Sujet : danse, musique médiévale, estampie, Italie, manuscrit ancien Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle. Auteur : anonyme Titre : Parlamento Source : Add 29987, Manuscrit de Londres Interprètes : Arte Factum Album : Saltos brincos y reverencias
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous partageons une nouvelle danse médiévale issue du Manuscrit de Londres ou MS Add 29987. Avec un peu moins de 120 pièces notées, cet ouvrage du moyen-âge tardif, frappé des armoiries des Médicis et longtemps resté sous leur garde, demeure un témoin précieux des musiques de l’Italie médiévale, de la dernière partie du XIVe siècle au XVe naissant. Parvenu à Londres à la toute fin du XIXe, l’ouvrage est actuellement conservé à la British Library (consultation en ligne ici).
La composition du jour est une estampie dont l’auteur reste, à ce jour, inconnu. Son interprétation est celle de l’ensemble médiéval andalous Artefactum dont nous avons déjà abondamment parlé ici.
Parlamento, du MS Add 29987, par l’ensemble Artefactum
Joyeux Anniversaire Artefactum
Notons que la formation Artefactum fête, cette année, ses 25 ans de carrière et de scène, aussi nous en profitons pour lui souhaiter ici un très joyeux anniversaire. Rejoignez-la sur Facebook pour suivre son actualité et notamment les concerts ou récitals spéciaux qu’elle ne manquera pas de donner à cette occasion.
Sujet : médecine, citations médiévales, école de Salerne, ouvrage, manuscrit ancien. vin, médecine préventive. Période: moyen-âge central (XIe, XIIe siècles) Titre: l’Ecole de Salerne (traduction de 1880) Auteur : collectif d’auteurs anonymes Traducteur : Charles Meaux Saint-Marc
Bonjour à tous,
ien avant d’être chargé des fortes valeurs religieuses et symboliques chrétiennes qu’on lui connait, depuis l’antiquité grecque et même avant Galien (1), le vin avait trouvé une place de choix dans le champ médicinal. Au delà du simple plaisir gustatif et enivrant qu’on lui trouvait, on lui reconnaissait ainsi des vertus préventives certaines et il pouvait même déjà intervenir plus directement dans certaines préparations médicinales ou même être prescrit, allongé de quelques autres ingrédients, comme une véritable médecine.
Des chemises et des vipères :
deux exemples de vertus « extraordinaires »
Pour l’anecdote, on notera ici deux recettes très anciennes empruntées à Suzanne Colnort-Bodet, dans un article sur les Légendes ou histoire de la Thérapeutique alcoolique(2) : la première de ces préparations date du VIe siècle de notre ère et elle est Indiquée par le médecin grec Alexandre de Tralles (525-605). Elle consistait a faire brûler la chemise d’un malade, avant de faire macérer les cendres ainsi obtenues dans du vin. La boisson miraculeuse enfin prête, le patient devait la descendre en sept prises.
Au siècle antérieur, on trouve encore, sous la plume d’Aetius (395-454), sénateur et généralissime de l’armée impériale romaine plusieurs recettes qui se situent un peu dans le même registre. Pour n’en citer qu’une, il consiste à faire macérer des vipères dans du vin. pour obtenir une boisson qui pourrait, prétend-on, guérir entre autre l’éléphantiasis. Bien après le haut moyen-âge, cela dit, on se souvient que les vertus médicinales de la vipère continueront d’être reconnues au point de la faire même entrer dans les ingrédients de choix des thériaques les plus prisées.
Du moyen-âge central au tardif : continuité
dans un certain usage médicinal du vin
Pour revenir au vin de manière plus sérieuse, il conservera une place de choix, au sein d’une médecine préventive ou plus curative, durant tout le moyen-âge. Il sera ainsi incorporé dans nombre de remèdes ou préparation, sous les formes les plus diverses, comme nous les détaillait, Georges Dilleman en 1969, dans un article sur La pharmacopée au Moyen Âge(3)
Pour n’en citer que quelques autres exemples, on se souvient de la place du vin dans la médecine de Hildegarde de Bingen au XIe siècle. Il y a quelque temps, son vin spécialement accommodé pour aider les malades faibles du cœur a même été remis au goût du jour par certains naturopathes, suscitant, semble-t-il, un regain d’intérêt. En dehors des écrits de l’abbesse rhénane, on retrouvera encore le nectar cher a Bacchus dans un nombre conséquent d’autres traités d’hygiène de la période médiévale. Comme autre référence, on pourra mentionner ici l’Antidotaire Nicolai de la fin du XIe et des débuts du XIIe siècle (4). On retrouve, en effet, le vin dans de nombreux remèdes préconisés par l’ouvrage. Il faudrait d’ailleurs dire « les » vins plutôt que « le » vin, tant l’ouvrage se sert de grandes variétés dans les préparations : « vin douz », « vin eigre », « vin chaut », vin blanc, « vin veuz et boille », etc…
Plus tard, au XIVe siècle, autant dire presque au crépuscule du monde médiéval, l’usage de la boisson sera même évoqué dans des liste de recommandations ou des recettes ayant pour vocation de repousser au loin jusqu’à la funeste peste. On trouve notamment ces idées reprises dans quelques textes et poésies d’Eustache Deschamps : ‘bon vin cler recevoir » (Ballade des remèdes contre l’épidémie) « Boire bon vin, nette viande user » (Ballade sur l’épidémie). (5)
Dans un Moyen-âge tardif qui ignore tout de la nature réelle de la pandémie et ses modes de propagation, on mettra en oeuvre, longtemps, les moyens les plus désespérés pour la combattre. La bonne chère et le vin y trouveront bonne place. C’est logique, la santé par la prévention et, en particulier, par l’alimentation est une idée installée de longue date. Près de deux siècles après Eustache Deschamps, en plein coeur du XVIe siècle, Clément Marot nous gratifiera, à son tour, de quelques conseils pour remédier à la peste. L’esprit et les prescriptions n’auront, on le voit, guère changé :
(…)
Buvez des vins délicieux ; Puis après, entre deux lincieux Allez reposer vostre tête ; Continuez un an ou deux, De trois mois ne mourrez de peste. Clément Marot – Remède contre la peste (extraits)(6)
Le Vin par l’Ecole de Salerne
our en revenir au Flos medicinaede l’Ecole de Salerne, il est, on le sait, à ranger dans les traités d’hygiène et de médecine préventive du moyen-âge central, même si son influence a perduré à travers diverses retraductions qui lui furent postérieurs. Le vin y trouve aussi bon accueil, au delà même du chapitre que l’ouvrage lui consacre et dont nous reproduisons les lignes, ci-dessous.
Bien sûr, il ne faut pas s’y tromper, derrière une certaine légèreté de ton et une gracieuse mise en vers, la qualité du vin, le moment de la prise, l’effet recherché (apaisant, préventif, diurétique, « psychologique »,… ) autant que la condition de santé du malade, commandent. Pour les très sérieux savants de Salerne, il ne s’agit pas de rouler sous les tables ou de faire l’apologie de l’excès, mais bien de se situer dans un usage raisonnable et « encadré » de la prise, même si on le voit ici, on prête au vin bien des qualités y compris celles de soulager des tourments amoureux pour peu qu’on y adjoigne quelques pétales de rose.
Ce goût pour les vertus du vin que nous conte le Regimen Sanitatis Salernitanum explique-t-il que, selon certains historiens, nous devions les premières distillations d’alcool réussies à cette même école ? Peut-être. Quoiqu’il en soit, si cette puissante forme chimique, mise au point au Moyen-âge, ne détrôna pas si facilement le vin, elle allait connaître, au fil des siècles et jusqu’à nos jours, de beaux débouchés en pharmacologie, comme en médecine.
Première partie Hygiène – De la Boisson
Le meilleur vin
Le Vin dans les humeurs verse son influence : Est-il noir? dans le sang il répand l’indolence. J’estime un vin mûri, dont la chaude liqueur Fait sauter le bouchon et ravit le buveur. Quand sa vertu dénote une illustre vieillesse, De ses dons généreux usons avec sagesse. Je cherche dans un vin le brillant, la couleur; J’y cherche plus encore le bouquet, la chaleur; Je veux qu’il ait du corps, une teinte écarlate, Que pétillant, mousseux, en écume il éclate. l’écume le vin se jugera d’abord: Bon, elle reste au centre, et, mauvais, court au bord.
Effets du bon vin.
Le bon Vin au vieillard rend vigueur de jeunesse; Au jeune homme un vin plat prête un air de vieillesse. Le vin pur réjouit le cerveau contristé Et verse à l’estomac un ferment de gaîté. Il chasse les vapeurs et les met en déroute, Des viscères trop pleins il dégage la route, De l’oreille plus fine aiguise les ressorts, Donne à l’œil plus d’éclat, plus d’embonpoint au corps De l’homme plus robuste allonge l’existence, Et des sens engourdis réveille la puissance.
