gallois ne s’arrêtèrent pas là. Il conclut, en effet, bientôt des alliances et même un mariage avec la famille de Simon de Montfort. Ennemi juré des anglais, ce dernier avait mené la révolte des barons, quelques années auparavant, et avait même, à cette occasion, fait capturer le jeune prince Edouard. Pour la couronne d’Angleterre, la coupe était pleine et le fils d’Henri III, devenu roi depuis, décida de soumettre, une fois pour toutes, les gallois. (ci-dessus, statue de Llywelyn ap Gruffydd, Conwy, Pays de Galles)
« L’anneau de fer » d’Edouard 1er
n 1277, Edouard 1er d’Angleterre partit donc en campagne. Comme la prise et la défense de provinces au moyen d’un maillage de forteresses restait une stratégie militaire prisée dans le courant du XIIIe siècle, le souverain décida de faire édifier des châteaux forts sur le territoire du Pays de Galles et notamment au nord, région où la main mise des gallois était la plus forte. Il renforça également un certain nombre d’édifices déjà construits par son père Henri III.
Si, ainsi qu’on l’a nommé, cet « anneau de fer » d’Edouard 1er semble bien être un des plus grands projets de construction de l’Europe médiévale du XIIIe, sur un territoire aussi petit, il avait, en réalité, pour objectif de minimiser le coût exorbitant représenté par des campagnes militaires mobiles. Flint prit donc sa place dans ce schéma stratégique et militaire de conquête et fut l’un des premiers château-fort nouvellement construit par le souverain. Quelques années plus tard, en 1282, toujours dans l’optique d’asseoir les positions de la couronne anglaise en terres galloises, Edouard 1er vint y adjoindre d’autres places fortes : les châteaux de Beaumaris, Conwy, Caernarfon et Harlech, Les villes de Caernarfon et Conwy furent également fortifiées.
La guerre de conquête dura de 1277 à 1283 et vit tomber le pays de galles aux mains des anglais. Edouard 1er hérita ainsi, par la force, du titre de Prince de Galles. La majorité des fiefs passa à la main royale, d’autres furent concédés à des vassaux de la couronne. Pour que la fin de l’indépendance du Pays de Galles soit effective sur le papier il fallut toutefois attendre encore trois siècles et les « Laws in Wales Acts » qui, en 1536 et 1543, entérinèrent son intégration à l’Angleterre.
(Ci-contre portrait d’Edouard 1er, abbaye de Westminster, datant du règne de ce dernier (1272- 1307).
Après la conquête du pays de Galles, Edouard 1er se tourna vers l’Ecosse. Il eut, cette fois, un peu moins de réussite puisque le conflit s’éternisa jusqu’à la fin de son règne. On se souvient d’ailleurs du rôle joué par William Wallace, (le Braveheart de Mel Gibson) dans la résistance opposée par les écossais à la couronne anglaise.
Le château de Flint, premier témoin
de la guerre de Galles d’Edouard 1er
a construction du château de Flint dura près de 8 ans. Pour l’édifier, il fallut faire intervenir près de 3000 hommes dont 1845 en charge de creuser les digues et fondations, 320 maçons, et encore 790 charpentiers et ouvriers de toutes sortes pour travailler les bois de construction (The medieval castle in England and Wales : A political and social History, Norman JG Pounds).
Bordé de tours aux quatre coins, dont l’une était un grand donjon, le château de Flint est un modèle typique de l’architecture philippienne dans ses évolutions. On se souvient, en effet, que le donjon d’abord situé au centre des édifices fortifiés fut ensuite plutôt construit sur un de leurs angles. Le fait que le donjon soit totalement détaché de la structure semble n’être une variante de cette architecture, inaugurée d’ailleurs par Philippe-Auguste lui-même, à l’occasion de la construction de la forteresse de Dourdan, dans l’Essonne (autour de 1220-1222)
Ci-contre, un carte de 1610 qui font état de fortifications additionnelles en bois.
Quoiqu’il en soit, le bien fondé de la position stratégique du château-fort de Flint fut avéré puisqu’il fut assiégé à plusieurs reprises par les gallois durant les guerres de conquêtes anglaises. Il dut même essuyer une première attaque durant sa construction.
A la fin du XIVe siècle, en 1399, la forteresse revint sur le devant de la scène puisque le roi Richard II s’y trouva capturé par Henry Bolingbroke dans une lutte de succession qui verra ce dernier triompher et se faire couronner Henri IV. Shakespeare immortalisa la scène de l’enlèvement du roi dans son Richard II, en prenant comme Décorum le château de Flint. Quelques années plus tard, au début du XVe les gallois du comté de Flint se soulèveront contre Henri IV et la légitimité de son règne et la forteresse autant que la ville connaîtront encore quelques années houleuses.
Au XVIIe siècle, durant la guerre civile anglaise, le château de Flint fut tenu par les royalistes jusqu’à sa prise, après un siège de plus de trois mois, par les parlementaires, qui ordonnèrent ensuite qu’il fut rasé. Comme de nombreuses forteresses anglaises qui subirent le même sort que lui, l’édifice médiéval ne se réduit plus, aujourd’hui, qu’à quelques ruines. Déclaré monument public, il y a près près d’un siècle, il a été depuis confié à la protection d’une organisation de sauvegarde du patrimoine dépendant du gouvernement gallois.
Il fallait bien l’aide de l’infographie 3D pour nous permettre de nous en faire une belle idée, aussi nous remercions encore la chaîne youtube Dextravisual pour ce beau travail.
En vous souhaitant une excellente journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : histoire médiévale, plus beaux villages de France, seigneurie de Rodemack, lieux d’intérêt. cité médiévale, Abbaye d’Echternach, comté du Luxembourg Période : moyen-âge central à tardif Lieu : Rodemack, Mozelle, Lorraine, région Grand- Est.
ité d’histoire et de patrimoine, inscrite au titre des plus beaux villages de France depuis 1987, celle que l’on appelle encore La Petite Carcassonne Lorraine s’enorgueillit d’une histoire médiévale qui remonte, pour ses sources écrites, au tout début du moyen-âge central et au IXe siècle.
Occupé depuis l’époque romaine, c’est le don du site à l’abbaye allemande de Fulda par le roi Louis Ier dit « le Pieux », qui le légua à son tour à la puissante et renommée abbaye luxembourgeoise d’Echternach qui impulsa son véritable développement. Comme dans de nombreux cas, les moines se chargèrent d’aménager et de valoriser le patrimoine naturel de l’endroit autant que d’en entreprendre l’exploitation.
Il faut attendre les débuts du XIe siècle pour trouver la première mention d’un Seigneur de Rodemack et ce n’est au XIIe siècle, que l’un d’entre eux, Arnould 1er de Rodemack (ou Arnaud 1er), s’affranchit plus nettement de la main mise de l’abbaye sur les terres et le site. Usurpant, semble-t-il, au passage l’abbaye d’Echternach, il érigea, en effet, un château fort digne de ce nom sur le site de la forteresse actuelle et se fit aussi vassal du Comte de Luxembourg, en se mettant, du même coup, sous la protection de ce dernier.
Ces nouveaux alliés du Comté de Luxembourg s’avéreront rapidement de bons conquérants et de fins politiques, puisque dans les siècles qui suivront, les seigneurs de Rodemack étendront leurs frontières, pour les mener jusqu’aux portes de Metz.
Ce n’est qu’à la fin du XVe que l’empereur d’Autriche Maximilienmettra fin à cette puissance en faisant tomber les seigneurs de Rodemack sous le coup de félonie – ces derniers s’étant alliés au roi de France – et en confisquant leurs biens et leur fief pour les remettre aux mains de la maison des Blade (ancienne province allemande) et son représentant Christophe 1er .
Après un XVIe et XVIIe siècles quelque peu mouvementés durant lesquels la ville passera de l’Autriche à l’Espagne pour être reprise par les français, puis reperdue au profit de l’Espagne, puis reprise finalement par la couronne de France, la ville sera finalement reconnue comme légitimement française au XVIIIe par le traité de Versailles.
Archéologie sur site, campagnes de 2014
n 2014, la forteresse de Rodemack a fait l’objet de fouilles archéologiques conduites par l’INRAP. Cette campagne a permis de mettre à jour le noyau du château médiéval originel construit par Arnould 1er. A la surprise des chercheurs, on a même pu relever des traces d’occupations du site datant du XIe siècle: mobilier, monnaies, fragments de céramiques. Les vestiges d’un spacieux logis seigneurial du XIIIe siècle ont également été découverts.
Tout aussi intéressant encore, les fouilles ont permis d’avérer la présence de systèmes défensifs élaborés datant du XIVe et XVe siècle et il ne fait plus aujourd’hui nul doute que tout au long de son histoire médiévale et notamment durant la guerre de cent ans, ce site stratégique, au carrefour de trois frontières, à quelques kilomètres du Luxembourg et de l’Allemagne a dû se prémunir d’attaques subies sur divers fronts. C’est d’ailleurs dans le courant du XIVe que le site fut transformé en une véritable forteresse et l’on a même retrouvé les traces d’un pont-levis et sa barbacane en forme de tour porte carré datant de ce siècle.
Entre autres vestiges de la période médiévale, il reste aujourd’hui à Rodemacksept cent mètres de puissants remparts ainsi qu’une grande porte encadrée de deux tours jumelles : la porte de Sierck(photo en début d’article).
Une très belle journée à tous.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
ans notre premier article sur la naissance des châteaux-forts (ou sur le point de départ dans le temps qu’on définit comme tel), nous suivions sagement l’architecte du XIXe siècle Eugène Viollet le Duc. Il nous y décrivait le contexte précédent le Xe siècle, l’émergence des premières mottes castrales et les balbutiements d’une féodalité en gestation. Pour aborder le siècle suivant autant que pour élargir un peu nos vues, il est désormais grand temps de nous adjoindre les découvertes du XXe siècle.
Nous parlerons donc ici d’Architecture médiévale, bien sûr, mais aussi d’archéologie médiévale puisque c’est à la lumière de cette dernière et d’éminents spécialistes de la discipline que nous examinerons la période médiévale qui succède à l’apparition des premières mottes de terre et de bois, période que l’on considère encore souvent comme une période de « transition » vers les châteaux-forts de pierre. Le mot « transition » est mis entre guillemets ici parce nous en profiterons pour revenir sur la vision un peu simpliste et linéaire que nous livre ou que nous a livré, par le passé, une certaine chronologie de l’Histoire des châteaux. Après nous être efforcé de redessiner les contours du paysage « fortifié » de cette période du XIe au XIIe et sa grande variété, nous parlerons encore de féodalité pour tenter de mieux comprendre ce contexte du XIe siècle qui voit se multiplier les châteaux de manière telle que l’on a parlé de « maillage » du territoire.
Mottes, châteaux et forteresses,
à la lumière de l’architecture médiévale
Avant même de parler « d’évolution »‘ ou d’émergence du château-fort par la motte castrale, il nous revenir sur quelques éléments vus en introduction. Pour autant que de manière « conventionnelle » (ou « réthorique » si l’on préfère), il est intéressant d’avoir un point de départ en Histoire, il ne faudrait pas non plus perdre de vue la situation réelle sur le terrain. A la lumière de découvertes faites au XXe siècle, la réalité des faits est, en effet, un peu plus complexe que ce que nous en contait Viollet le Duc dans notre article précédent; au delà du contexte historique et idéologique dans lequel notre architecte s’inscrivait, au moment de rédiger son dictionnaire raisonné d’architecture, il avait, de fait, moins de données archéologiques à sa disposition que nous en avons aujourd’hui.
C’est ce même souci de réalisme qui animait un nombre important d’éminents spécialistes et érudits du CNRS dans le courant des années 1980. Ces derniers se réunissaient, en effet, à Caen, sous l’égide de Michel de Boüard, historien et archéologue (portrait ci-contre), à l’occasion d’un grand colloque, avec l’idée d’y faire état de leurs questions autant que de leurs réponses sur les mottes et les châteaux du moyen-âge, en vue de s’entendre sur des définitions communes dans cette jeune discipline qui était alors la leur: l’archéologie médiévale. Ces chercheurs faisaient ressortir plusieurs constats d’importance de cette réunion que nous croisons, ici, avec un nombre varié de sources plus récentes. Que ceux qui se sont attachés à notre guide de l’article précédent se rassurent, nous n’oublierons pas, au passage Eugène Viollet Le Duc; nous nous en voudrions de le semer brutalement en route, d’autant que comme nous le verrons, sur certains points, il n’est pas si aisé que cela à distancer.
Histoire des châteaux-forts : le deuil d’une chronologie simplifiée et simpliste
Il faut bien comprendre qu’en Histoire, certaines observations « tendancielles » « tendent » quelquefois à se figer en « vérités » immuables. Ce phénomène s’explique sans doute par le fait que c’est une discipline qu’on prétend enseigner à tous et dès le plus jeune âge, ce qui n’est pas le cas des autres sciences humaines. Concernant cette pierre d’achoppement de l’Histoire, il y a, sans doute aussi, des raisons plus profondes liées à l’instrumentalisation que l’on peut faire du passé que cela soit en idéologie ou en politique, ou même quelquefois simplement le fait que les théories doivent s’échafauder sur des vides documentaires relatifs. On pourra encore ajouter que l’histoire médiévale a longtemps hérité de ses pères du XIXe dont les tendances théoriques allaient à l’évolutionnisme, dans une Histoire qui restait une « affaire nationale », pour ne pas dire « nationaliste »(*).
Quelles qu’en soient les raisons, cette façon de figer les choses, en les « vulgarisant », est bien commode pour qui veut fixer « à peu près » une version digeste (et erronée) des réalités passées, mais il faut aussi savoir s’en défier. Quand nous approchons l’histoire médiévale et le moyen-âge, nous ne cherchons pas à apprendre une leçon en vue d’un examen, ni à former des idéaux simplistes, nous cherchons à comprendre vraiment la situation. Les réalités des sociétés humaines, qu’elles soient passées ou présentes, sont toujours immensément complexes et comme toutes les sciences humaines qui ont la prétention de les approcher peuvent doutent, il nous plait de considérer que l’Histoire puisse le faire aussi, sauf à se déconsidérer, elle-même, comme discipline sérieuse et scientifique. Pour le dire de manière plus légère, il y a un moment où il faut fermer les vieux manuels d’histoire qui traitent de la période du moyen-âge, la plupart du temps, en une page et demi; c’est ce même moment où l’Histoire « racontée aux enfants » doit céder le pas sur l’Histoire au plus proche des faits. A la lumière des traces comme des vides laissés, elle doit alors se livrer dans sa complexité, avec ses limites et ses tâtonnements. Et pour chercher cette Histoire là, la meilleure solution restera toujours d’aller au coeur des laboratoires et de remonter à ses chercheurs. (ci-joint un clin d’oeil au maître d’école de Pagnol, « Topaze », immortalisé par Fernandel)
Concernant l’évolution des châteaux-forts, on a souvent tendance à nous la présenter de manière très rigide et linéaire. Je dit « on a » et non pas « on avait » parce que le deuil de cette chronologie n’est pas encore fait; c’est cette même version raccourcie que vous trouverez encore souvent reprise, ici ou là, pour « résumer » (expédier?) l’histoire des châteaux-forts.
Xe siècle : Apparition des mottes castrales et des premiers châteaux à mottes. Enceinte et palissade de bois ( basse-cour ) butte au centre surélevée sur laquelle trône une tour de bois ( donjon ), rampe d’accès à cette même tour, bordée également quelquefois de sa propre palissade.
XIe siècle : Remplacement progressif du bois vers la pierre du donjon puis de l’enceinte dans ces mêmes mottes.
XIIe siècle : apparition des châteaux de pierre. Architecture philippienne. Apparition du château-fort carré, tours flanquées, courtines, chemins de ronde, donjon toujours au centre.
N’allons pas, pour l’instant, au delà du XIIe siècle pour rester sur la période qui nous intéresse aujourd’hui dans cet article. Voilà une chronologie simple, ou qui l’était pendant un temps, et dont on se contentait. En somme, tout était partie des mottes ayant évolué. Tout le monde peut retenir cette version; elle est en partie vraie mais elle ne reflète pas les choses qui sont loin d’être aussi figées sur le terrain.
A. Les Mottes castrales en question
Datation et disparition :
la question des mottes tardives
Le premier constat sur lequel nous devons nous attarder concerne la datation des mottes castrales et notamment la datation de leur disparition. Sur l’apparition, même si les données restent maigres pour ne pas dire qu’elles ne tiennent qu’à un fil, on s’entend encore avec Viollet le Duc, sur le fait qu’elles sont apparues dans les dernières décennies du Xe siècle. En revanche, concernant leur disparition, les choses sont un peu plus élastiques, comme le confirme le préambule du colloque de Caen sur ce sujet:
« La date à laquelle, dans telle ou telle région, l’on cesse de construire des mottes est souvent en relation avec la date où l’on avait commencé d’en édifier. Dans le nord-ouest de la France, ou en Angleterre, on n’en construit plus guère après la fin, voire après le troisième quart du XIIe siècle. Dans le sud-ouest, au contraire, où la motte est apparue plus tard, nous savons qu’il en fut élevé encore dans le second quart du XIIIe siècle, voire au XIVe. Mais il est certain que partout des mottes continuèrent d’être occupées longtemps après que l’on eut cessé d’en construire, surtout lorsque l’on avait installé sur la motte une tour de pierre. » Michel de Boüard, Archéologie médiévale – Colloque de Caen.
La réalité de terrain fait donc état d’un décalage de près de quatre siècles dans l’apparition des mottes castrales, sur le seul sol français, (XIIIe, XIVe!) soit de 300 à 400 ans pour que l’innovation se propage du nord vers le sud de la France. Nous parlons d’une construction qui ne nécessite pas des trésors d’ingénierie et d’expertise. Même si l’architecture défensive médiévale connaîtra encore quelques progrès après le XIIIe siècle, c’est tout de même le moment où la technologie des châteaux forts est réputée être à son apogée et où, supposément , les armées se sont structurées et, du même coup, on s’est réapproprié les techniques de siège les plus sophistiquées! Que viennent faire au milieu de tout cela des mottes castrales de terre et de bois? La disparité des situations sur l’ensemble du territoire impose, à l’évidence, un sérieux glissement à l’ensemble de la chronologie de départ. Au delà de ce glissement évident, cette disparition tardive soulève tout de même quelques remarques et appelle quelques questions. (ci- contre un garde de la motte du parc médiéval allemand de Bärnau- Tachov. Qui s’y frotte s’y pique!).
Du « brouillon passager » de château-fort
au standard défensif
La première des remarques est que plus qu’un simple objet « innovant », un brouillon de château-fort des origines, la motte castrale semble, indéniablement, s’être imposée comme un « standard » défensif qui a duré dans le temps. Au fond, elle est devenue pendant près de 400 ans, la construction reconnue ou « réputée » comme la plus efficace afin d’assurer sa défense minimum contre des petits exercices militaires (voisins ou invasions légères), pour une certaine classe de seigneurs ou une certaine aristocratie. Indéniablement encore, la rapidité de sa construction et la disponibilité des ressources de l’environnement ont joué en sa faveur. Que l’on soit riche aristocrate, seigneur peu nanti et petit propriétaire terrien, elle semble être, en effet, devenue cette fortification que l’on va pouvoir construire rapidement, face à une urgence et/ou en l’absence de grands moyens. Je dis « elle semble » parce que je voudrais éviter de répéter deux fois les erreurs déjà faites en la dépouillant de sa complexité pour en faire d’un objet temporel et « évanescent » dans une séquence chronologique, autrement dit, un simple objet factuel au bas de l’échelle des châteaux. Cela procéderait, au fond, du même raisonnement expéditif et la complexité des représentations culturelles et symboliques attachées à chaque société, présente ou passée enjoint à la prudence dans l’exercice de la théorisation. Au fond, nous ne savons pas grand chose de toute la charge symbolique de la motte castrale dans son monde médiéval, nous ne pouvons qu’essayer de la deviner ou la « déduire » entre les lignes. Une chose est certaine, cette construction ne peut plus être vue simplement comme une forme de fortification passagère, bien vite dépassée dans le temps et bien vite oubliée puisqu’elle a perduré. (ci dessus photo presque surréaliste d’une motte castrale reconstituée en plein milieu du paysage urbain, Musée de Herne, Allemagne).
De l’objet factuel à l’objet symbolique
Concernant cette apparition tardive des mottes castrales sur certains territoires, la propagation d’une innovation n’est pas aussi rapide que celle que l’on connait à notre ère de grand consumérisme me direz-vous? En réalité, les mottes ont, à partir de leur localisation d’origine (entre la Loire et le Rhin), essaimé dans une grande partie de l’Europe, les voies de communication ne semblent donc pas en cause; en plus de cela, nous parlons en plus de trois siècles d’écart, pas de quelques années. Leur propagation est-elle seulement la marque de conflits qui s’étendent vers d’autres zones? Au fond, aux mêmes périodes, les seigneurs et les aristocrates ne vivent pas tous dans des châteaux de pierre, ni des mottes loin s’en faut. Certains vivent aussi derrière de simples enceintes ou dans des « maisons fortes » et n’ont pas attendus d’avoir une motte castrale pour s’y loger. Ne serait-il pas moins fastidieux alors de fortifier une construction existante plutôt que de réunir tant de bras pour élever une motte (ou plusieurs) au milieu de ses terres? Qu’exprime-t’elle, cette motte, d’un pouvoir et de ses intentions à l’attention de son environnement immédiat? Dans cette féodalité qui se structure et consacre le pouvoir des petits seigneurs sur leurs terres et « leurs gens », ne la construit-on vraiment que pour régler des conflits réels avec des seigneuries ennemies ou faire face à des envahisseurs potentiels? En élevant sa demeure si haut qu’elle puisse être vue de si loin, ne veut-on aussi marquer « visuellement » et « dominer » de sa présence et son autorité un territoire auprès de ceux qui pourraient le convoiter, autant qu’auprès de ceux qui l’occupent et le cultivent? Ah! Si je n’avais pas, depuis longtemps déjà, nourri quelques réserves à l’égard de la nature scientifique des grandes théories freudiennes, je pourrais même être tenté de m’essayer à quelques digressions psychanalytiques mais comme elles n’épuiseraient pas, de toute façon, notre sujet, qu’il nous suffise d’évoquer, d’un mot, ces « grivoiseries » autrichiennes et d’en faire une vignette clin d’oeil pour les adeptes du père fondateur de la discipline.
Quoiqu’il en soit, il est assez frappant de voir, à travers la multiplication de ces constructions dans l’espace et dans le temps, ce qu’elles nous disent aussi d’un certain contexte politique et social. Ce monde féodal est en guerre, mais sans doute plus seulement et uniquement contre des envahisseurs à compter du XIe siècle. Au delà des tensions de terrain et des pillages, c’est une lutte entre vassaux, mais aussi une guerre symbolique pour la conquête du pouvoir sur les terres, une guerre de signes et de positionnement. Songez qu’on parle de Seigneurs ayant fait construire pour eux-seuls jusqu’à cinq mottes, il s’agit donc vraiment d’un maillage du territoire mais aussi d’une manifestation ostentatoire de pouvoir sur les paysages et l’environnement. Dans ce fourmillement, il faut voir aussi, certainement, l’éclatement progressif du pouvoir du haut vers le bas, et peut-être une volonté d’y accéder ou d’en être partie-prenant par tout un tas de petits aristocrates ou propriétaires terriens qui se positionnent ainsi sur leurs terres pour les marquer de leur sceau, auprès des seigneuries voisines, tout autant qu’auprès des paysans et des gens qui les occupent déjà. Sur ce sujet, il faut lire ou relire l’article de Michel Bur « vers l’an mil, la motte castrale, instrument de révolution ».
De l’objet-pouvoir à la mimétique de « Classe »
« Un château de peu de moyens certes!, mais un château tout de même! »
Avec le temps, en plus de s’imposer de manière simplement factuelle, cette construction dans laquelle Viollet le Duc ne voyait qu’un moyen de défense bâtie à la hâte, une sorte de « brouillon » de château, est certainement devenue aussi le signe et le symbole de quelque chose de plus qu’il est sans doute difficile de mesurer dans toute son ampleur. Cette motte castrale fait corps avec la symbolique de ce monde féodal qui se structure: forme de défense effective contre de petits exercices ou des invasions légères cela est indéniable, marque ostentatoire de pouvoir sur son environnement par son détenteur, cela est certain, mais surement est-elle encore, une marque de prestige, de rattachement, de référence, d’appartenance de classe, qui inscrit le seigneur qui la construit dans une certaine histoire, une forme de tradition ou encore d’élitisme « de classe ». En plus de la simple efficacité défensive ou de la main mise sur un territoire, il semble qu’il puisse y avoir, aussi, dans ces constructions qui perdurent au delà d’une « certaine marche du progrès », une marque de l’accession à un univers symbolique de classe, un symbole fort qu’une simple maison fortifiée ou une enceinte ne peut suffire à démontrer. Dit autrement, la motte, signe/langage d’un pouvoir féodal qui se codifie et d’une prise de pouvoir aristocratique sur les terres, a d’une certaine manière, « démocratisé » en le rendant accessible à peu de frais, le symbole de l’ascension vers une classe aristocratique dirigeante pour tout un tas de petits aristocrates et petits seigneurs? (ci-contre, motte castrale de Terra Maris, charpente et construction, Hollande ).
Nous n’avons pas bien sûr, ici, la prétention de répondre à toutes ces questions, mais les soulever permet de montrer l’intérêt de dépasser le simple objet factuel et chronologique, pour considérer cette motte castrale comme un objet à la fois symbolique, sociologique et anthropologique. Du reste, la définition que donne Philippe Durand de la « Castellologie » – cette discpline qui étudie les châteaux et l’architecture fortifiée – recoupe tout à fait cette approche symbolique de la motte castrale sur laquelle nous venons d’insister:
« La castellologie définit le château comme un édifice aristocratique répondant à trois fonctions : défense, résidence et symbolisme. Elle en considère les différents types : le château à proprement parler, le petit château (construction de la moyenne aristocratie qui imite les édifices des grands seigneurs), la maison forte (édifice qui se compose d’un seul élément architectural) et les autres résidences aristocratiques. » Philippe Durand Castellologie Architecture, Universalis
De l’objet chronologique à l’objet d’étude complexe: apprehender le monde médiéval.
Au delà de l’évidence, que l’on ne peut réduire la motte castrale à « une simple étape du Xe siècle dans l’histoire des châteaux sur un territoire affecté de manière égale par les agressions », on ne peut, d’avantage, réduire ces premières forteresses à un « objet factuel à l’efficacité reconnue » parce qu’au fond les objets ne sont jamais uniquement de simples « choses » comprises dans des suites d’innovations ou des séquences temporelles. Ils sont aussi, chacun à leur manière, intriqués dans leur monde, attachés à des usages, à des systèmes de références, à des logiques de classes et à des charges symboliques complexes que la seule notion de « prestige » ne peut suffire à totalement résumer.
Comment retraduire aujourd’hui véritablement toute cette complexité? Quoi retenir ou écarter? Quels sont les critères? Nos historiens et nos archéologues médiévistes se battent encore avec la sémantique et les définitions données aux mots de l’époque médiévale pour en percer le sens véritable. Dans un registre plus terre à terre mais qui pose, pourtant, autant de problèmes de méthodes, il leur faut encore comme ils le soulignent si souvent eux-même – y compris dans les lignes de ce colloque de Caen – recouper les affirmations des chroniqueurs de l’époque à l’aide d’autres sources plus officielles parce qu’il n’est pas rare que ces derniers enjolivent les faits quand il ne les inventent pas tout simplement! Pour actualiser un peu nos données, je vais ajouter encore qu’au moment du colloque, pratiquement aucune politique de fouilles archéologiques systématiques n’avait été décidée sur les mottes castrales. Il semble que depuis, quelques études de terrain aient fort heureusement vu le jour, mais songez, tout ce qu’on savait alors pratiquement des mottes, en dehors de quelques fouilles, ne résidait que dans quelques documents écrits et dans quelques tapisseries d’époque (voir ci-dessous « l’incontournable » tapisserie de Bayeux au sujet des mottes castrales). O frustration légitime du scientifique et de l’archéologue qui sait qu’il a devant lui autant de livres ouverts qui ne demandent qu’à être lus mais qui requièrent pour que l’on en tourne les pages quelques crédits et quelques volontés officiels. Mais aussi combien de lignes écrites sur un objet qu’on connaissait finalement si peu. (1)
En un mot, pour en conclure, toutes ces découvertes concrètes viennent nuancer les chronologies expéditives et erronées, autant qu’elles nous obligent à revisiter l’idée simple et linéaire d’une motte castrale des origines, « esquisse » dans le meilleur des cas, « brouillon » dans le pire, des premiers châteaux-forts. Nous pouvons, à travers cela, toucher un peu du doigt les limites d’une certaine histoire évolutionniste, comme les limites des simplifications excessives de la réalité du terrain à la théorisation, puis à sa vulgarisation, qu’elle soit au service de la pédagogie ou de l’idéologie, les deux n’étant pas exclusifs; il reste difficile, en tout état de cause, de mesurer l’importance de ce que l’Histoire qu’on nous sert écarte des « vérités » tendancielles quand elle s’essaye à l’exercice de la chronologie comme de la synthèse, pour sortir de ses laboratoires vers le grand public. Quelquefois, il peut s’agir de choses bien plus subtiles qu’il n’y parait et qui peuvent être aussi hors de portée de l’historien lui-même, parce que son travail est complexe mais aussi parce son monde n’est pas le monde des représentations, des symboles et des mots qu’il cherche à étudier. Pour naviguer dans cette complexité autant que dans les vides laissés, il n’est pas rare que les outils lui manquent et l’apport des disciplines connexes ne devrait jamais être un luxe pour lui, mais c’est une leçon qu’il a tiré depuis.
Sur la partie critique des outils, des conceptions et de l’instrumentalisation de l’Histoire, Il faut lire quelques excellents écrits de l’Historien Alain Guerreau à commencer par celui-ci, daté de 2008 : Situation de l’Histoire médiévale. Sur la partie très concrète de la difficulté des datations et dans un effort louable pour dépasser les polémiques, vous pouvez utilement consulter l’article de Laure Leroux daté de 2013: Du monument à son histoire : aperçu méthodologique des études castrales en France.
ENTRACTE! Vidéo de la Motte castrale de Holstein, Allemagne.
Retour sur la définition de mottes castrales
par l’archéologie médiévale
« Il y a tant de mottes qu’on ne peut les conter »
Contre-pétrie « cyclopédique ». (pas de quoi y passer la journée)
Dans le même état d’esprit, à la lumière de cette archéologie médiévale qui débordait déjà de ses frontières pour s’élargir à l’Europe, nos experts de Caen se penchaient encore sur la notion même de mottes castrales pour tenter d’en définir les contours. La construction, typiquement marquée du sceau des francs, en aurait-elle pris un coup? Il semblerait que non. Les théories venues tenter de faire des mottes une innovation purement Viking, en contradiction avec ce que nous apprenait notre architecte Viollet le Duc, n’ont pas été retenues. Aucune trace de mottes n’a été retrouvée pour l’instant dans les pays du nord dont ils étaient originaires. Concernant la propagation des mottes castrales dans le courant de ces XI, XIIe, voir XIIIe siècle, elles se retrouvent un peu partout sur ce vaste territoire européen à l’exclusion toutefois de quelques pays qui ne semblent pas les avoir érigées : Norvège, Suède, Péninsule ibérique. On émet aussi l’hypothèse que ces innovations aient pu émerger de manière simultanée dans tous ces pays, sans pouvoir l’établir de manière certaine et, du coup, on retient plutôt l’idée d’une propagation.
En fonction des régions, même si le même « standard » semble revenir (les photos de cet article de mottes castrales « reconstituées » à travers l’Europe, sont là pour en faire la démonstration). On fait tout de même face à une profusion de constructions : avec ou sans basse-cour, avec ou sans donjon, mottes doubles, mottes contemporaines des mottes castrales mais ayant d’autres vocations (agricoles, défensives uniquement, etc). En remontant le cours du temps, on trouve encore des tertres élevés depuis la préhistoire. Au secours! A moi les définitions! Qu’est-ce donc qu’une motte castrale pour l’archéologie médiévale?
Au final, on semble tout de même prêt à s’entendre pour border le sujet et classifier les mottes, de façon à garder bien intacte la catégorie de mottes castrales, même si, on le sent bien à la lecture des minutes de ce colloque de Caen, la définition garde encore une touche de polémique chez les archéologues médiévaux d’alors, les disparités régionales et trans-nationales venant ajouter à la complexité. Pour être dignement castrale, la motte devra donc :
1. être « partiellement ou totalement » élevée de manière artificielle.
2. être dotée d’une résidence seigneuriale qui peut, ou non, prendre la forme d’un donjon (quoique) et se tenir ou non sur la motte. Quelquefois une simple tour de défense est sur la motte et la résidence du seigneur se trouve alors dans la basse-cour.
3. être dotée d’une basse cour à l’enceinte fortifiée? Cela ne semble pas un critère pouvant être systématisé au vue des observations régionales.
4. être dotée d’une double fonction militaire et résidentielle pour le seigneur qui l’occupe. Elle ne peut être une simple installation militaire ou qu’un fortin bordant une frontière. Sur le dernier point, certains archéologues de ce colloque fondateur semblent tenter d’élargir ce critère à certains mottes qui n’ont de vocation que militaires. Le faire bien sûr rendrait notre point 2. caduque, mais plus loin la fonction du château typiquement « défensif et résidentiel » serait définitivement mise à mal, autant d’ailleurs que l’opposition formelle entre Castrum romain et château de Viollet le Duc. Dans ce dernier cas, une seule catégorie de motte entrerait donc encore dans la théorie « conventionnelle » de l’histoire des châteaux-forts.
Naissance d’une discipline médiévale
n le voit, même si cette architecture médiévale ne remettait pas tout en cause, une certaine vision était à revisiter avec cette nouvelle échelle d’observation et au fil de cette nouvelle discipline, elle-même alors en construction. Et la tâche se montrait déjà ardue car à peine s’affirmait-elle, que la voilà qui se morcelait déjà en régionalisme; il faut passer par la complexité pour aller vers les synthèses les plus justes. On demandait alors des études systématiques à la hauteur des ambitions et il est vrai que pour répondre à ces voeux, il semble que les études de terrain se soient multipliées à défaut de s’être systématisées dans les années suivantes. Ont-elles suffi ou suffiront-elles pour autant, à combler certain vides que l’analyse des sources documentaires et des écrits (plus du ressort de l’historien) pouvaient en partie combler ? Les historiens semblaient alors en douter plus que les archéologues eux-même. Pourtant, la volonté de l’archéologie médiévale était claire et affichée : naître comme une discipline à part et s’affranchir en partie de l’Histoire; avant que de théoriser ou spéculer, il fallait attendre que le terrain livre sa vérité. De l’émergence de cette archéologie médiévale est née d’ailleurs, une forme de schisme entre historiens et archéologues dont il n’est pas totalement certain qu’il soit, à ce jour, résorbé puisque les deux disciplines continuent de coexister. Si vous souhaitez en savoir plus sur ces problématiques, vous pouvez vous référer très utilement au colloque de Caen en 1980 à propos des mottes castrales et des châteaux à donjon. Pour faire un point sur l’archéologie médiévale récente, sur ses apports comme sur ses difficultés vous pouvez aussi consulter utilement l’article suivant de Jean Chapelot: Retour critique sur l’évolution de l’archéologie médiévale depuis dix ans. Revenons pour ce qui nous concerne à nos moutons!
B. Du bois vers la pierre :
Evolution hétérogène des matériaux
Reprenons donc notre l’histoire des châteaux en repartant de la version un peu simpliste des événements pour mieux la nuancer. Du Xe au XIe siècle, l’évolution consistera, principalement, à voir se généraliser l’usage de la pierre dans la construction des forteresses et des donjons. Le donjon de bois de la motte castrale sera peu à peu remplacé par un donjon de pierre. Nul doute que dans les pays où elle abonde, on s’en était déjà servi pour construire les premières fortifications mais, pour le coup, devant le peu de résistance qu’offre le bois comme matériau, la nécessité se fait jour d’employer la pierre de manière plus systématique, quand on en a la disponibilité et les moyens. Les choses varient encore selon que la forteresse bénéficie ou non d’une protection naturelle par son site même : éperon rocheux, inaccessibilité du terrain contre plaine, présence de l’eau et de douves contre fossés secs ou même simplement selon qu’elle se trouve éloignée ou non des zones de tension. En plus de tout cela, il y a encore nécessairement des variations régionales, dans l’utilisation des matériaux ou les « standards ».
Concernant cette version du remplacement du bois vers la pierre dans le courant du XIe siècle, je fais appel, cette fois, à un exemple parmi tant d’autres, celui du Jura, pour qu’on comprenne bien qu’il en va de cette affirmation « commune » comme de la précédente.
« La transition ou le passage entre la motte féodale et le château de pierre s’effectue cependant de manière différente selon les sites, c’est du moins ce qu’indique les sources archivistiques. Si la plupart d’entre elles cesse d’être mentionnée dès la fin du XIIIe siècle et plus volontiers dans le courant du XIVe siècle, plusieurs signalements de « motte foussoyée » sont rencontrés à la fin du XVIe siècle. Ces chronologies permettent ainsi d’envisager une certaine persistance des mottes dans la plaine doloise, avant leur remplacement par les constructions en pierre. Cette adéquation entre abandon de la motte et construction en pierre semble donc s’opérer sur près de deux siècles. » Le château et la seigneurie dans le Jura Xe -XVe siècle, Serge David, J-Luc Mordefroid, Musée Archéologique du Jura,
Encore une nuance apportée par les régions à la fois sur les mottes, mais aussi sur la transition du bois vers la pierre, et, cette fois-ci, notre chronologie glisse jusqu’au XVIe siècle. Bref, il semble que nous ayons compris l’idée. Pour autant qu’elle soit séduisante, une chronologie simple ne sied pas à l’évolution des châteaux. Ci-contre, à gauche, la carte du Jura et des mottes à cette période, tirée du dossier susnommé consultable ici. Au passage, vous noterez l’extrême profusion de ces installations, notamment en plaine. C’est une véritable fourmillement.
Outre ce remplacement du bois vers la pierre qui est loin d’être aussi systématique et général, dans le courant du XIe siècle, il ne faut pas, non plus, perdre de vue la très grande hétérogénéité des constructions et c’est une autre idée sur laquelle il faut aussi insister. Cela relève de l’évidence, mais tous les seigneurs ne se tiennent pas à l’époque qui nous intéresse dans des mottes castrales. Les moyens de se défendre et de se fortifier sont en effet multiples et l’Histoire des châteaux-forts ne recouvre donc pas totalement l’Histoire des résidences des aristocrates, propriétaires terriens, ou seigneurs médiévaux mais bien plutôt, l’Histoire d’une certaine aristocratie ou de certaines seigneuries, sans nul doute les plus aisées et les plus puissantes. La motte castrale gomme en quelque sorte les différences mais plus on ira vers la pierre, plus cette vérité se confirmera. Quelles sont donc ces autres constructions à prendre en compte pour avoir une vue d’ensemble du paysage fortifié de cette France, autour du XIe siècle?
Enceintes de pierre, Enceintes castrales et Donjons de pierre sans motte
Palissade et/ou élévation, moyens employés traditionnellement par les hommes pour se défendre de leurs congénères? Assurément, nous le disions en introduction de cette série d’articles. Depuis le début du XXe siècle, on a, de fait, retrouvé un grand nombre de traces d’enceintes dans toute l’Europe et jusqu’aux plaines de Russie. Certaines d’entre elles ont hébergé des villes ou des villages, d’autres de petites communautés, d’autres encore des seigneurs.
Quelquefois donc, les seigneurs se protègent simplement derrière une enceinte et ne construisent ni donjon, ni motte. Les éléments fonctionnels de leur résidence sont alors dispersés dans l’enceinte. Dans certains cas, un château a bien été construit mais il l’a été postérieurement à l’occupation effective de l’enceinte. Au même titre que la notion de mottes castrales, on parle « d’enceintes castrales » pour désigner ce type d’enceinte particulière, et on est bien tenté d’ailleurs de les faire entrer aussi dans la catégorie des ancêtres du château, même si elles ne sont pas des mottes à donjons ou des donjons à mottes, bref des mottes castrales. Les découvertes de l’archéologie moderne distancent encore quelque peu ici l’architecte qui nous servait de guide lors de l’article précédent en donnant de l’élasticité aux définitions. Dans d’autres cas de figure, comme on l’avait vu avec Viollet le Duc, c’est une motte castrale sur laquelle on trouve un donjon et on en fait alors « l’ancêtre du château-fort à donjon », mais elle n’a pas toujours de basse-cour ni d’enceinte autour. Dans d’autres cas, encore, il y a motte, il y a seigneur, mais point de donjon sur la motte, quelquefois c’est une simple tour de défense qui domine l’installation. De la même façon, on connaît aussi et déjà au Xe et XIe siècle l’existence de donjons de pierre isolés, contemporains des mottes castrales mais sans motte. (ci-contre donjon de Loches, XIe siècle)
« Tour fortifiée résidentielle, le donjon est une création du Xe siècle finissant, surtout sous sa forme la plus originale, la motte surmontée d’une demeure en bois. Il en existe une autre version, sinon plus spectaculaire, du moins mieux conservée, le grand donjon résidentiel en pierre » Château-fort, Article de Michel BUR sur Universalis.
Le donjon, résidence défensive du Seigneur par excellence, élevé ou non sur une butte et ceint ou non d’une muraille, semble, par contre, rencontrer un succès certain au fur et à mesure que l’architecture médiévale se standardise. Pour rester proche de la terminologie d’usage, il faudrait remarquer avec Jean Mesqui, qu’on le dénomme alors « Grande Tour » ou « Tour maîtresse »; l’appellation de Donjon est en effet tardive et ce terme désignait, au Moyen Âge, la partie du château qui forme le siège du pouvoir féodal et non pas ce que nous nommons « donjon » depuis seulement quelques siècles. Quoiqu’il en soit, on retrouvera cette grande tour de pierre, encore construite de manière isolée, dans les siècles suivants, atteignant quelquefois des hauteurs spectaculaires, et il n’intégrera pas forcément un château. De plus en plus souvent, sans toutefois que cela soit systématique, les châteaux eux l’intégreront dans leur cour et les mottes qui en disposent, comme nous l’avons dit, les fortifieront à leur rythme ou non. Quelquefois les sites seront désertés au profit d’autres sites, quelquefois on reconstruira un château de pierre sur le même site. Pour clore le paysage de cette France fortifiée, ajoutons qu’il y a aussi, déjà, dans les régions où la pierre abondent et où les seigneurs sont suffisamment puissants pour s’entourer de bâtisseurs experts dans la pierre, des châteaux faits de ce matériau. Le paysage est donc hétérogène même on peut supposer que pour la facilité de leur construction et le peu de moyens qu’elles engagent, les mottes l’emportent en nombre. (ci dessus photo du très célèbre château de Gisors, XIe, XIIe siècle)
Faisceau d’innovations ou évolution buissonnante?
Au delà de la forme identifiée de la motte castrale, il semble donc bien que l’on soit tenté d’élargir un peu les catégories, ou en tout cas, de former une vision un peu plus complète de ce paysage fortifié d’entre la fin du Xe siècle et le début du XIIe. Un donjon seul, pas plus qu’une enceinte ne peuvent, me direz-vous, être appelé « château » et il reste vrai qu’un certain nombre des composants combinés que l’on retrouve « souvent » dans les mottes castrales font encore de cette construction ce qu’il y a de plus proche de ce que l’on retrouvera plus tard dans les châteaux, pour peu qu’on continue de lui prêter une fonction résidentielle. Pour autant, l’évolution de la motte castrale vers le château n’est pas non plus, aussi linéaire et directe qu’on se la représente en général, ce que pressentait déjà Viollet le Duc, en quelque sorte, qui ne lui voyait que peu de filiation entre ces premières fortifications et les merveilles d’architecture des châteaux du XIIe sauf à en appeler à l’intervention de l’expertise militaire, autant qu’à la conscience politique et territoriale des seigneurs normands. (ci contre Totnes, Angleterre, château à mottes normand, XIe siècle)
« Le château normand conserve longtemps les qualités d’une forteresse combinée de façon à se défendre contre l’assaillant étranger ; son assiette est choisie pour commander des passages, intercepter des communications, diviser des corps d’armée, protéger un territoire ; ses dispositions intérieures sont comparativement larges, destinées à contenir des compagnies nombreuses. Le château français ne s’élève qu’en vue de la garde du domaine féodal ; son assiette est choisie de façon à le protéger seul ; ses dispositions intérieures sont compliquées, étroites, accusant l’habitation autant que la défense ; elles indiquent la recherche d’hommes réunis en petit nombre, dont toutes les facultés intellectuelles sont préoccupées d’une seule pensée, celle de la défense personnelle. » Eugène Viollet le Duc. Dictionnaire raisonné d’Architecture
Les analyses d’Eugène Viollet le Duc restent étayées et très convaincantes, et les normands ont laissé de cette époque de véritable chef-d’oeuvre d’architecture défensive, mais il serait intéressant de voir si les enceintes castrales, de même que les donjons de pierre isolés, qui n’étaient pas juchés sur des mottes et qui en sont contemporains, n’ont pas eux-même été, au moins partiellement partie-prenant des évolutions. Au fond, au vue de ce que nous démontre l’archéologie de leur présence aux mêmes périodes, toutes ces installations auront certainement aussi évolué dans le temps, chacune de leur côté mais de manière plutôt simultanée que séquentielle. Finalement, plus surement qu’une simple relation de cause à effet, des mottes vers les châteaux, et sans remettre en cause l’inspiration et l’influence normande évidente, n’y a-t-il pu aussi avoir un effet de regroupement des innovations entres maisons fortes, enceintes castrales et mottes castrales qui auraient participé des évolutions et se seraient cristalliser par la suite et en partie dans le château-fort du XIIe, avant même que Philippe- Auguste ne le standardise, en y adjoignant, peut-être encore avec ses bâtisseurs, quelques éléments antiques retrouvés à la lumière des premières croisades (ci- contre le château normand d’Arques la bataille construit sur un motte, à partir du XIe siècle. Des débats entourent sa datation). Je ne prétends pas, bien sûr, diminuer l’importance des avancées de Philippe-Auguste en disant cela, pas d’avantage que l’apport normand, mais plutôt questionner ce que le fruit de deux cent ans d’expérience dans les fortifications du Xe au XIe aurait pu amener vers lui, auquel il faudrait alors rendre justice. Au fond, l’idée même relative d’un faisceau d’innovations, venu d’expertises et d’expériences variées dans la construction défensive qui s’affinent et s’aguerrissent sous la pression des agressions, pour contribuer aussi et, à leur manière, aux progrès du château-fort des siècles suivants, me paraît être, un tout cas, une piste séduisante. (Par rapport à l’image ci-dessous, veuillez noter que ce château du Pays de Galles, a été reconstruit ou restauré plusieurs fois, du vivant de son propriétaire dans le courant du XIIe siècle mais que ce dernier n’a jamais considéré l’usage de la pierre. Voir article en anglais ici sur Hen Domen pour ceux que cela intéresse).
C. Le paysage politique de la féodalité
Des mottes castrales qui tendent à évoluer vers la pierre, des donjons en pierre qui leur sont contemporains et s’érigent sans motte, des enceintes encore, un peu partout, et souvent des tours de garde pour les protéger, mais aussi pour faire le tour de ce paysage fortifié du XIe, des bâtiments civils et surtout des bâtiments religieux qui se protègent, des monastères fortifiés. Religieux, civils, seigneurs, tout le monde aux abris! Ce XIe siècle verra les forteresses et les châteaux se multiplier. Que s’y passe-t-il donc?
Notion de « Révolution » féodale
Le XIe siècle se caractérise, semble-t’il, par une forme de « push ». J’emploie ce mot moderne à dessein mais c’est un peu ainsi qu’on peut décrire les choses, si tenté que l’on prenne en compte que cette forme de prise de pouvoir se fait dans des espaces laissés vacants ou presque par une royauté affaiblie. Devant la situation de l’affaiblissement du pouvoir central et sous la pression des invasions, les seigneurs, les aristocrates et les propriétaires fonciers vont, en effet et d’une certaine manière, s’engouffrer dans les brèches et occuper le terrain laissé par ce vide régalien, et nous faire entrer, cette fois-ci, en plein dans cette période que l’on appelle la féodalité. Il est intéressant de noter que pour certains auteurs, la féodalité n’est pas un régime ou une forme politique établie, au sens où ils ne la considèrent pas comme une forme figée et « stable » d’organisation mais plutôt comme une forme de transition d’une certaine forme de « barbarie » voire « d’anarchie », vers un contrôle monarchique qui exercera à nouveau ses droits et qui n’aura d’ailleurs de cesse de les reprendre sur les seigneurs dans le courant des siècles suivants, de Philippe-Auguste à Saint-Louis. On parle encore ailleurs d’une forme de « révolution » menée par ces seigneurs locaux et ces aristocrates s’étant appropriés le droit de bâtir des châteaux, droit qui était, jusque là, le fait du prince. Bien sûr et dans ce cadre, ce concept de révolution n’est pas connoté de l’idée de mieux ou de progrès, mais relève plutôt du constat d’un changement radical, avec un avant et un après. (ci-contre tour de pierre du XIIe siècle, vestige d’un château La Garde-Guérin, France)
« ….Cette crise révolutionnaire a duré l’espace d’une génération, quelquefois l’espace de deux générations, et ceci a suffi à modifier complètement la situation sociale et la situation des châteaux. Alors, pendant cette période qui est marquée par des coups de boutoir violents de la part de l’aristocratie et surtout de la nouvelle aristocratie, le pouvoir sur les châteaux échappe momentanément au prince, il y a appropriation généralement brutale des droits publics et par voie de conséquence des édifices publics et en même temps on voit se construire de nouvelles forteresses sans l’autorisation du prince… » Pierre Bonnassie, « Châteaux, pouvoir de commandements« .
Colloque d’archéologie médiévale de Caen.
Protection des territoires délocalisée :
de la délégation à la dérive?
De nouveaux droits, de nouvelles lois, de nouveaux châteaux ou de nouvelles mottes castrales et la naissance véritable de la féodalité. Au fond, de la vision consensuelle d’un roi, d’un prince ou d’un suzerain qui concède à ses vassaux par absence de choix la protection du territoire, on s’oriente plus résolument sur une dérive de la situation. Certains historiens la font remonter bien plus loin que le Xe, XIe siècle, mais la grande majorité d’entre eux continue d’y voir un régime très particulier qu’il faut rattacher aux siècles dont nous parlons et dont ce XIe semble consacrer l’avènement. On a décrit cette féodalité comme un régime cruel et injuste, un régime de fortes taxes, de corvées à merci, et d’abus de pouvoir de toute nature sur les petites gens et, comme nous le disions, il faudra attendre que ces derniers comme les rois dans un effort conjoint aux intérêts toutefois divergents, la fassent tomber graduellement pour en quelque sorte, reprendre les droits que ces petites seigneurs et aristocrates leur avait confisqué. Les épidémies de peste, mais aussi la dépopulation de la guerre de cent ans auront leur rôle à jour et viendront en quelque sorte, accélérer les choses en changeant la donne pour les petites gens qui travaillent la terre, et du côté du roi la reconstitution d’une armée et la réaffirmation de sa couronne sur l’ensemble de ses territoires reconquis aidera; la guerre de cent ans n’y sera d’ailleurs pas totalement étrangère. (photo ci-contre, Dudley Castle, Angleterre, château rebâti en pierre aux XIIe sur une butte castrale normande du XIe siècle),
La fracture féodale franco-normande
Pour beaucoup donc, ces mottes castrales, ces forteresses et ses châteaux qui se multiplient sont aussi le signe de cette période et c’est une période trouble. Pour reprendre le fil avec Viollet le Duc, c’est dans une véritable diatribe que notre architecte se lance contre la féodalité et il suivra encore dans ses raisonnements la fracture qu’il avait déjà souligné entre seigneurs français et seigneurs normands. Il nous décriera les seigneurs francs d’alors comme opportunistes, peu soucieux de l’idée de nation, ne cherchant qu’à former de nouveaux accords pour conquérir de nouvelles terres, complotant ou oeuvrant pour « s’assujettir » la protection de plusieurs suzerains. Et voyez que j’use du terme d’assujettissement du suzerain par un vassal, en pensant à la dialectique du maître et de l’esclave. Les intérêts et les dépendances sont doubles et le suzerain, comme le vassal, également instrumentalisé. Ils se soulèveront même quelquefois, vassaux unis contre suzerain. Pour revenir sur cette féodalité « à deux vitesses » ou à deux visages que Viollet le Duc nous dépeint, l’un normand et l’autre français, Michel Bur la reprendra également. Il évoquera, en effet, des systèmes plus collaboratifs entre seigneurs et paysans et une forme de co-dépendance plus intelligente, plus nuancée. qu’il placera préférablement du côté normand: étrangers sur leur propre territoire, nouvelle-ment installés ces derniers auraient ressenti, d’une certaine manière, le besoin plus marqué de s’associer la collaboration des gens s’y trouvant. Est-ce un invariant ou une tendance? Il semble que la fracture existe mais je veux croire encore que les régions parlent différemment sur tous ses aspects et peut-être encore plus sûrement les seigneurs et la nature de chacun. Fait intéressant, Michel Bur note aussi que même construits sans autorisation et sauvagement, de nombreux châteaux avaient fait l’objet d’une régularisation a posteriori par des actes officiels. On se pose alors la question de savoir s’il y a là, après la liberté prise, un volonté tout de même de se placer sous l’égide du roi ou du prince ou sous sa protection, en cherchant son assentiment, ou s’il ne s’agit que de manoeuvres administratives pour prétendre à plus de droits sur le territoire une fois le château régularisé dans les actes. (ci-dessus le château de pierre de Mauvezin, reconstruit au XIIIe siècle sur un château de bois qui se trouvait sur cette même motte castrale, Midi-Pyrénées, France)
Voilà donc pour notre XIe et les débuts du XIIe siècle, ces mottes castrales, ces paysages hétérogènes inégalement fortifiés et pas tous de la même manière, cette féodalité qui se structure aussi, dans la violence et les vides laissées, et encore quelques incursions du côté d’une chronologie qui glisse et de la complexité à toucher le monde médiéval dans ses représentations et sa vérité toute entière. J’espère que vous aurez apprécié ces détours sur un sujet sur lequel il est tant difficile de faire court. Du reste, vous l’aurez remarqué, nous n’avons pas abordé le rôle politique et défensif que joue la religion dans ce paysage féodal fortifié, mais les détours sont suffisamment larges quand l’on se penche uniquement sur les châteaux.
Avant d’aborder les siècles qui verront se généraliser le château-fort de pierre nous ferons, dans notre prochain article, une incursion vers les techniques de siège héritées de l’époque antique à gréco-romaine qui seront à l’oeuvre au moyen-âge notamment face à ses futurs châteaux de pierre.
En vous remerciant de votre lecture, je vous souhaite une excellente journée. Longue vie!
Fred
Pour moyenagepassion.com
« A la recherche du monde médiéval sous toutes ses formes «
___________________________________________________________________________(*) Histoire du XIXe et « Nationalisme » : concernant ce mot, souvent historiquement connoté au point d’entre être devenu presque suspect, et la tendance d’une certaine histoire du XIXe siècle à s’exercer à l’échelle des nations, je le constate sans le juger. Sauf preuve du contraire, au sens littéral et historique, les nations sont encore bien des entités réelles, et je n’ai rien, me concernant, contre l’idée que ceux qui occupent un territoire puissent être attachés à leur propre Histoire. Il ne faut pas confondre un concept ou, en l’occurrence, un sentiment d’attachement avec l’instrumentalisation idéologique biaisée qui peut en être faite. D’un autre côté, on peut aussi avoir du discernement et éviter de tomber dans la chanson de Brassens qui parlait des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». Depuis des millénaires, la richesse des sociétés humaines est aussi basée sur les échanges et les apports culturels dans la connaissance et le respect mutuel. L’idée abstraite de gommer ces différences entre les peuples au prétexte qu’elles en créent est une idée simpliste qui relève plus d’une intention politique, économique et stratégique que d’une réalité.
ans un article précédent, nous abordions le phénomène qui, à partir du Xe siècle, poussa la France (qui n’existait pas encore tout à fait telle que nous la connaissons), à organiser la défense des territoires autour de la personne du « seigneur » et des seigneuries locales, elles-mêmes réfugiées derrière des architectures fortifiées: les mottes castrales. Cette défense des territoires par la construction de forteresses qui évoluerons de la motte castrale de bois et de terre vers les châteaux de pierre les plus élaborés et prestigieux des siècles suivants ouvrira une période particulière que l’on a nommé: l’ère des châteaux-forts.
Aujourd’hui, nous abordons cette question dans une perspective plus large pour nous intéresser à la naissance, la vie et la mort des châteaux-forts et partant, pour parler aussi des techniques d’assaut et de siège qui y sont inévitablement associées et en marquent l’évolution. (ci-contre le superbe château de Foix, en Ariège, antérieur au XIIe siècle et dominant la ville depuis son haut promontoire de roche).
Quelques réflexions sur la méthode
Des ambitions modestes pour un sujet glissant
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous faut faire quelques remarques d’importance. Les écrits sur les châteaux-forts et les problématiques qui y touchent ne sont pas nouveaux; certains auteurs les disent même rabattus. Ils doivent pourtant bien trouver leur place sur ce site, puisque nous y traitons du monde médiéval. Or, prétendre aborder le moyen-âge « sous toutes ses formes » sans parler des châteaux-forts ne souffrirait aucune excuse. Comme nous nous efforçons, par ailleurs, de reconstituer quelques unes de ces forteresses médiévales, il paraît aussi pertinent de fournir, ici, quelques bases de réflexion sur ces sujets, en les abordant dans une perspective plus générale, dusse-t’elle être plus glissante. S’il demeure, en effet toujours, de nombreux points d’interrogation quand on se penche sur l’Histoire d’un château en particulier, que dire quand on éloigne le focus pour l’élargir à plus de cinq siècles d’Histoire, dans un contexte ou, de surcroît, si peu de traces nous sont parvenues? L’exercice de l’extrapolation dans les vides laissées se fait bien périlleux. Cet effet bien connu a pour nom scientifique « l’effet peau de banane ». (ci-contre une peau de banane justement)
Rassurez-vous pourtant, nous n’avons pas la prétention de combler seul ces vides, en déclamant des généralités partagées de tous et non vérifiées, à l’emporte-pièce, simplement pour faire un article: « Au moyen-âge, les gens disaient… » « Au moyen-âge, les gens pensaient… », le web en est déjà suffisamment truffé et l’exigence de la qualité des sources autant que la méthode comparative resteront nos meilleurs alliés pour aborder ce sujet des châteaux-forts du moyen-âge. Et comme je préférerais toujours mieux la possible ânerie d’un historien à une qui soit mienne sur ces sujets, je m’appuierai courageusement sur des auteurs, en mettant, autant qu’il le semble nécessaire, toutes les réserves que requiert un objet d’étude si vaste.
Pour certains chercheurs, l’histoire des châteaux de la période médiévale a été l’objet d’étude de toute une vie, nous en sommes conscient et restons donc extrêmement modestes dans nos ambitions. De fait, au fil de nos lectures sur le sujet, nous avons hésité, plus d’une fois, à mettre un point final à cet article pour le publier. Permettez-moi deux pieds de rimes un brin burlesque pour vous le faire toucher du doigt et s’il se peut, vous faire sourire: c’est le dilemme d’une entreprise folle, entre journalisme et Histoire, pieds fermement ancrés au sol, priant qu’il ne se change en patinoire. Comme toujours, si cet échafaudage semble par trop branlant à un historien ou un amateur éclairé, qu’il se manifeste au débat, avec arguments et faits. Je n’ai jamais eu d’autres exigences que celle d’apprendre et d’échanger.
Pour mettre un peu d’ordre
De manière très classique, quand l’on parle d’un sujet si vaste, la première des problématiques consiste à s’intéresser au moment où l’on fait démarrer l’observation et, par là, à préciser le contexte historique qui a vu émerger l’objet que l’on observe. Au fond, qu’a-t’il de si particulier ce phénomène de « l’enchâtellement » pour qu’on puisse ainsi, de manière presque convenue, fixer et dater un point précis dans l’Histoire, en décidant par là qu’il s’agit d’un commencement? N’y a-t’il pas eu dans l’Histoire quelques précédents ou des phénomènes semblables? Au final, il s’agit bien de caractériser l’objet historique dont on parle, pour le situer dans le temps et en faire émerger des particularités. Ce sera l’objet de ce premier article: « Naissance des châteaux-forts ». Nous nous y pencherons, avec Eugène Viollet le Duc, sur les conditions d’émergence des mottes castrales et nous le suivrons dans ses allégations, ses certitudes et ses hypothèses sur la question. Le deuxième article sur le sujet, que nous avons nommé « Du bois vers la pierre », sera consacré à l’espace de temps qui va de l’émergence des mottes castrales jusqu’au XIIe siècle. Nous en profiterons pour parler d’Histoire des techniques de siège, en allant chercher du côté gréco-romain. Dans un troisième article, nous aborderons l’entrée dans ce XIIe siècle dont on s’accorde encore à dire qu’il est « L’âge d’or des châteaux-forts » (c’est d’ailleurs ainsi que nous avons très originalement nommé cet article sur la question). Nous y parlerons des progrès et des améliorations tant du côté des forteresses que des techniques et engins de siège. Enfin, dans un quatrième et dernier article, nous nous pencherons sur « L’automne des châteaux forts » et les transitions pouvant expliquer ce phénomène de « disparition » des forteresses « gardiennes de territoire », au profit de palais à vocation semble-t’il plus fortement résidentielle que défensive (quoique). (photo ci-dessus le Château-fort d’Ainay-le-Vieil, datant du XIVe siècle)
Avant de conclure sur ces éléments de plans et de méthodes, vous vous demanderez peut-être encore pourquoi nous avons saucissonné ce grand article en plusieurs? Et nous vous répondrions alors, c’est sans doute parce que le jambon s’apprécie toujours mieux en tranches bien fines; disant cela, je ne plaisante qu’à moitié et ceux qui aiment le jambon le savent très bien d’ailleurs.
Héritage, ruptures et continuité
« Des nains sur des épaules de géants » Citation médiévale de Bernard de Chartres, XIIe siècle
La protection de territoires par des camps fortifiés, regroupés autour d’un chef de tribu, ne date assurément pas d’hier: palissades, usage de matériaux pour entraver la marche d’ennemis potentiels et leur faire obstacle, usage de l’élévation (arbres, guérites, …) pour observer au loin ou gagner en efficacité sur les armes de jets (pierres, flèches, …), usage du feu, sont des choses que l’homme pratique depuis les premiers affrontements tribaux et certainement depuis des temps immémoriaux. Au fond, en cas de sédentarisation et d’agressions extérieures, cela pourrait même nous sembler une forme d’organisation humaine « défensive » naturelle. Sauf à entrer dans le domaine de la protohistoire et encore, je serais presque tenter de pousser jusqu’à la préhistoire, les sociétés humaines n’inventent jamais rien, tout soudainement, et à partir de rien. (ci-contre, Boniface des « Visiteurs » de Jean Marie Poiré semble s’en étonner).
Quelque soit les phénomènes observés, il doit pourtant bien y avoir une forme de typicité, des particularismes, qui nous permettent de repérer dans l’Histoire des continuités et quelquefois aussi des ruptures, des héritages et des innovations, des contextes particuliers. Et c’est ce qu’il nous faut approcher ici, dans cet article, pour répondre à plusieurs questions : dans quel contexte un type particulier de construction médiévale a pu émerger autour du Xe siècle que l’on a appelé « motte castrale »? En quoi cette construction pouvait-elle contenir, en elle, les germes des châteaux forts qui lui succéderont? Et comment se situe-t’elle dans l’Histoire des forteresses ou des constructions défensives l’ayant précédées? Pour tenter de répondre à toutes ces questions et pour nous accompagner le long de cette promenade historique en ces temps reculés du moyen-âge central, nous suivrons les pas et l’analyse de l’architecte du XIXe siècle, Eugène Viollet le Duc (portrait de lui plus bas dans cet article).
Rappel de quelques éléments de contexte
Pour rappel, du point de vue du contexte ayant favorisé l’apparition de ce phénomène d’enchâtellement de la France, dont on définit généralement le point de départ aux premières mottes castrales du Xe siècle, on liste un certain nombre de facteurs historiques : pression des vagues d’invasions sur le territoire (voir carte ci-dessus), division de l’empire carolingien dont les héritiers et petit-fils de Charlemagne peinent à maintenir la cohésion et, conséquemment, faiblesse d’un pouvoir régalien central, impuissant à défendre l’ensemble de ses territoires, au moyen d’un armée unique et forte. En plus de la pression d’ennemis extérieurs, viendront également s’ajouter, avec le temps, des tensions locales et intestines entre seigneurs prompts à se quereller sur les frontières établies, quand ce n’est pas sur la légitimité même de leurs titres.
En suivant les pas de Viollet le Duc
« Pax Romana et influence normande »
Un peu avant le moment où nous prenons l’Histoire, une longue période de Pax romana a plongé les terres de France dans une relative méconnaissance des Arts de la guerre. Sur le terrain, à la faveur de cette paix et de l’absence de résistance, les francs ont pu, sans difficulté, conquérir la Gaule. Ils y coexistent avec les restes de l’empire romain qui s’y sont sédentarisés, mais ils doivent désormais aussi se la partager avec des normands fraîchement installés qui ont bien l’intention de ne pas se cantonner sagement à leurs terres. Socialement structurés autour du commerce tout autant que des Arts de la guerre, ces derniers conduiront, en effet, des raids sur le territoire aussi loin que les mènent les fleuves. Selon notre auteur, durant cette période du IXe, Xe siècle, l’héritage de l’oppidum gaulois autant que celui des forteresses romaines, a été pratiquement oublié du côté franc et les populations, comme les seigneurs, ne sont toujours pas préparés à se défendre et encore moins l’ensemble de leur territoire; il faut de l’expérience, de l’ingénierie et du métier pour construire une forteresse et surtout la tenir et peu de places sont fortifiées. On n’y a pas consacré le temps nécessaire, mais on a même été, jusqu’à oublier du côté franc, le moyen de les bâtir de manière efficace et tout standard les concernant. Pour résister à ces nouvelles vagues invasions normandes, hongroises et sarrasines, on s’inspire alors « vaguement » du Castrum romain ou même de la villa romaine mais pas toujours.
A l’opposé, au nord du territoire où ils se sont sédentarisés, les normands semblent déjà mettre en oeuvre des principes bien plus avancés dans la construction de leur fortifications, n’hésitant pas à utiliser la pierre et respectant des principes plus systématiques dans l’élaboration de leurs défenses.
« Autres étaient alors les châteaux de France ; ils tenaient, comme nous l’avons dit, et du camp romain et de la villa romaine. Ils étaient établis soit en plaine, soit sur des montagnes, suivant que le propriétaire franc possédait un territoire plane ou montagneux. Dans le premier cas, le château consistait en une enceinte de palissade entourée de fossés, quelquefois d’une escarpe en terre, d’une forme ovale ou rectangulaire. Au milieu de l’enceinte, le chef franc faisait amasser des terres prises aux dépens d’un large fossé, et sur ce tertre factice ou motte se dressait la défense principale qui plus tard devint le donjon. » Citations d’Eugène Viollet Le Duc,
Dictionnaire Raisonné de l’architecture française, 1856
Naissance du château :
ni oppidum gaulois, ni castrum romain
Du point de vue de l’histoire des forteresses, comme des techniques d’attaque et de défense, même s’il faut, sur une échelle large de temps, voir une continuité et dans cette continuité, des phénomènes qui peuvent en accélérer ou en favoriser l’évolution, des particularismes et des innovations, à la période qui nous intéresse, Viollet le Duc nous invite donc à considérer une période de rupture opérée par une longue paix romaine suivie d’une relative passivité des francs à structurer de vrais défenses. Selon lui, seuls plusieurs siècles de batailles aguerris, de luttes intestines en guerre de croisades, du Xe au XIIe siècle, permettront d’atermoyer graduellement cette inexpérience dans les Arts de la guerre et du siège militaire, comme dans ceux de la construction de forteresse.
Suivant ses analyses encore, la naissance du château-fort et l’évolution de la motte castrale vers les forteresses de pierre, ne sont donc pas, à rechercher du côté de l’oppidum gaulois, oublié depuis longtemps, ni tout à fait du Castrum romain, camp aux visées plus proprement militaires; même si ce dernier aura partiellement et occasionnellement inspiré les francs, leurs premiers châteaux ne témoignent pas d’une véritable filiation avec cette construction romaine. En réalité, Viollet le Duc tranche assez rapidement sur cette question, faisant le constat d’une grande hétérogénéité des châteaux francs dont la construction ne semble pas guider par des standards forts, ni même d’ailleurs par la conscience forte d’un territoire à protéger. Les seigneurs francs se comportent finalement plus en propriétaire terrien, qu’en véritable défenseurs d’un territoire au nom d’une nation. N’y-a t’il eu de contre-exemples qui puissent nuancer le tableau? A l’évidence, il n’en trouve point. (photo ci dessus, reconstitution archéologique du Castrum Romain de Mandeure, IVe siècle, contenant une église paléochrétienne.(1) )
A l’observation des évidences laissées par l’héritage normand et même si notre brillant architecte du XIXe confesse, par moments, du peu de sources sur d’autres aspects, il penche, en tout cas, très clairement en faveur d’une forme d’excellence normande sur laquelle il ne se lasse pas de tarir d’éloges; il faut dire qu’au delà des marques laissées par leur architecture, les victoires et succès militaires qu’ils ont rencontrés plaident largement en leur faveur. Au delà de simplement conduire leurs ennemis de terrain à mieux structurer leurs défenses, cette influence ira pèsera, de manière inévitable, sur leur architecture défensive et sur leurs techniques guerrières dans les siècles suivants, jusqu’à rayonner dans toute l’Europe.
« Toutefois, nous penchons à croire que le château féodal n’est arrivé à ses perfectionnements de défense qu’après l’invasion normande, et que ces peuples du Nord ont été les premiers qui aient appliqué un système défensif soumis à certaines lois, suivi bientôt par les seigneurs du continent après qu’ils en eurent à leurs dépens reconnu la supériorité. » Citations d’Eugène Viollet Le Duc, Dictionnaire Raisonné de l’architecture française, 1856
Dans les temps qui suivront, l’évolution de la motte castrale vers le château-fort sera donc un « assemblage », né au croisement de l’Oppida normand et des premières mottes castrales; et c’est du choc de ces deux mondes que naîtront les fleurons d’architecture du XIIe, mais ceci est une autre Histoire et nous avons déjà, au moins, notre point de départ sur la naissance des châteaux.
Fait d’importance, dans ces forteresses naissantes qui préfigureront les châteaux médiévaux des siècles suivants, le seigneur s’entourera non seulement de ses forces militaires mais aura aussi l’ambition, en plus d’y tenir sa défense, d’inclure le nécessaire pour y vivre et s’y établir: ses gens, ses croyances, et peut-être déjà une certaine forme de confort. Nul doute que cette construction marque aussi le prestige du seigneur qu’elle héberge et qui la construit. Le signaler à son importance puisque, de nombreux débats historiques sur les châteaux-forts et leur évolution, consisteront à s’entendre ou à se mésentendre sur l’existence de lignes claires qui se déplacent au fil du temps, dans la construction de ces édifices médiévaux: entre visées défensives et prestige, mais encore entre efficience militaire et confort; le critère du confort et du prestige étant celui que l’on utilisera le plus souvent pour marquer l’évolution des châteaux-forts vers les grands palais du XVe, XVe, mais aussi pour repérer la fin de leur ère. Quoiqu’il en soit, cette première forme de forteresse que constituera la butte castrale est la demeure d’un sédentaire plus que d’un conquérant en campagne, un seigneur ancré sur son territoire et ayant l’ambition d’en défendre les contours, plus que sa seule tribu, un homme qui a aussi à sa disposition peu d’hommes expérimentés pour le servir et qui devra miser sur la solidité de ses installations pour se défendre.
« … les troupes de gens de guerre que réunissaient les seigneurs féodaux ne devaient qu’un service limité, quarante jours en moyenne ; on ne pouvait entreprendre avec ces corps armés que des expéditions passagères, des coups de main, et cela explique comment la féodalité crut, dès le XIe siècle, être invincible dans ses châteaux. Il fallait des armées pour attaquer et prendre ces places. Il n’y a pas d’armées où il n’y a pas de peuple ; alors le fait ni le mot n’existaient. » Citations d’Eugène Viollet Le Duc, Dictionnaire Raisonné de l’architecture française, 1856
Très belle reconstitution
d’une motte castrale en 3D et en vidéo
Pour conclure
sur la naissance du château médiéval
Pour expliquer les particularismes de cette période et aborder la naissance des châteaux à travers la motte castrale, tout autant que la féodalité en gestation, Viollet le Duc nous invite, donc, à considérer une double rupture : la première est historique, c’est une forme de rupture dans la connaissance des Arts de la guerre et de la construction de forteresses. Cette « ignorance » et ce peu de préparation sont consécutives à une Pax Romana, suivi d’une invasion par les francs, coupés de leur racines d’origine, isolés sur leurs nouvelles terres gauloises, et qui se comportent, vis à vis du territoire qu’ils occupent, plus en chefs de tribu qu’en Seigneurs. L’autre rupture est celle d’un choc entre deux cultures qui se partagent le terrain, l’une « aguerrie et organisée », l’autre « peu prête et peu savante » et qui a, de surcroît, encore à peine dans son bagage, les représentations de la défense d’un territoire au delà de sa propre terre, voir même de sa tribu. C’est un avis extrêmement tranché qui ressort de ses analyses et une claire opposition mais qu’il théorise finement et brillamment jusque dans les contours de la féodalité qui suivra.
Peut-être serait-il, utile de trouver quelques contre-exemples de terrain qui puisse le nuancer un peu ? Si je voulais faire un trait d’humour je dirais que nous sommes en face d’un brillant normand d’un côté et d’un âne franc de l’autre. L’opposition est si forte que pour un peu, j’aurais presque envie de crier, « Au secours! N’y a-t’il pas quelque part, quelque érudit de l’autre bord, même bien caché? » Je vais ajouter, pour faire justice à Viollet le Duc, que son discours s’inscrit dans un contexte historique où les normands, comme les autres envahisseurs de cette France du IXe, Xe siècle avaient été copieusement traités de barbares avant lui; il fallait donc aussi qu’il rétablisse la balance. Par ailleurs, les limites qu’il entrevoit et pointe ici dans la relative indiscipline des seigneurs francs, il les élève par ailleurs puisqu’il en fait une des conditions par laquelle la France n’est pas devenu anglaise. Pour en percevoir toutes les nuances, le mieux est encore de le lire dans le texte, ce que je vous enjoins à faire. C’est, vous le verrez, une lecture passionnante.
Une chose ressort de tout cela et qui semble certaine, au vue du peu de résistance opposée à ces vagues d’invasion, il faut bien en déduire un déséquilibre militaire et technologique sur le terrain., et la balance penche clairement en faveur des normands. De ce déséquilibre naîtront assurément les progrès des mottes castrales du Xe et de leur donjon, fréquemment en bois juchés en haut de leur butte, vers une utilisation plus systématique de la pierre et les premiers donjons en pierre du XIe siècle. Par le contexte qui les aura fait naître, ces premières mottes castrales porteront déjà en elles les germes de la féodalité autant que celles du château-fort, et ce sont ces germes qui feront de cet édifice médiéval quelque chose « d’historiquement » particulier. Et que l’on se réfère explicitement ou non à son auteur, depuis l’oeuvre de Viollet le Duc, c’est bien autour du Xe siècle, par l’émergence d’une forme d’architecture défensive appelée mottes castrales que l’on définit généralement, ce point de départ « conventionnel » de l’Histoire des châteaux-forts. A ce jour, il semble encore que ses analyses sur ces questions restent largement partagées.
Je joins encore une image à cette article. C’est une peinture, très belle, qui rend bien compte de l’effet de hauteur donné par la butte castrale pour qui s’en approche. Nous la devons à l’artiste J-Humphries et elle prouve, s’il était besoin, de la fascination qu’exercent encore ces constructions sur certains de nos contemporains.
Dans le prochain article, nous parlerons des siècles suivants où le bois se substituera peu à peu à la pierre dans la construction des forteresses et nous aborderons aussi les techniques d’assaut et de siège connus depuis l’antiquité.
Merci de votre lecture et longue vie!
Fred
pour moyenagepassion.com « A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes. »