Sujet : poésie médiévale, auteur médiéval, moyen-français, maladie, vieillesse, ballade médiévale Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « Toute Maladie me nuit» Ouvrage : Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, Tome VIII, Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)
Bonjour à tous,
ntre la moitié du XIVe et le tout début du XVe siècle, l’officier de cour, juriste et poète Eustache Deschamps écrit sur à peu près tout : l’art de versifier, sa didactique mais surtout plus de 1000 ballades sur la vie, la mort, la morale, les maux et les mœurs de son temps.
Des états d’âme et des valeurs de l’auteur médiéval à ses goûts, ses plaisirs ou ses frustrations, en allant jusqu’à des choses plus factuelles, tous les sujets y passent. Malgré quelques belles envolées sur l’ensemble de son œuvre et une belle maîtrise du moyen-français, on s’accordera sur le fait qu’Eustache a plus marqué les esprits par le volume de son legs que par son style. De fait, à plus de 600 ans de là, de nombreux érudits, historiens ou romanistes, s’appuient encore sur toute ou partie de ses témoignages pour approcher cette période du Moyen Âge.
Douleurs, petite santé et misères de l’âge
La ballade que nous avons choisie aujourd’hui a pour thème les âges de la vie et notamment certains désagréments liés à la vieillesse (1). Eustache a vécu suffisamment longtemps, pour les expérimenter : misère, recul social, déliquescence de l’état général et santé en perdition. Comme il nous l’explique dans cette ballade tardive, sa jeunesse est déjà loin et « Toute maladie lui nuit« .
Cette poésie, qui vient à point dans le contexte de l’actualité, nous fournit l’occasion d’adresser une pensée à tous nos anciens et à tous ceux dont la santé est particulièrement fragilisée et qui pourront se sentir concernés. Qu’ils se protègent avec raison et prennent bien soin d’eux en cette rentrée hivernale et en ces nouveaux temps de confinement.
Aux sources médiévales de cette ballade
On peut retrouver cette ballade dans le Manuscrit Français 840 que nous avons déjà mentionné à de nombreuses reprises. Pour varier, nous vous parlerons ici du Manuscrit Fr NAF 6221 (ancienne collection Barrois, cote 523). L’abréviation NAF correspond au fond des Nouvelles Acquisitions Françaises de la BnF. Ouvert en 1863, celui-ci comprend désormais plus de 29 000 volumes et documents (de quoi ravir ou perdre un archiviste). A ce jour, moins de 1% de cette collection a été numérisé mais, par chance, le NAF 6221 en fait partie (vous pouvez le consulter en ligne ici). Ce codex plutôt sobre (photo ci-dessus), contient près de 154 pièces entre lais, ballades, rondeaux et serventois, dont un peu moins de la moitié (71) sont de Eustache Deschamps.
Balade de doloir pour jeunesse qui s’en va ailleurs
J’ay perdu doulz apvril et may, Printemps, esté, toute verdure; Yver, janvier de tous poins ay Garniz d’annoy et de froidure. Dieux scet que ma vieillesce endure De froit et reume jour et nuit, De fleume (flegme), de toux et d’ordure: Toute maladie me nuit.
Pour mon costé crie: “Hahay!” Maintefois et a l’aventure Une migrayne ou chief aray (avoir). Autrefoiz ou ventre estorture Ou en l’estomac grief pointure (forte douleur). Aucune fois le cuer me cuit; Autre heure tousse a desmesure: Toute maladie me nuit.
Tant qu’en lit me degecteray (degeter : agiter, tourmenter) Si qu’il n’y remaint (remanoir : demeurer, rester) couverture. La crampe d’autre part aray Ou le mal des dens me court sure Ou les goutes me font morsure. Quelque part ou ventre me bruit; Toudis (toujours) ay medecin ou cure: Toute maladie me nuit.
L’envoi
Prince, de santé je vous jure Que moult s’afoiblist ma nature Pour maint grief mal qui me destruit. Vieillesce m’est perverse et dure, Ne je ne scay comment je dure: Toute maladie me nuit.
Pour élargir, au delà de l’œuvre d’Eustache Deschamps, on notera que le thème de la vieillesse a été largement traité au Moyen Âge et ce, par de nombreux auteurs. On ne manquera pas de citer ici le superbePasse-temps de Michaut Le Caron dit Taillevent.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
NB : la miniature en tête d’article provient du manuscrit de Bartholomaeus Anglicus (XIIIe s) : De proprietatibus rerum ou Livre des proprietés des choses (édition datée du XVe)
Sujet : chanson médiévale, poésie , culte marial, roi troubadour, roi poète, trouvères, vieux-français, langue d’oïl, vierge Marie. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle. Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre (Thibaud) Titre : « Du tres douz nom a la virge Marie» Interprète : René Zosso Album : Anthologie de la chanson française, des trouvères à la pléiade (2005)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous revenons à la poésie et l’art des trouvères avec un des plus célèbres d’entre eux : Thibaut IV de Champagne , roi de Navarre et comte de Champagne, connu encore sous le nom de Thibaut le Chansonnier. Nous le faisons avec d’autant plus de plaisir et d’à-propos que c’est une belle et puissante interprétation de René Zosso qui nous permettra de découvrir cette chanson médiévale du XIIIe siècle.
Une chanson du roi de Navarre
en hommage au nom de la vierge
On connait du legs de Thibaut de Champagne, les pièces courtoises ou encore les chants de croisade. Nous en avons déjà présenté quelques-unes issues de ces deux répertoires. Pour varier un peu, la
pièce du jour est dédiée à la dévotion à Sainte Marie, autrement dit
au culte marial, très populaire aux temps médiévaux notamment à partir du Moyen Âge central.
On le verra, dans cette chanson, le roi et seigneur poète énumère les qualités et les propriétés de la sainte vierge, à partir des cinq lettres composant son nom : M A R I A. On notera qu’avant lui, le moine et trouvère Gauthier de Coincy (1177-1236) s’était, lui aussi, adonné à un exercice similaire à partir du nom de la Sainte. Au Moyen Âge, la seule prononciation de ce dernier est réputée chargée de hautes propriétés spirituelles, voire « magiques » ou miraculeuses. Vous pourrez trouver des éléments d’intérêt sur ces questions dans un article de la spécialiste de littérature médiévale et de philosophie religieuse Annette Garnier : Variations sur le nom de Marie chez Gautier de Coinci, Nouvelle revue d’onomastique, 1997. Egalement, pour élargir sur le culte marial et ses miracles, nous vous invitons à consulter nos publications sur les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille. Passons maintenant aux sources de cette chanson et sa partition .
Sources manuscrites historiques :
le trouvère K ou chansonnier de Navarre
On retrouve cette pièce du comte Thibaut de Champagne dans un certain nombre de manuscrits anciens datant plutôt des XIVe et siècles suivants. On citera le Chansonnier du Roi dit français 844 ou encore les MS français 846, MS français 12615 et MS français 24406. Ajoutons-y également le Manuscrit MS Français 12148, autrement coté, MS 5198 de la Bibliothèque de l’Arsenal (voir photo ci-dessus). C’est un ouvrage d’importance dont nous avons, jusque là, peu parlé.
Un mot du Manuscrit MS 5198 de l’Arsenal
Daté du premier quart du XIVe siècle, ce manuscrit ancien contient pas moins de 392 folios pour 418 pièces : chansons avec musiques annotées et poésies françaises. Les auteurs sont variés dont une grande quantité de trouvères. L’oeuvre de Thibaut de Champagne y est largement représentée ; sous le nom de « roi de Navarre« , elle ouvre même le MS 5198 avec 53 pièces. Pour avoir une bonne vision du contenu de ce manuscrit médiéval, nous vous conseillons de vous procurer la Bibliographie des Chansonniers français des XIIIe et XIVe siècle de Gaston Raynaud (1884). Quant à l’original digitalisé, il est consultable sur Gallica.
