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« fabliau » : « une branche d’armes », initiation et faits du chevalier guerrier

poesie_medievale_fabliaux_chevalerie_chevalier_heros_valeurs_guerrieres_moyen-age_XIIIeSujet : poésie médiévale, littérature médiévale, chevalerie, héros, guerrier, fabliau, langue d’oïl,  vieux français.
Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle.
Auteur  :  anonyme
Titre : une branche d’Armes
Ouvrage :  Jongleurs & Trouvères, d’après les manuscrits de la Bibliothèque du RoiAchille Jubinal,  1835.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous invitons à la découverte d’une poésie d’intérêt, en provenance du moyen-âge central. Demeurée anonyme, on la retrouve, en général, classée dans les dits, contes et fabliaux, même si elle reste tout de même assez loin du genre humoristique auquel ces derniers nous ont habitué jusque là.

Loin du chevalier de la lyrique courtoise

Par rapport à son contexte d’émergence, supposément le XIIIe siècle, et en contraste avec certains de nos articles sur les valeurs chevaleresques dans la littérature courtoise, cette pièce assez courte (52 vers) ne met pas l’accent sur le fine amor et le « fine amant » au supplice, pas d’avantage qu’elle ne nous parle de dames  ou de damoizelles inaccessibles. Nous ne sommes pas, non plus, dans les références médiévales en usage, et leur évocation du chevalier à la poursuite des valeurs chrétiennes, ou présenté comme leur digne représentant (à ce sujet et à titre d’exemple plus tardif voir la ballade du bachelier d’armes d’Eustache Deschamps).  Et même si le poète du jour nous dit, dans un de ses vers, que son « gentil bachelier » (1)  « donne tout sans retenir », grande charité qui pourrait tout à fait suffire à elle-seule à le situer dans le cadre chrétien, le propos n’est simplement pas là.

En dehors de tout lyrique courtoise ou de tout combat au compte de la gloire divine, nous sommes mis, ici, face au chevalier tout entier trempé dans les arts de la guerre. Avec une rare puissance évocatrice, cette poésie ne s’intéresse qu’à cela : l’initiation et la genèse du guerrier, sa force incommensurable et surhumaine, et jusqu’à sa vie tout entière vouée à son « art », dans ses faits et ses aventures, comme dans ses loisirs/plaisirs.

Poésie d’initiation guerrière
ou ode au chevalier guerrier mythologique

Presque surgi de la forge, (bercé dans son écu, allaité dans son heaume, engendré par son épée) ce bachelier, féroce et redouté de tous, semble renouer, à travers le temps, avec l’archétype du guerrier-héros mythologique (germain, nordique, celtique). A travers son initiation comme à la faveur des batailles, il est devenu ce combattant hors du commun qui a transcendé ses capacités d’homme et dont les pouvoirs se situent bien au dessus de ceux de ses adversaires et des autres mortels.

poesie_medievale_chevalier_moyen-age_fabliau_heros_guerrier_mythiqueEmpruntant aux animaux des propriétés et qualités que l’anthropologie pourrait qualifier de « totémiques » (l’oeil du guépard, l’agilité du tigre, la force du lion, etc…) ses pouvoirs, galvanisés par son exaltation, confinent presque le magique. Rien qui puisse l’arrêter, il est de toutes les aventures, faisant fuir ses ennemis à sa seule vue, avant de les terrasser, perçant les armures les plus résistantes, sautant par dessus les mers, gravissant les montagnes. Et quand il n’est pas occupé au combat,  même ses loisirs ne sont pas ceux du commun ; il part seul et à pied pour chasser les animaux les plus dangereux (ours, lions, cerfs en rut) et en triompher, tel le guerrier de certaines épreuves initiatiques germaniques (2). Plus loin encore, il fait même ripailles de « pointes d’espées brisiés et fers de glaive à la moustarde » et cette poésie médiévale (peut-être d’ailleurs, non sans humour, sur ce dernier point), s’ancre alors définitivement dans le fantastique.

Aux origines

Dans les Manuscrits : fabliaux, dits et contes du MS Français 837

C’est dans le ce manuscrit ancien, référencé MS Fr 837 ou encore Français 837, conservé à la BnF que l’on peut retrouver cette pièce. Présent sur le site Gallica, cet ouvrage dont nous avons déjà dit un mot ici (voir fabliau le Salut d’Enfer) n’est disponible à la consultation, qu’en noir et blanc.

faits, dits et fabliaux du moyen-âge central. Une branche d'armes, poésie anonyme sur les valeurs guerrières
faits, dits et fabliaux du moyen-âge central. Une branche d’armes, poésie anonyme sur les valeurs guerrières

Sur Gallica toujours, on en trouve encore une version un peu plus lisible (quoique). C’est un fac Similé datant de 1932 par Henri Omont (voir ici Fabliaux, dits et contes en vers français du XIIIe siècle) mais il est lui aussi numérisé en noir et blanc. Aucune trace donc en ligne, pour l’instant, d’une version colorisée de ce manuscrit. De fait, l’image que nous vous proposons ci-dessus, réalisée à partir du manuscrit original (feuillet 222/223), est retravaillée partiellement par nos soins, juste le temps de la nettoyer de quelques tâches disgracieuses et de la traitée pour lui redonner un peu des airs du vélin original. On rêverait bien sûr, de pouvoir un jour accéder à ce précieux manuscrit du moyen-âge et à ses lettrines dans leurs couleurs originales. Ne désespérons pas cela dit, la BnF n’a de  cesse que de poursuivre un travail titanesque sur ses collections qui comprend leur restauration et leur conservation comme leur digitalisation et leur indexation.

Chez les historiens médiévistes du XIXe s

Du point de vue de sa publication, on retrouve cette Branche d’armes dans le courant du XIXe siècle, chez Legrand d’Aussy, (Fabliaux ou contes, fables et romans du XIIe et du XIIIe siècle,Tome 1er, 1829). Il en même fournit une traduction partielle tout en nous précisant bien qu’il prend avec le texte quelques libertés (ce à quoi, cela dit, il nous a habitué). Quelque temps après lui, Anatole de Montaiglon et Gaston Raynaud seront, quant à eux, plus laconiques en ne publiant que la version brute (Recueil général et complet Fabliaux des XIIIe et XIVe siècles Tome 2, 1878).

achille_jubinal_jongleur_trouveres_livres_poesie_fabliau_litterature_medievale_moyen-age_centralEntre ses deux versions, en 1835, Achille Jubinal l’avait aussi publié dans son ouvrage Jongleurs & Trouvères, d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Roi,  aux côtés de nombre d’autres pièces en provenance du Manuscrit Français 837. C’est du reste chez lui que nous sommes allés la pêcher.

Au passage, pour ceux qui seraient intéressés pour compter cet ouvrage dans leur bibliothèque, les éditions Forgotten Books en proposent toujours une édition brochée. Pour plus d’informations, vous pouvez consulter ce lien : Jongleurs Et Trouvères, Ou Choix de Saluts, Épîtres, Rèveries Et Autres Pièces Légères Des Xiiie Et XIV Siècles (Classic Reprint)

Pour finir ce petit tour d’horizon sur les publications de cette poésie, il faut encore noter que ce texte n’est pas totalement tombé dans l’oubli puisqu’on le retrouve cité dans un certain nombre d’ouvrages de médiévistes autour de la chevalerie. A défaut de compter dans les innombrables productions de son temps autour de la lyrique courtoise, il n’en demeure pas moins qu’elle reste, par certains  de ses aspects, emblématique de l’idéal des chevaliers du moyen-âge, sur le versant le plus guerrier.

Une Branche d’Armes

Qui est li gentis bachelers
Qui d’espée fu engendrez,
Et parmi le hiaume aletiez,
Et dedenz son escu berciez ?
Et de char* (chair) de lyon norris,
Et au grant tonnoirre* (tonnerre) endormis,
Et au visage de dragon,
Yex* (yeux) de liepart, cuer de lyon,
Denz de sengler, isniaus* (agile, prompt) com tygre,
Qui d’un estorbeillon* (tourbillon) s’enyvre,
Et qui fet de son poing maçue ?
Qui cheval et chevalier rue
Jus à la terre comme foudre?
Qui voit plus cler parmi la poudre* (poussière)
Que faucons ne fet la rivière ?
Qui torne ce devant derrière
J. tornoi por son cors déduire,
Ne cuide que riens li puist nuire;
Qui tressaut la mer d’Engleterre
Por une aventure conquerre,
Si fet-il les mons de Mongeu? (Jura, Valais)
Là sont ses festes et si geu* (jeux) ;
Et s’il vient à une bataille,
‘ Ainsi com li vens fet la paille,
Les fet fuire par-devant lui,
Ne ne veut jouster à nului
Fors que du pié fors de l’estrier;
S’abat cheval et chevalier,
Et sovent le crieve par force.
Fer ne fust, platine, n’escorce,
Ne puet contre ses cops durer,
Et puet tant le hiaume endurer
Qu’à dormir ne à sommeillier
Ne li covient autre oreillier;
Ne ne demande autres dragiés* (douceurs, sucreries)
Que pointes d’espées brisiés,
Et fers de glaive à la moustarde :
C’est uns mès qui forment li tarde;
Et haubers desmailliez au poivre.
Et veut la grant poudrière *(poussière) boivre* (boire),
Avoec l’alaine des chevaus,
Et chace* (chasse) par mons et par vaus,
Ours et lyons et cers de ruit* (en rut),
Tout à pié : ce sont si déduit* (ses plaisirs) ;
Et done tout sanz retenir.
Cil doit mult bien terre tenir,
Et maintenir chevalerie, (3)
Que cil dont li hiraus s’escrie :
Qui ne fu ne puns* (de pondre) ne couvez,
Mès ou fiens des chevaus trovez.
S’il savoient à qoi ce monte* (s’il connaissait sa valeur),
Sachiez qu’il li dient grant honte.

Explicit une Branche d’Armes.

Le dernier paragraphe sur les hérauts qui conspuent notre « gentil bachelier » est sujet à interprétation. Selon certains auteurs (Brian Woledge cité par Michel Stanesco, voir note 2) on pourrait voir là une assertion générale, voire presque « sociale » par lequel le poète se distinguerait ici de ses contemporains, en affirmant que la naissance, l’origine, et finalement la noblesse, n’importerait pas dans la détermination des qualités du chevalier, de son mérite  ou de son statut. Ce n’est qu’un avis personnel, mais je me demande si cette partie ne suggérerait pas plutôt que la poésie dresse peut-être le portrait d’un personnage précis ou particulier du temps du poète, (pas forcément réel, d’ailleurs mais peut-être en provenance de la littérature) et que celui-ci ne nomme pas, par jeu ou simplement pour rester dans l’allusion. Avec la question qui ouvre la poésie: « qui est le gentil bachelier ? »,  cela pourrait aussi se tenir.

Pour conclure et pour autant qu’elle ne se complaît pas dans les valeurs courtoises, cette poésie se situe-t-elle totalement, aux antipodes d’une certaine vision médiévale du chevalier ? Comme nous le disions plus haut, sans doute pas. Dans les chroniques ou dans les gestes, il existe aussi des récits épiques de batailles qui encensent les valeurs au combat.  En lisant cette poésie et face à ce guerrier « absolu » et total, on pourrait penser, par exemple, à Nennius et sa référence au légendaire Roi Arthur qui, sur le mont Badon mit, seul, en déroute les saxons, en les poursuivant jusqu’à la fin du jour. D’une certaine façon, les deux versions du chevalier du plus courtois au plus belliqueux peuvent-être conciliables, en admettant que ce dernier ait deux visages, à la cour ou à la bataille, en temps de paix ou en temps de guerre.

Plus près de nous et pour rester dans le cadre médiéval, du côté par de la littérature fantaisie, si l’on doutait encore que le mythe du guerrier dépeint dans cette poésie médiévale perdure, on pourrait évoquer les  pages les plus épiques d’un David Gemmell avec son Druss la légende et sa hache tournoyante au coeur des plus  gigantesques batailles.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.

(1) Si le terme de bachelier a évolué dans le courant du moyen-âge, il faut le comprendre ici comme un jeune chevalier adoubé ou en passe de l’être. 

(2) voir Jeu d’errance du chevalier médiéval, aspects ludiques de la fonction guerrière dans la littérature du Moyen-âge flamboyant. Michel Stanesco (1988)

(3) « Cil doit mult bien terre tenir, et maintenir chevalerie.« 
Celui là doit être fort capable de tenir une fief, une terre et de porter et défendre les valeurs de la chevalerie.

Thibaut le Chansonnier, l’amour courtois d’un comte et roi-poète à la cour de Champagne, avec Jean Dufournet

thibaut_le_chansonnier_troubadour_trouvere_roi_de_navarre_comte_de_champagneSujet : chansons, poésie médiévale, amour courtois, poésie lyrique, trouvère, vieux français, fine amor, lyrique courtoise.
Période : moyen-âge central
Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre
Programme : »Une vie, une Oeuvre, la chanson du Mal aimé » 
Intervenants : Jean Dufournet, Claude Mettra, France Culture (1989)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn 1989, Claude Mettra recevait sur France Culture, le médiéviste et romaniste Jean Dufournet dans le cadre de l’émission « Une vie, une oeuvre » dédiée tout entière à Thibaut IV de Champagne, roi de Navarre et grand poète courtois du XIIIe siècle.

thibaut_champagne_roi_de_navarre_poete_trouvere_amour_courtois_moyen-age_central« De touz maus n’est nus plesanz
Fors seulement cil d’amer,
Mès cil est douz et poignanz
Et deliteus a penser
Et tant set biau conforter,
Et de granz biens i a tanz
Que nus ne s’en doit oster. »
Thibaut de Champagne, Chanson

Nous avons déjà souligné, à plusieurs reprises, l’importance de la cour de Champagne, de son rayonnement culturel dans le courant du Moyen-âge central, en particulier des XIIe, XIIIe siècles. Son influence s’étendra au nord jusqu’à la Flandre et même l’Allemagne. Dans les pérégrinations des intervenants du jour, on croisera, au nombre des personnages ayant compté dans ces échanges culturels entre différentes provinces de la France médiévale, Aliénor d’Aquitaine, mais aussi plus près de la Champagne, l’incontournable  Gace Brûlé, aîné de Thibaut d’une génération et qui l’aura, à coup sûr, influencé, même s’il est difficile d’établir qu’ils se soient physiquement croisés.

Dans la lignée de ses pairs, le comte et roi-poète poursuivra ainsi, à son tour, la promotion et l’élévation de la fine amor et de ses codes  courtois en langue d’Oïl, pour la situer dans une quête d’absolu, qualifiée même de « religion » par Jean Dufournet.

Une invitation au décryptage de la fine amor
en compagnie d’un grand médiéviste

On fera ici, un large et salutaire détour pour  aborder, avec l’historien, les arcanes de l’amour courtois, ses principes, ses ressorts mais aussi  le  positionnement social  presque « subversif » de ses valeurs au sein du moyen-âge chrétien féodal.

jean_dufournet_medieviste_hitorien_romaniste_moyen-age_chanson_roland« Ce qui est paradoxal c’est que d’une part, la courtoisie développe la sociabilité, les rapports entre les gens, mais d’autre part, l’amour courtois tend à s’opposer, et au christianisme puisqu’il ne s’agit pas d’amour conjugal et au système féodal puisque, souvent, le poète ou le vassal est amoureux, ou prétend être amoureux, de la dame de son seigneur. Dans la mesure où la femme tend à vivre dans un univers particulier, éloignée de l’humanité quotidienne, les choses s’atténuent, mais il reste que les gens du moyen-âge ont bien senti cette difficulté et qu’en 1277, parmi les condamnations de l’évêque de Paris, Tempier, (Etienne Tempier 1210 -1279) il y avait la condamnation de la courtoisie et de l’art d’aimer d’André le Chapelain qui avait mis en forme tous les principes de cette courtoisie. »
Jean Dufournet. Extrait d’un entretien avec Claude Mettra.
Une vie, une oeuvre, Thibaut de Champagne. France Culture (1989).

A la lumière de la poésie et des chansons de Thibaut, on reviendra encore sur cette union des contraires, cette tension auquel nous invite constamment la lyrique courtoise, dont nous avons déjà parlé à diverses occasions (voir notamment A l’entrant d’esté de Blondel de Nesle, ou encore amour courtois et fine amor, le point avec trois experts)

deco_medievale_enluminures_trouvere_« La joie et la douleur, la folie et la sagesse, la crainte et l’espérance sont étroitement liées. Il n’est pas de douleur, sans joie, ni de joie sans douleur. c’est à dire qu’il faut passer par la douleur de la séparation, de l’absence, des épreuves pour atteindre à cette joie supérieure. Il y a tout un long apprentissage, une sorte d’ascèse à la fois poétique et religieuse pour parvenir à cet état et il faut abandonner les chemins réguliers de la raison, de la connaissance rationnelle, tomber dans une sorte de folie.  La pire folie pour les gens du moyen-âge c’est de ne pas aimer, et l’attitude la plus raisonnable c’est d’aimer à la folie. »
Jean Dufournet. (op cité, France Culture, 1989).

Un peu plus loin, le médiéviste rapprochera la quête du fine amant, de celles des aventures chevaleresques et des croisades ou même encore des pèlerinages pour en faire une quête qui garde en commun avec toutes les autres, la recherche constante d’une perfection, d’un dépouillement, d’une purification, vouée peut-être à ne jamais véritablement aboutir. Ainsi et selon lui, le Roman de la Rose ou  le Perceval et l’oeuvre de Chrétien de Troyes, entre autres exemples, ne seraient peut-être pas demeurées inachevés par hasard.

Enfin, dans ce tour d’horizon de la lyrique courtoise et de son influence, on évoquera, au passage,  le culte marial venu se greffer sur ses codes pour faire de la Vierge Marie, à la fois la dame idéale et la médiatrice privilégiée et miséricordieuse, passeuse d’âmes vers le monde d’après.

Claude Mettra, Jean Dufournet, France Culture (1989)

Pour conclure, on trouvera  dans cette rediffusion un lot de beaux extraits et d’heureuses lectures dans le vieux-français original du Comte de Champagne et Roi poète de Navarre et il faut rendre hommage à la grande qualité des questions de Claude Mettra, autant qu’aux comédiens qui l’entourent pour avoir su faire de ce programme un véritable moment d’exception.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

« Le Salut d’enfer », poésie satirique, fabliau et ronde infernale du XIIIe siècle

humour_medieval_poesie_fabliau_satirique_enfer_moyen-age_XIIIe_siecleSujet : vieux-français, lai, poésie médiévale, littérature médiévale, poésie satirique, poésie morale satire, enfer, fabliau, langue d’oil, oil.
Période : Moyen-âge central XIIIe siècle.
Auteur : anonyme
Titre : le Salut d’Enfer
Ouvrage : Jongleurs & Trouvères, d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Roi, Achille Jubinal, 1835.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous partons en direction du XIIIe siècle pour un peu d’humour médiéval satirique avec une pièce de choix et presque totalement oubliée. Elle a pour nom le Salut d’Enfer et on peut la trouver notamment transcrite dans un ouvrage d’Achille Jubinal datant de 1835, et ayant pour titre Jongleurs et trouvères.

Les Manuscrits anciens

Cette poésie qui tutoie le style enlevé et humoristique de certains fabliaux, au point que nous serions presque tenté de la considérer comme une émanation du genre, peut être retrouvée dans les deux manuscrits anciens suivants : le MS Français 837 et le MS Français 12603, tous deux conservés à la BnF).

Le premier manuscrit, le MS Fr 837 (consultable ici sur le site Gallica), est à l’origine de la transcription reportée ici. Il est daté de la fin du XIIIe siècle et contient pas moins de 249 oeuvres, à l’écriture gothique appliquée. On y trouve des fabliaux, des dits et des contes en vers.  dont un peu plus d’une trentaine de pièces de Rutebeuf.

Le Salut d'enfer, dans le manuscrit MS Fr 837, de la BnF, département des manuscrits
Le Salut d’enfer, dans le manuscrit MS Fr 837, de la BnF, département des manuscrits

Le Salut d’Enfer, amputé de sa fin, est encore présent, sous le nom de Lai d’Infier dans le MS Fr 12603 (voir sur Gallica ici). Daté du XIIIe au début du XVe siècle, ce manuscrit est une vaste compilation de littérature médiévale, contenant de nombreuses poésies et récits de tous bords. Mêlant auteurs célèbres à d’autres moins renommés ou mêmes anonymes, l’ouvrage présente aussi une large variété de thèmes qui vont des légendes arthuriennes (fragment du Roman de Brut de Wace, Chevalier au lion de Chrétien de Troyes, …)  jusqu’aux fabliaux, en passant même encore par des chansons de geste d’Ogier le Danois ou des fables de Marie de France.

fabliaux_poesie_satirique_trouveres_jongleurs_moyen-age_central_manuscrit_ancien_moyen-age_central_XIIIeEnfin, pour finir ce petit tour d’horizon sur les origines sourcées de notre satire du jour, on retrouvera encore quelques uns de ses vers au sein d’une autre pièce intitulée Les XXIII Manières de Vilains, présente dans le Manuscrit Français 1553 (MS Fr 1553), daté du XIIIe.

Ce dernier texte étant lui aussi demeuré anonyme, on ne sait pas si son auteur, est le même que celui du Salut d’Enfer ou si, au contraire il a plutôt emprunté des parties de l’original pour les intégrer à son oeuvre. Les XXIII manières du vilain, qu’on connait encore comme « Des vilains », comptent parmi ces textes dont la violence satirique contre les vilains pourrait presque être choquante si nous ne savions les replacer dans leur contexte (Voir notre article sur les vilains des fabliaux). Elles furent également publiées, par A Jubinal dans un petit précis d’un peu plus de trente pages datant de 1834.

Gastronomie Infernale et satire sociale

S_lettrine_moyen_age_passionur le fond, ce Salut d’Enfer est donc une pièce satirique et humoristique. Sur un ton caustique et moqueur, son auteur nous conte ce qui se passe aux Enfers dans une grande ronde qui met en scène des formes élaborées de gastronomie infernale. Comme nous le disions plus haut, on y recroise le ton bonhomme et rigolard, de certains fabliaux.

On retrouve aussi dans sa conclusion quelques traces laissées par les tensions des invasions et des croisades. Autant le dire, cela ne constitue pas ce qui nous a semblé le plus intéressant à relever ici. Le défilé des nombreux métiers, professions de foi et personnes empruntés à la société du XIIIe siècle (magistrats, financiers, faux abbés, faux moines, bigots donneur de leçons, etc…), qui s’y trouvent rôtis par l’auteur, aux côtés des criminels les plus notoires, nous a semblé largement plus drôle et, plus propice aussi, à approcher l’humour médiéval satirique, son impertinence, ses moqueries poesie_satire_enfer_medieval_bible_enluminure_manuscrit_MS_harley_1526_XIIIe_siecleet ses cibles très larges et très nombreuses.

vision médiévale de l’enfer
Miniature, Bible moralisée Oxford-Paris-Londres, MS Harley 1526 (XIIIe siècle)

D’un point de vue linguistique, comme son vieux français est assez loin du nôtre, nous vous donnons ici de nombreuses clés de vocabulaire pour en faciliter la compréhension. Une partie d’entre elles est empruntée à l’ouvrage de Achille Jubinal cité en-tête d’article. Toutes les autres sont issues de recherches personnelles et d’une plongée en règle au coeur de différents dictionnaires (le Godefroy court, le Saint-Hilaire et le très exhaustif dictionnaire de La Curne de Sainte Palaye, entre autres). Tout cela étant dit, place à la farce.

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Le Salut d’Enfer 

HAHAI! hahai! je sui venus;
Saluz vous mande Belzébus, .
Et Jupiter et Appollin.
Je vieng d’enfer le droit chemin,
Noveles conter vous en sai,
Qu’anuit en l’ostel herbregai,
En la grant sale Tervagan* (nom du diable).
La menjai .j. popélican* (financier)
A une sausse bien broié,
D’une béguine* (bigote) renoié* (renégate),
Qui tant avoit du cul féru* (de ferir : frapper),
Qu’ele l’avoit tout recréu* (fourbu).
Cele nuit fui bien ostelez,
Quar de faus moines et d’abez
Me fist l’en grant feu au fouier,
Et par devant et par derrier.
Me servoient faus eschevin* (magistrat),
Mes ainz que je fusse au chemin,
Lendemain m’estut-il mengier.
Belzébus fist appareillier
.J. userier, cuit en .j. pot;
Après faus monnoiers en rost,
.Ij. faus jugeurs à la carpie* (sauce),
Et j. cras moine à la soucie* (sauce),
Estanchiez* (repu) fui d’avocas,
.J. entremès qui fist baras;
A mengier oi à grant plenté* (à foison);
En tout le plus lonc jor d’esté
Ne vous porroie raconter,
Ne escrire, ne deviser,
La grant foison d’âmes dampnées
Qui en enfer sont ostelées.

De champions et de mordreurs* (meurtriers),
Et de larrons et de robeurs* (voleurs),
Faus peseur, faus mesureeur,
Cil i parsont (portion ? partage) bien asseur* (en sécurité, assuré);
De papelars* (bigots) et de nonnains* (nonnes)
Est noz enfers auques* (n’est pas encore) toz plains.
Li cordelier, li jacobin,
Qui escritrent en parchemin
La confession des béguines,
Et les péchiez que font souvines* (couchés, renversés sur le dos);
Li noir moine i sont mal venu,
Por ce que il ont trop foutu; (foutiner se battre)
Si en sont batu en chapitle.
Li blanc moine n’i sont pas quite,
Quant l’en i doit chanter à note
Dedenz enfer à grant riote* (discussion, querelle).
De cels aus sas et aus barrez* ( frères en sac et frères barrés ou bariolés : les Carmes)
Est noz enſers mal ostelez* (loger) ;
Por ce que dras orent divers (parce qu’ils ont des habits différents)
Vont en enfer cus descouvers.

Noz enfers est de grant afère,
Quar nus n’i veut entrer ne trère* (s’y rendre, y aller)
C’on n’i reçoive liement* (joyeusement, avec douceur).
Par la coille* (testicule) qui ci me pent,
Je vous di voir* (vrai), ne vous ment mie :
En enfer est ma dame Envie,
Qui garde la porte et l’entrée;
Luxure i est trop honorée ;
De clers, de moines, de Templiers,
De prestres et de chevaliers,
Est Luxure dame clamée
Et mult forment d’aus honorée,
Trestout ausi comme roine :
Qui miex vaut plus profond l’encline. ‘
J’aporte d’enfer grant pardon,
De Tervagan et de Mahom,
De Belzébus, de Lucifer,
Qui vous puist mener en enfer.

Explicit le Salut d’Enfer.

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Une belle journée à tous.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

Historia Brittonum : aux sources de la légende arthurienne, Nennius et les 12 batailles du roi Arthur

manuscrit_ancien_enluminures_rochefoucauld_grail_legendes_arthurienne_sources_historiques_moyen-ageSujet : Roi Arthur, légendes arthuriennes, roman arthurien, sources historiques, Citation médiévales, Nennius, Arthur historique, Angleterre médiévale, littérature médiévale.
Période : haut moyen-âge (VIIIe siècle)
Ouvrage : Historia Brittonum
Auteur : Nennius 

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans la continuité de l’article d’hier, nous vous livrons ici la traduction (depuis l’anglais) de la célèbre mention  faite par Nennius, dans son Historia Brittonum,  au sujet des 12 batailles du Roi Arthur et de ses victoires. Le point culminant en est la grande bataille du Mont Badon et, ici, Nennius (auteur supposé de cette compilation), retombe ici sur une donnée un peu plus sourcée historiquement. De manière documentée et écrite, on se souvient, en effet, qu’on trouve la mention d’un chef de guerre nommé Arthur, à la bataille de Badon, dans les Annales Cambriae. (voir Arthur, les premières sources historiques).

En réalité, le propos, ici, n’est pas tant de discuter de la véracité historique des affirmations de Nennius, ni d’entrer dans le détail des lieux possibles et probables de ces fameuses batailles; de nombreux historiens s’y sont essayés et nous aurons sûrement l’occasion d’y revenir.  Avant les derniers siècles et la période moderne, avant que l’Histoire ne se forge quelques méthodes et prenne son indépendance scientifique, le genre des chroniques historiques n’était pas avare d’approximations ou même d’inventions et il y a indéniablement, dans cet extrait de Historia Brittonum, de nombreuses digressions de la part de son auteur. Pourtant, et c’est justement ce qui nous intéresse ici, à sa lecture, on ne peut s’empêcher de mesurer la distance franchie depuis les Annales Cambriae. Au fond, ce qui se joue dans cet extrait, avant Chrétien de Troyes et bien d’autres auteurs du roman arthurien, c’est rien moins que la naissance littéraire du Arthur de la légende. A ce titre, ce texte est sans nul doute une des premières pierres (écrite, sourcée, formelle presque)  sur lequel se bâtira un peu plus tard, auteur après auteur, l’édifice du roman arthurien.

“Ce fut alors que Arthur, le magnanime, avec tous les rois et la force militaire de Grande-Bretagne, lutta contre les Saxons. Et bien qu’il y ait eu beaucoup plus de nobles que lui seul, il fut pourtant choisi douze fois comme leur commandant et fut tout aussi souvent vainqueur. La première bataille dans laquelle il fut engagé se trouvait à l’embouchure de la rivière Gleni. Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième étaient sur une autre rivière, appelée Duglas par les Britanniques, dans la région de Linuis. La sixième, sur la rivière Bassas. La septième dans le bois Celidon, que les Britanniques appellent Cat Coit Celidon. La huitième se trouvait près du château de Gurnion, où Arthur portait l’image de la Sainte Vierge, mère de Dieu, sur ses épaules et par le pouvoir de notre Seigneur Jésus-Christ et de la sainte Marie, il a mis les Saxons en fuite et les a poursuivi, durant tout le jour, jusqu’à leur grande défaite. La neuvième était à la ville de la Légion, appelée Cair Lion. La dixième était sur les rives de la rivière Trat Treuroit. La onzième était sur la montagne Breguoin, que nous appelons Cat Bregion. La douzième fut le combat le plus dur quand Arthur pénétra sur la colline de Badon. Dans cette bataille, neuf cent quarante sont tombés par sa seule main, personne excepté le Seigneur ne lui prêtant assistance. Dans tous ces combats, les Britanniques réussirent. Car aucune force ne peut prévaloir contre la volonté du Tout-Puissant. »

Historia BrittonumNennius

Une belle journée à tous.

Fred
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