Sujet : poésie satirique, huitain, épigramme, poésie médiévale, poésie morale, poète breton, code de conduite, citation médiévale, Bretagne médiévale. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491) Manuscrit : Jehan Meschinot, sieur des Mortières. Poésies diverses, MS 905, Bibliothèque de Tours.
Bonjour à tous,
n ces mois d’été, nous relâchons un peu nos efforts sur les publications mais voici tout de même une jolie épigramme médiévale de Jean Meschinot pour vous inspirer. Dans le courant du XVe siècle, cet homme d’armes et poète breton s’est distingué par un vrai talent de plume et une œuvre morale et satirique dans laquelle il n’a pas hésité à dénoncer les mauvais princes et leurs abus de pouvoirs.
Un huitain sur dire et faire
A l’exception de sesLunettes des Princes(son legs le plus célèbre), Jean Meschinot a particulièrement excellé dans l’art de la ballade en matière poétique. On se souvient notamment de ses 25 ballades vitriolées contre Louis XI (1). La pièce du jour est plus courte et plus douce aussi dans l’approche. Du point de vue de la forme, il s’agit d’une épigramme et d’un huitain.
En quelques rimes enlevés, Meschinot plaide l’importance de la parole donnée et les vertus de l’action sur le verbiage. Opposition du faire et du dire, nécessité de cohérence entre les deux, le poète médiéval nous montre, une fois de plus, la grâce de son style. En fin d’épigramme, il soulignera aussi l’importance de la prévenance et de la douceur envers autrui, en toute circonstance. Qui dira encore après cela que le Moyen Âge ne connaissait que la violence et n’était pas civilisé ?
« Rien dire ne devez sans Faire« Une épigramme de Meschinot
NB : le moyen français de Meschinot ne pose guère de difficulté de compréhension. Aussi, nous laissons cette poésie dans sa forme originelle et sans l’annoter.
Rien dire ne devez sans faire, Des choses qui touchent promesse. Sans rien dire vous devez faire Vaillance de corps et prouesse. Vous devez faire et aussi dire, En tout temps, doulceur à aultruy. Et ne devez faire ne dire Jamais desplaisir à nully.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE. Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
PS : sur l’image d’en-tête, vous trouverez un détail du manuscrit MS 905 de la Bibliothèque de Tours. Cet ouvrage du XVe siècle qui contient des poésies variées de Jean Meschinot n’a pas été digitalisé dans son entier, à date. Seul le feuillet 73v est disponible en ligne. Voici une lien utile pour le consulter.
Sujet : poésie satirique, poète breton, ballade, satire, poésie politique, auteur médiéval, Bretagne médiévale, oïl, moyen français. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean Meschinot (1420 – 1491) Titre : Pource que l’œuvre en est desnaturelle Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF Ouvrages : poésies et œuvres de Jean MESCHINOT , édition 1493 et édition 1522.
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous repartons en direction de la Bretagne médiévale, non point celle du roman arthurien et de sa « matière de Bretaigne » mais celle, politique et satirique du poète et soldat Jehan Meschinot.
Nous sommes au cœur du XVe siècle, dans une France troublée, sous la main de Louis XI. Entre grogne du peuple et révolte des barons, un certain nombre d’auteurs et poètes d’alors gronde contre les abus de la couronne. Ce fut notamment le cas du chroniqueur flamand Georges Chastelain, officiant à la maison de Bourgogne. A la suite de ce dernier, Jehan Meschinot, lui-même au service des ducs de Bretagne, rédigea 25 ballades satiriques contre le pouvoir central français et son roi. Il se servit notamment du texte « Le Prince » de Georges Chastelain, pour lui emprunter les envois de ses poésies.
On peut retrouver ces 25 ballades médiévales sans concession de Meschinot à la fin de certaines éditions des Lunettes des Princes, ouvrage le plus célèbre de Meschinot, sur les bons usages du pouvoir politique et les exactions de ce dernier. De nature fortement critique, elles pointent donc du doigt les abus que faisait peser le règne de Louis XI sur le peuple d’alors, autant qu’elles entendent souligner la corruption et les vices du souverain. On y retrouve aussi clairement le mépris et la haine qu’inspire alors ce dernier au poète breton.
Pouvoir abusif & valeurs en chute libre
La ballade du jour apparaît comme la 22ème de la série. Cette fois, c’est la dimension contre-nature ou dénaturée du pouvoir que Meschinot met en exergue. En opposant l’héritage des bons et vertueux princes du passé, il dénonce une « valeur » des puissants et des gens de pouvoir en chute libre.
Menteurs, corrompus, convoiteux, à l’inverse de ceux qui les ont précédés, ces nouveaux seigneurs que voit œuvrer Meschinot lui apparaissent comme sans foi ni loi, ne pensant qu’à piller et guerroyer entre eux. Fats et imbus d’eux-mêmes, ils s’autoproclament « parfaits ». Pourtant pour l’auteur médiéval, le verdict est sans appel : ils ne sont même pas les ombres ou les reflets des pères de passé, mais bien plutôt des antithèses grossières et contrefaites.
Entre les lignes de cette ballade, on trouvera encore l’idée d’une classe de lourdauds, héritiers du pouvoir et qui ne recherchent que ses avantages. Pour le poète breton, cette classe s’oppose, là aussi, clairement aux vertueux anciens qui eurent à conquérir les honneurs par leurs actes et ne les possédaient pas à la naissance. Pour finir, le poète exhortera tout de même ces pâles copies de pouvoir, criblées de vices et qui n’ont de seigneurs que le nom, à se retourner en arrière, en formant l’espoir qu’ils y trouvent quelque inspiration auprès de l’exemplarité des grands du passé, Au passage, il pourra ainsi se consacrer à des choses plus agréables à écrire que ces diatribes que la médiocrité des gens de pouvoir le force à coucher sur papier.
Aux sources anciennes de cette poésie
Vous pourrez retrouver cette ballade dans le manuscrit Français 24314 de la BnF. Cet ouvrage médiéval qui contient l’œuvre de Jean Meschinot est en libre consultation sur Gallica.fr. Nous concernant, pour la retranscription de la ballade du jour, nous nous sommes appuyés sur deux éditions différentes des Lunettes des princes : celle de 1522 de Nicole Vostre et une autre datée de 1493, imprimée à Nantes.
Si le sujet vous intéresse et en fouillant un peu, vous pourrez également débusquer un certain nombre d’éditions modernes contenant les Lunettes des Princes de Meschinot , suivies de ses 25 ballades contre Louis XI. Certains ouvrages ont été édités, ces dernières années, 0qui les proposent. Attention toutefois, toutes les éditions du marché ne les contiennent pas. Aussi, si vous décidez d’acquérir Les lunettes des princes assurez-vous que ces poésies de l’auteur breton s’y trouvent ; il serait dommage de passer à côté.
Pour ceux que l’œuvre en est desnaturelle Une ballade satirique de Meschinot
NB : bien qu’en apparence assez proche du français actuel, le moyen français de Meschinot peut réserver quelques difficultés. Nous vous fournissons donc quelques clefs de vocabulaire pour mieux le saisir.
Ou sont les bons qui aultrefois vesquirent Et qui vertus en leur beaulx jours acquirent O dieu, fay tant qu’aulcun d’iceulx ressourde Pour voir comment les honneurs qu’ils conquirent, Qu’eulx n’eurent pas, dès le jour que nasquirent, Sont a présent venus en gent beslourde (grossiers, lourdauds). Bien leur seroit a porter pesant fais, Quand ils verroient les deshonnestes fais Commis par ceulx que seigneurs on appelle, Qui ne tiennent vérité en langage Ne fermeté en faict : c’est cas saulvage Pour ce que l’œuvre en est desnaturelle (dénaturée, contre-nature).
Les prudes (probes, sages) gens en leur temps ne s’enquirent Fors de bonté et sagesse qu’ils quirent (quérir) Dont les meschans d’aujourd’hui tiennent bourde (considèrent sottise). Eureusement en aise se chevirent (s’exécuter, s’en acquitter), Et, a la fin, plains de grans ans se virent : Qui ne l’entend, de simplesse (simplicité), se hourde (se pare, se drappe) Doncques prince qui vous nommez parfaicts Et ne voulez ensemble vivre en paix Par union et amour fraternelle Mais l’autruy bien voulez et l’heritage C’est tres grant mal s’enrichir de pillage, Pource que l’oeuvre en est desnaturelle.
A tous seigneurs je supply que se mirent (mirer) Aux vertueux qui, a bonté, se mirent (mettre) Et non a ceulx qui font la lime sourde (ignorent sournoisement). Leurs grans deffaulx et malice remirent Et facent tant que plus contre eulx ne m’irent(me mette en colère) Dont il faille que de mon lit ne sourde (ne me lève, sorte) Pour escrire de leurs vices jamais Ce me seroit ung dolent entremais (un divertissement douloureux). Mieux me plairoit raconter chose belle Que d’un seigneur ou homme de parage (de noble naissance) Qui n’a valeur emplus ou moins qu’ung page Pource que l’oeuvre en est desnaturelle.
