Sujet : poésie satirique, politique, moral, littérature médiévale, ballade, vieux français, exercice du pouvoir, bonté, prince
Période : moyen-âge tardif
Auteur : Eustache Deschamps 1346-1406)
Titre : « Des vertus nécessaires au prince»
Bonjour à tous,
oilà quelque temps que nous n’avons publié un peu de la poésie d’Eustache Deschamps, dit Morel, et cette ballade d’aujourd’hui nous en donne l’heureuse l’occasion. Elle est tirée, à nouveau, de l’ouvrage que l’imprimeur Georges-Adrien Crapelet édita, au début du XIXe siècle, pour nous présenter une sélection des « Poésies morales et historiques » de l’auteur médiéval.
C’est une ballade sans envoi, comme ce grand formaliste et amoureux du style en a tout de même fait quelques unes. Elle nous parle des qualités nécessaires à l’exercice juste du pouvoir. Il y est question de bonté, d’équanimité et bien d’autres choses encore.
Dans l’Europe chrétienne médiévale, un prince qui n’aurait pas soumis sa propre autorité à celle du créateur – et même ici, à l’église, dans une conception toute augustinienne du pouvoir politique dont Eustache Deschamps se fait écho -, n’aurait pas été concevable. On y trouve donc aussi et bien évidemment cette dimension. La concernant, à la réserve que chacun mettra ou non en fonction de ses propres croyances sur la nécessité d’aimer Dieu pour gouverner les hommes, le reste de cette poésie morale en forme de ballade a-t-il résisté au temps ? Encore une fois, et prenant les précautions d’usage, les vertus et valeurs morales qu’elle prône dans l’exercice du pouvoir semblent bien toujours véhiculer du sens et nous parler, à quelque six siècles du moment où elles furent couchées sur le papier.
Ballade des vertus nécessaires au prince
Comment pourroit princes bien gouverner,
Ne grant peuple tenir en union,
S’en soy meismes ne povoit rafrener
Les meurs mauvais de sa condicion.
Il ne pourroit nullement ;
Car seignourir se doit premièrement,
Et corrigier pour l’exemple d’autrui,
Qui veult avoir commun gouvernement,
Si qu’on voie toute bonté en lui.
Premier il doit Dieu et l’Eglise amer,
Humble cuer ait , pitié , compassion
Le bien commun doit sur touz préférer,
Son peuple avoir en grant dilection*, (*affection, charité)
Estre saige et diligent ;
Vérité ait : tel doit estre régent,
Lent de pugnir, aux bons non faire ennuy,
Et aux mauvais rendre droit jugement,
Si qu’on voie toute bonté en lui.
D’entour lui doit touz menteurs rebouter,
Justice avoir, équité et raison,
Le poure oïr, le plaintif escouter,
À touz venans avoir large maison,
Requérir crueusement* (*cruellement)
Son ennemi , et mener doucement
Ses vraiz subgiez sanz asservir nulli;
Avarice doit haïr mortelement,
Si qu’on voie toute bonté en lui.
Eustache Deschamps
Pour conclure, finissons par une petite question ouverte au regard de l’actualité. Comment l’éviter ? Sous le fard, tout le cirque et les facéties de théâtre de nos politiques « markétisés » et « conseillés » jusque dans leur couleur de cravate, y-a-t-il, en ces temps d’élections présidentielles, un « prince » qui soit réellement de ces valeurs et qui en ait les moyens ? Interrogés sur la question, sans doute que peu les renierait, mais dans le concret ?
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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