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« Qui d’amours se plaint » au XIIIe siècle, fine amor et motet du chansonnier de Montpellier

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet :   codex de Montpellier,   musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français,  chants polyphoniques, motets, fine amor
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre: 
Qui d’amours se plaint,  Lux magna
Auteur :   
 Anonyme
Interprète :  Anonymous 4
Album :   
Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century    (1993-94)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passionelui qui « d’amour se plaint » et n’en a pas aimé jusqu’aux doux maux, comment pourrait-il prétendre avoir jamais aimé, ou plutôt, avoir jamais su le faire en amant loyal et véritable ?

Dans ses formes littéraires et poétiques les plus exacerbées, le Moyen Âge codifie un amour qu’il encense jusqu’à dans sa non réalisation, dans ses souffrances, dans son attente et dans un désir inassouvi, voué,  peut-être, à ne jamais devoir se poser sur son objet.  Toutes ces tensions n’ont pas de prix. Mieux même, si elles n’étaient pas partie intégrante   de l’expérience, ou si l’amant devait ne pas s’en délecter et s’y complaire, alors son amour ne serait pas vraiment l’amour. Il  n’en serait pas digne et son  cœur ne serait pas assez grand.

La fine amor : des formes « psychologiques » aux formes sociales

Au delà de ces aspects psychologiques codifiés qui pourraient nous paraître tortueux à certains égards, le monde  médiéval peut encore se plaire à ajouter une dimension sociale transgressive à son amour courtois.

deco_medievale_enluminures_trouvere_On le chante encore volontiers, quand il devient sulfureux et qu’il s’affirme envers et contre tous : contre la raison, contre les médisants, contre les conventions sociales, contre le devoir des époux, contre le cloisonnement entre la petite et moyenne noblesse et la haute :  le chevalier amoureux de la reine,  le troubadour et petit seigneur en émoi pour une princesse lointaine et qu’il n’a jamais vu,  le vassal ou le poète (bien né mais pas suffisamment) qui flirte avec  la belle de son suzerain ou  qui louche, avec convoitise, sur la fille ou la cousine de ce dernier. Le poète a-t-il alors, comme seule excuse ou comme seul refuge, son unique volonté d’éluder le passage à l’acte ? Non, pas toujours, même si le loyal amant pourrait parfois, comme il nous le dit, « mourir » pour un seul baiser.

A l’opposé de ces transgressions, le monde médiéval pourra encore faire entrer certains codes de cette fine amor dans le  sentiment religieux. Devenu pur et chaste, on appliquera alors à la vierge et au culte marial  cet amour de loin et inaccessible. Les codes sont les mêmes, leur  vocation change. D’une certaine façons, ils sont alors plus normatifs  ou « compatibles » au sens médiéval chrétien du terme.

 Aujourd’hui,  c’est sous sa forme profane, datée des XIIe et XIIIe siècles que nous vous invitons à retrouver cette lyrique courtoise. Nous serons, pour le faire, en compagnie du codex de Montpellier et d’un très beau quatuor féminin.  Pour la transcription en graphie moderne de la pièce que nous avons choisie, nous nous appuierons, une nouvelle fois, sur l’ouvrage Recueil de Motets français des XIIe et XIIIe siècles  de   Gaston Raynaud  (1881).

La courtoisie mise en musique
dans le codex H196 de Montpellier

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Avec ses 395 feuillets garnis de compositions et de motets annotés musicalement, le Chansonnier de Montpellier  H196    chante cette fine amor, à travers des pièces assez courtes  et demeurées anonymes ( consulter ce manuscrit médiéval en ligne).  La chanson médiévale du jour s’inscrit tout entière dans cette tradition courtoise.  On verra que le poète  y fait une véritable apologie des (doux) maux d’amour. Tout en les gardant tacites,  il nous expliquera que celui qui aime loyalement et qui a du cœur, ne s’en plaindra jamais et n’en ressentira aucun mal. Mieux même, quand il aura trouvé et éprouvé ces maux, les bienfaits et la récompense n’en seront que plus grands, au bout du chemin.

« Qui d’amours se plaint » par la quatuor féminin Anonymous 4

Love’s Illusion ou le chansonnier    de Montpellier  par le quatuor féminin Anonymous 4

chanson-musique-medievale-album-amour-courtois-codex-montpellier-moyen-ageNous vous avons déjà touché un mot dans un article précédent, du quatuor américain Anonymous 4, mais aussi de leur album Love’s illusion. Sortie en 1994, cette production  faisait une large place au codex de Montpellier avec 29 pièces  toutes issues   du célèbre manuscrit médiéval. Avec près de 65 minutes d’écoute,   Love’s Illusion, Motets français des XIIIe et XIVe siècles  a été réédité en   2005 chez Harmonia mundi USA. Il est donc toujours   disponible à la vente au format CD ou dématérialisé.

Membres de la formation Anonymous 4  :   Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer, Johanna Rose


« Qui d’amours se plaint »  ,  paroles en vieux français et clés de vocabulaire

NB : concernant la traduction littérale de cette pièce, du vieux-français vers une langue plus actuelle, nous l’avons jugé un peu inutile pour le moment. A quelques clés de vocabulaire près, que nous vous indiquons, cette chanson se comprend, finalement, assez bien .   

Qui d’amours se plaint
Omques de cuer n’ama
Car nus qui bien aint (aime loyalement)
D’amours ne se clama  (se plaindre);
Ja loiaus amans ne se feindra  (hésiter, manquer de courage)
Ne ne se pleindra
Des doz maus d’amer ja,
Nuit ne jor tant n’en avra,  (nuit et jour, il n’en aura jamais assez)
Car douçour si trés grant i trovera
Qui bon cuer a,
Que ja mal ne sentira.
Por ce ne departira   (se séparer,   s’en défaire)
Nus tant n’en dira
De cele que tou mon cuer a :
Touz jors est la,
Ja voir ne s’em partira,
Car quant les maus trovés a,
Si doz les biens partrovera (partrover : trouver) :
Trop douz si les a.


En vous souhaitant une  excellente journée

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Cantiga de Amigo : aux temps médiévaux, la danse d’une jeune fille amoureuse à Vigo

martin_codax_mar_de_vigo_poesie_chanson_medievale_troubadour_moyen-age_central_XIIIe_siècleSujet :  amour courtois, musique, poésie médiévale,  chanson médiévale,   Cantigas de amigo, galaïco-portugais, troubadour, lyrique courtoise.
Période :  XIIIe siècle, Moyen Âge central
Auteur :  Martín (ou Martim) Codax
Titre :  Eno sagrado en Vigo, Cantiga   VI
Interprètes :    The Dufay Collective
Album  :  Music for Alfonso the Wise  (2005)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons  sur les  Cantigas de Amigo de l’Espagne et du Portugal du Moyen Âge central.  Nous le faisons même avec un des plus célèbres  compositeurs de ce genre  galaïco-portugais du XIIIe, le jongleur (jogral) et troubadour Martín Codax.

Les Cantigas de Amigo conjuguent l’amour courtois au féminin, en donnant la parole à des jeunes filles  :   espoir, attente de l’être aimé (« l’ami »), joie ou tristesse, les compositeurs de ces chansons médiévales se glissent dans le cœur  des damoiselles pour  nous chanter avec grâce, les émois et les revers du sentiment amoureux.  Au delà de leur contenu, ces poésies se signent par  leur simplicité, leur pureté de style et la présence d’un refrain qui vient créer  une    résonance  sur  l’émotion au centre  de    chaque composition.

Une  belle sur le parvis de l’église de Vigo

eglise-cathedrale-collegial-vigo-chanson-medieval-martin-codax-moyen-ageCette  Cantiga de amigo de Martín Codax est connue sous le titre  Eno sagrado en Vigo (sur la base de son premier vers) : en français, on peut le traduire par  sur le parvis de Vigo. On peut supposer, sans trop de risques, qu’il s’agit là d’une allusion au parvis de  l’actuelle collégiale de Santa Maria de Vigo, en Galice. Datée du XIXe siècle, cette dernière a été reconstruite en lieu et place d’un autre édifice religieux qui, lui même, était venu faire suite, au  XVe siècle, à une église Santa Maria qui se tenait, là, depuis le Moyen Âge central et le XIIe siècle.

Du point de vue du sens de cette composition,  la jeune fille y danse  en chantant  et on l’imagine tournant et souriant, emportée par la joie de l’amour qu’elle porte  en elle.  Pour faire bonne mesure, nous vous en proposerons une traduction  sur laquelle on pourra  d’ailleurs argumenter. La simplicité des vers prête, en effet, à interprétation suivant  les auteurs qui s’y sont penchés et notamment ce refrain :   » Amor ei… » . Faut-il simplement traduire  :  « Oh  Amour » ou « J’ai de l’amour« , autrement dit « Je suis amoureuse » ou  même encore « Je suis  aimé » ?    Nous avons penché, de notre côté, pour « Je suis amoureuse ».

Sources et interprétations

Cette cantiga de amigo, que l’on retrouve dans le Parchemin Vindel, actuellement conservé à la  Morgan Library  de New York, a été reprise par une certain nombre de formations médiévales contemporaines. On pense  notamment  à celle d’Eduardo Paniagua ou encore, plus près de nous,  au groupe   allemand  Triskilian.   Pour vous la faire découvrir, nous avons, pour cette fois, choisi la version des anglais de     The Dufay Collective.

Eno sagrado en Vigo de Martin Codax par The Dufay Collective

Quand  le Dufay Collective chantait
l’Espagne médiévale  d’Alphonse le Sage

En  2005, les artistes du Dufay Collective    décidèrent de consacrer  leur talent aux musiques contemporaines de la cour d’Alphonse X de Castille. Intitulé « Music for Alfonso the Wise » (musique pour Alphonse le Sage), l’album sortit chez Harmonia  Mundi. Il proposait pas moins de 19 pièces pour plus d’un heure d’écoute entre lesquelles de nombreuses Cantigas de Santa Maria (dix compositions) du roi savant d’Espagne. Dans la deuxième partie de l’album, on retrouvait aussi  huit  cantigas de Amigo, signée de la main de  Martín Codax. Enfin, une danse anonyme de la même période venait compléter le tableau de cette production.

musique-medievale-cantigas-de-amigo-martin-codax-album-Dufay-collectiveI-moyen-age-centralAu moment de cet article, l’album n’est pas disponible à la vente en ligne ( en tout cas sur Amazon). Il n’est même pas sûr qu’il ait été réédité.  Nous en avons trouvé un copie d’occasion à la vente, mais le vendeur  en attendait un prix tellement indécent que nous avons préféré ne pas vous en donner le lien ici. En contrepartie, nous mettons  le lien par défaut vers ce produit, en espérant que tôt ou tard,  de nouveaux CD’s fassent leur apparition :    Music for Alfonso the Wise by The Dufay Collective (2005-04-20).


Eno sagrado en Vigo, de Martin Codax
traduite en français moderne

Eno sagrado en Vigo,
Beylava corpo velido
En Vigo, no sagrado,
Beylava corpo delgado
Amor ei…

Sur le parvis, à Vigo.
Dansait une belle (un joli corps)
Sur le parvis, à Vigo.
Dansait une  jolie fille (un corps fin) :
Je suis amoureuse …

Beylava corpo delgado
Que nunc’ ouver’ amado
Beylava corpo velido
Que nunc’ ouver’ amigo
Amor ei…

Dansait une  jolie fille
Qui n’avait jamais eu d’être aimé
Dansait une   belle
Qui n’avait jamais eu d’ami
Je suis amoureuse …

Que nunc’ ouver’ amigo
Ergas no sagrad’, en Vigo
Que nunc’ ouver’ amado
Ergas en Vigo, no sagrado
Amor ei…

Qui n’avait jamais eu d’ami
Sauf à Vigo, sur le parvis,
Qui n’avait  jamais eu d’aimé
Sauf à Vigo, sur le parvis, 
Je suis amoureuse …


En vous souhaitant une très belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

« En ceste note dirai » une chanson médiévale courtoise du très plaisant Colin Muset

poesie_litterature_medievale_realiste_satirique_moral_moyen-ageSujet  : musique, chanson médiévale, humour,  trouvère, ménestrel, jongleur, auteur médiéval, vieux-français, amour courtois, langue d’oïl, bonne chère.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur : Colin Muset (1210-?)
Titre    « En ceste note dirai »
Ouvrage :   Les chansons de Colin Muset
(2e édition)  éditées par Joseph Bédier (1938)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons, aujourd’hui, une nouvelle incursion  au  Moyen Âge central , en compagnie du trouvère Colin Muset.   Entre courtoisie et légèreté,  entre lyrisme et goûts pour les plaisirs de la table,   ce très sympathique auteur médiéval nous a laissé une œuvre courte, d’une vingtaine de pièces,  mais toujours rafraîchissante.

Une chanson courtoise
teintée de joie et de légèreté  

deco_enluminures_rossignol_poesie_medievaleLa chanson du jour  se situe  en plein dans la lyrique courtoise.   Colin Muset y campe le parfait  amant  à la merci du désir et de l’acceptation de  la belle que son cœur a élue.  Conventions obligent, pour peu on y mourrai d’amour.  Pourtant, le ton ici reste léger,  et, au sortir, cette pièce respire  bien plus la  joie,  le divertissement et l’envie  de  célébrer l’amour.

A la différence  de   nombre de ses contemporains, si un baiser de la belle damoiselle fera, à coup sûr, s’envoler le cœur de notre poète, il  sera aussi pour  les deux  amants,  la promesse d’une vie remplie de bonne chère et de  plaisirs Bacchusiens : oies grillées bien grasses et vin à profusion,  chez Colin Muset, les  joies   des banquets et leurs libations ne  sont jamais très éloignées des plaisirs de l’amour. C’est d’ailleurs bien  un   des traits qui fait tout son charme ; à  huit siècles  de  sa maîtrise de la lyrique courtoise et de ses codes,   ses clins d’œil  aux plaisirs de l’estomac comme ici, ou ailleurs à la pingrerie de ses hôtes  (voir sire cuens j’ai viélé) ou même au flirt de leurs dames, sont encore là pour nous faire sourire.

Sources  historiques et manuscrits anciens

Pour la transcription de la pièce du jour en graphie moderne, nous avons choisi  Les chansons de Colin Muset   de  Joseph Bédier. Cet ouvrage,   daté de 1938, fait toujours référence quant à l’œuvre du trouvère. On le trouve encore édité de nos jours : Les Chansons. Edite par Joseph Bedier. Deuxieme Edition Corrigee et Completee. (1938).

Pour le reste, cette chanson est présente dans  trois manuscrits médiévaux d’époque. Depuis Bédier, les nomenclatures ont totalement changé. Il faut donc faire un peu de recherches pour les retrouver. Tout trois sont consultable en ligne sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France. En voici le détail.

colin-muset-musique-chanson-medievale-trouvere-vieux-francais-moyen-age-francais-845-bnf-s  Le Français 845

On citera,  pour commencer le  MS   Français 845 (ancienne cote Regius 7222.2), désigné par Manuscrit N par Bédier. Daté de la fin du  XIIIe  siècle,  ce superbe ouvrage  contient divers chansons, jeux-partis et pastourelles de trouvères avec leur notation musicale.   La chanson de notre trouvère  y est annotée sur son premier couplet, et on peut supposer qu’elle se répète pour le reste de  la pièce.  (voir photo ci-dessus – consulter le manuscrit original sur Gallica)

colin-muset-musique-chanson-medievale-trouvere-vieux-francais-moyen-age-ms-5198-bnf-s

Le MS 5198

On ajoutera à   cela le Manuscrit médiéval désigné  sous le nom de K par Bédier et ses contemporains. On  le retrouve à la BnF sous la cote  Ms  Arsenal   5198 (photo ci-dessus). Ce véritable trésor des débuts du XIVe siècle (1300-1325), également connu sous le nom de Chansonnier de Navarre,  contient pas moins de 420 pages.   Elles sont emplies de pièces et chansons annotées musicalement, de trouvères du   XIIIe, dont, entre autre, l’oeuvre de Thibaut de Champagne.   Vous pourrez  consulter ce manuscrit ancien sur Gallica au lien suivant.

Le   Français 20050

Pour terminer ce tour des sources d’époque, on peut encore trouver cette pièce dans le  manuscrit désigné X (par J Bédier) ou même encore U par d’autres auteurs. Il fait référence au chansonnier occitan X.  A la fin du XIIIe siècle, cet ouvrage à été recopié, avec le  Chansonnier français U, dans le manuscrit référencé Français 20050  à la BnF. Nous vous avons déjà parlé,  à plusieurs reprises, de cet ouvrage médiéval célèbre, également connu sous le nom de  Chansonnier de Saint-Germain-des-Prés (consultation en ligne sur Gallica).


  » En ceste note dirai »  du vieux français
de  Colin Muset au français moderne

Traduction en français moderne

deco_enluminures_rossignol_poesie_medievaleA l’habitude, nous avons nous sommes chargé d’approcher la traduction du vieux français d’oïl de Colin Muset au français moderne. En dehors des dictionnaires et des différents supports sur lesquels nous nous sommes appuyés, nous voulons citer ici une source d’intérêt, trouvée en chemin. Il s’agit d’un site web dédié à la littérature européenne et proposé par l’Université de Rome.  Si vous parlez italien, vous y découvrirez  une véritable mine d’or avec de nombreux auteurs médiévaux approchés et traduits par des chercheurs et universitaires italiens venus d’horizons divers. Voici notamment une traduction (italienne) de la chanson du jour : Colin Muset, letteratura europea,  Università di Roma.

I.

En ceste note dirai
D’une amorete que j’ai,
Et pour li m’envoiserai
Et bauz et joianz serai:
L’en doit bien pour li chanter
Et renvoisier et jouer
Et son cors tenir plus gai
Et de robes acesmer
Et chapiau de flors porter
Ausi comme el mois de mai.

Dans cette chanson je parlerai
D’une amourette (amante) que j’ai,
Et pour elle je me divertirai   (réjouir, divertir)
Et je serai audacieux et joyeux :
On doit bien chanter pour elle
Et se réjouir et se divertir,
Et tenir son corps en joie
Et s’orner de beaux habits
Et porter un chapeau de fleurs (coiffe, couronne)
Comme durant le moi de mai.

II.

Trés l’eure que l’esgardai,
Onques puis ne l’entroubliai;
Adès i pens et penserai:
Quant la vois, ne puis durer,
Ne dormir, ne reposer.
Biau trés douz Deus, que ferai?
La paine que pour li trai,
Ne sai conment li dirai:
De ce sui en grant esmai
Oncore a dire li ai;
Quant merci n’i puis trouver
Et je muir por bien amer,
Amoreusement morrai.

Dès lors que je la vis
Jamais plus je ne l’oubliais ;
Je pense toujours à elle et toujours y penserai:
Quand je la vois, je ne peux résister,
Ni dormir, ni prendre de repos.
Bon et très doux Dieu, que vais-je faire?
La douleur que j’endure pour elle,
Je ne sais comment je lui dirai :
Cela me cause un grand émoi ( inquiet),
Car il me faut encore lui dire ;
Tant que je ne peux trouver grâce
Et que je meurs pour bien aimer
Je mourrai avec amour.

III.

Je ne cuit pas ensi morir,
S’ele mi voloit retenir
En bien amer, en biau servir;
Et du tout sui a son plesir
Ne je ne m’en qier departir,
Mès toz jorz serai ses amis.

Je ne pense pas qu’ainsi je mourrais
Si elle voulait me garder auprès    d’elle
Pour bien l’aimer et bien la servir (avec application):
Et en toute chose, je me tiens à son entière disposition
Ni ne veux m’en séparer
Mais toujours demeurer son ami.

IV.

Hé! bele et blonde et avenant,
Cortoise et sage et bien parlant,
A vous me doig, a vous me rent
Et tout sui vostres sanz faillir.
Hé! bele, un besier vous demant,
Et, se je l’ai, je vous creant
Nul mal ne m’en porroit venir.

Eh! Belle et blonde et agréable (notion de valeur, de mérite ?),
Courtoise et sage, au beau parler
A vous je me donne, à vous, je me livre
Et je suis vôtre tout entier, sans faillir.
Eh! Belle, je ne vous demande qu’un  baiser
Et si je l’obtiens,  je vous garantis (créant : de creire, croire)
Qu’aucun mal ne m’en pourrait advenir.

V.

Ma bele douce amie,
La rose est espanie;
Desouz l’ente florie
La vostre conpaignie
Mi fet mult grant aïe.
Vos serez bien servie
De crasse oe rostie
Et bevrons vin sus lie,
Si merrons bone vie.

Ma belle douce amie,
La rose s’est épanouie;
Sous la branche fleurie
Votre compagnie
Me procure un grand réconfort (aïe : aide, secours).
Vous serez bien servi
D’oie grillée bien grasse
Et nous boirons le vin sur la lie,
Et ainsi, mènerons  une bonne vie.

VI.

Bele trés douce amie,
Colin Muset vos prie
Por Deu n’obliez mie
Solaz ne compagnie,
Amors ne druerie:
Si ferez cortoisie!

Ceste note est fenie.

Belle et très douce amie,
Colin Muset vous supplie
Par Dieu n’oubliez jamais
l’amusement, ni la compagnie,
L’amour, ni les plaisirs amoureux (affection, tendresse, galanterie, gages)
Ainsi vous serez courtoise! (vous pratiquerez la courtoisie)

Cette chanson est terminée.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Chanson médiévale : « Amigo, queredes vos ir ? » une cantiga du Roi Denis du Portugal

roi_troubadour_poete_denis_1er_portugal_poesie_chansons_medievales_moyen-age_centralSujet    :  troubadour, lyrique courtoise, galaïco-portugais, poésie, chansons médiévales, cantigas de amor, galicien-portugais, musique médiévale
Période  : Moyen Âge central, XIIIe, début XIVe
Titre :  Amigo, queredes vos ir ?
Auteur    : Denis 1er du portugal  (1261-1325)
Interprète    : Paulina Ceremuzynska
Album : Cantigas de amor y de amigo, 2004

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu Moyen Âge central,  de nombreux  seigneurs et même rois se sont adonnés à l’art  des  troubadours et à l’exercice de la poésie courtoise.  On en trouve de célèbres dans le sud, comme dans le nord de la France, mais de nombreux autres pays d’Europe ne sont pas en reste.  C’est notamment le cas de la péninsule ibérique.

En Espagne, on connaîtra des lignées de grands rois et seigneurs, grand amoureux de littérature et  férus de  rimes,  dont Alphonse X de Castille n’est pas le moindre, bien sûr. Quant au  Portugal des XIIIe et XIVe siècles,  il léguera aussi de beaux auteurs et troubadours à la postérité, dont l’un des plus célèbres  n’est autre qu’un monarque du Portugal lui-même : Dom Dinis,  connu encore  sous le nom de Denis 1er du portugal, grand roi laboureur, fin politique,  homme de lettres et poète  à ses heures qui laissera de très belles pièces courtoises. C’est donc une d’entre elles que  nous vous présentons aujourd’hui, et sa belle interprétation par la talentueuse  Paulina Ceremuzynska.   Cette chanson d’amour médiévale a pour titre   « Amigo, queredes vos ir ? » : Ami, (ainsi) vous voulez partir ? »

Une cantiga de amor

Cantiga de amor plus que cantiga de amigo,   en fait de belle esseulée chantant l’absence de son  amant,  le Roi Denis nous propose plutôt ici un dialogue  entre un amant courtois et sa dame. Sur le thème de la séparation et du déchirement, on  peut lire entre ses rimes   ce qui pourrait être  une situation digne de   celle de Tristan et Yseult :   amour interdit ou illégitime  qui semble même  peut être déjà consommé ?  La cantiga-amor-roi-denis-musique-chanson-medievale-chansonnier-vaticanliaison qui sous-tend cette pièce poétique est, en tout cas, réciproque et bien engagée mais elle doit se terminer à l’initiative de l’amant.

On peut trouver notamment cette pièce dans le Cancioneiro da Vaticana. Cet impressionnant manuscrit du XVIe siècle  est  la copie d’un original daté du XIIIe-XIVe siècle. Il contient plus de 1200 cantigas, pour près d’une centaine d’auteurs. Voir également cet article.

Bien qu’à la torture, ce dernier prend en effet sur lui de   se « départir » de la dame.  Dut-il en mourir, il lui faut  s’en aller pour la sauver, elle ou sa réputation.  L’amour impossible, illicite,   trouve ici   ses limites et découvre toute l’étendue de son drame.

Du point de vue du style, le choix des mots reste celui de la simplicité comme c’est presque toujours le cas dans le genre des cantigas de amigo ou de amor espagnoles et portugaises. En fait de refrain formel, c’est le thème de la mort qui vient ici  scander cette poésie,  en faisant planer sa menace sur les deux amants meurtris d’avance à l’idée de la séparation.

 Amigo, queredes vos ir  par   Paulina Ceremuzynska

Cantigas de amor y de amigo
l’album de   Paulina Ceremuzynska

En 2004,       Paulina Ceremuzynska   sortait un superbe album   sur le thème  des    Cantigas de amor y de amigo du Moyen Âge central qu’elle affectionne particulièrement.  On se souvient, en effet,  que  cette  talentueuse chanteuse soprano et musicologue portugaise s’est installée à Santiago de Compostelle  où elle a eu l’occasion d’étudier de près la musique ancienne et les manuscrits du Portugal et de l’Espagne médiévale.
chanson-medievale-cantiga-amigo-roi-denis-album-Paulina-Ceremuzynska-moyen-ageCet album présente treize pièces superbement interprétées : neuf cantigas sont issues du répertoire de Don Denis du Portugal.  Quatre autres proviennent de celui du célèbre troubadour Martin  Codax.

A ce jour,  cette production  ne semble pas avoir été rééditée. Les seuls exemplaires qui se trouvaient disponibles à l’import  sur Amazon, sont, à date de cet article, écoulés : voir cantigas de Amor e Amigo.    On pourra peut-être la retrouver sur quelques plateformes dématérialisées légales mais il faut espérer qu’il sera également disponible à nouveau au format CD : la voix et les performances de Paulina Ceremuzynska ont toujours quelque chose de très spéciale et de très pur et,  à l’image de son travail, cet album est un véritable réussite.


« Amigo, queredes vos ir ? »    du roi Denis
traduit en français moderne

Amigo, queredes vos ir?
Si, mia senhor, ca nom poss’al
fazer, ca seria meu mal
e vosso; por end’a partir
mi convem d’aqueste logar;
mais que gram coita d’endurar
me será, pois m’é sem vós vir!

– Mon ami,   vous voulez partir ?
– Oui, ma dame, puisque je ne peux
faire autrement, car rester serait mon malheur
et le vôtre : c’est pourquoi il convient,
pour finir,   
que je quitte cet endroit.

Mais quel grand malheur vais-je devoir endurer
Puisque je ne vous verrai plus !

Amigu’, e de mim que será?
Bem, senhor bõa e de prez;
e pois m’eu fôr daquesta vez,
o vosso mui bem se passará;
mais morte m’é de m’alongar
de vós e ir-m’alhur morar.
Mais pois é vós ũa vez ja!

– Mon ami, et de moi qu’adviendra-t-il ?
– Et bien, belle dame de grande valeur
Quand je serais parti, cette fois
Votre bonheur disparaîtra,
Mais m’éloigner de vous me tuera,
Et pourtant il me faut m’éloigner
Même si c’est pour vous que je le fais!

Amigu’, eu sem vós morrerei.
– Nom querrá Deus esso, senhor;
mais pois u vós fôrdes, nom fôr
o que morrerá, eu serei;
mais quer’eu ant’o meu passar
ca assi do voss’aventurar,
ca eu sem vós de morrer hei!

Queredes-m’, amigo, matar?
Nom, mia senhor, mais por guardar
vós, mato-mi que m’o busquei.

– Mon ami, moi sans vous, je mourrai
– Je ne veux pas cela, madame,
Mais puisque là où vous irez, je ne pourrais aller,
Celui qui mourra, ce sera moi
Mais je veux mourir avant
De vous causer des mésaventures 
Car sans vous je mourrais.

– Ami, vous voulez-me tuer ?
–    Non ma dame, mais pour vous protéger
C’est moi que je cherche à tuer (c’est moi que je veux tuer puisque je l’ai mérité).

Note :   cette traduction mériterait quelques vérifications aussi  disons que c’est une premier jet.


En vous souhaitant une belle journée.

Fréderic EFFE
Pour moyenagepassion.com
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