Prince qui porte et soustient les maulvais Contre les bons, l’honneur de son palais Et en perverse et honteuse querelle Celui conduyt un criminel ouvrage Qui amatist (abattre, flétrir) main noble et hault courage Pource que l’oeuvre en est desnaturelle.
Pardon encore de ce rapprochement mais, en la relisant dans le contexte social et politique actuel troublé, cette ballade ne nous semble guère avoir vieilli. Par delà son contexte historique et comme toute bonne poésie morale, elle résonne de la trahison des puissants sur leur peuple et des exactions politiques qui, des temps les plus reculés jusqu’aux plus récents, ont porté le visage de la tyrannie, de la corruption et de l’oppression.
En vous souhaitant une belle journée. Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : en tête d’article, vous trouverez les pages du manuscrit médiéval Ms Français 24314 de la BnF, correspondant à la ballade du jour, ainsi que la belle enluminure de l’auteur qui trône au début de cet ouvrage du XVe siècle.
Sujet : poésie satirique, poète médiéval, poète breton, ballade satirique, poésie politique, auteur médiéval, Bretagne Médiévale, pauvreté, Français 24314, ballade médiévale. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491) Titre : Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.
Bonjour à tous,
u XVe siècle, Jean Meschinot, seigneur breton de petite noblesse, officie comme écuyer au service du duché de Bretagne. Il servira militairement sous plusieurs ducs mais connaîtra, toutefois, quelques déboires et notamment, une période compliquée qui le laissera désemparé financièrement et en grand désarroi : sa charge d’écuyer ne lui sera, en effet, pas renouvelée au moment de l’accession de François II de Bretagne au duché, le 5eme duc qu’il sert.
Après cet épisode marquant, on retrouvera notre homme d’armes et poète médiéval, occupant différentes positions dans ce même duché ainsi qu’à la maison du comte de Laval : capitaine du château de Marcillé, maître des monnaies et en charge de grands ateliers monétaires bretons, il sera encore, vers la toute fin de sa vie, maître d’hôtel pour le compte d’Anne de Bretagne.
Une œuvre critique et satirique
En matière poétique, Jean Meschinot nous a légué des textes engagés sur la morale du pouvoir autant que sur les exactions et les abus de celui-ci. Son œuvre majeure Les lunettes des Princes sera imprimée post-mortem. Le poète breton y imposera un style incisif et l’ouvrage connaîtra un succès important, en son temps, avec près d’une trentaine d’éditions. Pour en mesurer l’impact, c’est plus que ce qui fut réservé au Testament de Villon.
Nous avons déjà eu l’occasion d’en étudier quelques-unes ici, mais, en autres productions, le poète breton léguera encore 25 ballades caustiques contre le pouvoir de Louis XI en s’appuyant pour leurs envois, surLe Prince de Georges Chastelain, autre grand poète et chroniqueur du XVe siècle. Ces poésies satiriques suivent, assez souvent, les premières éditions des Lunettes des Princes.
Dans le courant du siècle suivant, Clément Marot rendra lui-même un hommage explicite à Jean Meschinot dans un épigramme en forme d’éloge aux plus grands poètes français. Le ver est demeuré célèbre : « Nantes la Brette en Meschinot se bagne. » Le Breton y trouvera bonne place, en compagnie de noms aussi prestigieux que Jean de Meung, Alain Chartier, Georges Chastelain, Octovien de Saint-Gelais, ou encore François Villon(1).
« Gens sans argent… » : une poésie amère sur l’indifférence envers les plus démunis
La ballade du jour est une autre belle pièce de poésie morale de Meschinot. Comme on le comprendra, sa propre détresse financière en est indubitablement la cause. Si le poète y fait un constat amer sur son temps, il ne s’agit donc pas d’une grande envolée sociale, comme on pourrait être tenté de l’interpréter, mais d’abord d’un témoignage sur sa propre condition et sur l’indifférence que ses propres difficultés suscitent aux yeux de la haute aristocratie bretonne.
Pour autant, comme d’autres auteurs avaient pu le faire dans le courant du Moyen Âge tardif (par exemple, Eustache Deschamps qui lui est antérieur ou Henri Baude qui lui est contemporain), Meschinot déplorera ici que l’avoir et les deniers en soient venus à supplanter les « mérites véritables » : ceux de classe, d’instruction ou encore ceux issus de valeurs et qualités morales.
Ainsi, il opposera les clercs instruits, les hommes bien nés, les humbles, les sages, les pauvres et les vertueux à tous ceux que la société et l’aristocratie de son siècle leur préfèrent, avec la complicité ouvertes des princes : autrement dit, les riches et les nantis, dussent-ils être renégats, voleurs, beaux parleurs ou même encore blasphémateurs. Meschinot ira même plus loin en déclarant que, depuis les temps bibliques, on ne connut de princes et de pouvoir plus permissifs envers les vices et les méfaits.
De ceux qui n’ont rien à « ceux qui ne sont rien »
« Dans la ploutocratie naissante du XVe siècle » comme la qualifiait, au fin du XIXe siècle, Arthur de la Borderie, historien français, biographe du poète breton (2), Mechinot relèvera donc, avec dépit, que celui qui n’a pas d’argent n’existe pas au regard du pouvoir et des jeux mondains : « Gens sans argent, ressemblent corps sans âme ». Totalement Invisibilisés, les miséreux sont condamnés à « n’être rien » aux yeux des princes que de pauvres enveloppes vides. Autrement dit, quand l’avoir se confond avec l’être, on finit par considérer, dans les hautes sphères, que « ceux qui n’ont rien, ne sont rien » : cela devrait rappeler quelques mauvais souvenirs à certains.
Pour conclure, dans sa grande détresse, Jean Meschinot en viendra même à souhaiter sa propre mort ce qui, en dehors des nombreuses allégories courtoises dont le Moyen âge est pavé (cf : je muir d’amourette) est assez peu commun dans la littérature médiévale et dans un tel contexte :Prince, ce mest a porter pesant fais, et desir estre plus que jamais, Avec les bons qui gisent soubz la lame, écrira-t-il. Autrement dit « Il me faut porter ce triste fardeau et je désire plus que jamais rejoindre les bons qui gisent sous la terre« .
Sources manuscrites médiévales
Jean Meschinot meurt à la toute fin du XVe siècle, moment où l’on entre à plein dans l’air de l’imprimerie. Pour les éditions « modernes », à partir de la première, datée de 1493, vous aurez donc l’embarras du choix. En cherchant un peu, vous en trouverez même un certain nombre en ligne datées de la fin du XVe et du XVIe siècles, que vous pourrez même vous amuser à déchiffrer.
En ce qui concerne des sources plus anciennes et manuscrites, vous pourrez vous reporter utilement au Manuscrit Français 24314 de la BnF (à consulter sur Gallica). Cet ouvrage, daté du XVe siècle, contient l’oeuvre de l’auteur breton sur quelques 146 feuillets. De notre côté, pour la transcription complète de cette ballade en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur l’édition des œuvres de Meschinot par Nicole Vostre (1522) : « Jehan Meschinot, escuier, en son vivant grant maistre d’hostel de la royne de France« , ainsi que sur l’édition d’Étienne Larcher, « poésies de Jehan de Meschinot », Nantes (1493).
Une réédition récente des œuvres de Meschinot
Si vous êtes intéressés par les œuvres de cet auteur médiéval, dans un format imprimé récent, il vous faudra être vigilant à ce que l’édition choisie contienne bien les additions originales des Lunettes des Princes de Meschinot et notamment les 25 ballades et autres textes de l’auteur.
En 2017, les éditions Len ont réédité un ouvrage qui semble correspondre à ces critères. Il se base sur une première édition de 1501 par le libraire Michel le Noir, ayant pour titre : « Les lunettes des princes avec aucunes balades et additions nouvellement composées par noble homme Jehan Meschinot et escuyer, en son vivant grant maistre dhostel de la Royne de France ». Vous devriez pouvoir commander ce livre broché chez votre libraire habituel. A défaut voici un lien utile pour le trouver en ligne.
Gens sans argent, ressemblent corps sans âme dans le moyen français de Meschinot
Fy d’estre fils de prince ou de baron Fy d’estre clerc ne d’avoir bonnes moeurs ! Ung renoyeurs (renégat), ung baveux, ung larron, Ung rapporteur ou bien grans blasphemeurs, Plus sont prisez aujourd’hui, — dont je meurs, Voyant ainsi les estats contrefaits (3) Qui a de quoy est en dicts et en faicts. Sage nommé et sans aucun diffame ; Mais les povres vertueux et parfaitz, Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.
Depuis le temps que Moyse et Aaron firent a dieu prieres et clameurs Pour évader l’ire du roy pharaon Et de ses gens de leur peuple opprimeurs Ne furent moins les princes reprimeurs Des grans vices regnans et des meffais Tels qu’ils se font ne furent jamais fais. Raison pourquoi on n’ayme honneur ne fame Qui a le bruyt (la réputation, renommée), les riches et reffais Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.
Or conviendra qu’a la fin reparon Les gras exces dont emplissons nos coeurs, D’autant que brin vault mieulx que reparon Et le bon fruict que les feuilles ou fleurs Valent vertuz plus que ces vains honneurs, Tresors mondains qui sont biens imparfaictz Les princes dont deussent heyr torsfaicts (haîr les meffaits, les forfaits) Aymer bonté donner aux maulvais blasme Mais tout ainsi qu’on bannist les infaitz (corrompus) Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.
Prince, ce mest a porter pesant fais (triste fardeau), Et desir estre plus que jamais, Avec les bons qui gisent soubz la lame (4), Puisqu’aujourd’hui entre bons et maulvais, Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Notes
(1)Epigramme des poètes françois, à Salel De Jean de Meun s’enfle le cours de Loire En maistre Alain Normandie prend Gloire, Et plaint encore mon arbre paternel : Octavian rend Cognac éternel : De Molinet, de Jan le Maire et Georges Ceux de Haynault chantent à pleines gorges ; Villon, Cretin ont Paris décoré, Les deux Grebans ont le Mans honoré. Nantes la brette en Meschinot se baigne ; De Coquillard s’esjouyt la Champaigne ; Quercy, Salel, de toi se vantera, Et (comme croy) de moi ne se taira. Clément Marot – Œuvres complètes
(2)« Un mal toutefois sur lequel sa satire (celle de Meschinot) est abondante, verveuse, empressée, c’est la ploutocratie, dont le règne commençait déjà. » Arthur de la Borderie, “Jean MESCHINOT, sa vie et ses œuvres, ses satires contre louis XI”. Arthur de la Borderie (1865).
(3) « Les estats contrefaits », la condition de chacun est jugée contre toute raison et à l’envers de toute bienséance (ou plutôt préséance).
Sujet : poésie satirique, poésie médiévale, poète breton, ballade médiévale, poésie politique, auteur médiéval, Bretagne Médiévale. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean Meschinot (1420 – 1491) Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF Ouvrages : Œuvres et poésies variés de Jean MESCHINOT , édition 1493, édition 1522 et biographie de Arthur de La Borderie, 1896.
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, à la poésie satirique de Jean Meschinot. Au Moyen Âge tardif, ce poète breton a critiqué vertement les abus du pouvoir dans ses Lunettes des princes. Poussant plus loin son engagement moral et politique, il a également prolongé cette œuvre par 25 ballades corrosives contre Louis XI.
Pour rédiger ces 25 poésies satiriques, brutales et sans concession, Jean Meschinot avait alors emprunté ces envois à un auteur célèbre de son temps : Georges Chastellain (Chastelain). Chroniqueur et poète médiéval d’origine flamande installé à la cour de Bourgogne, ce dernier ne s’était pas privé, lui-même, quelque temps auparavant, d’écorcher copieusement le roi français dans une longue diatribe intitulée « Le Prince« .
Ballade sur la souffrance du peuple sous le joug du pouvoir central
La poésie du jour est la dix-huitième de la série des 25 ballades de Meschinot. L’auteur breton y met l’accent sur la grande misère et la pauvreté dans lesquelles sont rendus les sujets du royaume de France et les petites gens. La prédation des puissants et, plus particulièrement, du pouvoir central y est mis directement en cause ; on retrouvera même l’image familière des loups cruels et sans pitié, gouvernant les ouailles en leur infligeant le pire.
Ce thème de la souffrance du peuple sous le joug du pouvoir est récurrent dans l’œuvre de Jean Meschinot ; il traverse ses 25 ballades comme ses Lunettes des princes. Ici, il invoquera Dieu en témoin des exactions d’un prince qui n’inspire aux hommes que « haine et froidure » et qu’il n’hésitera pas à qualifier de « pillard« .
Contexte historique de cette poésie
Pour replacer cette poésie médiévale dans son contexte, nous sommes non loin du temps de la ligue du bien public et des révoltes qui verront se soulever de nombreux nobles et leurs provinces contre Louis XI : Bourgogne, Bretagne, Lorraine, Berry, Armagnac, Bourbonnais, …
Autour de cette période et même après, Meschinot et Chastellain sont loin d’être les seuls à blâmer la gestion de Louis XI, comme nous le rappelle l’auteur Jean-François Lassalmonie dans un ouvrage de 2002 sur la politique financière de Louis XI :
« Les commentaires des chroniqueurs s’accordent pour blâmer sa libéralité excessive (celle de louis XI). Sa prodigalité leur apparaît d’autant plus condamnable qu’elle accablait inutilement ses sujets pour enrichir des hommes qui, par leur condition surtout, n’étaient pas fondés à leurs yeux à profiter des deniers publics : la redistribution qui s’opérait ainsi était jugée injuste. (…) Cette extorsion, vitupérait Basin (Thomas Basin – 1412-1491, évêque & chroniqueur français), était d’autant plus scandaleuse que le sang des pauvres ne servait qu’à engraisser des pensionnaires sans mérite et de vile condition, tant les distributions du souverain étaient inconsidérées » La boîte à l’enchanteur, Jean-François Lassalmonie (1)
Aux sources médiévales de cette ballade
Du côté des manuscrits anciens, vous pourrez retrouver cette ballade de Meschinot au cœur du ms Français 24314. Cet ouvrage daté du XVe siècle est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF et consultable sur Gallica.fr.
Pour sa transcription en graphie moderne, nous nous sommes, quant à nous, appuyés sur deux éditions différentes des œuvres de Meschinot : « Jehan Meschinot, escuier, en son vivant grant maistre d’hostel de la royne de France« , Nicole Vostre (1522), et « poésies de Jehan de Meschinot », Étienne Larcher, Nantes (1493). A noter que l’historien breton Arthur de La Borderie la mentionne également dans sa biographie de Meschinot datée de 1896 : Jean Meschinot, sa vie, ses œuvres, ses satires contre Louis VI ».
Et contre luy former larmes et plaintes. dans le français de Jean de Meschinot
O vous qui yeux avez sains et oreilles, Voyez, oyez, entendez les merveilles ; Considérez le temps qui présent court. Les loups sont mis gouverneurs des oueilles ; Fut-il jamais nenny choses pareilles ? Plus on ne voit que traisons à la court. Je croy que Dieu paiera en bref ses debtes, Et que l’aise qu’avons sur molles couettes Se tournera en pouretez (pauvretés) contraintes. Puisque le chef qui deust garder droicture Fait aux poures (pauvres) souffrir angoisse dure Et contre luy former larmes et plaintes.
Les bestes sont aux corbins et corneilles, Mortes de faim, dont peines nonpareilles (sans égales) Ont poures (pauvres) gens. qui ne l’entend est sourd. Las ! Ilz n’ont plus ne pipes ne bouteilles, Cidre ne vin pour boire soubz leurs treilles, Et brief je voy que tout meschief (malheur, infortune) leur sourt (advient), Les bons sages et anciens poetes N’enseignent pas a faire telz molestes (tourment, ennuis) (2) Come a present se font, ne telles faintes. C’est ung abus qui trop longuement dure Qui cause en est, fait envers dieu injure Et contre luy former larmes et plaintes.
Seigneur puissant, saison n’est que sommeilles, Car tes subjectz prient que tu t’esveilles. Ou aultrement leur temps de vivre est court. Que feront-ils si tu ne les conseilles ? Or n’ont-ilz plus bledz (blé), avoines ne seigles, De toutes pars misère leur acourt. A grant peine demeurent les houettes (3). Abillement des charues et brouettes, Qu’ilz ne perdent et aultres choses maintes, Par le pillart qui telz maulz leur procure : Auquel il faut de tout faire ouverture. Et contre luy former larmes et plaintes.
Envoi (Georges Chastellain)
Prince qui sourt nouvellettez estroictes (4) Et retrecist les amples voyes et droittes Celles que honneur doit maintenir non fraintes (entières, non brisées) Celluy esmeut cueurs d’hommes en murmure Les fait tourner a hayne et a froidure Et contre luy former larmes et plaintes.
Notes
(1)‘La boîte à l’enchanteur,Politique financière de Louis XI, Jean-François Lassalmonie (2002) (2) ms 1493 « a faire telz moettes » : moue, grimace. (3) petite houe, outil utiliser pour bécher la terre. (4)Prince qui sourt nouvellettez estroictes : qui répand des nouveautés étriquées
NB : l’image de l’image d’en-tête provient du ms 24314. Elle représente un portrait de Jean Meschinot face aux travers et vices qui le visitent.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes