Sujet : poésie médiévale satirique, épitaphe, humour médiéval, humour noir, mots d’esprit. Période : fin du moyen-âge, début renaissance Auteur : Clément Marot (1496-1544) Titre : « De Frère Jehan L’evesque Cordelier Natif D’Orléans », épitaphe (1520)
Bonjour à tous,
ous vous invitons à découvrir, aujourd’hui, un peu de l’esprit caustique et satirique de Clément Marot en partageant une de ses épitaphes pleine d’humour, qui se comprend très bien sans traduction.
« Cy gist, repose et dors léans Le feu Evesque d’Orléans, J’entends l’Evesque en son surnom, Et frère Jehan en propre nom, Qui mourut, l’an cinq cens et vingt, De la verolle qui luy vint. Or affin que sainctes et anges Ne prennent ses boutons estranges. Prions Dieu qu’au frère Frappart Il donne quelque chambre à part. »
Clément Marot (1496-1544),
poète, auteur de la toute fin du moyen-âge, début de la renaissance.
Une excellent journée à tous!
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Henri VIII: « – Je peux vous parler en tête à tête? » Anne Boleyn : « – Oui, mon roi, un instant, je change de toilette et je suis tout à vous. » Henri VIII : « – Non mais vous embêtez pas avec ça, j’ai vraiment besoin juste que d’votre tête en fait. »
Bonjour à tous,
ujourd’hui, au menu, nous vous proposons un peu d’humour noir, en forme de clin d’oeil à l’article que nous avons publié récemment sur la chanson Greensleeves. Conformément à une croyance assez répandue, nous y examinions, en effet, la possibilité que le roi Henri VIII d’Angleterre de la dynastie Tudor ait pu en être l’auteur, et nous y touchions aussi un mot de la vie sentimentale mouvementée de ce roi. Nous sommes à la toute fin du moyen-âge ou au début de la renaissance, et sous son règne assez long qui dura 38 ans, le souverain connut, en effet, six reines, dont deux qu’il fit décapiter: la première Anne Boleyn (celle de l’illustration en tête d’article) est même devenue une figure de martyre pour les protestants. La seconde, Catherine Howard, fut exécuter également par décapitation, moins de deux ans après qu’elle eut été faite reine. (portrait ci-contre)
Pour cette dernière, tout aurait, en réalité, commencé bêtement par une altercation de couple, bénigne en apparence. La jeune reine serait, en effet, rentrée un soir, fourbue d’une journée passée à chevaucher son destrier, son secrétaire personnel ou un courtisan. L’Histoire hésite. Devant sa mine déconfite, le roi lui aurait alors dit: « Ca va chérie? T’en fais une tête! » et tout serait parti de là.
Oui oh! Je sais! De grâce, ne niez pas, je sens bien poindre les airs goguenards sous les barbes et les moustaches. On va encore me dire que les choses se sont passées autrement et que c’est l’intrigue et l’adultère de Catherine Howard qui l’ont conduite à sa perte, et surement pas un simple querelle de couple « bébête » et somme toute bien banale, au sortir d’une journée tendue. Et bien, vous avez gagné, vous l’aurez voulu! Nous allons, une fois de plus, vous démontrer l’implacable véracité de nos dires en appelant à la rescousse notre correspondant sur le terrain, le grand, l’immense démystificateur de vérités historiques, j’ai nommé Gonthier Bernoix de la Tanche, pour qu’il établisse, par le menu, la fiabilité de nos sources! Et puisque l’on nous raille et puisque l’on nous moque, nous nous effacerons même, en ne faisant que le citer pour laisser la vérité triompher et cingler de toute sa cinglantise. (je ne sais plus si l’on dit cinglantise ou cinglerie? Mais comme je suis un peu énervé, bon bref!)
De notre correspondant de terrain : Gonthier Bernoix De la Tanche
« Mon cher Frédéric,
Merci de votre confiance sans cesse renouvelée et merci aussi pour vous tenir du côté de la vérité, la seule, en nous laissant une fois de plus la parole. Vous avez beau être seulement notre cousin par alliance du côté de l’arrière tante de notre oncle Euzèbe, qui n’est pas, hélas pour elle, une Bernoix De la Tanche, votre sagacité pourrait presque faire de vous, parfois, l’un des nôtres.
Pour le cas qui nous concerne aujourd’hui, soyons clairs. Autant certaines fois nous ne sommes pas totalement sûrs de nos sources, autant là, c’est, comme disent les grouillots, du béton armé. Pas la moindre place au doute! Cette révélation sur l’échange entre le roi Henri VIII nous provient, en effet, d’une source totalement irréfutable puisqu’il s’agit de Marinette C., vendeuse de poissons attitrée sur le Marché du boulevard Raspail, dans le sixième arrondissement. Depuis que nous la connaissions, la chère dame, dont la probité n’est plus à établir – ce que la grande majorité de sa clientèle (dont nous sommes) pourra vous confirmer – la chère dame, disais-je, ne cessait, à tout propos, de s’en référer à sa longue lignée familiale et poissonnière, à grands renforts de citations qu’elle parsemait invariablement de « comme disait mon grand-père » par ci, « comme disait mon pauvre aïeul », par là.
C’est ainsi que nous en sommes venus bientôt à fonder la certitude que quelques précieuses vérités historiques se trouvaient assurément nichées là, prêtes à surgir, pour peu que nous nous donnions la peine de gratter un peu sous les écailles. Il suffisait de remonter patiemment, tel le fringant saumon, le cours de cette mémoire familiale jusqu’à ses sources les plus reculées. Depuis des mois, nous cuisinions donc Marinette, à petit feu, tout en feignant de n’être qu’à nos emplettes et c’est ce dernier vendredi, sur le coup des midis, que tout advint. Après avoir levé nos deux filets de dorade et la main déjà plongée dans le panier de crevettes que nous nous proposions de servir en accompagnement, elle accoucha, enfin, devant nos yeux émus de l’incroyable vérité que sa famille avait su conserver durant plus de cinq siècles. Encore une fois, notre intuition ne nous avait pas trompé; la grande Histoire nous souriait. De l’aveu même de Madame Marinette, un de ses aïeuls, un certain Arnould C., surnommé mystérieusement la truite, avait, en effet, été écailler au château du roi Henri VIII quand l’incident était survenu en ce terrible mois de février 1542. Et ce n’est pas sans émotion que nous reportons ici les dires de cette témoin privilégiée de l’Histoire, sans en changer une virgule. Elle s’était, jusque là, tenue silencieuse, dans l’attente de rencontrer un chercheur véritable, digne de recueillir la vérité et elle venait de le trouver:
-« Comment vous dites, M’sieur Gonfier? Henri VIII? Bin vous pensez! Dans la famille, on a encore gardé l’arête de sole avec laquelle il a failli s’étouffer un jour, le pauvre bougre. Enfin j’dis l’pauvre bougre mais c’était pas lui le plus à plaindre. Ce jour là, mon pauvre aïeul a bien failli y laisser sa tête avec celle de la sole parce qu’attention c’était pas un mou du genou le Henri! Mais bon, l’aïeul, c’était un vif aussi. On l’surnommait pas la truite pour rien. Du coup, il a filé fissa en cuisine et il a pu sauver ses fesses. Bon par contre, après ça, toute sa vie, à chaque fois qu’il devait lever une sole, il avait les guitares qui jouaient des claquettes. C’est c’même soir d’ailleurs, après le deuxième service, en passant dans les couloirs et j’peux vous dire qu’i rasait les murs, qu’il a entendu le roi qui f’sait comme ça à la p’tite, J’dis la p’tite même si c’était la reine parce qu’i z’avaient quand même trente piges de différence. C’est pas rien. Bon bref, il lui a fait : « Ca va, chérie, t’en fais un tête? ». Et comme l’autre était pas du genre à s’laisser marcher sur les nageoires, elle lui a balancé direct dans la face « Cupez-vous donc plutôt d’votre arrière-train, mon bon roi. C’est pas tellement le jour d’me brouter » Et de là, p’tit à p’tit, le ton serait monté et bon bin on connait la suite: comme à la NBA. Faute. Lancer franc, premier essai! Couick! La tête dans l’panier. Bonsoir M’sieurs dames… Henri VIII: 3 – Catherine Howard: 0. Pas de date prévue pour le match retour. »
– Par contre une chose, vous savez, m’sieur Gonfier, nous on s’plaint des fois qu’on n’a pas la vie facile, mais du temps d’mon aieul Arnould, les couteaux à écailler c’était autre chose que maintenant. Croyez-moi quand i fallait s’farcir des bourriches d’huîtres au réveillon, ça brillait pas trop en cuisine. C’est plutôt de ça qui faudrait parler dans vos bouquins ou ch’ais pas quoi, ça oui ça intéresserait surement plus les gens que vos machins, Enfin, j’dis ça… Mais i veut vraiment pas une belle tête de lotte là? J’ui fait à 1 euro, tiens! Dans une soupe, ça, mon p’tit m’sieur, vous m’en direz des nouvelles. »
Inutile de vous préciser, mon cher ami, que sous le coup de l’émotion, je ne l’écoutais déjà plus. Conscient d’avoir été témoin d’un fait historique remarquable, Arnoud C, dit la truite, avait fait en sorte que l’histoire se transmettre et il avait même conservé l’arête qui avait manqué de changer le destin de l’Angleterre et celui de Catherine Howard. Je ne demanderais pas à la voir, pas encore. C’était trop tôt. Un chercheur doit aussi savoir ne pas brusquer les choses. Je me sentais grisé, heureux. Une fois de plus, nous avions visé juste. Pourquoi fallait-il toujours que l’Histoire nous choisisse? Je saluais la dame poissonnière d’un simple merci, du bout des lèvres. Les mots ne voulaient pas sortir, il faudrait du temps. Je prenais la tête de lotte presque machinalement et, avant de la mettre dans mon panier, je croisais son regard accusateur. Cinq siècles d’histoire nous contemplaient, je repensais à l’anecdote. Il y a bien des choses que j’aurais pu manger ce soir là, mais surement pas de la tête de lotte. »
Gonthier Bernoix de la tanche « L’Histoire est toujours là ou on ne l’attend pas »
En guise de conclusion
Henri VIII et l’amour courtois?
Désormais, tout est clair. Comme nous vous l’avions annoncé, c’est édifiant. Quand Gonthier parle, il ne nous reste plus à nous, pauvres ignorants, que le silence comme refuge. Qu’ajouter de plus après cette démonstration implacable de méthodologie scientifique? Si, peut-être tout de même, qu’Henri VIII ne fit pas qu’empiler les conquêtes et décapiter des femmes. Qui sait, un jour, aurons-nous à aborder d’autres faits qu’il laissa à la postérité? Comme tout bon psychopathe, peut-être a-t’il aussi pendu des chats? Je plaisante encore, pardon.
Sur le fond, les spécialistes semblent toutefois s’accorder sur le fait que nous ne serions pas avec Henri VIII, en présence d’une forme d’amour courtois, sauf à se laisser aller à des digressions orthographiques hasardeuses: courtois, court, écourté. Les historiens n’étant pas tellement portés sur les jeux de mots, ils n’ont, en tout cas, semble-t’il par retenu ce genre d’exercice, en les laissant aux pychologues qui pourront toujours gloser. Qui sait, il se peut même que quelques lacaniens s’entêtent, ce serait de circonstance.
Pour le reste, comme nous le mentionnons déjà dans l’article précédent, on a émis l’hypothèse que le conte Barbe Bleue de Charles Perrault qu’on a pensé longtemps inspiré par le personnage de Gilles de Retz (sur lequel nous publierons bientôt un article), l’avait été, bien plus, en réalité par Henri VIII. Les crimes du personnage de Barbe bleue étant bien plus semblables à ceux d’Henri VIII, ou ceux d’un Landru qu’à un pédophile sataniste, ce dont on a accusé Gilles de Retz et qu’il a confessé, c’est une hypothèse qui se tient. Et si comme nous, vous vous posez la question, cette fameuse question, cette question terrible: « peut-on rire de tout? », à laquelle il me semble qu’on n’est bien forcé de répondre en forme de question aussi: « Sans doute pas, mais en même temps, peut-on rire de rien? »
Tout cela étant dit, nous vous souhaitons une belle journée!
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com « La maman des poissons elle est bien gentille, mais moi je la préfère avec du citron » Bobby la Pointe
Sujet : fabliau, poésie médiévale, conte populaire satirique, trouvère d’Arras Période : Moyen Âge central, XIIe siècle Auteur : Jean (ou Jehan) Bodel (1167-1210) Titre : de Brunain, la vache du prêtre Média : lecture audio en vieux français
Bonjour à tous,
ans la foulée de l’article précédent sur Jean Bodel, sa vie, son œuvre et le fabliau « De Brunain, la vache au prestre » nous vous proposons aujourd’hui et pour exactement le même prix, sa lecture audio. Elle est pas belle la vie?
Lecture audio : Brunain la vache au prestre,
dans la langue de Jean Bodel
Aparté prononciation, le [oi] en [wé]
C’est moé le roé! Il est généralement entendu que la diphtongue [oi] se prononçait « oué » ou [wé] pour le dire en phonétique correct, en français ancien.
Seulement voilà, il se trouve que nos dernières lectures sur le vieux français et sa prononciation, semble confirmer que le passage du {oi] au [wé] serait postérieur au XIIIe siècle. Avant cela, il est possible, même, si cela reste difficile, à affirmer que [oi] se prononçait de manière diphtongué comme dans « oyez, oyez bonne gens« , ce qui pourrait s’écrit « oye » ou « olle » (en liant les deux l en ye comme en espagnol). Ex : S’averoie dans la phrase « S’averoie planté de bêtes » pourrait alors se voir prononcer, quelque que chose comme: « S’averouaille » Comme il est difficile d’en avoér la certitude absolue et pour que le texte reste plus compréhensible je n’ajoute pas cette difficulté et me contente de de prononcer [oi] comme il s’écrit. A quelques reprises pour le respect de la rime, je le diphtongue toutefois légèrement en [owa]. comme justement dans ce même exemple de « S’averoie planté des bêtes », mais je ne vais pas jusqu’au « Aye » et je le coupe avant.
Notons tout de même que la difficulté de restitution de la prononciation du vieux français médiéval est immense parce que nous n’en avons que quelques traces et les témoignages d’auteurs souvent, eux-mêmes, de la renaissance. Les premiers enregistrements sonores ne datant que de la toute fin du XIXe, se situent déjà à plus de six siècles de notre sujet d’étude. Le reste fait appel à l’évolution de l’écrit et des diphtongues bien souvent en extrapolant des glissements progressifs du latin vers le vieux français, entérinés, par la suite, par des changement dans l’orthographe écrite. Dans d’autres cas, des graphies différentes pour un même vocable à époques identiques peuvent encore nous renseigner sur des prononciations plausibles. Si l’on ajoute à cela le fait qu’il y avait en plus d’un certain standard, sans doutes des myriades d’accents en fonction des régions, la difficulté se corse encore. Il faut donc faire des choix dans le champ des hypothèses.
Une belle journée à tous!
Fred
Pour moyenagepassion.com « L’ardente passion que nul frein ne retient poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient » Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C.
Sujet : fabliau, poésie médiévale, conte populaire satirique, cupidité, vieux français, trouvères d’Arras Période : moyen-âge central, XIIe,XIIIe siècles Auteur : Jean (ou Jehan) Bodel (1167-1210) Titre : de Brunain, la vache du prêtre
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons de partir pour la fin du XIIe siècle avec un fabliau champêtre qui nous conte l’histoire d’un prêtre cupide et d’un Vilain crédule. Nous le devons à Jean Bodel d’Arras, poète et auteur médiéval que l’on considère souvent comme l’un des premiers à avoir écrit des fabliaux en langue française, même si l’origine de ces petites historiettes humoristiques et caustiques date sans doute de bien avant.
Jehan Bodel : éléments de biographie
n ne connait pas précisément la date de naissance de ce jongleur trouvère qui vécut dans la province d’Arras de la fin du XIIe siècle au début du XIIIe. Sa mort est en revanche datée, puisqu’on le retrouve dans le registre de la confrérie des jongleurs d’Arras auxquels il appartenait.
Arras (Pas-de-Calais) est alors une ville en plein développement économique et commercial qui exporte ses produits, ses draps et ses tapisseries jusqu’en Orient. La classe bourgeoisie et marchande y est florissante et les trouvères d’Arras y donneront naissance à une forme de poésie bourgeoise dont Jean Bodel est un des premiers à ouvrir le bal.
Fait cocasse ou étrange suivant la foi que l’on veut y préter, au début de ce même siècle, une légende locale prête à deux trouvères fâchés entre eux d’avoir été réunis par une vision qui les aurait enjoint de se rendre à la cathédrale de la ville. Ils s’y tenaient des malades souffrant du mal des ardents, cette maladie qui surgissait après l’ingestion de seigle contaminé par l’Ergot et qui a frappé, à plusieurs reprises, des villes du moyen-âge. Après moultes hésitations et palabres, les deux jongleurs se seraient réconciliés et la vierge leur aurait alors remis une sainte chandelle avec laquelle ils purent guérir de leur mal tous ceux qui se trouvaient là. Hasard de l’Histoire ou bienveillance de la ville à l’égard des trouvères du fait de cette légende, au XIIe siècle et aux siècles suivants, la province arrageoise donnera naissance à de nombreux poètes et trouvères au nombre desquels on comptera notamment Adam de la Halle.
Jehan Bodel a laissé derrière lui neuf fabliaux, quelques pastourelles, ainsi que diverses pièces poétiques et dramatiques. Passant avec aisance du genre lyrique au drame, avec des incursions dans le genre comique et plus populaire, certains auteurs dont Charles Foulonqui lui a dédié une thèse d’état, en 1958, n’ont pas hésité à le qualifier de génie. Outre ses oeuvres poétiques, on lui doit encore une chanson de geste de plus de huit mille alexandrins qui conte la guerre de l’Empereur Charlemagne contre les saxons : « La Chanson des Saisnes« . ainsi qu’une pièce de théâtre dramatique et religieuse: le Jeu de saint Nicolas, un « miracle » inspiré d’un auteur et historiographe carolingien du IXe siècle, Jean Diacre Hymmonide (825-880) et traduite par le poète normand Wace (1100-1174).
Ce Jeu de Saint-Nicolas, sans doute l’écrit le plus étudié de Jean Bodel, conte la conversion de sarrasins au christianisme. Au moment de la rédaction de cette pièce, connue à ce jour comme une des premières pièces de théâtre écrites en français, le poète avait vraisemblablement déjà pris la croix pour la IVe croisade. Engageant ses contemporains à se joindre à l’expédition en terre sainte à travers, il y mit aussi en avant la subtilité d’une conversion au christianisme pour laquelle les armes ne seraient pas nécessai-rement d’un grand secours; le roi des sarrasins, bien que, vainqueur sur les chrétiens et les ayant décimé, finira, en effet, par se convertir tout de même. En dehors des aspects religieux de la pièce, Jean Bodel y brosse encore des tableaux sociaux et humoristiques de l’époque ayant pour théâtre les tavernes de l’arrageois.
A peine âge de quarante ans et ayant contracté la lèpre, Jehan Bodel fera ses adieux à ses amis et à la société dans ses « congés » avant de se retirer dans une léproserie dans le courant de l’année 1202. Il y mourra quelques huit ans plus tard.
La notion de « satire » dans les fabliaux
On a pu se poser, quelquefois, la question de savoir s’il fallait ranger les fabliaux, ceux de Jean Bodel compris, dans le genre satirique. C’est une question à laquelle certains auteurs répondent non, mais encore faut-il bien sûr s’entendre sur ce que l’on range sous le terme de satire ou genre satirique. Nous concernant, c’est toujours dans son sens large que nous l’utilisons et l’appréhendons: « Écrit dans lequel l’auteur fait ouvertement la critique d’une époque, d’une politique, d’une morale ou attaque certains personnages en s’en moquant. » ou « Œuvre en prose et en vers attaquant et tournant en ridicule les mœurs de l’époque. »
La notion de « virulence » ou de « violence » n’étant que très relative et sa mesure fortement liée à une époque, il ne semble pas qu’elle puisse véritablement retenue comme pertinente. D’une certaine manière et pour être très clair dans notre définition, la causticité suffit pour faire d’un texte un texte satirique, ce qui n’exclut pas, bien sûr, que la satire puisse avoir des degrés.
Il semble utile d’ajouter qu’une certaine forme d’anticléricalisme qu’on trouve souvent dans les fabliaux ne doit pas nous tromper. Durant le moyen-âge, même si l’on se gausse des prêtres ou des moines débauchés, cupides, goinfres ou même encore fornicateurs, on le fait toujours depuis l’intérieur de la religion. On retrouvera cela dans les fabliaux et dans certaines poésies de Rutebeuf ou même de Villon. Pour autant qu’ils peuvent être acides à l’égard de certains membres du corps religieux (leur soif de pouvoir, leur propension à vouloir s’enrichir, la distance qu’ils tiennent entre le contenu de leurs prêches et leurs pratiques réelles, etc…), ces critiques ne visent pas tant, la plupart du temps, à ébranler l’église comme institution, ni à remettre en cause son existence, mais bien plutôt à la nettoyer de ses mauvais « représentants ». Dans des siècles où le salut de l’âme est une question au centre des préoccupations, on se sent forcément concerné par la probité et la conduite de ceux qui, de la naissance à la mort, sont supposés être les garants de ce salut.
De Brunain, la vache au prestre,
dans le vieux français de Jean Bodel
Le fabliau du jour nous met face à l’image du prêtre cupide et accapareur qui ne pense qu’à s’enrichir, que l’on retrouve souvent dans les fabliaux et du vilain quelque peu en manque de second degré mais qui sortira tout de même victorieux de l’histoire.
D’un vilain cont et de sa fame, C’un jor de feste Nostre Dame Aloient ourer* â l’yglise. (prier) Li prestres, devant le servise, Vint a son proisne* sermoner, (chaire) Et dist qu’il fesoit bon doner Por Dieu, qui reson entendoit ; Que Dieus au double li rendoit Celui qui le fesoit de cuer.
« Os »*, fet li vilains, « bele suer, (de Oïr) Que nos prestres a en couvent : Qui por Dieu done a escient, Que Dieus li fet mouteploier ; Mieus ne poons nous emploier No vache, se bel te doit estre, Que pour Dieu le dotions le prestre ; Ausi rent ele petit lait. « Sire, je vueil bien que il l’ait. Fet la dame, par tel reson.»
A tant s’en vienent en meson, Que ne firent plus longue fable. Li vilains s’en entre en l’est able, Sa vache prent par le lien, Presenter le vait au doïen. Li prestres est sages et cointes. « Biaus Sire, fet-il a mains jointes, Por l’amor Dieu Blerain vous doing ». Le lïen li a mis el poing, Si jure que plus n’a d’avoir. * (n’est plus à lui)
« Amis, or as tu fet savoir Fet li provoires dans Constans, Qui a prendre bee toz tans. « Va t’en, bien as îet ton message, Quar fussent or tuit ausi sage Mi paroiscien come vous estes, S’averoie plenté* de bestes. »* (J’aurais des quantités de)
Li vilains se part du provoire. Li prestres comanda en oirre C’on face por aprivoisier Blerain avoec Brunain lïer, La seue grant vache demaine*. (personnelle) Li clers en lor jardin la maine, Lor vache trueve, ce me samble. Andeus les acoupla ensamble: Atant s’en tome, si les lesse.
La vache le prestre s’ebesse, Por ce que voloit pasturer, Mes Blere nel vout endurer, Ainz sache li lïen si fors ; Du jardin la traïna fors : Tant l’a menee par ostez*, (maisons) Par chanevieres* et par prez, (champs de chanvres) Qu’ele est reperie a son estre Avoecques la vache le prestre, Qui mout a mener li grevoit. *(A qui il déplaisait tant d’être menée)
Li vilains garde, si le voit : Mout en a grant joie en son cuer. « Ha », tet li vilains, « bele suer, Voirement est Dieus bon doublere, Quar li et autre revient Blere ; Une grant vache amaine brune ; Or en avons nous deux por une : Petis sera nostre toitiaus*. » (étable)
Par example dist cis fabliaus Que fols est qui ne s’abandone* ; (ne se résout pas) Cil a le bien cui Dieus le done,*(Celui qui a le bien c’est celui à qui Dieu le donne) Non cil qui le muce et entuet* : (Non celui qui le cache et l’enfouit) Nus hom mouteploier ne puet Sanz grant eür*, c’est or dei mains. (chance, sort) Par grant eür ot li vilains Deus vaches, et li prestres nule. Tels cuide avancier qui recule. Explicit De Brunain la vache au prestre.
Une très belle journée à tous et longue vie!
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes