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Le Passe-temps, vieillir au Moyen Âge selon Michault Taillevent

Sujet : poésie réaliste, littérature médiévale, poète médiéval, poète bourguignon, Bourgogne médiévale, vieillesse.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Michault (ou Michaut) le Caron, dit Taillevent ( 1390/1395 – 1448/1458)
Titre : Le passe-temps

Bonjour à tous,

ous vous invitons, aujourd’hui, à un nouveau voyage vers les rives du Moyen Âge tardif. Ce sera l’occasion de retrouver les beaux talents de plume de Michault le Caron dit Taillevent. Au XVe siècle, ce poète et acteur à la cour de Bourgogne laisse une œuvre plutôt fournie dans laquelle se distingue, particulièrement, son « Passe-temps ». C’est de ce joli poème de quatre-vingt huit septains dont nous poursuivrons ici l’étude. Du point de vue de la langue, nous nous situons donc dans le moyen français.

Souvent confondu avec un autre Michault – Pierre Michault, l’auteur de la Danse aux Aveugles (*) – il semble que notre poète du jour n’ait pas connu une destinée posthume à la hauteur de ses talents d’écriture. Loin de la renommée d’un Rutebeuf ou d’un Villon, le Passe-Temps de Michault le Caron a pourtant des qualités qui devrait lui réserver une belle place dans certaines anthologies de poésie médiévale de langue française. Au début du XXe siècle, Pierre Champion ne s’y est pas trompé qui lui fit une belle place dans son Histoire poétique du XVe siècle (Edition Honoré Champion, 1923).

Le passe-temps de Michault Taillevent, extrait du jour avec une gravure, (portrait de lui) daté du XVe siècle

Vieillir au Moyen Âge

Dans les courants du Moyen Âge central à tardif, les auteurs médiévaux n’ont pas manqué d’aborder le thème de la vieillesse. Peu avant Michault Taillevent et pour n’en citer qu’un, on pense notamment à Eustache Deschamps qui s’est souvent plaint de l’hiver de sa vie, quitte à se tourner quelquefois même en dérision (voir par exemple, « Pardonnez-moi car je m’en vois en Blobes » ou « Toute maladie me nuit« ). Problèmes de santé, ostracisation sociale, déboires économiques, mais encore misère psychologique, Eustache n’a pas tari de détails au moment d’exprimer les misères de l’âge.

Quelques temps après lui, le texte de Michault Taillevent résonne comme un témoignage poignant sur les outrages de l’âge mais aussi sur la nostalgie du temps passé. Vieillesse et pauvreté ne font pas bon ménage. Sous la plume de l’auteur du XVe siècle, l’infortuné tombé dans cette double condition se trouve accablé de tous les maux. La nostalgie et la misère ne suffisent pas. Il faut encore que la justice et la rumeur l’accablent en le traitant pis que larron. Solitude, difficultés, stigmatisation, la vieillesse se pose donc aussi comme l’histoire d’une marginalisation.

Un joli Passe-temps sur le fond et la forme

Bien sûr, il n’est pas question de faire de ce poème médiéval de Taillevent, un archétype de la vieillesse au Moyen Âge. D’abord, nous n’en avons pas les moyens dans le cadre de cet article et ce serait encore sans compter sur les disparités du Moyen Âge au long de ses 1000 ans d’histoire.

Ensuite, même en restant focalisé sur le XVe siècle, on imagine bien qu’un petit paysan dauphinois, un riche bourgeois des villes ou encore un abbé cistercien n’étaient pas égaux face aux vicissitudes de l’âge. Rentes et possessions, présence d’un entourage ou d’une communauté monastique, réalité de l’espérance de vie, tout cela devait atermoyer, dans certains contextes au moins, les difficultés économiques venues s’ajouter au reste (**) . Gardons nous donc de généraliser même si, en matière de lutte contre l’adversité, le cas de Taillevent est loin d’être isolé (***).

Témoignage nostalgique sur le temps qui passe, récit d’une déroute, le Passe-Temps de Michault est l’histoire d’un homme, comme on en imagine de nombreux autres au Moyen Âge. Il n’a pu mettre suffisamment de subsides de côté et il lutte pour survivre durant ses vieux jours. Socialement favorisé durant sa vie active – il a servi les plus grands princes à la cour de Bourgogne – , il n’a pourtant rien pu thésauriser et le temps lui a filé entre les doigts. A l’hiver de sa vie, l’acteur, amuseur et poète de cour devient un peu la cigale de la fable.

Sur la forme, Michault fait ici largement étal de sa virtuosité et de son aptitude à jouer sur les mots. Cependant, on aurait tort de réduire son Passe-temps à un bel exercice de style. Le rythme de ses vers, ses effets littéraires, comme ses fins de strophes en manière de proverbe n’enlèvent rien à l’émotion et l’empathie qu’il suscite. Pour cette double raison, ce texte médiéval reste incontournable de notre point de vue. Sur le plan poétique c’est une réussite, mais c’est aussi un riche témoignage sur le thème de la vieillesse et de la pauvreté au Moyen Âge tardif.

Aux sources du Passe-temps de Michault

On peut retrouver cette poésie de Michault dans un nombre important de manuscrits des XVe, XVIe siècles. Vous pouvez consulter Arlima à ce sujet. Révolution Gutenberg oblige, on retrouve également un certain nombre d’éditions imprimées de l’ouvrage.

Au vue du nombre de manuscrits et d’éditions en présence, il est indéniable que le Passe-temps de Michault a connu un beau succès en son temps. Il a également été cité en référence par d’autres auteurs d’époque, ce qui atteste encore de sa résonnance. Le site Gallica vous propose trois éditions imprimées différentes, en voici une datée du XVIe siècle.

Le Passe-Temps Michault, extrait du jour dans l'édition nouvellement imprimé, XVIe, BnF.
Le Passe-Temps Michault, édition nouvellement imprimée, BnF (consulter en ligne)

Le passe-temps Michault, extraits 4 :
« Tel pain menge on qu’on enfourna« 

Nous reprenons donc nos extraits du Passe-temps de Michault Taillevent où nous les avions laissés. Vous pourrez retrouver les extraits précédents aux liens suivants, si toutefois vous les aviez manqués :


NB : entre tournures spécifiques, vocabulaires, et faux-amis, le moyen français de Michault peut poser quelques difficultés. Aussi, nous vous donnons à l’habitude quelques clefs de traduction.

De viellesse suiz bien content.
Bien scay qu’il fault viel devenir,
Et aussi scay je bien qu’on tend
Tousjours a sa fin advenir.
Mais ou elle peut avenir.
Et ou elle point picque & mort,
Povreté est pire que mort.

(1) Mal n’est qu’en poureté, ne sourde : il n’est mal qui ne découle de pauvreté
(2) Tel pain menge on qu’on enfourna : on récolte ce qu’on sème
(3) Menton soustenu, souef nage : celui qui a un appui, navigue tranquillement
(4) Atropos, déesse grec du destin et de la destinée qui peut sceller le sort d’un homme avec son instrument tranchant.
(5) Mantel de sac n’est nul temps chappe : un manteau n’est jamais une cape.


Similitudes stylistiques et thématiques

On notera d’étonnantes similitudes de vocabulaire et même de style entre certaines strophes du jour et un Mystère daté de la fin du XIVe siècle. La pièce, un Miracle de Notre Dame mettait en scène une jeune fille prête à tout pour sauver ses parents de la misère (****). Comme on le voit, la tirade d’introduction jouée par le père de la jeune fille reprend des images et des locutions très proches des thèmes abordés, un plus tard dans le temps, par Taillevent.

Le père :
 » Mal n’est qu’en povreté ne sourde.
Povreté est pire que mort.
Fortune à mes clameurs est sourde
Dont malheur trop cruel me mort.
O mort, pourquoy prens-tu remort,
Que tou dard mes maulx si n’asourde
Sans nul resourse ne confort.
Mal n’est qu’en povreté ne sourde.
« 

Plus loin dans le même mystère, une fille de joie harangue les clients dans la rue avec une chanson qui, là encore, ne manque pas d’évoquer le thème approché par Michault mais aussi une des locutions proverbiales utilisées dans notre extrait du jour :

« Boyre fault comme on la brassé
Hée le temps passé
Ne peult revenir.
Brief le souvenir
Rent mon cœur tout mal et cassé.
« 

Coïncidence ou clin d’œil de Taillevent à cette pièce ? On sait qu’il avait en charge l’organisation des spectacles à la cour de Bourgogne. Peut-être connaissait-il ce mystère ?

Retrouver la biographie détaillée de Michault le Caron dit Taillevent ici.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Notes

(*) Il s’agit du Pierre Michault de la Danse des Aveugles. Voir à ce sujet l’article Pierre Michault et Michault Taillevent du médiéviste Arthur Piaget, dans Romania 71, 1889.

(**) Sur les moyens économiques au moment de la vieillesse, la présence d’un entourage et les sollicitudes des jeunes générations à l’égard des séniors, on fera ici un clin d’œil amusé au fabliau « La Housse Partie » du trouvère Bernier. On se souvient de l’histoire de ce riche bourgeois chassé par son fils ingrat et nouvellement marié et réduit à vivre dans la précarité.

(***) Pour approcher plus en détail le sujet de la vieillesse au Moyen Âge, vous pouvez valablement vous reportez aux actes du colloque : « Vieillesse et vieillissement au Moyen Âge » sortis en 2014, aux Presses universitaires de Provence.

(****) Voir Histoire du Théâtre en France : Les Mystères, Louis Petit de Julleville, Paris, Hachette, 1880 (T2 p 169) ou plus directement : Mistere d’une jeune fille laquelle se voulut habandonner a peché, par Lenita Locey et Michael Locey, Edition Droz,1976.

Devoir Politique : Miséricorde et Prévoyance du Roi dans le Livre des Secrets

Enluminure du philosophe Aristote à son pupitre ( XVe siècle)

Sujet : miroir des princes, précis politique, bon gouvernement, roi, devoir politique, prévoyance, Aristote, Alexandre le Grand, miséricorde, morale politique.
Période : Moyen âge central (Xe au XVe siècle)
Livre : Sirr Al-Asrar, le livre des secrets du Pseudo-Aristote, ouvrage anonyme du Xe siècle. Le Secret des Secrets, édition commentée par Denis Loree (2012).

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous explorons la littérature politique médiévale, avec un nouvel extrait du Secret des Secrets du Pseudo-Aristote. Dans l’Europe des XIIe au XVe siècles, ce best-seller médiéval connut un grand succès et de nombreuses traductions.

Naissance d’un best-seller médiéval

L’ouvrage a émergé au sein du monde arabe, dans le courant du Xe siècle. Il y est connu sous le titre de « Kitāb Sirr al-asrār » ou « Sirr al-Asrar », le Livre des Secrets. Il deviendra le Secret des Secrets ou Secretum Secretorum dans ses premières transcriptions latines.

Son contenu originel est présenté comme la traduction d’une correspondance entre le philosophe Aristote et l’Empereur Alexandre le Grand. N’ayant pu attester cette origine de manière documentaire, on attribua, plus tard, l’ouvrage à un auteur du nom Pseudo-Aristote. Du même coup, on supposa que le Livre des secrets avait été conçu dans le monde arabe qui l’avait vu apparaître.

Du point de vue du contenu, le Secret des Secrets ouvre sur une large partie qui adresse les devoirs des princes et les conditions d’un exercice moral et stratégique du pouvoir. « Aristote » y prodigue ses conseils à Alexandre, dans le style des miroirs des Princes bien connus du Moyen Âge. Dans les parties suivantes, le best-seller médiéval explore des thèmes plus variés et encyclopédiques : santé et médecine, astrologie, alchimie, etc…

« De la Miséricorde (ou Garnison) du Roy » dans le NA FR 18145

En version courte comme en version longue, les traductions du Livre des Secrets connurent une grande popularité. Cette propagation le fit commenter par de nombreux auteurs médiévaux (cf Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art de Roger Bacon). D’autres s’en inspirèrent également pour leurs propres écrits.

Anticipation des temps difficiles et bienveillance du pouvoir

Le sujet de notre extrait du jour se situe pleinement dans le champ du devoir politique. Il porte sur l’importance de la prévoyance en matière de gestion alimentaire. Anticiper les futures disettes, savoir thésauriser le blé et les victuailles, le roi diligent voit loin. Il doit prévoir les temps difficiles et s’y préparer pour la sauvegarde de ses sujets. Dans le Livre des secrets, comme plus généralement dans les miroirs des princes, le gouvernant prévenant sera payé en retour de sa miséricorde et de sa bienveillance. Il y gagnera la reconnaissance de son peuple et le respect de son autorité.

Au passage, cette injonction faite au pouvoir dans le célèbre best-seller médiéval semble faire étrangement écho à certains événements d’actualité. On pense notamment aux questions de souveraineté alimentaire soulevées encore récemment par la gente paysanne en révolte et en détresse.

De la Garnison du Roi (1)

"De la Garnison du roi" Livre des Secrets avec Enluminure d'Aristote remettant une missive à un messager (tirée du Manuscrit Na fr 18145 de la BnF)

« Chier filz, je te prie et conseille que tu faces tousjours grant grenison (provision) de bléz et de potages et de toutes vitailles que ton paÿs en ait tousjours habondance afin que, quant il avendra comme aucunefoiz avient le temps de chierté (nécessité) et de famine que tu puisses souvenir par ta grant prudence a tes subgés ; et dois ouvrir tes greniers et publier par ton royaume et par tes citéz les grains et autres vitailles que tu as assemebléz et gardéz : et sera grant cautelle (habileté, ruse) et grant sagesse la garde de ton royaume et au sauvement de ton peuple.

Lors tes subgés feront de grant courage tes commandemens. Lors sera ton fait en grant prosperité et tous s’esjouiront et se merveilleront de ta grant sagesse. Lors congnoistront tous que tu regarderas de loing en tes besoingnes (affaires, tâchers) et te reputeront comme saint et par ce priseront et loueront moult ta vaillance et chacun se redoubtera de toy courroucier. »

Le Livre des Secrets : Chap XXIV (24), De la Miséricorde du roy

(1) Garnison : ici dans le sens de provision, approvisionnement. Ce chapitre apparaît également sous le titre De la Miséricorde du Roy dans certains manuscrits.


Découvrir d’autres extraits du Secret des Secrets :


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
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NB : sur notre illustration, comme sur l’image d’en-tête, vous pourrez retrouver un extrait d’enluminure en provenance du manuscrit NA FR 18145 de la BnF (à consulter sur Gallica.fr)

Saluts d’Amour, un peu de courtoisie médiévale dans un monde brutal

Sujet : vieux-français, poésie médiévale, poésie courtoise, amour courtois, trouvères, troubadours, langue d’oïl
Période : Moyen-âge central XIIIe siècle.
Auteur : anonyme
Titre : Salut d’amour, Douce Dame salut vous mande
Ouvrage : Jongleurs & TrouvèresAchille Jubinal, 1835.

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons au XIIIe siècle et dans la France des trouvères pour y découvrir une rare pièce d’amour courtois. L’auteur nous est demeuré anonyme mais nous la disons rare parce qu’assez peu de traces écrites nous sont parvenues de ce genre poétique éphémère du Moyen Âge central appelé les « Saluts d’amour ».

Les saluts d’amour des troubadours aux trouvères

La pièce courtoise du jour accompagnée d'une enluminure du Codex Manesse (Manessische Handschrift, Große Heidelberger Liederhandschrift début XIVe siècle)

Les saluts d’amour forment un genre de pièces courtoises à part dans la littérature médiévale des XIIe au XIVe siècles. Le fine amant y salue généralement la dame de son cœur et loue ses qualités. Le plus souvent, ces pièces sont aussi tournées de façon à appeler une réponse de la dame en question.

On trouve l’origine de ces poésies courtoises dans la littérature provençale et chez les troubadours. Les plus anciennes qui nous soient parvenues sont, en effet, rédigées en langue d’Oc : Raimbaut III comte d’Orange et Arnaud de Mareuil ont inauguré le genre au XIIe siècle. Le XIIIe siècle assistera à l’émergence de saluts d’amour en langue d’oïl. Comme d’autres formes issues de l’art des troubadours du sud de France, les trouvères s’en sont donc vraisemblablement inspirés pour en composer à leur tour. C’est le cas de celui que nous vous présentons aujourd’hui puisqu’il est en langue d’oïl.

Les saluts d’amour dans la poésie médiévale

Les Saluts d’Amour étaient-ils très répandus. Peu de pièces de ce type nous sont parvenues (7 du côté des troubadours occitans et provençaux pour 12 en langue d’oïl en provenance des trouvères) mais il est possible qu’ils aient circulés oralement et que les traces écrites ne reflètent pas leur popularité d’alors. Ce fut, à tout le moins, l’avis du philologue Paul Meyer qui, dans le courant du XIXe siècle, mentionnait aussi la présence d’allusions à ces pièces amoureuses dans d’autres documents (1).

Si certaines de ces poésies courtoises médiévales se sont peut-être perdues en route, il faut constater que le salut d’amour est tombé assez vite en désuétude puisqu’on n’en retrouve plus, dans cette forme, après le XIIIe et les débuts du XIVe siècle.

Le Salut d'amour dans le manuscrit ms Français 837 de la BnF
« Douce Dame Salut vous mande« , Salut d’amour dans le ms Français 837 (voir sur Gallica)

Des pièces trempées d’amour courtois

Déclarations amoureuses ou même encore quelquefois, évocations de la douleur de la séparation et de l’éloignement, les saluts d’amour restent trempés de lyrique courtoise. Dans la pièce du jour, datée du XIIIe siècle, on retrouvera d’ailleurs tous les codes habituels de l’amour courtois.

Le loyal amant y remet sa vie entre les mains de la dame convoitée. Il louera ses grandes qualités et sa beauté et la suppliera de céder à ses avances. Les médisants trouveront aussi bonne place dans ce salut d’amour. C’est un autre classique de la lyrique courtoise. Les méchants, les jaloux et les persifleurs œuvrent, sans relâche, dans l’ombre des amants pour contrecarrer leurs plans et mettre en péril leur idylle ; quand l’amour courtois est sur le point de naître ou de s’épanouir calomnies, médisances et complots ne sont jamais bien loin (voir, par exemple, cette chanson médiévale de Gace Brûlé) .

Aux sources médiévales de la poésie du jour

Pour ce qui est des sources médiévales de ce salut d’amour, nous vous renvoyons au manuscrit ms Français 837 conservé à la BnF. Ce riche recueil de textes du XIIIe siècle contient de nombreux fabliaux, dits, contes et poésies diverses.

Plus près de nous, on peut retrouver cette poésie médiévale en graphie moderne dans un ouvrage du médiéviste et chartiste Achille Jubinal : Jongleurs & Trouvères, d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Roi,  1835.


« Douce Dame Salut vous mande »,
un Salut d’Amours en langue d’oïl

NB : quelques clés de vocabulaire devraient vous aider à percer les mystères de cette poésie courtoise. Dans son ensemble, elle demeure, vous le verrez, relativement intelligible.

Douce dame, salut vous mande,
Cil qui riens née ne demande
Fors vostre amor s’il pooit estre.
Or proi à Dieu le roi célestre,
Que ma poiere soit oïe,
Et M’oroison sont essaucie.
Tout premier vous vueil-je géhir,
Les maus que m’i fetes sentir.
Je ne dormi bien a .j. mois,
Ne ne fui une seule fois
Qu’il ne me souvenist de vous.

Tant sui-je por vous angoissous,
Que vous m’estes adès
(sans cesse) devant,
Et en dormant et en veillant,
Et en quelque lieu que je soie
M’est-il avis que je vous voie ;
Quar quant je regard votre afaire
(votre personne, vos manières)
Vos biaus iex et vo cler viaire,
Vos cors qui si est avenanz,
Adonc me mue toz li sanz.

D’amors m’i point une estincele,
Au cuer par desouz la mamele,
S’il qu’il me covient tressuer
(je suis en nage),
Et mult sovent color muer.
C’est la fins, vous le di briefment ;
Et tel pain, n’en tel torment
Ne puis vivre se ne m’aidiez.
Por Dieu, aiez de moi pitiez,


Douce dame, je vous aim tant,
Vo douz regart, vo douz samblant,
Que se j’estoie rois de France,
Et s’éusse partout poissance,
Tant vous aim-je d’amor très fine,
Que je vous feroie roine,
Et seriez dam de la terre.
E Diex ! Ci a mult male guerre :
Je vous aim et vous me haez.
Com par sui ore home faez
(ensorcelé),
Quant j’aim cele qui ne m’adaingne
(qui me juge indigne d’elle) ;
Mès Sainte Escripture l’ensaingne
C’on doit rendre bien por le mal
Tout ainsinc sont li cuer loial.
Si vous pri, dame, par amors,
Que de vous me viengne secors.
Or n’i a plus fors vo voloir ;
Vous pri que me fetes savoir
Prochainement et en brief tans,


Tout coiement ; por mesdisans
Je redout trop l’apercevoir
Quar il ne sevent dire voir
Et si sont la gent en cest mont
Qui plus de mal aux amanz font.
On n’i a plus, ma douce amie :
Et vous gist ma mort et ma vie ;
Ce que miex vous plera ferai,
Ou je morrai ou je vivrai.
Li diex d’amors soit avoec vous,
Qui fet les besoingnes à tous,
Et si vous puist enluminer
(illuminer),
Que ne me puissiez oublier.
Explicit Salut d’Amours


(1) voir Le salut d’amour dans les littératures provençales et françaises. Paul Meyer, Bibliothèque de l’École des chartes, 1867.

NB : sur l’image d’en-tête, vous retrouverez les premiers vers de notre poésie courtoise dans le Ms Français 837 de la BnF (XIIIe siècle). Quant à l’enluminure ayant servi à illustrer ce Salut d’Amour dans notre illustration, elle est extraite du très populaire Codex Manesse. Ce manuscrit médiéval allemand magnifiquement enluminé, daté des débuts du XIVe siècle est encore connu sous le nom de manuscrit de Paris. Il reste, à date, l’un des plus important témoignage de la poésie lyrique médiévale allemande.

En vous souhaitant une belle journée
Fred
Pour moyenagepassion.com
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L’importance de la poésie au Moyen Âge, avec Régine Pernoud

Sujet  :   citations, Moyen Âge,  historien, médiéviste, valeurs médiévales, valeurs actuelles, poésie médiévale, littérature médiévale, culture orale.
Auteur : Régine Pernoud (1909-1998)
Ouvrage : Lumière du Moyen Âge (1946)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous revenons aux réalités du monde médiéval avec une citation de l’historienne Régine Pernoud. Elle est extraite de son ouvrage Lumière du Moyen Âge. Sorti en 1946, cet essai prenait le contrepied d’une foule d’idées reçues sur le Moyen Âge.

Contre les idées reçues sur le monde médiéval

"Lumière du Moyen Âge" de Régine Pernoud

Bien que situé dans les premières publications de Régine Pernoud, Lumière du Moyen Âge semble préfigurer son œuvre toute entière. Dès lors, la médiéviste n’a cessé de combattre les préjugés à l’égard du Moyen Âge. Place des femmes, structure du pouvoir, rôle de l’Eglise, vie rurale et urbaine, « nouveauté » du Moyen Âge, particularités médiévales, peu de sujets ont échappé à sa sagacité.

A 80 ans de la sortie de ce livre, de nombreux médiévistes ont repris, depuis, ce même effort de déconstruction des préjugés à l’encontre du Moyen Âge. Aujourd’hui encore, cet ouvrage de Regine Pernoud reste, cependant, un classique facile d’accès et agréable à lire. On peut donc le recommander à tous ceux qui veulent appréhender, de manière plus juste et nuancée, la période médiévale.

Une citation de Régine Pernoud sur la poésie médiévale et sa place dans la vie de l'homme médiéval

Le goût du Moyen Âge pour la poésie

Dans la citation du jour, il est question de la poésie médiévale et de sa place dans la vie de l’homme du Moyen Âge. Régine Pernoud lui portait là un vibrant hommage. Elle parvenait même à nous la faire sentir de manière palpable dans le quotidien de l’homme médiéval, toutes classes confondues.

Nos lecteurs le savent, ce thème ne peut que nous parler. Depuis 2016, nous avons, en effet, mis en ligne plus de 560 textes issus de la littérature médiévale. Entre poésies, chansons, extraits divers, ces productions nous on permis de vous présenter, à date, plus de 80 auteurs médiévaux.

Pour les rendre accessibles, tous ces textes ont été traduits depuis leur langue d’origine (langue d’oïl, langue d’oc, anglo-normand, galaïco-portugais, …) en français actuel. Il nous est même arrivé de faire quelques incursions vers l’Italien, l’Anglais ou l’Espagnol anciens. Finalement, toutes ces langues reflètent la variété des langages de la France d’alors mais aussi d’une partie de l’Europe médiévale.

En matière de thème, les textes approchés portent sur l’amour courtois, la poésie morale et satirique, les fables, ou la vie médiévale. Toutefois, la prose y occupe une place bien moindre que la poésie et les formes versifiées. La citation du jour ne pouvait donc que nous ravir. C’est une évidence, le Moyen Âge a particulièrement aimé et célébrer ses langues et leurs richesses, à travers la poésie.


La poésie dans le monde médiéval, Régine Pernoud

« Jaillie tout entière de notre sol, la littérature médiévale en reproduit fidèlement les moindres contours, les moindres nuances ; Toutes les classes sociales, tous les événements historiques, tous les traits de l’âme française y revivent, en une fresque éblouissante. C’est que la poésie a été la grande affaire du Moyen Âge, et l’une de ses passions les plus vives. Elle régnait partout, à l’Eglise, au château, dans les fêtes et sur les places publiques : il n’y avait pas de festin sans elle, pas de réjouissances où elle ne joua pas son rôle, pas de société, université, association ou confrérie où elle n’eut accès.

(…) Dire des vers ou en écouter apparaissait (au Moyen Âge) comme un besoin inhérent à l’homme. On ne verrait guère, de nos jours, un poète s’installer sur des tréteaux, devant une barraque de foire, pour y déclamer ses œuvres : spectacle qui était alors commun. Un paysan s’arrachait à son labour, un artisan à sa boutique, un seigneur à ses faucons, pour aller entendre un trouvère ou un jongleur. Jamais peut-être, sauf aux plus beaux jours de la Grèce ancienne, ne se manifesta un tel appétit de rythme, de cadence et de beau langage. »

Régine Pernoud (1909-1998) – Lumière du Moyen-âge (1946).


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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