Sujet : codex de Montpellier, musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, chants polyphoniques, motets, fine amor
Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre: Qui d’amours se plaint, Lux magna
Auteur : Anonyme
Interprète : Anonymous 4
Album : Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century (1993-94)
Bonjour à tous,
elui qui « d’amour se plaint » et n’en a pas aimé jusqu’aux doux maux, comment pourrait-il prétendre avoir jamais aimé, ou plutôt, avoir jamais su le faire en amant loyal et véritable ?
Dans ses formes littéraires et poétiques les plus exacerbées, le Moyen Âge codifie un amour qu’il encense jusqu’à dans sa non réalisation, dans ses souffrances, dans son attente et dans un désir inassouvi, voué, peut-être, à ne jamais devoir se poser sur son objet. Toutes ces tensions n’ont pas de prix. Mieux même, si elles n’étaient pas partie intégrante de l’expérience, ou si l’amant devait ne pas s’en délecter et s’y complaire, alors son amour ne serait pas vraiment l’amour. Il n’en serait pas digne et son cœur ne serait pas assez grand.
La fine amor : des formes « psychologiques » aux formes sociales
Au delà de ces aspects psychologiques codifiés qui pourraient nous paraître tortueux à certains égards, le monde médiéval peut encore se plaire à ajouter une dimension sociale transgressive à son amour courtois.
On le chante encore volontiers, quand il devient sulfureux et qu’il s’affirme envers et contre tous : contre la raison, contre les médisants, contre les conventions sociales, contre le devoir des époux, contre le cloisonnement entre la petite et moyenne noblesse et la haute : le chevalier amoureux de la reine, le troubadour et petit seigneur en émoi pour une princesse lointaine et qu’il n’a jamais vu, le vassal ou le poète (bien né mais pas suffisamment) qui flirte avec la belle de son suzerain ou qui louche, avec convoitise, sur la fille ou la cousine de ce dernier. Le poète a-t-il alors, comme seule excuse ou comme seul refuge, son unique volonté d’éluder le passage à l’acte ? Non, pas toujours, même si le loyal amant pourrait parfois, comme il nous le dit, « mourir » pour un seul baiser.
A l’opposé de ces transgressions, le monde médiéval pourra encore faire entrer certains codes de cette fine amor dans le sentiment religieux. Devenu pur et chaste, on appliquera alors à la vierge et au culte marial cet amour de loin et inaccessible. Les codes sont les mêmes, leur vocation change. D’une certaine façons, ils sont alors plus normatifs ou « compatibles » au sens médiéval chrétien du terme.
Aujourd’hui, c’est sous sa forme profane, datée des XIIe et XIIIe siècles que nous vous invitons à retrouver cette lyrique courtoise. Nous serons, pour le faire, en compagnie du codex de Montpellier et d’un très beau quatuor féminin. Pour la transcription en graphie moderne de la pièce que nous avons choisie, nous nous appuierons, une nouvelle fois, sur l’ouvrage Recueil de Motets français des XIIe et XIIIe siècles de Gaston Raynaud (1881).
La courtoisie mise en musique
dans le codex H196 de Montpellier
Avec ses 395 feuillets garnis de compositions et de motets annotés musicalement, le Chansonnier de Montpellier H196 chante cette fine amor, à travers des pièces assez courtes et demeurées anonymes ( consulter ce manuscrit médiéval en ligne). La chanson médiévale du jour s’inscrit tout entière dans cette tradition courtoise. On verra que le poète y fait une véritable apologie des (doux) maux d’amour. Tout en les gardant tacites, il nous expliquera que celui qui aime loyalement et qui a du cœur, ne s’en plaindra jamais et n’en ressentira aucun mal. Mieux même, quand il aura trouvé et éprouvé ces maux, les bienfaits et la récompense n’en seront que plus grands, au bout du chemin.
« Qui d’amours se plaint » par la quatuor féminin Anonymous 4
Love’s Illusion ou le chansonnier de Montpellier par le quatuor féminin Anonymous 4
Nous vous avons déjà touché un mot dans un article précédent, du quatuor américain Anonymous 4, mais aussi de leur album Love’s illusion. Sortie en 1994, cette production faisait une large place au codex de Montpellier avec 29 pièces toutes issues du célèbre manuscrit médiéval. Avec près de 65 minutes d’écoute, Love’s Illusion, Motets français des XIIIe et XIVe siècles a été réédité en 2005 chez Harmonia mundi USA. Il est donc toujours disponible à la vente au format CD ou dématérialisé.
Membres de la formation Anonymous 4 : Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer, Johanna Rose
« Qui d’amours se plaint » , paroles en vieux français et clés de vocabulaire
NB : concernant la traduction littérale de cette pièce, du vieux-français vers une langue plus actuelle, nous l’avons jugé un peu inutile pour le moment. A quelques clés de vocabulaire près, que nous vous indiquons, cette chanson se comprend, finalement, assez bien .
Qui d’amours se plaint
Omques de cuer n’ama
Car nus qui bien aint (aime loyalement)
D’amours ne se clama (se plaindre);
Ja loiaus amans ne se feindra (hésiter, manquer de courage)
Ne ne se pleindra
Des doz maus d’amer ja,
Nuit ne jor tant n’en avra, (nuit et jour, il n’en aura jamais assez)
Car douçour si trés grant i trovera
Qui bon cuer a,
Que ja mal ne sentira.
Por ce ne departira (se séparer, s’en défaire)
Nus tant n’en dira
De cele que tou mon cuer a :
Touz jors est la,
Ja voir ne s’em partira,
Car quant les maus trovés a,
Si doz les biens partrovera (partrover : trouver) :
Trop douz si les a.
En vous souhaitant une excellente journée
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.