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A la découverte du Troubadour Arnaut Daniel

Sujet  : musique médiévale, chanson médiévale, poésie médiévale, troubadour, manuscrit médiéval, amour courtois, Aquitaine, occitan médiéval, Périgord, biographie, vidas, courtoisie.
Période  : Moyen Âge central, XIIe et XIIIe s
Auteur : Arnaut Daniel (Arnautz Daniel) (1150-1210)
Ouvrages : manuscrits médiévaux et chansonniers provençaux anciens : ms français 854, ms français 856, ms français 12473.

Bonjour à tous,

ous partons, aujourd’hui, en direction du pays d’oc, du temps des troubadours pour y découvrir l’un d’entre eux et non le moindre : Arnaut Daniel. Au fil de notre balade, nous glanerons quelques éléments sur la biographie de ce poète médiéval et son œuvre, sans oublier d’y adjoindre ce que nous content les Vidas que nous ont légué les manuscrits et chansonniers occitans du Moyen-âge central.

Eléments de biographie

D’un point de vue factuel, on sait assez peu de choses de la vie d’Arnaut Daniel et ce qu’on en connait se résume en grande partie, justement, à des éléments glanés directement de sa vida dans les codex d’époque.

Natif du Périgord et de Ribérac (Rabairac en Occitan), il fut ami de Bertrand de Born. Suivant ses biographes, son activité poétique se situe entre 1180 et 1200. Gentilhomme lettré ayant embrassé le métier de jongleur, il a pu côtoyer la cour de Philippe Auguste et d’autres cours occitanes. Comme on le verra, un récit le voit même passer à la cour d’Angleterre au moment où Richard Cœur de Lion s’y trouvait encore.

L’art de trobar & l’œuvre d’Arnaut Daniel

Arnaut Daniel nous a laissé une œuvre riche d’une petite vingtaine de pièces, 18 en tout dont 16 chansons, une sextine et une pièce humoristique (un peu trash il faut bien le dire). A cette dernière exception près, sa poésie se situe entièrement dans le registre de la lyrique courtoise. Musicalement, hélas, les notations et partitions ne se sont conservées que sur deux de ses pièces : la sextine « Lo ferm voler q’inz el cor m’intra » ( La ferme volonté qui au cœur m’entre) et la chanson « Chanzon do·l moz son plan e prim » (Chanson dont les paroles sont belles et légères).

Virtuose en matière de rimes, autant qu’habité par une grande exigence sur les formes, on considère, souvent, Arnaut Daniel comme un maître, sinon LE maître du Trobar ric. Il s’agit là d’une variante particulière du Trobar clus qui, si elle ne place pas dans sa finalité la recherche de formes hermétiques ou la création de poésies insaisissables à l’oreille profane (allégories ou allusions énigmatiques, images complexes, etc … voir notamment l’art de Marcabrun), peut demeurer tout de même difficile à saisir par les détours poétiques que sa recherche de formes lui impose.

Invention de la Sextine

Dans sa quête de perfection du point de vue de la forme, justement, on doit au troubadour Arnaut Daniel d’avoir mise au point la sextine. Ce poème de six strophes de six vers chacune et qui se termine par un envoi de trois vers, possède quelques particularités qui font sa grande difficulté et placent aussi, en son sein, une rythmique toute particulière.

Œuvre et enluminure de Arnaut Daniel dans le ms Français 12473, chansonnier provençal et occitan K de la BnF
Arnaut Daniel, ms Français 12473, chansonnier provençal K de la BnF

En effet, la sextine s’articule autour de six mots-clés qui forment des rimes que l’on retrouvera dans toutes les strophes. Ils reviennent donc de la première strophe aux cinq suivantes, tout en étant permutées, de manière savante, d’une strophe à l’autre. L’envoi, la dernière strophe de trois vers donc, devra contenir également ses six mots utilisés tout au long de la sextine. Enfin dernière contrainte, chaque rime de fin de strophe doit être reprise dans le premier vers de la strophe suivante.

Nous aurons l’occasion de revenir, plus en détail, sur la sextine créée par Arnaut Daniel, mais pour en donner une idée plus concrète du point de vue de la forme, voici les deux premières strophes en occitan médiéval, suivi de leur traduction en français actuel :

Lo ferm voler qu’el cor m’intra (1)
no’m pot ges becs escoissendre ni ongla
(2)
de lauzengier qui pert per mal dir s’arma;
(3)
e pus no l’aus batr’ab ram ni verja,
(4)
sivals a frau, lai on non aurai oncle,
(5)
jauzirai joi, en vergier o dins cambra.
(6)

Quan mi sove de la cambra (6)
on a mon dan sai que nulhs om non intra
(1)
-ans me son tug plus que fraire ni oncle-
(5)
non ai membre no’m fremisca, neis l’ongla,
(2)
aissi cum fai l’enfas devant la verja:
(4)
tal paor ai no’l sia prop de l’arma.
(3)


Ce vœu ferme qui au cœur m’entre
Ne peut ni bec la briser, ni ongle
Du médisant qui perd, à médire, son âme ;
Et n’ose le battre avec branche ni verge ;
Sauf en secret là où je n’aurais d’oncle,
Je jouirai de ma joie en verger ou chambre

Et me souvenant de la chambre
Où, pour mon dam, je sais que nul n’entre
Mais tous sont pires pour moi que frère et oncle
Je n’ai de membres qui tremblent jusqu’à l’ongle
Tel que le fait l’enfant devant la verge
Telle est ma peur, qu’elle soit trop près de l’âme
.

Pour continuer la sextine tout au long des strophes suivantes, la règle de la permutation des rimes est toujours la séquence 6-1-5-2-4-3. Autrement dit, on reprend les vers de chaque strophe comme représentatif de l’ordre 1-2-3-4-5-6, et la strophe qui suivra devra toujours mettre les rimes dans l’ordre suivant 6-1-5-2-4-3.

Vida & razó

Pour chaque grand troubadour occitan ou presque, les manuscrits anciens nous ont gratifié de « vidas » et « razós ». Ces courts récits biographiques qui trônent, en exergue de leurs œuvres, dans certains codex médiévaux, sont même quelquefois, complétés d’autres anecdotes ou petites histoires.

Arnaut Daniel n’échappe pas à cette règle et sa vida trouve donc tout naturellement sa place ici, même s’il faut se souvenir que les premières traces de ces biographies datent, pour la plupart, du courant du XIIIe siècles. Elles sont donc largement postérieures à l’existence des troubadours. Quant à leur contenu, bien souvent, elles puisent leurs sources dans les poésies même des auteurs qu’elles décrivent, auxquelles sont venus se greffer, quelquefois, des éléments de tradition orale. A ce titre, leur viabilité historique a lieu d’être questionnée, même si, en accord avec les travaux de Michel Zinc, cela n’enlève rien à leur valeur littéraire. Les vidas font, en effet, partie intégrante de la tradition des troubadours et ont contribué à colporter leurs légendes et à les immortaliser. Tout ceci bien en tête voici ce qui nous dit la vida d’Arnaut Daniel :

La vida d’Arnaud en occitan médiéval

Arnautz Daniels si fo d’aquella encontrada don fo’n Arnaut de Maruelh , del evesquat de Peiregors , d’un castel que a nom Ribayrac , e fo gentils hom. Et emparet ben letras , e fetz se joglars ; e deleitet se en trobar en caras rimas ; per que las soas chanssos non son leus ad entendre ni ad aprendre. Et amet una auta dompna de Guascoigna, moiller d’en Guillem de Bouvila; mas non fo crezut que anc la dompna li fezes plazer en dveich d’amor; per que el ditz :

« Eu sui Arnautz qu’amas l’aura
E cas la lebre ab lo bou ,
E nadi contra suberna. »

Lonc temps estet en aquela amor , e’n fes motas bonas cansos. Et el era mot avinens hom e cortes.

Et sa traduction en français actuel

Arnaut Daniel, fut de cette même contrée qu’Arnaut de Mareuil, de l’évêché du Périgord, d’un château qu’on nomme Ribérac, et ce fut un gentilhomme. Et il apprit bien les lettres et se fit jongleur, et il se délecta de l’art de trouver de riches rimes ; c’est pourquoi ses chansons ne sont faciles ni à comprendre ni à apprendre. Et il aima une haute dame de Gascogne, femme de sire Guilhem de Bouvile ; mais on ne crut pas que la dame lui accorda jamais son plaisir selon le droit d’amour. Ce qui lui fit dire :

« Je suis Arnaut qui amasse le vent
Et je chasse le lièvre à l’aide du bœuf
Et je nage contre la marée montante.
« 

Longtemps, il se tint en cet amour et en fit moulte bonnes chansons ; et c’était un homme fort avenant et courtois.

NB : traduction largement basée sur celle de René Lavaud, dans Les Poésies d’Arnaut Daniel, réédition critique d’après Canello, (Librairie Edouard Privat, 1912)

Arnaut à la cour de Richard Cœur de Lion

On trouve cette vida quelquefois accompagnée d’une autre anecdote que voici : les biographes d’Arnaud Daniel s’en sont justement servis pour situer chronologiquement son activité poétique, en se basant sur la présence de Richard Cœur de Lion à laquelle il est fait allusion.

Œuvre et enluminure du troubadour Arnaut Daniel dans le Ms Français 856  de la BnF (Chansonnier Occitan C)
Arnaut Daniel, ms Français 856,
chansonnier Occitan C de la BnF

E fon aventura qu’el fon en la cort del rei Richart d’Englaterra : et estant en la cort, us autres joglars escomes lo com el trobava en pus caras rimas que el. Arnaut tenc s’o ad esquern, e feron messios cascun de son palafre que no fera , en poder del rey. El rey enclaus cascun en una cambra. En Arnaut, de fasti qu’en ac , non ac poder que lassetz un mot ab autre. Lo joglar fes son cantar leu e tost. E els non avian mas decx jorns d’espazi ; e devia s jutjar per lo rey à cap de cinq jorns. Lo joglar demandet à’n Arnaut si avia fag : e’n Arnaut respos que oc , passat a tres jorns ; e non avia pessat.

EI joglar cantava tota nueg sa canso per so que be la saubes ; e’n Arnaut pesset co l traisses isquern : tan que venc una nueg el joglar cautava , e’n Arnaut la va tot arretener e’l so. E can foron denan lo rey , n Arnaut dis que volia retraire sa chanso ; e comenset mot be la chanso que’l joglar avia facha. El joglar . can l’auzic gardet lo en la cara , e dis qu’el l’avia facha. El reis dis co s podia far ? El joglar preguet al rei qu’el ne saubes lo ver. El rei demandet à ‘n Arnaut com era estat. En Arnaut comtet li tot com era estat. El rei ac ne gran gaug e tenc s’o à gran esquern. E foro aquistiat los gatges , et à cascu fes donar bels dos. E fo donatz lo cantar à ‘n Arnaut Daniel , que di : Anc ieu non l’ac , mas ella m’a.

Adaptation de cette anecdote en français

Cette histoire a pour théâtre la cour du roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion. Elle raconte qu’un autre jongleur y avait défié notre troubadour, à qui composerait « les rimes les plus riches ». Chacun aurait alors mis en jeu son palefroi et le roi d’Angleterre de faire cloîtrer nos deux poètes en leur chambrée, afin qu’ils composent la plus belle des pièces. Face à la situation, Arnaut n’aurait guère trouvé l’inspiration mais, au terme de 5 jours, quand le roi lui demanda s’il avait fini de composer sa chanson, il répondit que oui. Les deux jongleurs se retrouvèrent donc face au célèbre souverain et Arnaud se proposa de chanter le premier.

Or, à la grande surprise de l’autre poète, il se mit à entonner la chanson de ce dernier. Durant ses jours de réclusion et d’inactivité, notre troubadour occitan avait, en effet, eu tout le loisir d’en apprendre les paroles et la mélodie puisque l’autre poète n’avait cessé de la répéter en sa chambrée qui se trouvait à portée d’oreille. En entendant chanter sa propre création, l’autre poète protesta, disant que c’est lui qui l’avait composée. Et quand le roi demanda à Arnaut de s’en expliquer, ce dernier raconta comment il avait eu l’idée de jouer ce tour à l’autre jongleur et le roi en rit beaucoup. Suite à cela, les deux troubadours furent libérés de leurs obligations poétiques et couverts de présents. Et alors on donna, à la cour, le chant d’Arnaut Daniel qui dit : « Je ne l’obtins jamais (l’amour), mais lui il m’a » (Anc ieu non l’ac , mas ella m’a).

Sources & manuscrits anciens

On peut retrouver l’œuvre poétique et les chansons d’Arnaut Daniel dans une certain nombre de chansonnier médiévaux. Au fil de cet article, nous vous proposons de les découvrir au travers de quelques manuscrits du Moyen Âge central : le ms français 854 ou Chansonnier occitan I, daté de la fin du XIIIe siècle, le ms français 856 ou Chansonnier occitan C, daté du début du XIVe siècle et, enfin, le ms français 12473 dit Chansonnier provençal K, daté du XIIIe siècle. Tous trois sont conservés à la BnF et disponible à la consultation sur gallica.fr.

Enluminure & œuvre du troubadour Arnaut Daniel dans le manuscrit médiéval ms français 854 de la BnF
Vida & poésies d’Arnaut Daniel dans le Ms Français 854 ou chansonnier provençal I (Bnf)

Un troubadour loué par les plus grands

Dans le dernier quart du XIIe siècle, Arnaut Daniel se fit connaître pour sa maîtrise de l’Art du trobar clus. Pourtant, la postérité l’aurait peut-être un peu oublié si de grands auteurs italiens de la renaissance n’avaient décidé de le mettre à l’honneur de manière posthume. Malgré cela, il faut noter que ses qualités et talents poétiques ont longtemps fait l’objet de controverses chez les érudits qui ont pu le trouver tantôt subtil et profond ou, selon, un rien surfait au regard de ses pairs. Pour les amateurs du style de ce troubadour, son goût pour les formes parfaites et son invention de la sextine continuent de fasciner.

Arnaut Daniel dans l’œuvre de Dante

Quoi qu’il en soit, près d’un siècle après qu’il ait vécu, son talent et sa poésie furent loués par Dante Alighieri (1265-1321) qui en fera une de ses sources d’inspiration. Le poète italien le placera même au dessus de Guiraut de Borneil et fera d’Arnaut un protagoniste de son Enfer :

“O frate”, disse, “questi ch’io ti cerno col dito”, e additò un spirto innanzi, “fu miglior fabbro del parlar materno. Versi d’amore e prose di romanzi soverchiò tutti. »

« O frère, dit-il, celui que mon doigt désigne, en indiquant un esprit qui était devant lui, fut le meilleur forgeron de son parler maternel. Il surpassa tous ses rivaux par ses vers d’amour et par ses proses de romans. »

Et le troubadour de déclarer, plus loin, dans son occitan médiéval et sous la plume de Dante :

“Tan m’abellis vostre cortes deman, qu’ieu no me puesc ni voill a vos cobrire.
Ieu sui Arnaut, que plor e vau cantan; consiros vei la passada folor, e vei jausen lo joi qu’esper denan. Ara vos prec, per aquella valor que vos guida al som de l’escalina, sovenha vos a temps de ma dolor!”.

« Votre courtoise demande me plait tant, que je ne peux, ni veux me cacher de vous. Je suis Arnaut, qui pleure et va chantant ; affligé, je vois la folie passée et, joyeux, je vois devant moi la joie, que j’espère. C’est pourquoi je vous supplie, par cette valeur qui vous guide au sommet de l’escalier [du purgatoire], rappelez-vous à temps de ma douleur. » Puis, il se cacha dans le feu qui le purifiait.

L’Enfer, Chapitre XXIII, le purgatoire, Dante Alighieri

Rencontre posthume avec Pétrarque

Un peu plus tard encore, dans le courant du XIVe siècle, Francesco Petrarca (1304-1374) , plus connu en France sous le nom de Pétrarque reconnaîtra, à son tour, le talent courtois d’Arnaut Daniel en écrivant :

« Fra tutti il primo Arnaldo Daniello,
Grand maestro d’amor, ch’alla sua terra
Ancor fa ono col dir polito, e bello. »

« Entre tous (1), Arnaut Daniel venait le premier,
Grand maître en amour, qui, à sa terre natale,
Continue de faire encore honneur avec son style soigné et gracieux. »

Le Triomphe d’Amour, Francesco Petrarca.

(1) Pétrarque parle des poètes qui l’ont transporté « ceux qui sont immortalisés par leurs écrits » et, en l’occurrence, il aborde ici ceux des poètes étrangers qui savaient discourir sur l’amour.

Bien après Pétrarque, la sextine d’Arnaut Daniel continuera de fasciner plus d’un auteur. Elle sera reprise par une certain nombre d’entre eux, au nombre desquels on ne peut manquer de citer Raymond Queneau. De notre côté, nous aurons bientôt l’occasion de vous proposer de découvrir de plus près celle que le troubadour aquitain nous a léguée sur les ongles et les oncles.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes


NB : l’enluminure et le détail de manuscrit qui apparaissent sur l’image en-tête d’article sont tirés du ms Français 856 que vous pourrez consulter en ligne sur le site de Gallica à l’image de tous les autres.

Un voyage poétique courtois en compagnie de Peire vidal

Enluminure médiévale du troubadour Peire Vidal

Sujet  : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, amour courtois, courtoisie
Période  : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur  : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Titre  :   Be.m pac d’ivern e d’estiu
Interprète : Flor Enversa
Evénement : Festival Troberea 2010

Bonjour à tous

ujourd’hui, nos pas nous ramènent du côté de la Provence médiévale en compagnie de Peire Vidal. Nous y découvrirons une nouvelle chanson du grand troubadour du XIIe-XIIIe siècle par le menu : sa traduction en français moderne, ses sources manuscrites, le tout accompagné d’une belle version servie par l’ensemble de musiques médiévales Flor Enversa.

Manuscrit médiéval français 854 et chanson de Peire Vidal
Be.m pac d’ivern e d’estiu dans le manuscrit français 854 de la BnF

Une chanson médiévale en forme de louange courtoise

On retrouvera, dans la chanson du jour, un Peire Vidal, grandiloquent et énergique à son habitude. Cette fois, il mettra toute sa verve au service non pas de ses hauts faits, mais de la nouvelle grande dame qu’il a élue ; Elle est, d’après ce qu’il nous confie, sise à Montesquieu, en Nouvelle-Aquitaine. Tout au long de ses strophes, il lui fera des louanges sans réserve tout en fustigeant ouvertement les adversaires de cette dernière. Au passage, le troubadour toulousain nous gratifiera de quelques purs joyaux de poésie occitane médiévale comme ces deux vers, par exemple, qu’on a presque peine à traduire tant cela fait peu justice à la langue d’origine :

Paro.m rozas entre gel
E clars temps ab trebol cel.

Des roses m’apparaissent au milieu de la glace,
Et un temps clair par un ciel obscur.

Pour bien donner la mesure de son immense admiration pour la dame et du lien qui l’unit à elle, le troubadour fait aussi le choix de terminer la plupart de ses strophes par de grandes références bibliques, en invoquant aussi les saints et les anges. Dans son voyage poétique, il fera encore quelques détours vers d’autres destinations : l’un d’eux par Montoliu en Occitanie, un autre par la Castille et l’Espagne qui lui sont chères (dans ses pérégrinations, il a séjourné au cour de Castille et d’Aragon). Enfin, il citera également l’empire de « Manuel ». Il s’agit, sans grande doute, de Manuel Ier Comnène, empereur byzantin du XIIe siècle. Contemporain de Peire Vidal, ce souverain connut un long règne de 37 ans et fut très apprécié du monde chrétien occidental pour son soutien au royaume de Jérusalem.

En dehors de cela et même après traduction, ce texte ne livre pas tous ses secrets. Certaines références contextuelles demeurent obscures, leurs secrets engloutis dans le fleuve du temps mais il fallait bien que la poésies du troubadour voyageur conserve aussi ce charme.

Sources historiques et médiévales

Pour les sources historiques, Be.m pac d’ivern e d’estiu est présente dans une grand nombre d’ouvrages datés du Moyen Âge central à tardif et consacrés aux troubadours occitans. On pourra citer, par exemple, le chansonnier provençal K, référencé ms fr 12473 ou encore le  fr 12474 de le BnF, ou même le canzionere provenzale de la bibliothèque d’Estense. Aujourd’hui, nous avons choisi de vous la présenter telle qu’on peut la trouver dans le Ms Français 854 (voir image un peu plus haut dans cet article). Ce manuscrit médiéval, daté du XIIIe siècle et également connu sous le nom de Chansonnier occitan I, contient, sur un peu plus de 400 feuillets, de nombreuses poésies de troubadours. Il est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF et peut-être consulté sur Gallica.

Une interprétation du duo Flor Enversa

Nous retrouvons, aujourd’hui, le duo médiéval occitan Flor Enversa. Nous avions déjà eu l’occasion de vous parler de cette formation à l’occasion de l’étude d’une chanson du troubadour Marcabru (revoir l’article et la bio de Flor Enversa). Ce duo, formé en 2006, prend l’occitan médiéval et les troubadours du Moyen Âge central, très au sérieux ; ils ont déjà produit 5 albums sur ce sujet, en s’entourant au besoin d’autres musiciens et collaborateurs.

L’art des troubadours provençaux, l’album

La version de la chanson de Peire Vidal que nous vous proposons ici est extraite d’un concert donné à l’occasion du Festival Trobarea 2010. Cependant, vous pourrez également la retrouver dans un double album de Flor Enversa, sorti en 2018, et ayant pour titre L’Art des Troubadours Provençaux des XIIème et XIIIème siècles. Avec une durée total de 104 minutes d’écoute et au long de 21 pièces, ce double CD propose un très large voyage au temps des troubadours occitans du Moyen Âge.

Album de Flor Enversa sur l'art des troubadours médiévaux

On y retrouve des noms célèbres tels que la Comtessa de Dia, Raimbaut de Vaqueiras, Raimbaut d’Aurenga et bien sûr Peire Vidal, mais ils sont également entourés d’une foule d’autres troubadours d’époque un peu moins reconnus mais tout aussi intéressants. Au passage, la formation occitane nous gratifie de quelques contrafactum originaux qui fournissent l’occasion de découvrir de nouveaux textes et poésies. Nous vous proposons de retrouver cet album sur le site officiel de Flor enversa aux côtés de l’ensemble de leur discographie.

Membres du groupe Flor Enversa

Thierry Cornillon (chant, rote, flûtes, harpe, psaltérion…) et Domitille Vigneron (chant, vièles à archet). A l’occasion de cet album, les duettistes de Flor Enversa se sont aussi accompagnés du musicien David Zubeldia.


Be.m pac d’ivern e d’estiu de Peire Vidal,
en occitan médiéval et en français moderne

NB : pour cette traduction en français actuel, nous avons utilisé amplement le travail de Joseph Anglade (les poésies de Peire Vidal, 1913). Toutefois, nous nous sommes permis de le revisiter aux moyens de recherches complémentaires et de tournures plus personnelles.

I
Be -m pac d’ivern e d’estiu
E de fretz e de calors,
Et am neus aitan com flors
E pro mort mais qu’avol viu :
Qu’enaissi m ten esforsiu
E gai Jovens et Amors.
Equar am domna novela,
Sobravinen e plus bêla,
Paro.m rozas entre gel
E clars temps ab trebol cel.

Je me délecte ( je me repais, j’apprécie) d’hiver et d’été
Et de froid et de chaleur,
Et j’aime la neige autant que les fleurs
Et un preux mort plus qu’un vil lâche :
Ainsi je me tiens avec force
En gaîté, Jeunesse et Amour.
Pareillement, comme j’aime une nouvelle dame,
Gracieuse et belle plus que toute autre,
je vois des roses au sein de la glace
et un temps clair dans un ciel obscur.

II
Ma domn’ a pretz soloriu
Denan mil combatedors,
E contra.ls fals fenhedors
Ten establit Montesquiu :
Per qu’al seu ric senhoriu
Lauzengiers no pot far cors,
Que sens e pretz la capdela,
E quan respon ni apela,
Sei dig an sabor de mel,
Don sembla Sant Gabriel.

Ma dame a un mérite unique
Face à mille combattants
Et contre les faux hypocrites
Elle tient Montesquieu fortifié ;
C’est pour cela qu’à sa puissante seigneurie
Aucun médisant ne peut s’attaquer,
Car la raison et l’honneur la guident
Et quand elle répond ou appelle,
Ses paroles ont saveur de miel,
Qui la font sembler à Saint-Gabriel.

III
E fai.s plus temer de griu
A vilas domnejadors,
Et als fis conoissedors
A solatz tant agradiu,
Qu’al partir quecs jur’ e pliu
Que domn’ es de las melhors :
Per que – m trahin’ e.m cembela
E.m tra.l cor de sotz l’aissela,
E a.m leial e fizel
E just plus que Deus Abel

Et elle se fait plus redouter qu’un griffon
Des galants méprisables
Et pour les fins connaisseurs (de l’amour ajoute Anglade)
Elle est d’une compagnie si charmante
Qu’en s’en séparant d’elle, chacun d’eux jure et assure
Qu’elle est une des meilleures dames qui soit ;
Pour tout cela, elle m’entraîne et m’attire
Et elle me tire le cœur de sous l’aisselle ;
Et je lui suis loyal et fidèle,
Et plus juste qu’Abel envers Dieu.

IV
Del ric pretz nominatiu
Creis tan sa fina valors
Que no pot sofrir lauzors
La gran forsa del ver briu.
Sei enemic son caitiu
E sei amie ric e sors.
Olh, front, nas, boch’ e maissela,
Blanc peitz ab dura mamela,
Del talh dels filhs d’Israël
Et es colomba ses fel.

De son précieux et remarquable mérite
S’accroît tant sa valeur parfaite
Que l’éloge ne peut exprimer
La grande force de sa valeur véritable.
Ses ennemis sont chétifs et misérables,
Et ses amis puissants et élevés.
Yeux, front, nez, bouche et menton,
blanche poitrine aux seins durs,
Elle est du même bois que les fils d’Israël
Et elle est colombe sans fiel.

V
Lo cor tenh morn e pensiu,
Aitan quant estauc alhors ;
Pois creis m’en gaugz e doussors,
Quan del seu gen cors m’aiziu.
Qu’aissi com de recaliu
Ar m’en ve fregz, ar calors ;
E quar es gai’ et isnela
E de totz mals aibs piucela,
L’am mais per Sant Raphaël,
Que Jacobs no fetz Rachel.

J’ai le cœur morne et pensif
Autant que je suis éloigné d’elle,
Puis ma joie et ma douceur augmentent
Quand je me rapproche de son corps gracieux.
Et ainsi comme lors d’une fièvre,
Tantôt me vient le froid, tantôt la chaleur.
Et parce qu’elle est gaie et joyeuse
Et vierge de tous vices,
Je l’aime d’avantage, par Saint Raphaël,
Que Jacob ne le fit de Rachel.

VI
Vers, vai t’en ves Montoliu
E di m’a las très serors,
Que tan mi platz lor amors,
Qu’ins en mon cor las escriu ;
Ves totas très m’umiliu ;
E.n fatz domnas e senhors.
E plagra.m mais de Castela
Una pauca jovensela,
Que d’aur cargat mil camel
Ab l’emperi Manuel.

Vers, allez vers Montolieu
Et dites aux trois sœurs
Que tant me plaisent leurs amours
Qu’au dedans de mon cœur je les ai gravées ;
Envers toutes trois, je m’incline ;
Et j’en fais mes dames et seigneuresses.
Et je préfère bien mieux de Castille
une modeste jouvencelle
Que mille chameaux chargés d’or
Et tout l’empire de Manuel.

VII
Qu’en Fransa et en Beriu
Et a Peiteu et a Tors
Quer Nostre Senher socors
Pels Turcs que.l tenon faidiu,
Car tout l’an los vaus e.l riu
On anavo.lh pechadors ;
E totz hom que no-s revella
Contr’aquesta gen fradella
Mal me sembla Daniel
Que.l dragon destruis a bel.

Qu’en France et en Berry,
Et à Poitiers et à Tours,
Notre Seigneur cherche secours
Contre les Turcs qui le tiennent banni,
Puisqu’ils lui ont enlevé les vallons et le ruisseau
Où se rendaientles pécheurs ;
Et tout homme qui ne se réveille pas
Contre cette gent scélérate
Me parait bien dissemblable à Daniel
Qui tua le dragon de Bel.

VIII
Per Sant Jacme qu’om apela
L’apostol de Compostela,
En Luzi’ a tal Miquel
Que.m val mais que cel del cel.

Par Saint Jacques qu’on appelle
L’apôtre de Compostelle,
A Luzia, il y a un Michel
Qui, pour moi, vaut mieux que celui du ciel.

IX
Francs reis, Proensa.us apella,
Qu’en Sancho la.us desclavella,
Qu’el en trai la cer’ e.l mel
E sai trametvos lo fel.

Nobles Rois, la Provence vous appelle ;
Que Don Sanche la détache de vous,
Car il en tire la cire et le miel
Et, ici, ne vous transmet que le fiel.

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : sur l’image d’en-tête nous avons simplement repris et retouché légèrement l’enluminure et le portrait de Peire Vidal qu’on trouve, en dessous de sa Vida, dans le Manuscrit 654 de la BnF.

Qui était Giraut de Bornelh ? A la découverte du « maître » des troubadours

Sujet  : musique, chanson et poésie médiévale, troubadours, biographie, vida, razo, manuscrit médiéval, chansons, occitan, langue d’oc, trobar leu
Période : Moyen Âge central, XIIe & XIIIe s
Auteur :  Giraut de Borneil, Guiraut de Bornelh Guiraut de Borneill, (?1138-?1215)

Bonjour à tous,

oilà longtemps que nous ne sommes partis en direction du pays d’Oc médiéval, à la découverte de nouveaux troubadours, mais il est temps de rattraper cela. Aujourd’hui, nos pas vont nous entraîner à l’ère « classique » des premiers troubadour occitans. Nous sommes donc au Moyen Âge central, entre les deux derniers tiers du XIIe et les premières années du XIIIe siècle et le poète que nous vous présentons se nomme Guiraut de Borneill ou Bornelh. C’est un grand de sa génération et Dante l’a même classé parmi ses troubadour favoris, après Arnaut Daniel, en le qualifiant même (dans son De Vulgari eloquentia), de “poète de la rectitude“.

D’aprés les chronologies usuelles, Guiraut de Bornelh aurait vécu entre 1138 et 1215. Pour le situer, il arrive un peu après Guillaume IX d’Aquitaine. Le très talentueux Marcabru, maître du trobar clus, le précède également dans le temps. Même si les dates suggèrent qu’ils ont pu être contemporains, Guiraut n’a pas encore engagé sa carrière quand Marcabru termine la sienne. Il est donc plus de la génération d’un Bernard de Ventadorn. Chez les trouvères qui commencent déjà à répandre, traduire ou s’inspirer de l’art musical et poétique occitan, des poètes comme Gace Brûlé ou Blondel de Nesle ont officié en même temps que lui.

La biographie de Guiraut de Bornelh suivant les vidas et les razos.

Avec toutes les réserves qu’on doit y mettre, sa vida, ainsi que quelques razos nous content quelques éléments supposés de sa vie. Comme tous les récits de cette famille, ceux de Guiraut de Borneill ne peuvent guère être étayés par des documents et des sources historiques avérées. De fait, rédigés longtemps après la vie de troubadours, vidas et razos sont, bien souvent, basés, en grande partie, sur le contenu des poésies de leurs auteurs.


Enluminure médiévale de Guiraut de Bornelh
Enluminure du manuscrit Français 854, chansonnier A (retouchée par nos soins).

« Guiraut de Bornelh si fo de Limozí, de l’encontrada d’Esiduòlh, d’un ric castèl del viscomte de Lemòtges. E fo òm de bas afar, mas savis òm fo de letras e de sen natural. E fo mèlher trobaire que negús d’aquels qu’èron estat denan ni foron après lui ; per que fo apelatz maestre dels trobadors, et es ancar per totz aquels que ben entendon subtils ditz ni ben pausats d’amor ni de sen. Fòrt fo onratz per los valentz òmes e per los entendenz e per las dòmnas qu’entendian los sieus maestrals ditz de las sous chansos. E la soa vida èra aitals que tot l’invern estava en escòla et aprendia letras, e tota la estat anava per cortz e menava ab se dos cantadors que cantavon las soas chansos. Non volc mais mulhèr, e tot çò qu’el gazanhava dava a sos paubres parenz e a la eglesia de la vila on el nasquèt, la quals glesia avia nom, et a encara, Saint Gervàs. « 

La Biographie des troubadours en Langue Provençale – Camille Chabaneau – Editeur Edouard Privat, Toulouse (1885) (1)


Lettré, sage et talentueux : le « maître » des troubadours selon son biographe médiéval

Suivant sa vida, Guiraut naquit, donc à Excideuil, en Limousin, dans l’actuel département de la Dordogne, à moins que, comme l’a fait remarquer le romaniste et philologue Jean-Pierre Chambon, il ne s’agisse, plus vraisemblablement d’Exideuil, dans le canton de Chabanais, en Charente (2). On ne connait pas grand chose de l’enfance de ce troubadour mais pour ce qui est de sa condition, son biographe médiéval nous le présente comme un homme de modeste extraction, plein de sagesse, lettré et de “bon sens” (ou doté naturellement d’intelligence et de raison, si l’on préfère).

Enluminure médiévale de Guiraut de Bornelh
Enluminure Ms Français 12473 – Chansonnier provençal K – Bnf, dept des manuscrits

A propos des talents du poète, l’auteur de sa vida n’hésite pas à qualifier Giraut de Borneil de « meilleur des troubadours » pas seulement auprès de ses contemporains mais également de ses prédécesseurs. Il nous dit même encore qu’il fut appelé « maître des troubadours ». Quant à sa postérité du temps de sa vida, elle se poursuit dans la même veine puisque « tout ceux qui, de nos jours, comprennent les paroles subtiles et bien agencées à propos d’amour et de bons sens (jugement, raison, intelligence » continuent, de le considérer comme un maître.

Certains linguistes et experts semblent être de l’avis que ce « maître » pourrait designer la profession de Giraut plutôt qu’une supériorité absolue sur ces pairs : maître de rhétorique ou maître dans le sens d’enseignant ? (3) Cela nous parait un peu surprenant, au vue du contexte et du ton général de cette vida, d’autant que dans la continuité de ce grand éloge, on trouve encore la phrase suivante : “Il fut aussi fort honoré ( apprécié, loué) par les hommes nobles de son temps et par les dames qui comprenaient les paroles magistrales de ses chansons.”. Bref, selon l’auteur de cette biographie tardive, nous avons affaire à un troubadour hors du commun.

Cette vida nous dit encore que, l’hiver, Giraut enseignait les lettres et était à l’école et que l’été il se rendait auprès des cours, “emmenant avec lui ses deux chanteurs qui chantaient et jouaient ses compositions”. Cela semble assez étonnant mais explique que, sur un certain nombre de miniatures de manuscrit médiéval, on le voie accompagné de près d’autres personnages. Ainsi, on devine quelqu’un derrière lui sur l’enluminure du MS 854 que nous nous sommes permis de rafraîchir un peu (plus haut dans l’article). Quant à l’enluminure du MS 12473 (ci-dessus également), cette fois, Giraut de Borneil y est bien suivi de deux personnes qui ne peuvent que correspondre à ces « assistants » jongleurs et chanteurs.

Quelques éléments supplémentaires sur sa vie

Il n’est pas rare que les vidas des troubadours nous content des romances entre les poètes occitans et des dames, voire même de grandes dames. Celle de Giraut de Borneil y fait exception. Elle nous dépeint, en effet, un homme qui « jamais ne voulut se marier et qui donnait tout l’argent qu’il gagnait à ses pauvres parents, mais encore à l’église de sa ville de naissance, qu’on nommait et qu’on nomme toujours Saint Gervais.

Il faut chercher dans les 6 razos qu’on trouve encore sur lui pour débusquer un peu plus d’éléments sur ses histoires de cœur (op cité Chabaneau). Dans certains d’entre eux, il est notamment fait allusion à une dame de Gascogne : Alamanda d’Estanc, « dame très prisée pour son intelligence, sa beauté et sa valeur« . Las, l’histoire s’est, semble-t-il, mal finie et les razos nous disent que le poète en souffrit beaucoup.

Pour finir le tour de ces éléments de biographie, un autre razo nous conte que Guiraut partit avec Richard Coeur de Lion pour la 3ème croisade et au siège d’Acre. Dans ses autres protecteurs, ces mêmes sources et ses poésies mentionnent encore Alfonse VIII de Castille : ce dernier, avec d’autres nobles de sa cour, lui auraient même fait cadeau d’un palefroi ferré ainsi que d’autres riches présents« . On peut aussi y ajouter des personnages tels que Aimar vicomte de Limoges, vraisemblablement Adémar V (1138 1199), le dauphin d’Auvergne, un comte de Toulouse, sans doute Raimon V selon Alfred Jeanroy (4) et Boemond III, Prince d’Antioche. Enfin, dans ces mêmes sources, on trouve encore mentionnés Raimbaut d’Orange et Ramons Bernartz de Rovigna (Raymond Bernat de Rouvenac ?).

Sources manuscrites : Mss 854 et Mss 12473 deux chansonniers du XIIIe siècle

Manuscrit médiéval Guiraut de Bornelh

On citera les deux manuscrits déjà mentionnés à propos des enluminures. Tous deux sont conservés à la BnF et consultables en ligne sur le site de Gallica. Le premier, le Ms Français 854 est également connu sous le nom de Chansonnier provençal A. Daté du XIIIe siècle, ce manuscrit médiéval, d’origine italienne, contient vidas et razos de troubadours, ainsi que leurs oeuvres, dont celles de Guiraut de Borneill.

Dans le même registre, le manuscrit médiéval MS Français 12473 est, sans doute, encore plus célèbre. Connu sous le nom de Chansonnier provençal ou Chansonnier K, il est daté de la deuxième partie du XIIIe siècle et présente également un large nombre de troubadours et poètes de langue occitane médiévale avec leurs biographies tardives. Copié en Italie, cet ouvrage, richement illuminé, se tint longtemps à la Bibliothèque du Vatican (cote Vat. 3204), avant de revenir à la BnF où il se trouve actuellement conservé.

Au vu des similitudes entre les deux manuscrits, les conservateurs et archivistes de la BnF ont conclu qu’ils furent probablement réalisés dans le même atelier italien (Marie-Pierre Laffitte archives et manuscrits sur bnf.fr).

Legs poétique et oeuvre de Giraut de Bornelh

Giraut de Bornelh a laissé un legs poétique assez conséquent : plus de 80 pièces dont un très petit nombre seulement sont notées musicalement. Son oeuvre contient, en majeure partie, des compositions profanes : poésies, chansons, sirvantois et pièces satiriques, pastourelle, etc… Sur un plan plus liturgique, on retiendra une composition religieuse et deux chansons d’appel à la croisade.

D’abord versé dans le Trobar clus à la façon d’un Marcabru, Giraut finit par privilégier, dans ses compositions, un style plus clair et accessible : Trobar leu (léger, ouvert). De fait, il le mit en avant et le défendit de telle manière, qu’on en a parfois fait l’inventeur ou, à tout le moins, le défenseur. Dans de prochains articles, nous aurons l’occasion, de présenter son oeuvre et certaines de ses pièces plus en détail.

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes


Sources & notes

(1) La biographie des troubadours en langue provençale – Camille Chabaneau (1885)
(2) Sur le lieu de naissance de Guiraut de Bornelh. Jean-Pierre Chambon Romania, tome 101 n°404, 1980
(3) La literatura en la corte de Alfonso VIII de Castilla – Antonio Sánchez Jiménez (2001)
(4) La poésie lyrique des troubadours – Alfred Jeanroy – T2-(1934)

Peire Vidal : itinéraire d’un troubadour voyageur du moyen-âge central

peire_vidal_troubadour_moyen-age_occitan_poesie_chanson_musique_medievaleSujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, amour courtois, fine amor, langue d’oc, poésie satirique,  biographie, oeuvres. manuscrits anciens, servantois, sirvantès.
Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous continuons aujourd’hui d’explorer le moyen-âge des troubadours avec l’un d’entre eux qui fut particulièrement remuant et voyage beaucoup : Peire Vidal (ou Pierre).  Outre ses aventures dans les cours des puissants, ce poète et chanteur médiéval, grandiloquent et plein de fantaisie est également resté célèbre pour avoir laissé une oeuvre particulièrement abondante. Son activité artistique commence autour de 1180. Nous sommes entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe, et il s’inscrit donc dans la deuxième, voir la troisième génération de troubadours, héritière de la poésie d’Oc et de ses codes.

Eléments de Biographie

peire_vidal_troubadours_manuscrit_ancien_enluminure_vidas_chanson_poesie_medievale_ms-fr-854_moyen-age_sMême si l’on retrouve un certain nombre de documents rattachés au comté de Toulouse qui mentionne un certain Petrus Vitalis (voir A propos de Peire Vidal, Joseph  Anglade, Romania 193 , 1923)  et qui pourrait se référer, sans qu’on en soit certain, à notre troubadour du jour, comme de nombreux autres poètes et compositeurs occitans de cette période, les informations que nous possédons sur lui proviennent des vidas ou encore de ce que l’on peut déduire entre les lignes de ses poésies.

Concernant les Vidas des troubadours, rappelons, une fois de plus, que ces récits « biographiques » sont largement postérieurs à la vie des intéressés. Si on les a quelquefois pris un peu trop au pied de la lettre, du point de vue des romanistes et médiévistes contemporains, on s’entend généralement bien sur le fait qu’ils sont plus à mettre au compte d’une littérature provençale romancée, qu’à prendre comme des chroniques précises et factuelles. De fait, ces vidas sont elles-mêmes largement basées sur l’extrapolation des faits, à partir des vers des poètes dont elles traitent. Avec toutes les réserves que tout cela impose et considérant tout de même qu’on peut prêter un peu de foi aux dires de Peire Vidal, voici donc quelques éléments de biographie le concernant, entre faits (à ce jour, invérifiables) et possibles inexactitudes.


« Drogoman senher, s’agues bon destrier,
En fol plag foran intrat mei guerrier :
C’aqui mezeis cant hom lor me mentau
Mi temon plus que caillas esparvier,
E non preson lor vida un denier,
Tan mi sabon fer e salvatg’ebrau. »

Seigneur Drogoman, si j’avais un bon destrier,
Mes ennemis se trouveraient en mauvaise passe ;
Car à peine ont-ils entendu mon nom,
Qu’ils me craignent plus que les cailles l’épervier,
Et ils n’estiment pas leur vie un denier,
Tant ils me savent fier, sauvage et féroce !

Les Poésies Peire Vidal  Joseph Anglade (1913).


Entre les lignes de Peire Vidal et des vidas

peire_vidal_troubadour_poesie-medievale_manuscrit_francais_ms-854_chansons_moyen-age_sOriginaire de Toulouse, Peire Vidal  était fils d’un marchand de fourrure « fils fo d’un pelissier. ». Sous la protection de Raymond V et œuvrant à la cour de ce dernier, on le retrouve ensuite à Marseille, auprès du vicomte Barral de Baux, suite à quoi il voyage vers l’Espagne pour rejoindre la cour de Alphonse II d’Aragon. Après un nouveau passage par la France provençale, il sera en partance pour l’Italie et l’Orient. Du côté de Chypre, il aurait pris en épousailles une Grecque pour revenir ensuite à la cour de Marseille.

Son itinéraire voyageur et sa fréquentation des cours d’Europe ne s’arrêtent pas là puisqu’on le retrouve encore dans le Piémont, à la cour de Boniface de Montferrat, puis à celle d’Aimeric de Hongrie, en Espagne, auprès d’Alphonse VIII de Castille, et même à Malte. Entre ses nombreux protecteurs (successifs ou occasionnels), on dit qu’il a aussi compté le roi Richard Coeur de Lion, dont il prit même la défense contre Philippe-Auguste. Pour finir, il est possible que dans toutes ses pérégrinations à donner le vertige à plus d’un troubadour de son temps, il ait participé à la quatrième Croisade, mais rien ne permet de l’attester.

Pour n’être pas lui-même issu de la grande noblesse, la qualité de son art lui a, en tout cas, indéniablement ouvert les portes de la cour d’un certain nombre de Grands de l’Europe médiévale et il semble même qu’il fit office de conseiller (occasionnel là encore et avec réserve), auprès de certains d’entre eux.

Démêlés politiques, excès de « courtoisie »
ou âme vagabonde ?

Inconstance, goût insatiable pour les voyages, courtoisie un peu trop enflammée et douloureuse déception amoureuse, est-il poussé au dehors des cours ou en part-il de lui-même? Peut-être, y a-t-il un peu de tout cela. Même s’il reste indéniablement attaché par le coeur à sa Provence natale, il confesse lui-même que séjourner longtemps en un même lieu ne lui sied pas.

« So es En Peire Vidais, 
Cel qui mante domnei e drudaria
E fa que pros per amor de s’amia,
Et ama mais batalhas e torneis
Que monges patz, e sembla – I malaveis ,
Trop sojornar et estar en un loc. « 

 » Voilà Messire Peire Vidal,
Celui qui maintient courtoisie et galanterie,
Qui agit en vaillant homme pour l’amour de sa mie,
Qui aime mieux batailles et tournois
Qu’un moine n’aime la paix et pour qui c’est une maladie
de séjourner et de rester dans le même lieu. »

Les Poésies Peire Vidal  Joseph Anglade (1913).

Quand on fréquente les cours médiévales sauf à être totalement ingénu, se mêler de trop près de politique impose forcément que l’on soit prêt à subir les revirements des puissants. Peut-être cette dimension est-elle aussi présente puisque Peire Vidal ne s’est pas toujours contenté de critiquer uniquement les ennemis de ses protecteurs et de brosser ses derniers dans le sens du poil. Quoiqu’il en soit, il semble bien qu’il se soit fait peire_vidal_pierre_vidal_troubadour_manuscrits_biographie_ms_12473_smallbannir et chasser de certaines cours (Le troubadour Peire Vidal : sa vie et son oeuvre Ernest Hoepffner, 1961).

Dans le courant du XXe siècle, sa fantaisie, son ironie et son style critique conduiront le romaniste et philologue Alfred Jeanroy à  comparer notre poète médiéval à un Clément Marot avant la lettre (La Poésie lyrique des troubadours, T2, 1934). Au delà du style, et en se gardant bien de céder aux rapprochements faciles, il reste amusant de noter qu’à plus de trois siècles de distance, les deux poètes ont voyagé de cour en cour, peut-être, sous l’impulsion de nécessités semblables et, à tout le moins, pour avoir perdu le soutien de leur protecteur. L’un comme l’autre ne seront pas, du reste, les seuls poètes du moyen-âge poussés au dehors des cours, du fait de leur propre « impertinence » ou de leur goût de la prise de risque mais comme Peire Vidal semble tout de même avoir eu l’âme plus aventurière et voyageuse que Marot, la comparaison s’arrête là. Cet article ne nous fournit, de toute façon, pas les moyens d’une étude comparative (délicate et peut-être même hasardeuse) sur une possible parenté de fond qui toucherait certaines formes communes à une « poésie de l’exil » chez nos deux poètes.

Ajoutons que si l’on perçoit chez le troubadour de Toulouse une forme d’arrachement (il s’est sacrifié pour une dame qui ne l’a pas récompensé de son amour, il lui fallait partir, etc…) il ne boude pas non plus son plaisir de voyager et de se trouver en terres lointaines et loue volontiers les seigneurs qui l’accueillent.

« Mout es bona terr’ Espanha,
E’1 rei qui senhor en so’
Dous e car e franc e bo
E de corteza companha ;
E s’i a d’autres baros,
Mout avinens e mout pros,
De sen e de conoissensa
E de faitz e de parvensa. »

L’Espagne est une bonne terre
Et les rois qui y règnent en sont
Polis et aimables, sincères et bons
Et de courtoise compagnie;
Et on y trouve d’autres barons,
Très accueillants et très preux,
Hommes de sens et de savoir,
En apparence et en faits.

Les Poésies Peire Vidal  Joseph Anglade (1913).

Oeuvre, legs et manuscrits

Entre poésie courtoise et satirique, l’oeuvre de Peire Vidal s’inscrit dans la double tradition lyrique et satyrique de ses contemporains. Quand il se lance dans son art, les codes de la courtoisie et de la fine amor sont déjà bien établis pour ne pas dire déjà un peu cristallisés voire « repassés », mais on lui prête d’avoir su leur insuffler un esprit qu’on pourrait qualifier de rafraîchissant. Outre ses qualités de style, son originalité réside dans un sens de la caricature et une forme d’ironie et d’auto-dérision qui le démarquent de ses homologues troubadours. Il se prête également (et on l’en crédite volontiers), un grain de folie qui s’épanche dans la grandiloquence et dans l’exagération et participe de cet humour, même si avec le recul du temps les nuances peuvent s’avérer quelquefois difficiles à percevoir.

Sources historiques

Peire_vidal_troubadour_poesie_chanson_medievale_manuscrit-ancien_MS-12473_moyen-age_central_sSur la foi des manuscrits, plus de soixante pièces lui ont été d’abord attribuées mais, comme souvent, ce nombre a été revu, pour se trouver réduit par les érudits qui s’y sont penchés. Après diverses études, son legs poétique a ainsi été ramené à un peu moins d’une cinquantaine de pièces, ce qui en fait, quoiqu’il en soit, une oeuvre  prolifique, au vue de l’époque et des données comparatives en présence.

Du point de vue des sources, on peut retrouver ses compositions, chansons ou poésies dispersées dans de nombreux manuscrits. On citera ici ceux qui ont servi de base aux illustrations de cet article.  Il s’agit du ms 12473 (Français 12473), dit chansonnier provençal ou chansonnier K et du ms 854 (Français 854) tous deux copiés en Italie et datés du XIIIe siècle. Ils contiennent, chacun, un nombre important de pièces du troubadour médiéval. Vous pouvez  consulter ces deux manuscrits anciens sur le site Gallica de la BnF aux liens suivants. ms 12473ms 854.

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
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A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes