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Fable médiévale : Du renard piègé par un reflet de lune

Enluminure de Marie de France

Sujet  : fable médiévale, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poésie morale
Période : XIIe s, Moyen Âge central.
Titre : De vulpe et umbra lunae ou Dou Leu qi cuida de la Lune ce fust un fourmaige
Auteur Marie de France (1160-1210)
Ouvrage  : Die Fabeln De Marie de France, Karl Warnke (1898)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons à la fin du XIIe siècle, avec l’étude des fables de Marie de France. Nous y suivrons les mésaventures tragiques d’un renard, ou même d’un loup dans certains manuscrits. Dans les deux cas, le récit et la morale ne changeront pas et la poétesse nous contera comment un reflet de lune piègera cruellement l’animal.

Comme on le verra, il ne sera pas question, ici, du reflet dans l’eau qui avait trompé le Narcisse de la mythologie, pas d’avantage que celui de la fable très connue du cerf se mirant dans l’eau. Le thème du jour est plutôt celui de la convoitise et de l’obstination à vouloir posséder plus que ce qu’on l’on doit, au risque de devenir « zinzin » (oui, c’est trivial, je l’admets), voire même de connaître le pire des sorts.

"Le renard et le reflet de la lune" Une fable de Marie de France avec enluminure

De vulpe et umbra lunae,
dans l’anglo-normand de Marie de France

D’un gupil dit ki une nuit
esteit alez en sun deduit.
Sur une mare trespassa.
Quant dedenz l’ewe reguarda,
l’umbre de la lune a veü ;
mes ne sot mie que ceo fu.
Puis a pense en sun curage
qu’il ot veü un grant furmage.
L’ewe comenga a laper ;
tres-bien quida en sun penser,
se l’ewe en la mare fust mendre,
que le furmage peüst bien prendre.

Tant en a beu que il creva,
lluec chaï, puis n’en leva.


Meint humme espeire, utre dreit
e utre ceo qu’il ne devereit,
a aver tutes ses volentez,
dunt puis est morz e afolez.

Du renard piégé par un reflet de lune
adapté en français actuel

D’un renard, on dit, qu’une nuit
Alors qu’il était de sortie
Il passa tout près d’une mare
.
En jetant, dans l’eau, un regard,
La lune ronde s’y reflétait
Mais il ne sut ce que c’était.
Puis, il pensa devant l’image
Qu’il s’agissait d’un grand fromage
.
Et lors, commença à laper
Etant certain en sa pensée
Qu’une fois l’eau en la mare basse
Sur la tomme, il ferait main basse.
Or, en boit tant et tant qu’il crève
Tombé raide, point ne s’en relève
.

Beaucoup espèrent plus de droits,
Et de choses que ne leur échoient
Voulant tous leurs désirs comblés
Les voilà morts et mortifiés
.


Esope aux origines de cette fable médiévale

Comme mentionné plus haut, suivant les manuscrits, on trouve un renard ou bien un loup comme triste héros de cette fable de Marie de France. Dans les deux cas, l’issue est identique. L’animal se trouve piégé par sa gloutonnerie et quand bien même il s’agit d’un goupil, sa ruse ne le sauve pas d’avantage qu’un loup. L’obstination à posséder rend aveugle. Elle peut même être meurtrière, nous dit la morale de cette fable.

Les deux chiens qui crèvent à force de boire
& le chien et le fromage

Bien avant la poétesse anglo-normande du Moyen Âge central, on retrouve les traces de cette fable chez Esope (reprise plus tard par le fabuliste Phèdre). Chez le grec du sixième siècle avant notre ère, la fable des deux chiens qui crèvent à force de boire et celle du chien et du fromage sont sans doute, celles qui ont inspiré Marie de France. Dans la première, deux chiens voient une peau, au fond de l’eau d’un fleuve (ou encore un morceau de chair). Pour atteindre le précieux butin, ils décident de faire descendre le niveau d’un point d’eau et boivent jusqu’à plus soif, au point de finir par y laisser la leur (de peau).

L’autre fable, similaire du point de vue de la thématique — reflet, illusion, et convoitise — est celle du chien et du fromage qu’on trouve chez Esope mais qui sera également, reprise par Marie de France sous le titre « Dou chien et dou formage« . Elle raconte l’histoire d’un chien passant sur un pont, avec un fromage dans sa gueule. Voyant le reflet de ce dernier dans l’eau, l’animal se fourvoie et pense pouvoir obtenir, là, un deuxième fromage. Hélas, il lâchera la proie pour l’ombre et son avidité lui fera perdre son fromage bien réel et le reflet de celui-ci, au fond des eaux. Le chien, le loup et le renard se trouvent donc tous logés à la même enseigne.

NB : sur le thème du reflet dans l’eau mais, cette fois, avec un angle plus narcissique, on trouvera encore chez Marie de France, la fable du cerf se mirant dans l’eau et tombant en pamoison devant la beauté de ses bois.

Chez Jean de La fontaine

En faisant un bond en avant dans le temps, on retrouvera deux fables du célèbre Jean de La Fontaine sur les thèmes précédemment évoqués : les deux chiens et l’âne mort et encore Le loup et le renard.

Les deux chiens et l’âne mort

Dans la première, les deux chiens et l’âne mort, deux mâtins voyant le cadavre d’un âne flottant dans l’onde, décident de boire toute l’eau de la rivière, pour le récupérer :
« Buvons toute cette eau ; notre gorge altérée
En viendra bien à bout : ce corps demeurera
Bientôt à sec, et ce sera
Provision pour la semaine. »

Et la morale de déclamer, dans le style toujours très enlevé du fabuliste du XVIIe siècle :
Mais rien à l’homme ne suffit :
Pour fournir aux projets que forme un seul esprit
Il faudrait quatre corps ; encor loin d’y suffire
A mi-chemin je crois que tous demeureraient :
Quatre Mathusalems bout à bout ne pourraient
Mettre à fin ce qu’un seul désire.

Le loup et le renard

La deuxième fable de Lafontaine sur le thème du reflet de la lune dans l’eau est « le loup et le renard« . Elle emprunte à la fois au chien et au fromage d’Esope mais aussi à une autre fable de l’écrivain grec : le renard et le bouc dans laquelle un renard et un bouc assoiffés se retrouvent pris au piège au fond d’un puits. Le goupil sollicitera l’appui du bouc pour l’aider à sortir, et une fois dehors, laissera le mammifère caprin à son triste sort.

Dans le récit de La Fontaine du loup et du renard, le goupil sera sauvé, cette fois-ci, par sa malice. Ayant succombé à l’illusion du reflet de lune au fond d’un puits et l’ayant pris pour un fromage, il y descendra dans un premier temps :

Voici pourtant un cas où tout l’honneur échut
A l’hôte des terriers. Un soir il aperçut
La lune au fond d’un puits : l’orbiculaire image
Lui parut un ample fromage.
Deux seaux alternativement
Puisaient le liquide élément :
Notre renard, pressé par une faim canine,
S’accommode en celui qu’au haut de la machine
L’autre seau tenait suspendu.
Voilà l’animal descendu,
Tiré d’erreur, mais fort en peine,
Et voyant sa perte prochaine

S’apercevant bientôt de son illusion, il finira par pigeonner un loup de passage. Utilisant le même reflet de lune au dépens de ce dernier pour lui vendre un fromage, le goupil pourra se sortir de ce mauvais-pas par la ruse, en y plongeant son confrère prédateur. La morale restera une leçon sur notre propre capacité à nous illusionner sur nos propres désirs en les prenant, quelquefois, pour des réalités.

… »Descendez dans un seau que j’ai là mis exprès. »
Bien qu’au moins mal qu’il pût il ajustât l’histoire,
Le loup fut un sot de le croire ;
Il descend, et son poids emportant l’autre part,
Reguinde en haut maître renard.
Ne nous en moquons point : nous nous laissons séduire
Sur aussi peu de fondement ;
Et chacun croit fort aisément
Ce qu’il craint et ce qu’il désire.


Une enluminure créée de toutes pièces
pour l’occasion de cette fable médiévale

Enluminure d'un Renard - Bestiaire médiéval MS 3401, Bibliothèque Sainte Geneviève.


Notez que l’image ayant servi à l’en-tête de cet article, ainsi qu’à l’illustration (plus haut) est une création de toutes pièces à partir d’enluminures provenant de divers manuscrits. En voici le détail :

Le fond, l’eau et le paysage proviennent du Lancelot en Prose de Robert Boron, soit le MS Français 113 (XVe siècle) de la BnF, mais aussi de la « compilation arthurienne de Micheau Gonnot, référencé MS Français 112.3 (XVe siècle). Le renard, du deuxième plan, est tiré du manuscrit médiéval Français 616. Conservé lui aussi à la BnF, ce superbe ouvrage ancien contient Le Livre de Chasse de Gaston Phébus ainsi que Les Déduits de la chasse de Gace de La Buigne. Il est, quant à lui, daté du XIVe siècle. Enfin, le renard au premier plan (enluminure également ci-contre) est issu d’un ouvrage plus récent. Il s’agit d’un superbe bestiaire référencé Ms 3401 et actuellement conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. C’est l’enluminure la plus tardive de toute notre illustration. Elle provient du XVIe siècle (voir ce manuscrit en ligne). Tous les autres manuscrits sont consultables sur gallica.bnf.fr. Quant à la provenance de la lune et de son reflet, nous en garderons le secret pour lui préserver ses mystères.

En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

De la corneille et la brebis, une fable de Marie de France

Sujet  : poésie médiévale, fable médiévale, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poétesse médiévale, poésie satirique, poésie morale
Période : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre : D’une corneille et d’une Oeille
Auteur  : Marie de France    (1160-1210)
Ouvrage  :  Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons un retour dans l’univers des fables médiévales et plus précisément des ysopets de Marie de France. Dans ce récit très court, emprunté à Esope donc, la poétesse médiévale nous mettra en présence d’une funeste corneille venue abuser, sans vergogne, de la faiblesse d’une pauvre brebis.

D’Esope à Marie de France

Si 1600 ans la séparent de son inspirateur, Marie de France a opté ici pour une version assez similaire à celle d’Esope. Bien sûr, au verbe du fabuliste grec, elle oppose sa langue d’oïl mâtinée de tournures franco-normandes mais, hormis cela, le récit est le même à peu de chose prés. A l’habitude, il est aussi plus court chez le poète antique. Voici une traduction de cette fable originale d’Esope par Jean Beaudouin :

La Corneille se débattoit sur le dos d’une Brebis, qui ne pouvant se deffendre ; « Asseurément », luy dit-elle, « si tu en faisois autant à quelque chien, il t’en arriveroit du malheur ». « Cela seroit bon », luy respondit la Corneille, « si je ne sçavois bien à qui je me joue ; car je suis mauvaise aux débonnaires, et bonne aux meschants ».
Baudoin, Jean. Les Fables d’Esope Phrygien – Fable LXII, De la Brebis et de la Corneille. (1660)

On trouve encore la morale de cette fable formulée ainsi chez certains traducteurs latins : Mali insultant innocenti et miti : sed nemo irritat feroces et malignos. Autrement dit, l’homme mauvais insulte et abuse de l’innocent et du faible, mais se garde bien de s’en prendre aux féroces et aux malicieux, qui auraient suffisamment de répondant pour le lui faire payer.

Le thème de l’abus des faibles sous toutes ses formes, traverse de nombreuses fables antiques. On le trouve repris, plus qu’à son tour, chez Marie de France (voir, par exemple, le voleurs et les brebis). Plus tard, il ressurgira encore, largement, sous la belle plume de Jean de La Fontaine. La nature humaine ayant ses invariants, on notera que, sorti de leur contexte historique, ce type de récits moraux a tendance à plutôt bien résister à l’emprise du temps.


D’une Corneille et d’une Oeille

D’une Cornaille qui s’asist seur une Berbix
en franco-normand médiéval

Ensi avint k’une Cornaille
S’asist seur le dos d’une Oaille ;
Dou bec l’ad féri durement,
Sa leine li oste asprement.
La Berbiz li a dist pur-coi
Chevausche-tu einsi sor moi,
Or te remuet si feras bien ;
Siete une pièce seur ce Chien ,
Si fai à lui si cum à mei.
Dist la Cornelle, par ma fei
Ne t’estuest pas traveillier
De mei apanre n’enseignier,
Jeo suis piéça tute enssengniée,
Tant fu-jeo sage et bien vesiée ;
Bien sai seur cui jeo dois séoir
E à séur puiz remenoir.

Moralité

Pur ce nus munstre par respit
Ke ce est voirs que li Sages Hum dit,
Par grant essample et par reproiche
Bien seit Chaz cui barbes il loiche
Bien s’aparçoit li véziiez
Lesquiex il puet aveir souz piez.

Adaptation en français moderne

Ainsi advint qu’une corneille
S’assit sur le dos d’une agnelle (ouaille) ;
Et, du bec, la frappa durement,
Tirant sur sa laine âprement.
La brebis demanda « pourquoi
Chevauches-tu ainsi sur moi ?
Ote-toi de là, tu ferais bien ;
Va t’asseoir, un temps, sur ce chien
Et fais-lui donc tout comme à moi. »
La corneille dit : « par ma foi,
Inutile de te soucier
De rien m’apprendre ou m’enseigner
Je suis de long temps éduquée,

Et je suis sage et avisée ;
Je sais bien, sur qui je m’assieds
Et, en sûreté, où demeurer. »

Moralité

Ainsi, nous montre bien l’adage
Comme est vrai ce qu’a dit le sage,
en grand reproche et grande prêche :
La chat sait bien quelle barbe il lèche,
Le fourbe sait bien discerner
Qui il peut tenir sous son pied.


En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : les enluminures de cet article sont tirées d’un très beau bestiaire médiéval : The Aberdeen Bestiary (Université d’Aberdeen MS 24). Daté des XIIe-XIIIe siècles, ce codex est conservé à la Bibliothèque de l’université d’Aberdeen au Royaume Uni (à consulter en ligne ici). Pour être précis, l’ovin qui a servi aux illustrations est plutôt un agneau ou une agnelle qu’une brebis.

Fable médiévale : le chien et la brebis de Marie de France

dragon-moyen-age-fable-ysopets-marie-de-franceSujet  : poésie médiévale, fable médiévale, langue d’oïl, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poète médiéval,   pauvreté, justice, poésie satirique
Période  : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre :  Dou chien et d’une berbis  
Auteur    :   Marie de France    (1160-1210)
Ouvrage    :    Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820, 

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionutour du  premier siècle de l’ère chrétienne, Caius Iulius Phaedrus, plus connu sous le nom de Phèdre, lègue à la postérité un grand nombre de fables. Il crée ses propres récits, mais, pour une grande part d’entre eux, marche dans les pas du grec Esope qui l’avait précédé de cinq-cents ans.

Ce double-héritage traversera le temps jusqu’au Moyen Âge pour y être repris, en partie, sous le nom d’Ysopets ou Isopets.  Ces petits récits où les personnages sont plantés par des animaux inspireront ainsi quelques auteurs médiévaux. A la fin du XIIe siècle, Marie de France  est l’un des plus célèbres d’entre deux.  Deux siècles plus tard,  au Moyen Âge tardif, Eustache Deschamps  s’y frottera aussi bien que dans une moindre mesure. Plus tard encore, au XVIIe siècle, par son talent stylistique hors du commun, Jean de  Lafontaine, donnera, à son tour,  à   ses fables antiques de nouvelles lettres de noblesse. Aujourd’hui, nous étudions ensemble la fable médiévale de Marie de France intitulée : dou chien et d’une brebis.

Ou comment les puissants  utilisent
la justice pour dépouiller les faibles

deco_fable_medievale_marie_de_franceOn trouve la trace de cette fable du Chien et de la Brebis chez Phèdre. Elle est , toutefois, reprise    dans des formes un peu différentes chez Marie de France. Chez les deux auteurs, la justice est instrumentalisée de manière perfide par les puissants, au détriment des faibles. En effet, ces derniers  n’hésiteront pas à  produire de faux témoins pour dépouiller la brebis, éternel symbole de pauvreté, d’innocence et de faiblesse. Dans les complices de la malversation, la poètesse franco-normande a ajouté un rapace, qu’on ne trouve pas chez Phèdre et qui vient renforcer cette idée de collusion des prédateurs.

La fin de la fable de Phèdre est aussi  plus heureuse puisque la Brebis paye ce qu’on lui réclame injustement  mais ne périt pas.   Egalement, le loup s’y trouve punit de son mensonge et la notion d’une justice transcendantale est mise en avant : les dieux le font tomber dans une fosse pour son mensonge. Chez Marie  de France, la fin est sans appel. L es pauvres et les faibles  sont sacrifiés par les puissants et on se partage leurs avoirs (et, même leur chair) entre prédateurs.   Faut-il y voir le simple reflet du pessimisme  de la poétesse ? On serait plutôt tenté d’y  décrypter l’influence contextuelle de maux de son temps qu’elle entend dénoncer ainsi, ouvertement.

Le Brebis, le chien et le loup chez Phèdre

Les menteurs n’évitent guère la punition de leurs méfaits. Un Chien de mauvaise foi demandait à la Brebis un pain qu’il soutenait lui avoir laissé en dépôt. Le Loup, cité comme témoin, affirma qu’elle en devait non pas un, mais dix. La Brebis, condamnée sur ce faux témoignage, paya ce qu`elle ne devait pas. Peu de jours après elle vit le Loup pris dans une fosse : « Voilà, dit-elle, comme les dieux récompensent le mensonge! »

 Les Fables de Phèdre, traduites par  par M. E. Panckoucke   (éd de 1864) 

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Dou Chien et d’une berbis
dans l’oïl    franco-normand de Marie de France

Or cunte d’un Chien mentéour
De meintes guises trichéour,
Qui une Berbis emplèda
Devant Justise l’amena.
Se li ad un Pain démandei
K’il li aveit, ce dist, prestei;
La Berbiz tut le dénoia
E dit que nus ne li presta.
Li Juges au Kien demanda
Se il de ce nus tesmoins a
Il li respunt k’il en ad deus,
C’est li Escufles è li Leus.
Cist furent avant amenei,
Par sèrement unt afermei
Ke ce fu voirs que li Chiens dist:
Savez pur-coi chascuns le fist,
Que il en atendoient partie
Se la Berbis perdeit la vie.

Li Jugièrres dunc demanda
A la Berbis k’il apela,
Pur coi out le Pain renoié
Ke li Chienz li aveit baillié,
Menti aveit pur poi de pris
Or li rendist ainz qu’il fust pis.
La Chative n’en pot dune rendre
Se li convint sa leine vendre,
Ivers esteit, de froit fu morte,
Li Chiens vient, sa part enporte
È li Escoffles d’autre par;
E puis li Leus, cui trop fu tard
Ke la char entre aus detreite
Car de viande aveient sofreite.
È la Berbiz plus ne vesqui
E ses Sires le tout perdi.

Cest essample vus voil mustrer,
De meins Humes le puis pruver
Ki par mentir è par trichier,
Funt les Povres suvent plédier.
Faus tesmoignages avant traient,
De l’avoir as Povres les paient;
Ne leur chaut que li Las deviengne,
Mais que chascuns sa part en tiengne.

Du chien et de la brebis
Adaptation en français moderne

NB : nous avons fait le choix d’une adaptation libre et versifiée plutôt qu’une traduction littérale.

On conte d’un chien menteur
Aussi tricheur que trompeur,
Qui, au tribunal, attaqua
Une brebis pour qu’on la jugea.
Un pain elle devrait rembourser
Que, jadis, il lui a prêté.
La brebis nia sans délai :
« Jamais tel prêt ne lui fut fait !
Aussi, le juge requit du chien
Qu’il puisse produire un témoin.
 Le chien rétorqua, sentencieux :
« Milan et loup : ils  seront deux »
Ainsi, témoignèrent les compères 

Et, sous serment, ils affirmèrent
Qu’ils confirmaient du chien, les dires.
Savez-vous pourquoi ils le firent ? 
C’est qu’ils en tireraient partie
Si la brebis perdait la vie.

Lors, le juge demanda,
A la brebis qu’il convoqua
Pourquoi avoir nié qu’un pain
Lui fut bien prêté par le chien ?
C’était là piètre menterie
Qu’elle rende ce qu’elle avait pris !
La pauvrette qui n’avait rien
Dut vendre sa laine à bas prix.
C’était l’hiver elle en périt.
Le chien vint prélever sa part,
Puis le milan vint à son tour 
Et puis le loup, un peu plus tard,
Ainsi la chair fut partagée
Car de viande on avait manqué
Et c’en fut fait de la brebis
Que ces seigneurs avaient trahie. 

Moralité

Cet exemple nous montre bien
(et je pourrais en trouver maints)
Comment par ruse et perfidie
On traîne    les pauvres en plaidoirie
Leur opposant de faux témoins
Qui se payent sur leurs maigres biens.
Peu leur chaut de ce qu’il devienne,
Pourvu que chacun, sa part, prenne.


En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
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Qui pendra la sonnette au chat ?, une fable médiévale d’Eustache Deschamps

poesie_fable_litterature_monde_medieval_moyen-ageSujet : poésie médiévale,  satirique, morale, fables, valeurs humaines, métaphores animalières, Isopets, Ysopet,  littérature médiévale,  ballade, français ancien,
Période  : moyen-âge tardif
Auteur  :  Eustache Deschamps (1346-1406)
Titre  : « Le chat et les souris »
Ouvrage  :  Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps, Georges Adrien Crapelet  (1832)

Bonjour à tous,

F_lettrine_moyen_age_passion-copiailles d’Esope, écrivain grec des VIIe et VIe siècles avant Jésus-Christ, dont on a fait l’illustre père bien avant La Fontaine, les fables se sont perpétuées avec succès dans la France du moyen-âge central.

Les fables au moyen-âge

Recopiées  tout d’abord en latin à partir des écrits de Phèdre, fabuliste du Ier siècle de notre ère, adaptateur d’Esope, mais aussi à partir des oeuvres du  fabuliste romain de langue grecque Babrius (IIe siècle) ou encore  du poète romain Avianus des IVe et Ve siècles, les fables gagneront leurs lettres de noblesse en anglo-normand et en français sous la plume de la célèbre poétesse Marie de France.  Un peu avant la fin du XIIe, cette dernière en écrira, en effet, plus de 100.

Enluminure,  Marie de France, Ms. 3142, BnF (retouche feuille d’or)

Sur l’ensemble, elle ne se contentera pas de retranscrire et de paraphraser l’héritage des auteurs latins et grecs des origines, elle créera aussi un bon nombre de fables inédites, consacrant là un véritable genre littéraire. Ses écrits seront,  par la suite,  largement repris contribuant à la diffusion du genre dans les siècles suivants. On les connaîtra alors sous le nom d’Isopets ou Ysopets, dérivés du nom de l’illustre Esope évoqué plus haut.  C’est indéniable, la satire de la comédie humaine derrière l’écran de l’image animalière séduit et ce n’est pas le Roman de Renart et son succès, dès la fin du XIIe et les débuts du XIIIe siècle qui viendront le démentir.

Ballade & Fable : Le chat et les souris d’Eustache Deschamps

Comme nous l’avions déjà évoqué dans un portrait précédent, au XIVe siècle et un peu plus près déjà du moyen-âge tardif, Eustache Deschamps s’essayera lui aussi au genre de la fable et même à quelques autres dérivés autour de la métaphore animalière. La fable du jour est devenue, sans nul doute, la plus célèbre d’entre elles qui se trouve être aussi une ballade. Elle doit, entre autre, son succès à son refrain : « Qui pendra la sonnette au chat?« .

Autrement dit : Qui viendra pendre le grelot au cou du chat ? Au moment de conseiller ou d’argumenter, tout le monde est bien d’accord, mais au moment d’agir et d’en avoir le courage, il en reste peu pour prendre le risque d’entreprendre une affaire périlleuse pour le bien de tous ? La question reste posée et ouverte dans cette fable qui inspirera d’ailleurs, à son tour, Jean de La fontaine dans son Conseil tenu par les Rats, et lui tirera cette morale :

« Ne faut-il que délibérer,
La cour en conseillers foisonne ;
Est-il besoin d’exécuter,
L’on ne rencontre plus personne. »

deco_frise

Je treuve qu’entre les souris
Ot un merveilleux parlement
Contre les chas leurs ennemis,
A veoir manière comment
Elles vesquissent* seurement (* vécurent)
Sanz demourer en tel débat;
L’une dist lors en arguant :
Qui pendra la sonnette au chat?

Cilz consaulz fut conclus et prins ;
Lors se partent communément.
Une souris du plat pais
Les encontre et va demandant
Qu’om a fait: lors vont respondant
Que leur ennemi seront mat :
Sonnette aront ou coul pendant.
Qui pendra la sonnette au chat?

« Cest le plus fort », dist un rat gris
Elle demande saigement
Par qui sera cilz fais fournis.
Lors s’en va chascune excusant ; 
Il n’y ot point d’exécutant,
S’en va leur besongne de plat;
Bien fut dit, mais, au demeurant,
Qui pandra la sonnette au chat?

L’envoy

Prince, on conseille bien souvent,

Mais on puet dire, com le rat.
Du conseil qui sa fin ne prant :
Qui pendra la sonnette au chat?

Eustache Deschamps  (1346-1406)

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En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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