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De la beauté plastique, de ses usages et de son évanescence, par Jean de Meung

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« Qui est beau, ce n’est mye pour soy enorgueillir,
Mais pour belles pensées en sa beaulté cueillir;
Car tous les beaulx et laiz convient tous envieillir:
Il n’est si grant beaulté qui ne viengne à faillir. »

Citation extrait du  « Codicille » de Jean de Meung (Clopinel),
poète et auteur médiéval du XIIIe siècle (1250-1305)
.

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoilà une version précoce du « Mignonne allons voir si la rose » de Pierre de Ronsard, façon XIIIe siècle et sous la plume de Jean de Meung. Elle est tirée du Codicille du grand auteur médiéval dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises ici. Comme elle ne présente  pas de difficultés particulières à la compréhension, nous vous la livrons telle quelle sans la traduire.

Une belle journée à tous.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Amour du prochain, bon sens et réthorique chrétienne dans le codicille de Jean de Meung

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“Se tu es beaulx et riches, de legier peuz vouloir
Que je le soye aussi sans riens de toy douIoir;
Se je vaulx et tu vaulx, il ne t’en doit challoir,
Puisque tu ne puis moins de ma valeur valoir.”

Jean de Meung (1250-1305) Le codicille.

Adaptation libre français moderne:

« Si tu es beau et riche, il t’est facile de vouloir
Que je le sois aussi, sans que cela te nuise;
Si je vaux et tu vaux, il ne doit t’importer;
Puisque tu ne peux moins que ma valeur valoir. »

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partageons à nouveau, ici, quelques alexandrins, en forme de citation médiévale, tirés du codicille de Jean de Meung: ce long poème de bonne conduite et de recommandations que le poète érudit du moyen-âge laissa en legs à ses contemporains.

S’ils ne sont pas les seuls thèmes abordés dans l’ensemble de ce texte, les questions de la conduite dans le monde en vue de l’après-vie (éternelle), et avec elles celles de la pratique chrétienne, de sa morale et de la sainte trinité y sont bien sûr omniprésentes. Rien de bien original, me direz-vous, on fait difficilement l’économie de ces questions existentielles dans l’Europe chrétienne du moyen-âge central.

C’est donc dans ce contexte que viennent s’inscrire ces quatre vers, dans une « démonstration » rhétorique par Jean de Meung du bien fondé, qu’il y à vouloir le bien d’autrui: privilégier la réussite de l’autre plutôt que de l’envier ou vouloir lui nuire et comprendre qu’au sortir de l’équation, personne n’est perdant puisqu’il y a égalité de valeurs entre les hommes et devant Dieu. Il n’est ici question que de « raison » et même de nature. Au sortir de cette citation et sous la plume du poète médiéval, l’amour du prochain se n’est, au fond, qu’une question de bon sens qui, en plus, ça tombe bien, se trouve être conforme à la morale chrétienne et plaire à Dieu. D’ailleurs, les vers qui suivront clôtureront la démonstration:

Toute rien veult et ayme son pareil par nature,
Pource, dis-je, que femme ou homs se desnature,
Qui n’ayme à ceste fin humaine créature;
Car rayson si accorde, Dieu et saincte escripture.

Chacun ne veut qu’aimer son pareil par nature
Pour ce, dis-je, que femme ou homme se dénature
Qui n’aime à cette fin humaine créature
Car raison s’y accorde, Dieu et la Sainte Ecriture.

Voilà, deux sous de bon sens humaniste et chrétien selon Jean de Meung et qui ne coûte pas plus cher. Du coup, j’en profite pour vous souhaiter à tous d’être beaux et riches, comme ça, ce sera fait. Enfin si ça vous dit, je ne veux forcer personne.

En vous souhaitant une belle journée!
Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Science quand elle enfle »: analyse approfondie d’une citation médiévale de Jean De Meung

citations_medievales_Sujet : citations médiévales, auteur poète médiéval, vieux français, analyse, contexte, sémantique,  science, arrogance, humilité.
Période : moyen-âge central (XIIIe siècle)
Auteur: Jean de Meung  (1250-1305)
Extrait : le codicille

« Science, quand elle enfle, est chose si parverse, Qu’elle envenime tout, se la boe n’est terse [essuyée], [J. de Meung, Test. 1044] »
Dictionnaire Littré

Adaptation en français moderne :
“Science, quand elle enfle, est chose si perverse, Qu’elle envenime tout, si l’on n’essuie la boue”.


Bonjour à tous,

U_lettrine_moyen_age_passionne des sources les plus sérieuses de cette citation du poète médiéval Jean Clopinel, plus connu sous le nom de Jean de Meung, se trouve dans le Littré, prestigieux dictionnaire ancien du XIXe siècle qu’il est toujours agréable de feuilleter et dans lequel une grande majorité des définitions sont illustrées par des quantités de phrases d’auteurs célèbres. Dans le cas présent, la phrase de Jean de
Meung  y est citée pour illustrer un exemple historique  du verbe « enfler ».
littre_dictionnaire_ancien_citation_medievale_jean_meung_litterature_moyen-age
Selon le Littré, elle serait donc tirée  d’un texte de l’auteur médiéval appelé le testament mais il y a une première petite correction à apporter sur ce point et nous allons nous y employer.

Codicille contre testament

E_lettrine_moyen_age_passionntre autres écrits de Jean de Meung et sans parler du célèbre Roman de la rose, deux autres textes de lui peuvent, il est vrai, prêter à confusion: l’un s’appelle le testament et l’autre le codicille.

Pour être certain d’être clair, du point de vue des définitions, un testament, tout le monde sait ce que c’est: soit, un ensemble de dispositions que l’on laisse à la postérité sur ses biens, ses volontés et tout le reste, en espérant qu’elles soient, si possible, respectées Post-mortem. Pour le second terme, codicille: c’est un terme notarial qui désigne un amendement ou des modifications apportées au premier. jean_de_meung_citation_poesie_medievale_codicille_En bref, c’est, techniquement, un second testament:

« Alors, cerné de près par les enterrements,
J’ai cru bon de remettre à jour mon testament,
De me payer un codicille. « 
Georges Brassens – Supplique pour être enterré à la plage de Sète.

Or, et c’est là la première petite mise à jour à faire au Littré, la citation du jour est, en réalité, tirée du Codicille de Jean De meung, et non pas de son Testament. En collant au définition, on pourrait, bien sûr, alléguer que le codicille est une sorte d’annexe au testament ou même un second testament, mais cela n’en changerait toutefois ni le nom, ni le titre pour autant, au moment de le citer.

Une voie « boueuse »

C_lettrine_moyen_age_passioncitation_medievale_jean_de_meung_analyseçvieux_francais_interpretation_moyen-agee petit détail étant réglé, allons à la  source de ce codicille que l’on trouve annexé, comme le testament  d’ailleurs, dans certaines éditions du Roman de la rose dont Jean de Meung fut le co-auteur après Guillaume de Lorris. De fait, dans une édition de 1799 du Roman de la Rose, nous retrouvons au Tome IV, notre fameux codicille et la dite citation,  à peu de chose près, puisqu’il n’y est pas question de boue (boe) mais de Voye (voie). Le mot « parverse » y disparaît aussi au profit de « traverse ». Pour la référence, cet ouvrage de la fin du XVIIIe est basée sur une édition de Lengletdufresnoy « corrigée avec soin, enrichie et publiée » en 1737 par J. B. Lantin De Damerey. Voilà la transcription exacte qui nous y est donnée de cette citation:

« Science quant elle enfle est chose si traverse,
Qu’el envenime tout se la voye n’est terse. »
Jean de Meung (1250-1305) Le Codicille.

traverse: tordu, scabreux, de travers. La traduction par perverse se tient  pour peu qu’on la prenne  dans son sens originel, soit non nécessairement connotée sexuellement.

« La science envenime tout » si la voie n’est: essuyée, polie, nettoyée. Oui mais nettoyée de quoi? Et bien, de toutes les causes possibles de « surgonflement » : arrogance, orgueil, superbe, volonté de briller, , etc…
jean_de_meung_citation_poesie_medievale_codicille_analyse_citation_vieux_francais_moyen-age_centralReste à savoir maintenant quelle version des deux est la plus proche de l’auteur. Dans les temps reculés de l’imprimerie, les erreurs de retranscriptions depuis les manuscrits ou même les coquilles n’étaient pas rares quand ce n’était pas encore des adaptations simples de l’imprimeur ou de l’éditeur pour des questions de « régionalisme » linguistiques, même de modernisation pur et simple de la langue originale de l’auteur pour des questions de compréhension. Difficile dans ce cadre de savoir quel mot a réellement utilisé l’auteur Jean de Meung, sauf à remonter à une source plus ancienne du texte. Or, cela tombe merveilleusement bien puisque la bibliothèque nationale de France, qui, au passage, ne lasse pas de nous surprendre par les trésors historiques qu’elle met à la disposition du public, a justement digitalisé un manuscrit bien plus ancien du roman de la rose, consultable directement sur son site web.

Au final de l’investigation, qui prend relativement longtemps parce que tout de même l’écriture manuscrite du XIIIe XIVe siècle n’a pas grand chose de commun avec la nôtre, la récompense est là et l’évidence est implacable.. La boue l’emporte sur la voye, mais Jean de Meung a utilisé  traverse contre parverse.  Le littré ne colle donc au texte qu’à ce dernier détail près. D’ailleurs, voici la preuve en image:

Cliquez sur l’image pour l’agrandir

La différence sémantique n’est pas énorme, me direz-vous, mais la boue reste, tout de même, plus connotée que la voie. La bonne nouvelle est que nous conservons notre rime sur le deuxième alexandrin de cette citation, dans la traduction-adaptation en français moderne que nous en avions faite: Qu’elle envenime tout, si l’on n’essuie la boue”. Merci la BnF! Il ne nous reste donc plus qu’à examiner le contexte.

Le contexte

A_lettrine_moyen_age_passionu siècle où nous lisons de moins en moins, saucissonner les auteurs est devenu un sport et il est toujours amusant, autant qu’instructif, face à une citation, de creuser un peu plus avant, pour aller à la racine du texte et pouvoir resituer son contexte.

jean_de_meung_citation_medievale_science_arrogance_jean_de_meungDe notre point de  vue moderne, une fois isolée de son contexte historique et sémantique, cette citation médiévale de Jean de Meung se présente comme une mise en garde générale à l’adresse de la Science, en tant que discipline: science qui enfle, (science sans éthique et sans prudence) qui  envenime tout. Prise telle quelle et de prime abord, cette phrase raisonnerait même d’une sagesse médiévale presque prophétique et plus de sept cents ans après qu’elle fut écrite, le monde moderne ne semble pas, en effet, tarir d’exemples pour l’étayer. Car enfin, sans entrer dans la polémique, dans nos sociétés devenues industrielles et technicistes: scientifiques, mécaniques, robotiques, agro-pétroléo-pharmatico-chimiques, toutes entières menées par les lois de la déesse finance, fusse contre la société des hommes,  on peut légitimement se demander si le fameux principe de précaution en matière d’alimentation, de chimie, de génétique, de pharmaceutique et dans quelques autres domaines technologiques n’a pas été quelque peu galvaudé (sacrifié, voire immolé dans certains cas, serait peut-être plus indiqué), sur l’autel du sacro-saint marché. Et de fait se demander un peu aussi, si, dans le contexte, la Science n’a pas trop enflé.

Prise dans ce sens là, cette citation médiévale était d’ailleurs tellement inspirante que nous vous partageons ici un autre détournement « steampunk » que nous avions fait pour la présenter, en partant du grand peintre hollandais baroque Johannes Veermer et de sa toile la laitière:  The Milkmaid (1658):

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Tout cela étant dit, voyons donc, maintenant, un peu plus loin que les deux alexandrins du Codicille de Jen de Meung qui forment cette citation pour tenter de mieux l’éclairer. Voici les vers qui la précèdent :

« Que se nulz homs sçavoit toute philosophie,
Se il n’est doulx et humble, tout ne vault une ortie.
Estre humble sans clergie vault mieulx que la converse,
Que quanque Iy ungz dresse, ly autre tumbe et verse:
Science quant elle enfle est chose si traverse,
Qu’el envenime tout se la boe n’est terse. »

Et leur adaptation/Traduction libre par nos soins:

Qu’un homme qui connaitrait toute la philosophie
Sans être doux et humble, vaudrait moins qu’une ortie.
Etre humble sans instruction vaut mieux que le contraire,
Que quand les uns sont droits, les autres tombent et versent:
Science quant elle enfle est chose si perverse,
Qu’elle envenime tout, si l’on n’essuie la boue. 

E_lettrine_moyen_age_passionn réalité, la notion de science replacée dans son contexte,  comme celle de clergie (qui par ailleurs désigne aussi l’enseignement des clercs, leur cursus, et même la réunion de clercs dans d’autres cas) s’adresse plus, ici, à la notion de savoir, d’instruction, d’étude, et à l’arrogance qui peut en naître vis à vis des autres, qu’à ce que nous nommons, au sens propre, dans notre monde moderne, la Science en tant que discipline. Dans l’ensemble de ce passage, avant et après, Jean de Meung adresse d’ailleurs une critique envers les clercs et les religieux que leur instruction peut quelquefois « enfler » et rendre prompts à élever des débats et des querelles à tout propos, pour en « rabattre », comme on dit trivialement. Un peu plus loin, ce brillant auteur médiéval que la satire n’effrayait point, ce qui n’est pas pour nous déplaire, élargira même le propos à la vanité qui résulte du fait de vouloir accumuler des richesses par les frères, les ordres et les moines. Le passage dont est extrait cette citation se présente donc comme un rappel à l’ordre, aux valeurs et à l’humilité, pour ceux qui étaient, alors, les détenteurs principaux de l’instruction: les clercs et, par extension, les religieux. La science dont il est question est peu ou prou la même que celle contenue dans l’expression populaire: « Arrête d’étaler ta science », autrement dit: « ton instruction ».

Ce n’est pas surprenant d’ailleurs, au XIIIe siècle, la science telle que nous la connaissons ne connait pas encore son âge d’or, loin de là! Il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour  conquérir son autonomie théorique, inventer le matérialisme et pouvoir enfin trouver les financements nécessaires pour mettre au point: la bombe atomique, la chaise électrique, le clonage et les manipulations génétiques, le neuro-marketing ou les OGMs entre autre florilège. Bon mais je plaisante! Il n’y a pas eu que cela, bien entendu. De grâce,  n’allez pas penser que je suis passéiste. Je suis de mon temps tout comme vous. Nier les apports de la science moderne serait absurde, même si faire un bilan juste et réel de certaines de ses applications ou effets secondaires peut s’avérer sain et utile, de temps en temps. Je rebondissais simplement, ici, sur la possible interprétation moderne « erronée » des pieds de vers tronqués de Jean de Meung, et la question de la conduite de la science et de ses valeurs éthiques que tout cela pouvait soulever.

On peut toujours se demander, cela dit, si Jean de Meung avait assisté à l’avènement de la science comme nous y assistons depuis le XXe siècle, s’extasiant, assurément, des progrès gigantesques et de premier ordre effectués, ces derniers années, dans le domaine de la téléphonie mobile, mais lucide aussi sur certaines autres conséquences néfastes de ses applications, s’il aurait lui-même décidé de tronquer quelques uns de ses alexandrins pour élargir le sens de sa citation et nous en proposer une lecture plus moderne comme celle que nous en faisons, de nos jours, en nous fourvoyant la plupart du temps et en lui faisant dire ce qu’il n’a pas dit.

C’est encore un léger glissement sémantique, me direz-vous, celui de la citation du grand Khal Kubilai Khan dans sa lettre à Saint Louis était largement plus abusif, mais il illustre encore une fois assez bien le fait que les citations, pour séduisantes qu’elles soient, valent souvent qu’on en remonte un peu le cours, au risque de faire dire n’importe quoi à leurs auteurs et, du même coup, de dire n’importe quoi aussi. Rien de bien nouveau, me direz-vous, la technique du saucissonnage et de la phrase sortie de son contexte, bien connue et pratiquée en journalisme a fait plus d’une victime. Pour le reste, tout cela est aussi une belle illustration du fait que même quand les mots ressemblent comme deux gouttes d’eau à poesie_citation_medievale_jean_de_meung_analyse_manuscrit_ancien_littre_interpretation_semantiqueceux que nous employons, il y a toujours une distance à parcourir pour se rapprocher du monde médiéval, des ses réalités et de sa compréhension.

Tout cela étant dit et pour conclure. Qu’on la prenne dans son sens originel et fidèle à l’auteur en appliquant cette leçon d’humilité aux détenteurs individuels d’un savoir, ou dans l’autre sens – loin de la réalité médiévale de son auteur – en l’appliquant à l’ensemble d’une discipline, cette citation contient une sérieuse dose de sagesse qui ne lasse pas de me séduire. J’en viendrais presque, d’ailleurs, à me poser la question de la transposition possible de l’une à l’autre de ces deux interprétations médiévales et modernes en me demandant si les « valeurs » d’un savoir ou d’une discipline humaine quelle qu’elle soit et à supposer qu’elle  en véhicule, n’est pas simplement la somme ou le reflet des valeurs des acteurs qui la compose et de leur éthique. Dit autrement, peut-on légitimement renvoyer dos à dos une discipline dans sa globalité et ses applications, et ses détenteurs? Comment, en effet, une discipline ou un savoir pourraient-ils devenir « arrogant », ou enfler tout seul, si chacun de ses détenteurs, individuellement, se tenait dans une stricte réserve , une éthique irréprochable et une certaine humilité? Cela me semble un vrai question.

En vous souhaitant à tous une très belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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Ce coeur qui damne ou sauve, extrait du testament de Jean de Meung en forme de citation.

citations_medievales_Sujet : citation médiévale, poésie, extrait, quatrain
Auteur : Jean de Meung, Jean Clopinel  (1250-1305)
Titre : le testament
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle

Bonjour à tous,

O_lettrine_moyen_age_passionn trouve, en général, le testament dont il est question aujourd’hui, annexé au roman de la rose. Il est attribué à Jean ou même plutôt Jehan de Meung,  de son vrai nom jean Clopinel, érudit et co-auteur du nom de la rose. Il s’agit d’un texte de quelques 2176 vers, présenté sous la forme de 544 quatrains d’alexandrins monorimes. Comme son titre l’indique, cette poésie qui prend aussi la forme de conseils donnés par l’auteur à ses contemporains, est, sans doute d’ailleurs, une des dernières du brillant poète médiéval  du XIIIe siècle.

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“Quand ta parole est blanche et ta pensée est fauve*,
Tu voles en tenebres comme une soris chauve;
Tiex* prieres ne valent une fueille de Mauve,
Car du cuer doit issir ce qui te dampne ou sauve.”

Jean de Meung,  Le testament  (extrait)
Poète médiéval co-auteur du nom de la Rose.

* Fauve : hypocrite, fausse
* Tiex : telles
* Issir: sortir, venir. 

4 – 2 = 3

Le quatrain en forme de citation que nous avons extrait du texte original et que nous publions aujourd’hui est tiré d’un chapitre ayant pour titre : de la vertu de prière qui conjoint homme a Diex, et oste du cuer toute mauvestié.  Jean de Meung l’adresse donc, en réalité, à la forme correcte de prier.

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Ah, beauté de la citation! Sortis de leur contexte, ces quatre pieds de vers auraient presque tendance à prendre des allures de généralités, ce qui n’est pas totalement pour nous déplaire, même si l’honnêteté intellectuelle nous commandait, bien sûr, de les resituer dans toute leur vérité. Vous  rencontrez, d’ailleurs, ce quatrain, ici ou là, encore raccourci de ses deux derniers vers et, le cas échéant, son sens s’élargira encore d’autant : “Quand ta parole est blanche et ta pensée est fauve*, Tu voles en tenebres comme une soris chauve. », ce qui semble indéniablement prouver que la sémantique a ceci de commun avec l’homéopathie que retrancher ou diviser n’est pas forcément soustraire; ce n’est pas surement pas Paracelse qui viendra me chercher des poux dans la tête là-dessus, et c’est tant mieux, remarquez bien, parce que la vue d’un spectre de plus de cinq cents ans, fut-il Paracelse en personne, pourrait me faire flancher, si elle ne me fait battre le record olympique du 100 mètres, départ arrêté.

De la répartie en toutes circonstances

Quoiqu’il en soit, si d’aventure ce moment se présentait où un outrecuidant, le sourire en coin et fier de son effet, vous cite, l’air pompeux, ces deux alexandrins,  vous aurez, j’en suis sûr, une pensée attendrie pour votre serviteur et vous pourrez alors, de toute votre superbe, jeter au front du cuistre : « Sais-tu, ma petite Martine, d’où vient exactement cette phrase ? Et qu’en plus même que fauve n’est pas qu’une couleur ? »  Alors, attention, je le précise quand même, si la personne vous faisant face ne s’appelle pas Martine, il vous sera bien sûr toujours possible de remplacer le prénom dans la phrase sus-citée. Je donne un exemple pour que tout soit bien clair : mon p’tit Eusèbe, ma p’tite Marie-Catherine. citation_medievale_jean_de_meung_humour_nonsens_relever_le_gantBref, vous avez compris le principe, même si je vous conseillerais assez, personnellement, et pour ménager votre effet, de maintenir la locution telle quelle; l’effet de surprise et le camouflet n’en seront que plus grands. Ah, mes amis, quelle manière plus enlevée de relever le gant! Je vois déjà d’ici la mine pitoyable du pauvre Eusèbe face à ce revers du destin! Alors, mais qu’est-ce qu’on dit? Hein? Merci qui? Je plaisante bien sûr, ne nous remerciez pas, c’est bien naturel.

Note du traditore

Même si le sens global de l’extrait est compréhensible, à l’habitude et pour vous donner un petit coup de pouce, nous avons, vous l’aurez noté, ajouté quelques aides de traduction pour certains mots de vieux français, Pour le verbe issir, tiré du vers « Car du cuer doit issir ce qui te dampne ou sauve », vous auriez, toutefois,pu en deviner le sens sans notre aide et avec un simple brin de logique. Ne dit-on pas, en effet: « l’issi d’sicours » ou même encore « par issi la sortie »? Bon, d’accord, d’accord, vous avez gagné! Cette fois encore, c’est moi qui sort. Mais ne pensez pas que vous vous en tirez à si bon compte, un jour nous aurons tout de même à parler plus longuement de Jean de Meung!

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Une belle journée à tous !

Fred
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« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. »  Publilius Syrus   Ier s. av. J.-C