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La Cantiga de Santa Maria 384 : les clés du paradis pour des louanges en forme d’écriture

cantigas_santa_maria_vierge_marie_sainte_culte_mariale_medievale_amour_lyrique_courtoise_moyen-ageSujet :  musique  médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle
Période :    XIIIe siècle, Moyen Âge central
 Auteur  :    Alphonse X de Castille (1221-1284)
Interprète :  Esther Lamandier
Titre :  Cantiga  Santa Maria 384,      « A que por gran fremosura é chamada Fror das frores » 
Album :    Alfonso el Sabio.   Cantigas de Santa Maria    (1981)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passione qui nous suivent de près le savent, nous avons entrepris, depuis quelques années déjà, l’étude et la traduction des Cantigas de Santa Maria du roi  Alphonse X de Castille.  Récits de miracles autour de la sainte,  témoignages de pèlerins, ou encore chants de louanges, avant d’être recompilées et retranscrites au XIIIe  siècle et en galaïco-portugais par le souverain de Castille, un grand  nombre de ces histoires circulait déjà sous diverses formes dans l’Europe médiévale.

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On le sait, à partir du XIIe siècle, le Moyen Âge central s’est enflammé pour le culte marial.  Dans la littérature médiévale, on trouvera ainsi de nombreux Ave Maria en hommage à la Sainte, chez quantité de nos auteurs, trouvères, poètes, clercs ou même religieux,   de Rutebeuf à Villon.  La vierge Marie est alors, cette mère pleine de compassion et de piété, qui peut entendre et qui sait écouter. Elle est aussi celle qui, par sa bonté et l’oreille qu’il lui prête, pourra peut-être intercéder en faveur du prieur ou du dévot auprès de son fils   le Christ, la chair de Tout Puissant, Dieu mort en croix.

Le Salut pour un moine   dévot à la  vierge

cantigas-santa-maria-esther-lamandier-musiques-medievales-moyen-ageLa cantiga d’aujourd’hui est un nouveau récit de miracle.   On y apprendra,  ou en tout cas le poète nous contera, que dans les manières de louer la Sainte, entre imagerie, iconographie, prières, et autres, celle qui consiste à louer son nom est une des plus appréciées. Ici c’est un moine qui s’adonnant à la calligraphie, l’écrira même, ce nom, avec de belles couleurs. L’histoire se posera aussi comme une  confirmation déjà acquise dans le culte marial :  la dévotion à la   sainte peut ouvrir, au croyant,   les portes du salut.

Dans la foi chrétienne, la mort n’est rien  si, au bout du chemin de vie et quelque soit sa durée,  se trouve un nouveau commencement pour l’éternité. L’important est dans le salut. Dans cette cantiga de Santa Maria 384, comme nous l’avions vu dans le miracle de la jeune fille malade de la cantiga 188, le corps du  protagoniste périra. Sa vie prendra fin et seule son âme sera sauvée. Pas de « transhumanisme ici, pas plus que de défi lancé à la longévité dans ce monde-ci, au Moyen Âge, les désirs d’éternité ne sont pas, ici-bas, mais dans le monde suivant.

La cantiga  de Santa Maria 384 par Esther  Lamanthier


Esther Lamandier   et Alphonse le Sage

En 1980, la belle et talentueuse chanteuse soprano, harpiste et instrumentiste, Esther Lamandier   décida de faire une incursion du côté de l’Espagne médiévale et du répertoire d’Alfonso el Sabio.

cantigas-santa-maria-384-album-chansone-medieval-culte-marial-alphonse-X-Esther-Lamandier-moyen-ageTout entière dédiée aux Cantigas de Santa Maria, la production fut enregistrée  à l’Abbaye de   l’Épau, dans la Sarthe. A sa sortie, en 1981, l’album  proposait 20 pièces  interprétées par la musicienne  et artiste, accompagnée de son seul
talent vocal et instrumental.  La cantiga 384 que nous vous présentons aujourd’hui ouvre ce très bel album que l’on peut encore trouver à la vente en ligne. notamment au format mp3. Voici un lien utile pour plus d’informations : Les Cantigas de Santa Maria par Esther  Lamandier.


La Cantiga de Santa Maria 384
Du galaïco-portugais au français moderne

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Como Santa Maria levou a alma dun frade
que pintou o seu nome de tres coores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Comment Sainte Marie emmena au paradis l’âme d’un frère qui avait peint son nom de trois couleurs.

Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs,
Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.

Desto direi un miragre, segundo me foi contado,
que aveo a un monge bõo e ben ordinado
e que as oras desta Virgen dizia de mui bon grado,
e mayor sabor avia desto que d’outras sabores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

A ce propos, je vous dirai d’un miracle, selon qu’il me fut conté,
Qui arriva à un bon moine bien ordonné,
Qui disait les heures de la Vierge avec grande joie
Et prenait en cela un plaisir plus grand que tout autre plaisir.

Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs,
Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.

Este mui bon clerigo era e mui de grado liia
nas Vidas dos Santos Padres e ar mui ben escrivia;
may[s] u quer que el achava nome de Santa Maria
fazia-o mui fremoso escrito con tres colores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

C’était un bon prêtre qui, avec enthousiasme, lisait
Les vies des Saints Pères et qui écrivait aussi très bien ;
Et, à chaque fois, qu’il arrivait au nom de Sainte Marie,
Il l’écrivait de très belle manière et de trois couleurs.

Celle qui, pour sa beauté…

A primeyra era ouro, coor rica e fremosa
a semellante da Virgen nobre e mui preçiosa;
e a outra d’azur era, coor mui maravillosa
que ao çeo semella quand’ é con sas [e]splandores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

La première était d’or, couleur riche et belle
Semblable à la Vierge noble et très précieuse ;
L’autre était d’azur, couleur très merveilleuse
Qui ressemble au ciel quand il se montre dans toute sa splendeur.

Celle qui, pour sa beauté…

A terçeyra chamam rosa, porque é coor vermella;
onde cada a destas coores mui ben semella
aa Virgen que é rica, mui santa, e que parella
nunca ouv’ en fremosura, ar é mellor das mellores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

La troisième, est appelée  rose, car c’est une couleur vermeille ;
Et chacune de ces couleurs ressemble donc en tout point
à la Vierge qui est splendide et très sainte, et qui jamais
n’eut d’égale en beauté, et demeure la meilleure entre toutes.

Celle qui, pour sa beauté…

Ond’ aqueste nome santo o monge tragia sigo
da Virgen Santa Maria, de que era muit’ amigo,
beyjando-o ameude por vençer o emigo
diabo que sempre punna de nos meter en errores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Ainsi, ce moine portait toujours avec lui ce nom saint
de la vierge Sainte Marie, à laquelle il était fermement dévoué,
L’embrassant souvent pour vaincre le diable ennemi
Qui s’acharne toujours pour nous faire tomber dans l’erreur.

Celle qui, pour sa beauté…

Onde foi a vegada que jazia mui doente
da grand’ enfermidade, de que era en possente;
e pero assi jazia, viinna-lle sempre a mente
de seer da Virgen santa un dos seus mais loadores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Mais vint un temps  où  il tomba gravement souffrant
D’une grande maladie, qu’il avait contracté.
Et bien qu’il gisait ainsi, il lui venait toujours à l’esprit
De rester un des plus grands faiseurs de louanges de la vierge Sainte.

Celle qui, pour sa beauté…

O abade e os monges todos veer-o veron,
e poi-lo viron maltreito, un frade con el poseron
que lle tevesse companna; e pois ali esteveron
un pouco, foron-se logo. Mais a Sennor das sennores

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

L’abbé et les moines vinrent tous le voir,
Et en le voyant en si piteux état, ils assignèrent un frère
Pour lui tenir compagnie; puis ils restèrent
un moment, avant de s’en aller. Cependant, la reine des reines

Celle qui, pour sa beauté…

Apareçeu ao frade que o guardav’, en dormindo,
e viu que ao leyto se chegava passo yndo,
e dizia-lle: «Non temas, ca te farey ir sobindo
mig’ ora a parayso, u veerás os mayores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Apparut en rêve au frère qui gardait le moine,
Et il vit qu’elle s’approchait du lit,
Et disait au moine alité : « n’aies crainte, car je te ferai monter
Avec moi au paradis où tu verras tous ceux qui s’y trouvent déjà (les anciens).

Celle qui, pour sa beauté…

Ca por quanto tu pintavas meu nome de tres pinturas,
levar-t-ey suso ao çéo, u verás as aposturas,
e eno Livro da Vida escrit’ ontr’ as escrituras
serás ontr’ os que non morren, nen an coitas nen doores».

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Puisque, en effet, tu as peint mon nom de trois couleurs,
Je t’emmènerai au ciel et tu verras ce qui est droit et juste
Et dans le livre de la vie, tu seras inscrit entre les écritures
entre ceux qui ne meurent pas, et qui n’ont ni peine ni douleur.

Celle qui, pour sa beauté…

Enton levou del a alma sigo a Santa Reynna.
E o frade espertou logo e foy ao leyt’ agynna;
e pois que o achou morto, fez sõar a campaynna
segund’ estableçud’ era polos seus santos doctores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Puis, la sainte reine prit l’âme du moine avec elle,
Et le frère s’éveilla et s’approcha de son chevet,
Et comme il le trouva mort, il fit sonner la cloche
Ainsi qu’il a été établi par les Saints Docteurs de l’Eglise.

Celle qui, pour sa beauté…

Mantenente o abade chegou y cono convento,
que eram y de companna ben oyteenta ou çento;
e aquel monge lles disse: «Sennores, por cousimento
o que vi vos direy todo, se m’ en fordes oydores».

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

L’abbé s’en vint rapidement avec ses moines,
Qui était une communauté de près de 80 ou 100
Et le frère  leur dit : « Messieurs, pour en avoir été témoin ( pour  le connaître )
Je vous dirais tout ce que j’ai vu, si vous voulez bien m’entendre ».

Celle qui, pour sa beauté…

Enton contou o que vira, segundo vos ey ja dito;
e o abade tan toste o fez meter en escrito
pera destruyr as obras do emigo maldito,
que nos quer levar a logo u sempr’ ajamos pavores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Puis, il leur dit tout ce qu’il avait vu et que je vous ai déjà conté;
Et l’abbé, sans attendre, le fit consigner par écrit
Pour détruire les œuvres de l’ennemi maudit (le diable)
Qui toujours veut nous entraîner en des lieux où nous vivons dans la peur.

Celle qui, pour sa beauté…

E pois souberon o feyto, loaron de voontade
a Virgen Santa Maria, a Sennor de piedade;
e se en alga cousa ll’ erraran per neçidade,
punnaron de se guardaren que non fossen peccadores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Et après avoir entendu le miracle, ils louèrent avec joie
La Vierge Saint Marie, dame de Piété ;
Et si, en quelques occasions, ils avaient pu errer par négligence,
Ils s’efforcèrent après cela, de se garder de commettre des pêchés.

Celle qui, pour sa beauté…


Cliquez ici pour retrouver tous  nos autres articles et traductions des Cantigas de Santa Maria.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Cantiga de Amigo : aux temps médiévaux, la danse d’une jeune fille amoureuse à Vigo

martin_codax_mar_de_vigo_poesie_chanson_medievale_troubadour_moyen-age_central_XIIIe_siècleSujet :  amour courtois, musique, poésie médiévale,  chanson médiévale,   Cantigas de amigo, galaïco-portugais, troubadour, lyrique courtoise.
Période :  XIIIe siècle, Moyen Âge central
Auteur :  Martín (ou Martim) Codax
Titre :  Eno sagrado en Vigo, Cantiga   VI
Interprètes :    The Dufay Collective
Album  :  Music for Alfonso the Wise  (2005)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons  sur les  Cantigas de Amigo de l’Espagne et du Portugal du Moyen Âge central.  Nous le faisons même avec un des plus célèbres  compositeurs de ce genre  galaïco-portugais du XIIIe, le jongleur (jogral) et troubadour Martín Codax.

Les Cantigas de Amigo conjuguent l’amour courtois au féminin, en donnant la parole à des jeunes filles  :   espoir, attente de l’être aimé (« l’ami »), joie ou tristesse, les compositeurs de ces chansons médiévales se glissent dans le cœur  des damoiselles pour  nous chanter avec grâce, les émois et les revers du sentiment amoureux.  Au delà de leur contenu, ces poésies se signent par  leur simplicité, leur pureté de style et la présence d’un refrain qui vient créer  une    résonance  sur  l’émotion au centre  de    chaque composition.

Une  belle sur le parvis de l’église de Vigo

eglise-cathedrale-collegial-vigo-chanson-medieval-martin-codax-moyen-ageCette  Cantiga de amigo de Martín Codax est connue sous le titre  Eno sagrado en Vigo (sur la base de son premier vers) : en français, on peut le traduire par  sur le parvis de Vigo. On peut supposer, sans trop de risques, qu’il s’agit là d’une allusion au parvis de  l’actuelle collégiale de Santa Maria de Vigo, en Galice. Datée du XIXe siècle, cette dernière a été reconstruite en lieu et place d’un autre édifice religieux qui, lui même, était venu faire suite, au  XVe siècle, à une église Santa Maria qui se tenait, là, depuis le Moyen Âge central et le XIIe siècle.

Du point de vue du sens de cette composition,  la jeune fille y danse  en chantant  et on l’imagine tournant et souriant, emportée par la joie de l’amour qu’elle porte  en elle.  Pour faire bonne mesure, nous vous en proposerons une traduction  sur laquelle on pourra  d’ailleurs argumenter. La simplicité des vers prête, en effet, à interprétation suivant  les auteurs qui s’y sont penchés et notamment ce refrain :   » Amor ei… » . Faut-il simplement traduire  :  « Oh  Amour » ou « J’ai de l’amour« , autrement dit « Je suis amoureuse » ou  même encore « Je suis  aimé » ?    Nous avons penché, de notre côté, pour « Je suis amoureuse ».

Sources et interprétations

Cette cantiga de amigo, que l’on retrouve dans le Parchemin Vindel, actuellement conservé à la  Morgan Library  de New York, a été reprise par une certain nombre de formations médiévales contemporaines. On pense  notamment  à celle d’Eduardo Paniagua ou encore, plus près de nous,  au groupe   allemand  Triskilian.   Pour vous la faire découvrir, nous avons, pour cette fois, choisi la version des anglais de     The Dufay Collective.

Eno sagrado en Vigo de Martin Codax par The Dufay Collective

Quand  le Dufay Collective chantait
l’Espagne médiévale  d’Alphonse le Sage

En  2005, les artistes du Dufay Collective    décidèrent de consacrer  leur talent aux musiques contemporaines de la cour d’Alphonse X de Castille. Intitulé « Music for Alfonso the Wise » (musique pour Alphonse le Sage), l’album sortit chez Harmonia  Mundi. Il proposait pas moins de 19 pièces pour plus d’un heure d’écoute entre lesquelles de nombreuses Cantigas de Santa Maria (dix compositions) du roi savant d’Espagne. Dans la deuxième partie de l’album, on retrouvait aussi  huit  cantigas de Amigo, signée de la main de  Martín Codax. Enfin, une danse anonyme de la même période venait compléter le tableau de cette production.

musique-medievale-cantigas-de-amigo-martin-codax-album-Dufay-collectiveI-moyen-age-centralAu moment de cet article, l’album n’est pas disponible à la vente en ligne ( en tout cas sur Amazon). Il n’est même pas sûr qu’il ait été réédité.  Nous en avons trouvé un copie d’occasion à la vente, mais le vendeur  en attendait un prix tellement indécent que nous avons préféré ne pas vous en donner le lien ici. En contrepartie, nous mettons  le lien par défaut vers ce produit, en espérant que tôt ou tard,  de nouveaux CD’s fassent leur apparition :    Music for Alfonso the Wise by The Dufay Collective (2005-04-20).


Eno sagrado en Vigo, de Martin Codax
traduite en français moderne

Eno sagrado en Vigo,
Beylava corpo velido
En Vigo, no sagrado,
Beylava corpo delgado
Amor ei…

Sur le parvis, à Vigo.
Dansait une belle (un joli corps)
Sur le parvis, à Vigo.
Dansait une  jolie fille (un corps fin) :
Je suis amoureuse …

Beylava corpo delgado
Que nunc’ ouver’ amado
Beylava corpo velido
Que nunc’ ouver’ amigo
Amor ei…

Dansait une  jolie fille
Qui n’avait jamais eu d’être aimé
Dansait une   belle
Qui n’avait jamais eu d’ami
Je suis amoureuse …

Que nunc’ ouver’ amigo
Ergas no sagrad’, en Vigo
Que nunc’ ouver’ amado
Ergas en Vigo, no sagrado
Amor ei…

Qui n’avait jamais eu d’ami
Sauf à Vigo, sur le parvis,
Qui n’avait  jamais eu d’aimé
Sauf à Vigo, sur le parvis, 
Je suis amoureuse …


En vous souhaitant une très belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Le miracle de la Cantiga Santa Maria 188 : l’image de la vierge dans le cœur d’une dévote

Sujet :  musique  médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge central
 Auteur  :   Alphonse X de Castille, (1221-1284)
Interprète :  Edouardo Panigua
Titre :  Cantiga  Santa Maria 188,   « Coraçôn d’hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar « 
Album :    Cantigas de Mujeres   (2011)

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion-copiaour aujourd’hui, voici l’étude d’une nouvelle Cantiga de Santa Maria tirée du legs du roi d’Espagne Alphonse X de Castille.  Il s’agit, cette fois, de la Cantiga 188. C’est un nouveau récit de miracle à ajouter au compte de ceux que nous avons déjà commenté et étudier ( voir index des Cantigas de Santa Maria traduites et commentées).

Cette fois-ci, il est question de la très grande dévotion d’une jeune fille. Comme on le verra, le miracle accompli ne se situera pas forcément  là où on l’attendait. D’une certaine façon, cette Cantiga remettra même les pendules à l’heure des mentalités très chrétiennes du Moyen Âge occidental, pour le cas où on les aurait perdu de vue.

Une image de    la vierge
dans le cœur d’une  damoiselle pieuse

Le poète nous conte, en effet, l’histoire d’une demoiselle a l’amour si grand  pour la sainte vierge qu’elle n’avait fini par concevoir plus qu’un grand détachement, voire même du mépris, pour ce monde de matière.  Emportée par ses jeûnes et sa volonté d’abstinence, la jeune fille finit  même par refuser  toute nourriture et toute boisson  durant un mois entier. Alitée et affaiblie, quand on prononçait le nom de la Sainte devant elle,  elle n’avait pour seul geste que de porter la main à son cœur.   Finalement dans sa grande bonté et sans plus attendre, Dieu manda la vierge pour emporter la jeune fille au Paradis.

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Ici, la dévotion se conclut donc par la mort et le miracle ne consistera pas à ramener la pieuse damoiselle à la vie.  C’est là où nous sommes bien au cœur du Moyen Âge chrétien :  la mort n’est pas un drame. Ce n’est qu’un passage et même l’âge n’importe pas.  Ce qui compte c’est le Salut. Dans l’esprit de cette cantiga, c’est donc une fin heureuse que trouve la jeune fille. Au fond, elle l’a même presque appelée de ses vœux et elle accède ainsi au Paradis et au bonheur éternel, comme récompense suprême de sa foi, de son abstinence et de son détachement de ce monde.

Le miracle suivra. Face à la mort prématurée de la jeune fille et convaincus qu’elle faisait le geste de montrer son cœur pour designer le siège de son mal, les parents manderont une autopsie.  Se pouvait-il qu’on l’ait empoisonnée ? Nenni. Durant l’opération post mortem, ils découvriront,  stupéfaits, la présence de l’image de la vierge, à l’intérieur du cœur de la défunte :  « même  pour ceux, hommes ou femmes, qui veulent taire leur grand foi dans la sainte,  cette dernière s’arrange toujours pour que cela soit  établi et reconnu« .

Suite à l’histoire et, comme dans chaque miracle, les témoins, en l’occurrence les parents et leur entourage verront leur foi et leur dévotion renforcées.

La Cantiga de Santa Maria  188 par Eduardo Paniagua

« Cantigas de Mujeres »   de Eduardo Paniagua

Nous vous avons déjà parlé, à plusieurs reprises, de Eduardo Paniagua. Grand musicien espagnol, passionné de musiques médiévales profanes ou sacrées, on lui doit de nombreux albums sur ce thème.  Concernant les Cantigas de Santa Maria en particulier, chanson-medievale-cantiga-santa-maria-188-album-eduardo-paniagua-moyen-ageson legs est immense puisqu’au fil du temps , il a fini par toutes les enregistrer dans de nombreux albums classés par thématique. Dans ce vaste travail on retrouve même, quelquefois, plusieurs versions  de la même Cantiga. C’est le cas  de cette Cantiga 188.

Dans un double album daté de 1998, intitulé Cantigas de SevillaEduardo Paniagua   en  avait déjà proposé une version instrumentale. En 2011, avec l’album   Cantigas de Mujeres, il en proposait, cette fois, un version vocale et instrumentale qui est celle que nous vous proposons aujourd’hui. En plus cette pièce, l’album en présente 8 autres issues du legs d’Alphonse le savant. Comme son titre l’indique, cette sélection  se base  sur le thème des femmes dans les Cantigas de Santa Maria, même s’il faut noter que ces dernières présentent un nombre de récits bien plus grand qui mettent en scène de femmes.

Cet album est toujours disponible et on peut encore en trouver quelques copies à la vente en ligne   : Cantigas de Mujeres, Album de Edouardo Paniagua.


La Cantiga  de Santa Maria  188
du   galaïco-portugais au français moderne

Esta é dũa donzéla que amava a Santa María de todo séu coraçôn; e quando morreu, feze-a séu padre abrir porque põía a mão no coraçôn, e acharon-lle fegurada a omage de Santa María.

Celle-ci (cette cantiga) est à propos d’une jeune fille qui aimait Sainte Marie de tout son cœur ; Et quand elle mourut, ses parents la firent ouvrir parce qu’ils pensaient qu’on l’avait empoisonnée, et ils trouvèrent dans son cœur   une image  de la vierge.

Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar,
macá-lo encobrir queiran, ela o faz pois mostrar.

Cœur  d’hommes ou de femmes qui aiment beaucoup la Vierge,
Même quand ils veulent le cacher (couvrir), cette dernière fait le nécessaire pour que cela soit montré.

Desto ela un miragre mostrou, que vos éu direi,
a que fix bon son e cobras, porque me dele paguei;
e des que o ben houvérdes oído, de cérto sei
que haveredes na Virgen porên mui mais a fïar.

Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…

A propos de cela, elle fit un miracle que je vous conterai
Et duquel je fis un bon son et de bonnes strophes, pour que vous puissiez   m’en payer (?)
Et dès que vous l’aurez entendu, je suis bien certain
Que vous aurez encore plus confiance dans le pouvoir de la vierge.

Refrain

Esto por ũa donzéla mostrou a Sennor de prez,
que mui de coraçôn sempre a amou des meninnez
e servía de bon grado; porên tal amor lle fez,
que o ben que lle quería non llo quis per ren negar.

Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…

Le dame de grande valeur montra ceci par une jeune fille (donzelle) 
Qui de tout son cœur, l’avait aimée depuis toujours et depuis l’enfance
Et qui la servait de bonne volonté ; pour cela, elle lui tenait un tel amour
Que le bien qu’elle lui voulait, elle n’aurait pu le nier en rien.
Refrain

Esta donzéla tan muito Santa María amou,
que, macar no mund’ estava, por ela o despreçou
tanto, que per astẽença que fazía enfermou,
e un mes enteiro jouve que non pode ren gostar

Cette donzelle aimait si fort Sainte Marie
Que, bien qu’elle était dans le monde, pour la Sainte elle le méprisait
tant, que par les jeûnes (abstinences) qu’elle fit, elle tomba malade
Et elle demeura ainsi, durant un mois entier, sans pouvoir rien apprécier

do que a comer lle davan e a bever outrossí.
E pero que non falava, segundo com’ aprendí,
se lle de Santa María falavan, en com’ oí,
ao coraçôn a mão ía tan tóste levar.

Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…

De ce qu’on lui donnait à manger et à boire.
Et bien qu’elle ne parlait pas, suivant ce que j’ai appris,
Si on lui parlait de Sainte Marie, comme je l’entendis dire,
Elle posait aussitôt sa main sur son cœur.
Refrain

A madre, que ben cuidava que éra doente mal
e que o põer da mão éra ben come sinal
que daquel logar morría; e quis Déus, non houv’ i al,
que a sa Madre bẽeita a fosse sigo levar.

Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…

La mère, était bien convaincue qu’elle était gravement malade
Et qu’elle mettait sa main ainsi pour signaler
Un mal à cet endroit dont elle allait mourir ; Et Dieu voulut, sans plus attendre,
Que sa mère bénie s’en fut pour emporter la jeune fille.
Refrain

O padr’ e a madre dela, quando a viron fĩir,
cuidaron que poçôn fora e fezérona abrir;
e eno coraçôn dentro ll’ acharon i sen mentir
omagen da Grorïosa, qual x’ ela foi fegurar.

Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…

Son père et la mère, quand ils la virent mourir,
Crurent qu’elle avait été empoisonnée et la firent ouvrir;
Et, sans mentir, ils trouvèrent à l’intérieur de son cœur,
L’image de la glorieuse, comme la jeune fille se l’était imaginée (figurée).
Refrain

E dest’ a Santa María déron porên gran loor
eles e toda-las gentes que éran en derredor,
dizendo: “Bẽeita sejas, Madre de Nóstro Sennor,
que a ta gran lealdade non há nen haverá par.”

Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…

Et à partir de cet instant, ils firent de grandes louanges à Sainte Marie
Eux et tous les gens qui les entouraient
En disant : « Bénie sois-tu, Mère de notre Seigneur,
Toi dont la grande loyauté n’a et n’aura jamais d’égale. »
Refrain.


En vous souhaitant une belle    journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes  ses formes.

Chanson médiévale : « Amigo, queredes vos ir ? » une cantiga du Roi Denis du Portugal

roi_troubadour_poete_denis_1er_portugal_poesie_chansons_medievales_moyen-age_centralSujet    :  troubadour, lyrique courtoise, galaïco-portugais, poésie, chansons médiévales, cantigas de amor, galicien-portugais, musique médiévale
Période  : Moyen Âge central, XIIIe, début XIVe
Titre :  Amigo, queredes vos ir ?
Auteur    : Denis 1er du portugal  (1261-1325)
Interprète    : Paulina Ceremuzynska
Album : Cantigas de amor y de amigo, 2004

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu Moyen Âge central,  de nombreux  seigneurs et même rois se sont adonnés à l’art  des  troubadours et à l’exercice de la poésie courtoise.  On en trouve de célèbres dans le sud, comme dans le nord de la France, mais de nombreux autres pays d’Europe ne sont pas en reste.  C’est notamment le cas de la péninsule ibérique.

En Espagne, on connaîtra des lignées de grands rois et seigneurs, grand amoureux de littérature et  férus de  rimes,  dont Alphonse X de Castille n’est pas le moindre, bien sûr. Quant au  Portugal des XIIIe et XIVe siècles,  il léguera aussi de beaux auteurs et troubadours à la postérité, dont l’un des plus célèbres  n’est autre qu’un monarque du Portugal lui-même : Dom Dinis,  connu encore  sous le nom de Denis 1er du portugal, grand roi laboureur, fin politique,  homme de lettres et poète  à ses heures qui laissera de très belles pièces courtoises. C’est donc une d’entre elles que  nous vous présentons aujourd’hui, et sa belle interprétation par la talentueuse  Paulina Ceremuzynska.   Cette chanson d’amour médiévale a pour titre   « Amigo, queredes vos ir ? » : Ami, (ainsi) vous voulez partir ? »

Une cantiga de amor

Cantiga de amor plus que cantiga de amigo,   en fait de belle esseulée chantant l’absence de son  amant,  le Roi Denis nous propose plutôt ici un dialogue  entre un amant courtois et sa dame. Sur le thème de la séparation et du déchirement, on  peut lire entre ses rimes   ce qui pourrait être  une situation digne de   celle de Tristan et Yseult :   amour interdit ou illégitime  qui semble même  peut être déjà consommé ?  La cantiga-amor-roi-denis-musique-chanson-medievale-chansonnier-vaticanliaison qui sous-tend cette pièce poétique est, en tout cas, réciproque et bien engagée mais elle doit se terminer à l’initiative de l’amant.

On peut trouver notamment cette pièce dans le Cancioneiro da Vaticana. Cet impressionnant manuscrit du XVIe siècle  est  la copie d’un original daté du XIIIe-XIVe siècle. Il contient plus de 1200 cantigas, pour près d’une centaine d’auteurs. Voir également cet article.

Bien qu’à la torture, ce dernier prend en effet sur lui de   se « départir » de la dame.  Dut-il en mourir, il lui faut  s’en aller pour la sauver, elle ou sa réputation.  L’amour impossible, illicite,   trouve ici   ses limites et découvre toute l’étendue de son drame.

Du point de vue du style, le choix des mots reste celui de la simplicité comme c’est presque toujours le cas dans le genre des cantigas de amigo ou de amor espagnoles et portugaises. En fait de refrain formel, c’est le thème de la mort qui vient ici  scander cette poésie,  en faisant planer sa menace sur les deux amants meurtris d’avance à l’idée de la séparation.

 Amigo, queredes vos ir  par   Paulina Ceremuzynska

Cantigas de amor y de amigo
l’album de   Paulina Ceremuzynska

En 2004,       Paulina Ceremuzynska   sortait un superbe album   sur le thème  des    Cantigas de amor y de amigo du Moyen Âge central qu’elle affectionne particulièrement.  On se souvient, en effet,  que  cette  talentueuse chanteuse soprano et musicologue portugaise s’est installée à Santiago de Compostelle  où elle a eu l’occasion d’étudier de près la musique ancienne et les manuscrits du Portugal et de l’Espagne médiévale.
chanson-medievale-cantiga-amigo-roi-denis-album-Paulina-Ceremuzynska-moyen-ageCet album présente treize pièces superbement interprétées : neuf cantigas sont issues du répertoire de Don Denis du Portugal.  Quatre autres proviennent de celui du célèbre troubadour Martin  Codax.

A ce jour,  cette production  ne semble pas avoir été rééditée. Les seuls exemplaires qui se trouvaient disponibles à l’import  sur Amazon, sont, à date de cet article, écoulés : voir cantigas de Amor e Amigo.    On pourra peut-être la retrouver sur quelques plateformes dématérialisées légales mais il faut espérer qu’il sera également disponible à nouveau au format CD : la voix et les performances de Paulina Ceremuzynska ont toujours quelque chose de très spéciale et de très pur et,  à l’image de son travail, cet album est un véritable réussite.


« Amigo, queredes vos ir ? »    du roi Denis
traduit en français moderne

Amigo, queredes vos ir?
Si, mia senhor, ca nom poss’al
fazer, ca seria meu mal
e vosso; por end’a partir
mi convem d’aqueste logar;
mais que gram coita d’endurar
me será, pois m’é sem vós vir!

– Mon ami,   vous voulez partir ?
– Oui, ma dame, puisque je ne peux
faire autrement, car rester serait mon malheur
et le vôtre : c’est pourquoi il convient,
pour finir,   
que je quitte cet endroit.

Mais quel grand malheur vais-je devoir endurer
Puisque je ne vous verrai plus !

Amigu’, e de mim que será?
Bem, senhor bõa e de prez;
e pois m’eu fôr daquesta vez,
o vosso mui bem se passará;
mais morte m’é de m’alongar
de vós e ir-m’alhur morar.
Mais pois é vós ũa vez ja!

– Mon ami, et de moi qu’adviendra-t-il ?
– Et bien, belle dame de grande valeur
Quand je serais parti, cette fois
Votre bonheur disparaîtra,
Mais m’éloigner de vous me tuera,
Et pourtant il me faut m’éloigner
Même si c’est pour vous que je le fais!

Amigu’, eu sem vós morrerei.
– Nom querrá Deus esso, senhor;
mais pois u vós fôrdes, nom fôr
o que morrerá, eu serei;
mais quer’eu ant’o meu passar
ca assi do voss’aventurar,
ca eu sem vós de morrer hei!

Queredes-m’, amigo, matar?
Nom, mia senhor, mais por guardar
vós, mato-mi que m’o busquei.

– Mon ami, moi sans vous, je mourrai
– Je ne veux pas cela, madame,
Mais puisque là où vous irez, je ne pourrais aller,
Celui qui mourra, ce sera moi
Mais je veux mourir avant
De vous causer des mésaventures 
Car sans vous je mourrais.

– Ami, vous voulez-me tuer ?
–    Non ma dame, mais pour vous protéger
C’est moi que je cherche à tuer (c’est moi que je veux tuer puisque je l’ai mérité).

Note :   cette traduction mériterait quelques vérifications aussi  disons que c’est une premier jet.


En vous souhaitant une belle journée.

Fréderic EFFE
Pour moyenagepassion.com
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