« Du trez douz nom » de Thibaut de Champagne par René Zosso
Anthologie de la chanson française : des trouvères à la Pléiade
Nous avons déjà consacré un article à cet album d’Anthologie autour de la musique médiévale et renaissante. Daté du milieu des années 90, il fait partie d’une vaste collection de CDs, sortie chez EPM, qui proposait de découvrir la chanson française à travers les époques. L’opus réservé à la période « des trouvères à la Pléiade » , dont est extraite la pièce du jour, faisait une belle place à René Zosso.Ce dernier y interprétait, en effet, plus de six chansons dont en compagnie de Anne Osnowycz. (Nous vous renvoyons au lien ci-dessus pour découvrir une autre de ces pièces, ainsi que plus d’information sur cet album.)
Ajoutons que sur les 24 chansons présentées dans cette Anthologie, se trouvaient trois chansons tirées du répertoire de Thibaut le chansonnier, toutes interprétées par le musicien et joueur de vièle à roue suisse.
Du tres douz non a la Virge Marie
du vieux français d’oïl au français moderne
NB : une fois n’est pas coutume, pour cette traduction de l’oïl vers le français moderne, nous avons suivi, à la lettre, celle du critique littéraire et médiéviste français Alexandre Micha dans son ouvrage : Thibaud IV, Thibaud de Champagne, Recueil de Chansons (Paris, 1991, Klincksieck).
Du tres douz non a la Virge Marie Vous espondrai cinq letres plainement. La premiere est M, qui senefie Que les ames en sont fors de torment; Car par li vint ça jus entre sa gent Et nos geta de la noire prison Deus, qui pour nos en sousfri passion. Iceste M est et sa mere et s’amie.
Du très doux nom de la Vierge Marie Je vous expliquerai les cinq lettres clairement. La première est M, qui signifie Que les âmes par elle sont délivrées des tourments, Car par elle descendit parmi les hommes Et nous jeta hors de la noire prison Dieu qui pour nous souffrit sa passion. Ce M représente sa mère et son amie.
A vient après. Droiz est que je vous die Qu’en l’abecé est tout premierement; Et tout premiers, qui n’est plains de folie, Doit on dire le salu doucement A la Dame qui en son biau cors gent Porta le Roi qui merci atendon. Premiers fu A et premiers devint hom Que nostre loi fust fete n’establie.
A vient après et je dois vous dire Qu’il est la première lettre de l’alphabet. Avec cette première lettre, si l’on est sage, On doit dire dévotement la salutation A la Dame qui en son beau corps Porta le Roi de qui nous attendons le pardon. A fut la première lettre du premier homme, Depuis que notre religion fut instituée.
Puis vient R, ce n’est pas controuvaille, Qu’erre savons que mult fet a prisier, Et sel voions chascun jor tout sanz faille, Quant li prestes le tient en son moustier; C’est li cors Dieu, qui touz nos doit jugier, Que la Dame dedenz son cors porta. Or li prions, quant la mort nous vendra, Que sa pitiez plus que droiz nous i vaille.
Puis vient R, ce n’est pas pure fantaisie : Nous savons qu’erre est digne de respect, Et nous le voyons chaque jour avec évidence, Quand le prêtre le tient en son église : C’est le corps de Dieu qui nous jugera tous Et que la Dame porta en son beau corps. Demandons-lui, quand viendra notre mort Que sa pitié soit plus forte que sa justice.
I est touz droiz, genz et de bele taille. Tels fu li cors, ou il n’ot qu’enseignier, De la Dame qui pour nos se travaille, Biaus, droiz et genz sanz teche et sanz pechier. Pour son douz cuer et pour Enfer bruisier Vint Deus en li, quant ele l’enfanta. Biaus fu et genz, et biau s’en delivra; Bien fist senblant Deus que de nos li chaille.
I est tout droit, svelte et de belle taille. Tel fut le corps, riche de toutes les vertus, De la dame qui se met en peine pour nous, Beau, svelte, noble, sans tache et sans péché. Grâce à son doux coeur et pour briser l’Enfer Dieu était en elle, quand elle l’enfanta. Il était beau et gracieux et elle eut une heureuse délivrance. Dieu montra bien qu’il a soin de nous.
A est de plaint: bien savez sanz dotance, Quant on dit a, qu’on se plaint durement; Et nous devons plaindre sanz demorance A la Dame que ne va el querant Que pechierres viengne a amendement. Tant a douz cuer, gentil et esmeré, Qui l’apele de cuer sanz fausseté, Ja ne faudra a avoir repentance.
A exprime la plainte : vous savez bien Que quand on dit A, on se plaint amèrement. Nous devons constamment faire monter nos plaintes Vers la Dame qui n’a d’autre but Que de voir le pécheur s’amender Elle a le cœur si doux, si noble, si généreux Que si on fait appel à elle, Il s’ouvrira au repentir.
Or li prions merci pour sa bonté Au douz salu qui se conmence Ave Maria! Deus nous gart de mescheance!
Implorons sa merci, confiants en sa bonté, Avec le doux salut qui commence par Ave Maria. Que Dieu nous garde de tout malheur !
En vous souhaitant une fort belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, chanson médiévale, humour, trouvère, ménestrel, jongleur, auteur médiéval, vieux-français, amour courtois, langue d’oïl, bonne chère. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle. Auteur : Colin Muset (1210-?) Titre : « En ceste note dirai » Ouvrage : Les chansons de Colin Muset
(2e édition) éditées par Joseph Bédier (1938)
Bonjour à tous,
ous vous proposons, aujourd’hui, une nouvelle incursion au Moyen Âge central , en compagnie du trouvère Colin Muset. Entre courtoisie et légèreté, entre lyrisme et goûts pour les plaisirs de la table, ce très sympathique auteur médiéval nous a laissé une œuvre courte, d’une vingtaine de pièces, mais toujours rafraîchissante.
Une chanson courtoise
teintée de joie et de légèreté
La chanson du jour se situe en plein dans la lyrique courtoise. Colin Muset y campe le parfait amant à la merci du désir et de l’acceptation de la belle que son cœur a élue. Conventions obligent, pour peu on y mourrai d’amour. Pourtant, le ton ici reste léger, et, au sortir, cette pièce respire bien plus la joie, le divertissement et l’envie de célébrer l’amour.
A la différence de nombre de ses contemporains, si un baiser de la belle damoiselle fera, à coup sûr, s’envoler le cœur de notre poète, il sera aussi pour les deux amants, la promesse d’une vie remplie de bonne chère et de plaisirs Bacchusiens : oies grillées bien grasses et vin à profusion, chez Colin Muset, les joies des banquets et leurs libations ne sont jamais très éloignées des plaisirs de l’amour. C’est d’ailleurs bien un des traits qui fait tout son charme ; à huit siècles de sa maîtrise de la lyrique courtoise et de ses codes, ses clins d’œil aux plaisirs de l’estomac comme ici, ou ailleurs à la pingrerie de ses hôtes (voir sire cuens j’ai viélé) ou même au flirt de leurs dames, sont encore là pour nous faire sourire.
Pour le reste, cette chanson est présente dans trois manuscrits médiévaux d’époque. Depuis Bédier, les nomenclatures ont totalement changé. Il faut donc faire un peu de recherches pour les retrouver. Tout trois sont consultable en ligne sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France. En voici le détail.
Le Français 845
On citera, pour commencer le MS Français 845 (ancienne cote Regius 7222.2), désigné par Manuscrit N par Bédier. Daté de la fin du XIIIe siècle, ce superbe ouvrage contient divers chansons, jeux-partis et pastourelles de trouvères avec leur notation musicale. La chanson de notre trouvère y est annotée sur son premier couplet, et on peut supposer qu’elle se répète pour le reste de la pièce. (voir photo ci-dessus – consulter le manuscrit original sur Gallica)
Le MS 5198
On ajoutera à cela le Manuscrit médiéval désigné sous le nom de K par Bédier et ses contemporains. On le retrouve à la BnF sous la cote Ms Arsenal 5198 (photo ci-dessus). Ce véritable trésor des débuts du XIVe siècle (1300-1325), également connu sous le nom de Chansonnier de Navarre, contient pas moins de 420 pages. Elles sont emplies de pièces et chansons annotées musicalement, de trouvères du XIIIe, dont, entre autre, l’oeuvre de Thibaut de Champagne. Vous pourrez consulter ce manuscrit ancien sur Gallica au lien suivant.
Le Français 20050
Pour terminer ce tour des sources d’époque, on peut encore trouver cette pièce dans le manuscrit désigné X (par J Bédier) ou même encore U par d’autres auteurs. Il fait référence au chansonnier occitan X. A la fin du XIIIe siècle, cet ouvrage à été recopié, avec le Chansonnier français U, dans le manuscrit référencé Français 20050 à la BnF. Nous vous avons déjà parlé, à plusieurs reprises, de cet ouvrage médiéval célèbre, également connu sous le nom de Chansonnier de Saint-Germain-des-Prés (consultation en ligne sur Gallica).
» En ceste note dirai » du vieux français
de Colin Muset au français moderne
Traduction en français moderne
A l’habitude, nous avons nous sommes chargé d’approcher la traduction du vieux français d’oïl de Colin Muset au français moderne. En dehors des dictionnaires et des différents supports sur lesquels nous nous sommes appuyés, nous voulons citer ici une source d’intérêt, trouvée en chemin. Il s’agit d’un site web dédié à la littérature européenne et proposé par l’Université de Rome. Si vous parlez italien, vous y découvrirez une véritable mine d’or avec de nombreux auteurs médiévaux approchés et traduits par des chercheurs et universitaires italiens venus d’horizons divers. Voici notamment une traduction (italienne) de la chanson du jour : Colin Muset, letteratura europea, Università di Roma.
I.
En ceste note dirai D’une amorete que j’ai, Et pour li m’envoiserai Et bauz et joianz serai: L’en doit bien pour li chanter Et renvoisier et jouer Et son cors tenir plus gai Et de robes acesmer Et chapiau de flors porter Ausi comme el mois de mai.
Dans cette chanson je parlerai D’une amourette (amante) que j’ai, Et pour elle je me divertirai (réjouir, divertir) Et je serai audacieux et joyeux : On doit bien chanter pour elle Et se réjouir et se divertir, Et tenir son corps en joie Et s’orner de beaux habits Et porter un chapeau de fleurs (coiffe, couronne) Comme durant le moi de mai.
II.
Trés l’eure que l’esgardai, Onques puis ne l’entroubliai; Adès i pens et penserai: Quant la vois, ne puis durer, Ne dormir, ne reposer. Biau trés douz Deus, que ferai? La paine que pour li trai, Ne sai conment li dirai: De ce sui en grant esmai Oncore a dire li ai; Quant merci n’i puis trouver Et je muir por bien amer, Amoreusement morrai.
Dès lors que je la vis Jamais plus je ne l’oubliais ; Je pense toujours à elle et toujours y penserai: Quand je la vois, je ne peux résister, Ni dormir, ni prendre de repos. Bon et très doux Dieu, que vais-je faire? La douleur que j’endure pour elle, Je ne sais comment je lui dirai : Cela me cause un grand émoi ( inquiet), Car il me faut encore lui dire ; Tant que je ne peux trouver grâce Et que je meurs pour bien aimer Je mourrai avec amour.
III.
Je ne cuit pas ensi morir, S’ele mi voloit retenir En bien amer, en biau servir; Et du tout sui a son plesir Ne je ne m’en qier departir, Mès toz jorz serai ses amis.
Je ne pense pas qu’ainsi je mourrais Si elle voulait me garder auprès d’elle Pour bien l’aimer et bien la servir (avec application): Et en toute chose, je me tiens à son entière disposition Ni ne veux m’en séparer Mais toujours demeurer son ami.
IV.
Hé! bele et blonde et avenant, Cortoise et sage et bien parlant, A vous me doig, a vous me rent Et tout sui vostres sanz faillir. Hé! bele, un besier vous demant, Et, se je l’ai, je vous creant Nul mal ne m’en porroit venir.
Eh! Belle et blonde et agréable (notion de valeur, de mérite ?), Courtoise et sage, au beau parler A vous je me donne, à vous, je me livre Et je suis vôtre tout entier, sans faillir. Eh! Belle, je ne vous demande qu’un baiser Et si je l’obtiens, je vous garantis (créant : de creire, croire) Qu’aucun mal ne m’en pourrait advenir.
V.
Ma bele douce amie, La rose est espanie; Desouz l’ente florie La vostre conpaignie Mi fet mult grant aïe. Vos serez bien servie De crasse oe rostie Et bevrons vin sus lie, Si merrons bone vie.
Ma belle douce amie, La rose s’est épanouie; Sous la branche fleurie Votre compagnie Me procure un grand réconfort (aïe : aide, secours). Vous serez bien servi D’oie grillée bien grasse Et nous boirons le vin sur la lie, Et ainsi, mènerons une bonne vie.
VI.
Bele trés douce amie, Colin Muset vos prie Por Deu n’obliez mie Solaz ne compagnie, Amors ne druerie: Si ferez cortoisie!
Ceste note est fenie.
Belle et très douce amie, Colin Muset vous supplie Par Dieu n’oubliez jamais l’amusement, ni la compagnie, L’amour, ni les plaisirs amoureux (affection, tendresse, galanterie, gages) Ainsi vous serez courtoise! (vous pratiquerez la courtoisie)
Cette chanson est terminée.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : poésie médiévale, ballade médiévale, moyen-français, poésie réaliste, corpus Villon. Auteur : anonyme,attribuée à François Villon (1431-?1463) Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle. Titre : « Ballade pour ung prisonnier » Ouvrage : Jardin de plaisance et fleur de rethoricque, A Vérard (1502). François Villon, sa vie et ses oeuvres, Antoine Campaux (1859)
Bonjour à tous
ans le courant du XIXe siècle, avec le développement des humanités et du rationalisme, émergent plus que jamais, la volonté de catégoriser, classer mais aussi de mettre en place une véritable méthodologie dans le domaine de l’Histoire. De fait, de nombreux esprits brillants s’attellent alors aux manuscrits et à la systématisation de leur étude, et ce sera, également, un siècle de grands débats autour des auteurs du Moyen Âge et de la littérature médiévale.
Manuscrits, attributions et zones d’ombre
Corollaire de ces travaux variées, mais aussi de la découverte de nouvelles sources, on se pose alors souvent la question d’élargir, ou même quelquefois de restreindre, le corpus des nombreux auteurs médiévaux auxquels on fait face. D’un expert à l’autre, la taille des œuvres prend ainsi plus ou moins « d’élasticité », suivant qu’on en ajoute ou qu’on en retranche des pièces, en accord avec les manuscrits anciens ou même, parfois, contre eux.
On le sait, dans ces derniers, il subsiste toujours des zones d’ombre. A auteur égal, les noms ou leur orthographe peuvent varier sensiblement. En fonction des manuscrits, des pièces identiques peuvent aussi se retrouver attribuées à des auteurs différents. Enfin, certains codex foisonnent de pièces demeurées anonymes. Dans ce vaste flou, on comprend que les chercheurs soient souvent tentés de forger des hypothèses pour essayer de mettre un peu d’ordre ou de faire des rapprochements.
Ajoutons que cet anonymat des pièces n’est pas que l’apanage des codex du Moyen Âge central et de ses siècles les plus reculés. Entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle, on verra, en effet, émerger un certain nombre de recueils, fascicules ou compilations de poésies qui ne mentionneront pas leurs auteurs d’emprunt (La récréation et passe temps des tristes, Fleur de poésie françoyse, etc…). Un peu plus tard, ce phénomène sera même favorisé par l’apparition de l’imprimerie. En recroisant avec d’autres sources historiques, on parviendra alors à réattribuer certaines de ces pièces à leurs auteurs mais d’autres demeureront anonymes et, là encore, on sera tenté, quelquefois, d’y voir l’empreinte d’un poète connu et, à défaut, d’éventuels copieurs ou disciples.
Le corpus de François Villon
Concernant cette « élasticité » des corpus, à l’image d’autres poètes du Moyen Âge, François Villon n’y fera pas exception. La notion d’auteur étant peu fixée durant la période médiévale, et la copie considérée comme un exercice littéraire louable, on peut alors légitimement supposer que le poète a pu faire des émules. Bien sûr, il en va aussi des grands auteurs médiévaux un peu comme les grands peintres : on est toujours, à l’affût et même désireux, de découvrir une pièce nouvelle.
Comme Villon est un auteur du Moyen Âge tardif et donc assez récent, on lui connait, depuis longtemps, une œuvre assez bordée. Dès après sa mort et plus encore après l’invention de l’imprimerie, son legs a aussi fait l’objet de maintes rééditions. Pourtant, depuis le milieu du XVIIIe siècle, un ouvrage est déjà venu semer le doute sur le corpus réel de notre poète médiéval.
Les travaux de Nicolas Lenglet Du fresnoy
Signé de la main de Nicolas Lenglet Du Fresnoy, le MS Paris Arsenal 2948 est un essai inachevé sur l’œuvre de Villon qui élargit, notablement le nombre de pièces pouvant lui être attribuées. Pour étayer ses propos, Lenglet s’appuie sur plusieurs sources, dont une qui nous intéresse particulièrement ici. Il s’agit d’un ouvrage daté du tout début du XVIe siècle et ayant pour titre « Le jardin de plaisance et fleur de rethoricque » (Ms Rothschild 2799).
On trouve, dans ce manuscrit très fourni, certaines pièces que d’autres sources historiques attribuent, par ailleurs, clairement à Villon ; à leur côté, se tiennent d’autres poésies, inédites, demeurées sans auteur, mais qui évoquent suffisamment le style ou la vie de Villon pour que Lenglet Du Fresnoy soit tenté de les rapprocher de ce dernier.
Un aparté sur l’attribution de l’œuvre : Lenglet Du Fresnoy éclispé par La Monnoye
Pour en dire un mot, sur la question des attributions, l’affaire prend un tour assez cocasse, mais cette fois-ci, du point de vue de l’oeuvre sur l’oeuvre. En effet, une erreur fut faite au XIXe siècle, vraisemblablement par Pierre Jannet : dans ses Œuvres complètes de François Villon (1867), ce dernier attribua les travaux de Lenglet Du Fresnoy à Bernard de la Monnoye et cette erreur a perduré jusqu’à nous. Elle continue même d’être faite régulièrement et on doit à Robert D Peckham de s’être évertué à la déconstruire. Voir Villon Unsung : the Unfinished Edition of Nicolas Lenglet Du Fresnoy, Robert D Peckham, tiré de Breakthrough: Essays and Vignettes in Honor of John A. Rassias, 2007, ed. Melvin B. Yoken. Voir également Le Bulletin de la Société François Villon numéro 31.
Quoiqu’il en soit, pour revenir à nos moutons, autour des années 1742-1744, Nicolas Lenglet Du Fresnoy avait extrait du Jardin de plaisance et fleur de rethoricque de nombreuses pièces, en les attribuant à notre auteur médiéval, au risque même de le faire un peu trop largement. Ce sera, en tout cas, l’avis de certains biographes postérieurs de Villon dont notamment Jean-Henri-Romain Prompsault, au début du XIXe siècle. S’il ne suivra pas son prédécesseur sur toute la ligne, ce dernier conserva, tout de même, une partie des pièces retenues par Lenglet dans ses Œuvres de maistre François Villon, corrigées et augmentées d’après plusieurs manuscrits qui n’étoient pas connues (1835).
Antoine Campaux sur les pas de Lenglet
Vingt-cinq ans après Prompsault, dans son ouvrage François Villon, sa vie et ses œuvres (1859), l’historien et écrivain Antoine Campaux reprendra d’assez près les conclusions de Lenglet sur certaines pièces du Jardin de Plaisance et Fleur de Rhétorique et leur attribution possible à Villon. Voici ce qu’il en dira :
« Plusieurs de ces pièces semblent se rapporter, de la façon la moins équivoque, aux circonstances les plus caractéristiques de la vie du poète, comme à ses amours, à sa prison, à son exil, à sa misère, à son humeur. Quelques-unes présentent, avec certains huitains du Petit et particulièrement du Grand- Testament, des rapports si étroits et parfois même des ressemblances si grandes de fond et de forme ; l’accent enfin de Villon y éclate tellement, que c’est, du moins pour nous, à s’y méprendre. (…) Nous sommes donc persuadés avec Lenglet, qu’un grand nombre de pièces de cette compilation ne peut être que de Villon, ou tout au moins de son école. Elles en ont à nos yeux la marque, et entre autres la franchise du fond et de la forme, assez souvent la richesse de rimes, et parfois ce mélange de tristesse et de gaieté, de comique et de sensibilité qui fait le caractère de l’inspiration de notre poète. » A Campaux – op cité
Pour information, si cet ouvrage vous intéresse, il a été réédité par Hardpress Publishing. Vous pouvez le trouver au lien suivant : François Villon, Sa Vie Et Ses Oeuvres.
L’École de Villon selon Campaux
Bien que largement convaincu de la paternité villonesque d’une majorité des pièces retenues, Campaux prendra la précaution de les rattacher à une « école de Villon », en soumettant la question de leur attribution à la sagacité du lecteur ; à quelques exceptions près, ses commentaires, insérés entre chaque pièce, ne laisseront pourtant guère d’équivoque sur ses propres convictions.
Pour le reste, le médiévisteretiendra dans son Ecole de Villon, autour de 35 rondeaux et ballades, issus du Jardin de Plaisance, qu’il classera en plusieurs catégories : chansons à boire, poésies sur le thème de l’amour, ballades plus directement liées à l’évocation de l’exil, la misère et l’incarcération de Villon. Il dénombrera, enfin, des ballades sur des sujets plus variés et des pièces plus satiriques et politiques. Concernant ces toutes dernières, l’historien tendra, cette fois, à les attribuer plutôt à Henri Baude, qu’il désignera, par ailleurs, comme « un des meilleurs élèves de Villon« .
Aujourd’hui, parmi tous les poésies citées par Campaux, nous avons choisi de vous présenter celle intitulée « Ballade pour ung prisonnier ». Voici ce qu’il nous en disait : « Cette pièce est certainement de Villon, du temps qu’il était dans le cachot de Meung. J’y entends et reconnais les plaintes, les remords, les excuses, les projets de changements de vie, et il faut le dire aussi, les sentiments de vengeance de la première partie du Grand-Testament. »
Nous vous laisserons en juger mais il est vrai qu’à la lecture, on comprend aisément le trouble du médiéviste. Depuis lors, aucun expert n’a pu trancher définitivement sur la question de cette attribution et à date, on n’a trouvé cette pièce dans aucun autre manuscrit d’époque.
Ballade pour ung prisonnier
S’en mes maulx me peusse esjoyr, Tant que tristesse, me fust joye, Par me doulouser et gémir Voulentiers je me complaindroye. Car, s’au plaisir Dieu, hors j’estoye, J’ay espoir qu’au temps advenir A grant honneur venir pourroye, Une fois avant que mourir.
Pourtant s’ay eu moult à souffrir Par fortune, dont je larmoye, Et que n’ay pas pou obtenir, N’avoir ce que je prétendoye, Au temps advenir je vouldroye Voulentiers bon chemin tenir, Pour acquérir honneur et joye, Une fois avant que mourir.
Sans plus loin exemple quérir, Par moy mesme juger pourroye Que meschief nul ne peult fouyr, S’ainsy est qu’advenir luy doye. C’est jeunesse qui tout desvoye, Nul ne s’en doit trop esbahyr. Si juste n’est qui ne fourvoye, Une fois avant que mourir.
ENVOI.
Prince s’aucun povoir avoye Sur ceulx qui me font cy tenir, Voulentiers vengeance en prendroye, Une fois avant que mourir.
Une belle journée à tous.
Fred
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