Danger du vin pour un malade.
Quand ton ami se plaint d’un estomac sensible, Ne verse pas au mal une coupe nuisible.
Bonne potion.
Si la Sauge ou la Rue en ta coupe est versée, Vide-la hardiment: ton ivresse est chassée. Du rosier la fleur jointe à des vins généreux Affranchira ton coeur du tourment amoureux.
Effets nuisibles du vin nouveau.
Au coeur le Vin nouveau provoque la chaleur, Mais il monte au cerveau du confiant buveur, Et de vapeur confuse il étourdit sa tête: D’urine un flot soudain coule et plus ne s’arrête. Tout vin, en général, échauffe, appesantit; D’ivresse plus rapide un vin noir abrutit; Il charge l’estomac, le trouble, le resserre, Irrite l’intestin et brûle ce viscère.
Vin doux.
Le Vin doux de l’urine accélère le cours, Du ventre qu’il dégage arrondit les contours, Et du foie obstruant les vaisseaux engorgés, Engendre des calculs dans la bile logés.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : auteur médiéval, conte moral, morale politique, Espagne Médiévale, fable médiévale, littérature médiévale, lecture audio, Période : Moyen-âge central ( XIVe siècle) Auteur : Don Juan Manuel (1282-1348) Ouvrage : Le comte Lucanor, traduit par Adolphe-Louis de Puibusque (1854)
Bonjour à tous,
ous avons le plaisir de revenir, aujourd’hui, sur Don Juan Manuel de Castille et de León, prince de Villena, duc de Peñafiel et d’Escalona, grand chevalier et seigneur de l’Espagne médiévale des XIIIe et XIVe siècles.
Cette fois-ci, c’est à travers l’étude concrète d’un des plus célèbres de ses écrits que nous approcherons cette noble figure du moyen-âge européen. En plus de son épopée digne de plus belles fictions, contre le souverain Alphonse XI, qui se conclut, longtemps après, par leur alliance, contre l’envahisseur sarrasin, Don Juan Manuel a laissé à la postérité un ouvrage qui compte pour beaucoup dans la littérature médiévale espagnole : Le Comte Lucanor.
Le comte Lucanor :
contenu, sources et inspirations
D’un style épuré et très accessible, l’ouvrage présente une cinquantaine de « ejemplos » (exemples) qui sont, en fait, des contes assez courts, tous construits sur le même modèle : pris de doutes, le comte Lucanor (personnage fictionnel) interroge son conseiller du nom de Patronio sur un point particulier : stratégie militaire, politique, économique ou simplement code de morale et de conduite. L’homme lui répond de manière avisée et son intervention donne lieu à l’approbation du noble qui, à son tour, fait quelques vers pour résumer l’enseignement et en tirer une morale.
Manuscrits anciens
Le premier manuscrit du Comte Lucanor fut redécouvert à la fin du XVIe siècle, au couvent des frères prêcheurs de Saint-Paul de Pañafiel, par l’écrivain et historien Gonzalo Argote de Molina qui le fit imprimer et redécouvrir aux lecteurs espagnols d’alors. Dans le courant du XIVe, le manuscrit original avait été légué aux dominicains du monastère de l’endroit (détruit depuis) que Don Juan Manuel avait lui-même fondé.
Du point de vue des sources, il ne demeure que trois copies du Comte Lucanor, toutes partielles, conservées à Madrid. Par la grâce des nouvelles technologies et le travail de la Bibliothèque Nationale d’Espagne, on peut, de nos jours, consulter deux de ces manuscrits anciens en ligne : le MSS 6376 daté des XIVe, XVIe siècles(photo ci-dessus) et le MSS 18415 daté du XVIe(photo plus bas dans l’article)
Aux origines du Comte Lucanor
Concernant les sources d’inspiration de l’ouvrage, elles sont d’origines assez diverses même si on lui reconnaît, en général, certaines influences orientales ou indiennes. Certains de ces contes puisent également dans des anecdotes inspirées directement de l’Histoire médiévale pré-contemporaine de l’auteur et notamment de l’Estoria de España, engagée sous le règne d’Alphonse X et à son initiative.
Les métaphores employées dans ces « exemples » peuvent être occasionnellement animalières et versées du côté de la fable. L’inspiration vient alors d’Esope ou de Phèdre, mais elle ne se conforme pas toujours à la narration ou aux morales des auteurs originels. C’est d’ailleurs le cas du conte du jour ; comme dans une fable d’Esope (reprise également par La Fontaine), il met en scène un Coq perché sur un arbre et un renard désireux de lui régler son compte, mais lors que le coq du fabuliste grec s’en tirait par une ruse, en invoquant la venue de chiens imaginaires à son secours, le volatile de basse-cour connaîtra un sort moins enviable, sous la plume du noble espagnol.
Enfin, toujours au titre des inspirations ayant présidé à la rédaction du Comte Lucanor, pour qui s’est un peu penché sur la vie mouvementée de Don Juan Manuel, on ne peut évidemment s’empêcher de faire des ponts entre les préoccupations réelles de gouvernance de ce dernier ou encore la convoitise ou les menaces réelles représentées par ses voisins, et celles qui sont exprimées dans ce livre. A ce sujet et pour en posséder quelques clés, nous vous invitons à redécouvrir l’article biographique que nous avions fait sur l’auteur : Don Juan Manuel, portrait d’un noble seigneur dans l’Espagne déchirée du XIVe siècle .
Lecture audio & retranscription de l’exemple XII
Pour avancer plus concrètement dans la découverte de cet ouvrage médiéval, nous vous proposons de découvrir de deux façons et à votre préférence, l’exemple XII, De ce qui advint à un renard avec un coq : la première est une lecture audio réalisée par nos soins, la seconde est une recopie littérale de la version traduite du Comte Lucanor par Aldophe-Louis Puibusque (1801-1863)en1854.
Lecture audio : le comte Lucanor, exemple XII. du coq et du renard
Exemple XII
De ce qui advint à un renard avec un coq
e comte Lucanor s’entretenait un jour avec son conseiller : « Patronio, lui dit-il, vous connaissez l’Etat que j’ai reçu du Ciel ; quoique vaste, il n’est pas d’un seul tenant ; j’ai des villes très-fortes, d’autres qui le sont moins, et il en est plusieurs où je croirais n’avoir rien à redouter de personne si elles n’étaient pas trop éloignées les unes des autres ; or, quand j’ai maille à partir avec les seigneurs mes vassaux ou avec mes voisins, ceux qui se disent mes amis ou qui veulent passer pour mes conseillers me font grand peur de cet isolement. A leur avis, je ne dois ni m’écarter du centre de mon domaine, ni sortir des meilleures forteresses ; comme votre loyauté ne m’est pas moins connue que votre expérience en pareille matière, veuillez m’indiquer, je vous prie, la conduite que je dois tenir le cas échéant.
– Seigneur comte, répondit Patronio, on l’a souvent dit, et je le répète aujourd’hui avec une conviction profonde, rien n’est plus dangereux que de donner des conseils dans les affaires graves et douteuses. Pour bien conseiller, il faudrait être certain du résultat ; et que de fois l’événement ne trompe-t-il pas notre calcul ! Ce qu’on avait jugé mauvais produit du bien, ce que l’on croyait bon produit du mal ; en outre, l’homme loyal et sincère a plus à perdre qu’à gagner en conseillant de son mieux : si, en effet, le conseil qu’il donne à d’heureuses suites, son unique récompense est d’avoir fait son devoir ; tandis que si la chance vient à tourner, on fait retomber sur lui tout le tort de la déconvenue : croyez donc que je m’abstiendrais volontiers en cette circonstance, car j’entrevois plus d’un doute et d’un danger ; mais votre prière est un ordre pour moi, et il ne me reste qu’à vous demander la permission de vous conter, avant tout, ce qui advint au coq avec le renard.
– Volontiers, dit le comte Lucanor; et Patronio poursuivit ainsi :
– Seigneur comte, un laboureur qui habitait une montagne élevait des poules et des coqs ; un jour il arriva qu’un de ces coqs s’éloigna du logis et se mit à trotter vers la plaine. Un renard l’ayant aperçu, se glissa en tapinois pour le saisir : le coq n’eut que le temps de sauter sur un arbre isolé ; le renard, d’abord confus d’avoir manqué son coup, réfléchit au moyen qu’il pourrait employer pour déloger le coq de son refuge et en faire sa proie. Il commença par le saluer amicalement, lui adressa de douces paroles, et le pria avec insistance de continuer sa promenade, lui jurant qu’il n’avait rien à craindre. Le coq refusa net ; alors le renard, changeant de ton, passa de la flatterie à la menace : « puisque tu te méfies de moi, s’écria-t-il, je saurai bien t’approcher de gré ou de force. » Le coq, qui se sentait en sûreté, se moqua de sa colère ; le renard, après avoir tenté de l’intimider par ses discours, se mit à ronger l’arbre avec ses dents et à le frapper avec sa queue ; le coq aurait dû en rire, il s’effraya, prit son vol, et alla, non sans peine, se percher sur un autre arbre. Le renard voyant son trouble ne lui laissa pas le temps de se remettre, il le poursuivit à outrance, et l’ayant ainsi débusqué d’arbre en arbre, il parvint à l’éloigner de la montagne, l’attrapa et le mangea.
Et vous, Seigneur comte Lucanor, dont la condition est de subir tant d’épreuves, évitez avec un égal soin de prendre l’alarme au premier signal d’un danger imaginaire, et de ne pas tenir assez de compte d’un danger réel. Quoiqu’il arrive, n’abandonnez pas plus la défense de vos petites villes que celle de vos grandes ; il serait insensé d’admettre qu’un homme tel que vous, avec des troupes et des vivres, ne peut tenir que derrière les murailles les plus épaisses. Si jamais, entraîné par de fausse alarmes, vous désertiez une de vos places, soyez certain qu’on vous chasserait ainsi de ville en ville, et qu’il n’y aurait plus aucun rempart asse solide pour vous, car plus vos gens se décourageraient à votre exemple, plus vos ennemis deviendraient audacieux, ils ne poseraient les armes qu’après vous avoir tout enlevé ; si, au contraire, inébranlable dès le commencement, vous tenez ferme partout, comme le coq sur le premier arbre, ou plutôt comme l’assiégé qu’on cherche à épouvanter, soit par des tranchées, soit par des échelles ou tout autre machine, vous ne courrez aucun péril sérieux. Après tout, il n’y a que deux manières de prendre les places, en escaladant les remparts ou en les renversant. Dans le premier cas, les échelles n’atteignant pas les glacis, il est clair qu’on peut les repousser si on le veut bien ; dans le second cas, il faut beaucoup de temps pour faire brèche, et la résistance est plus facile que l’attaque ; donc, quand des villes tombent au pouvoir de l’ennemi, c’est toujours parce que les assiégés ont été vaincus par quelque besoin, ou parce qu’ils se sont manqué à eux-mêmes en s’effrayant sans motif. Petit ou grand, puissant ou faible, on doit ne rien entreprendre qu’après mûre réflexion, mais ne pas reculer d’un seul pas quand on s’est porté en avant ; il est moins périlleux de regarder le danger en face que de lui tourner le dos, et la preuve, c’est que dans une déroute, il meurt plus de fuyards que de combattants : voyez ce qui se passe entre un petit chien et un gros ; si le petit ne bouge pas et montre les dents, il parvient souvent à contenir son adversaire, mais s’il fuit, c’en est fait de lui, il est étranglé, et il n’échapperait point lors même qu’il serait plus grand et plus fort. «
Le comte Lucanor goûta beaucoup ce conseil, il le suivit et s’en trouva bien. Don Juan estimant aussi que la leçon était bonne à retenir, la fit écrire dans ce livre, et composa deux vers qui disent ceci :
« TIENS FERME ET DEFENDS-TOI COMME UN HOMME DE COEUR, LE DANGER LE PLUS GRAND EST CELUI DE LA PEUR. »
Tiré de Le comte Lucanor, traduit de l’Espagnol ancien par Adolphe-Louis de Puibusque (1854)
NB : je fais ici un petit erratum par rapport à la lecture audio. En plus de la version originale de A. Puibusque réédité chez Forgotten Books, il existe une autre traduction française de cet ouvrage sortie chez Aubier Domaine Hispanique en 1998 et rééditée en 2014: Le livre du comte Lucanor / Don Juan Manuel ; présenté et traduit du castillan médiéval par Michel Garcia.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
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Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, fine amor, trouvère, vieux-français, langue d’oïl, fin’amor, biographie, portrait, manuscrit ancien. Période : XIIIe siècle, moyen-âge central Titre: Quant la sesons est passée Auteur : Jacques de Cysoing (autour de 1250)
Bonjour à tous,
ers le milieu du XIIIe siècle, à quelques lieues de la légendaire Bataille de Bouvines qui avait vu l’Ost de Philippe-Auguste défaire les vassaux et rivaux de la couronne moins d’un demi-siècle auparavant, vivait et chantait un trouvère du nom de Jacques de Cysoing. Connu également sous les noms de Jacquemont (Jakemont) de Chison, Jaque, Jaikes, Jakemès de Kison, ou encore Messire de Chison, et même de Cison, ce poète, qui s’inscrit (presque sans surprise) dans la veine de la lyrique courtoise, compte dans la génération des derniers trouvères.
Eléments de biographie
Jacques de Cysoing serait issu d’un village, non loin de Lille et d’un lignage noble qui lui ont donné son patronyme. Il serait le troisième fils de Jean IV ou de Jean III de Cysoing (les sources généalogiques diffèrent sur cette question). Si l’on en croit ces mêmes sources généalogiques et s’il s’agit bien de lui, en plus de s’exercer à l’art des trouvères et de composer des chansons, Messire de Chison aurait été chevalier, ainsi que seigneur de Templemars et d’Angreau.
Entre les lignes
On peut déduire un certain nombre de choses entre les lignes des poésies et chansons de ce trouvère. Il a été contemporain de la 7e croisade et notamment de la grande bataille qui eut lieu au Caire et à Mansourah. Il y fait une allusion dans un Sirvantois, rédigé à l’attention du comte de Flandres (sans-doute Guy de Dampierre, si l’on se fie aux dates). Nous sommes donc bien autour de 1250 ou un peu après.
Dans une autre poésie, Jacques de Cysoing nous apprend également qu’il a été marié et il se défend même de l’idée (dont on semble l’accabler) que cette union aurait un peu tiédi ses envolées courtoises et ses ardeurs de fine amant.
« Cil qui dient que mes chans est rimés Par mauvaistié et par faintis corage, Et que perdue est ma joliveté* Par ma langor et par mon mariage »
* joliveté : joie, gaieté, coquetterie plaisir de l’amour). petit dictionnaire de l’ancien français Hilaire Van Daele
Au passage, on note bien ici le « grand écart » que semble imposer, au moins d’un point de vue moderne, la fine amor aux poètes du moyen-âge central quand, pouvant être eux-mêmes engagés dans le mariage, ils jouent ouvertement du luth (pour le dire trivialement) sous les fenêtres de dames qui ne sont pas les mêmes que celles qu’ils ont épousaillées. S’il faut se garder de transposer trop directement ce fait aux valeurs de notre temps (et voir d’ici, voler quelques assiettes), on mesure tout de même, à quel point, en dehors de ses aspects sociaux quelquefois doublement transgressifs (l’engagement fréquent de la dame convoitée s’ajoutant à celui, potentiel, du poète) la fine amor se présente aussi véritablement comme un exercice littéraire conventionnel aux formes fixes auquel on s’adonne. D’une certaine façon, la question de la relation complexe et de la frontière entre réalité historique et réalité littéraire se trouvent ici, une nouvelle fois posée.
Œuvre et legs
On attribue à Jacques de Cysoing autour d’une dizaine de chansons. Elles gravitent toute autour du thème de l’amour courtois et du fine amant, mais on y trouve encore un sirvantois dans lequel le poète médiéval dénonce les misères de son temps. Toutes ses compositions nous sont parvenues avec leurs mélodies.
On peut les retrouver dans divers manuscrits anciens dont le Manuscrit français 844 dit chansonnier du roi (voir photo plus haut dans cet article) ou encore dans le Ms 5198 de la Bibliothèque de l’Arsenal; très beau recueil de chansons notées du XIIIe, daté du début du XIVe, on le connait encore sous le nom de Chansonnier de Navarre(photo ci-contre). Il contient quatre chansons du trouvère (Quant la sesons est passée, Nouvele amour qui m’est el cuer entrée, Quant l’aube espine florist et Contre la froidor) et vous pouvez le consulter en ligne sur Gallica.
Quant la sesons est passée
dans le vieux français de Jacques Cysoing
Quant la sesons est passee D’esté, que yvers revient, Pour la meilleur qui soit née Chanson fere mi convient, Qu’a li servir mi retient Amors et loial pensee Si qu’adés m’en resouvient* (sans cesse je pense à elle) Sans voloir que j’en recroie* (de recroire : renoncer, se lasser) De li ou mes cuers se tient* (mon coeur est lié) Me vient ma joie
Joie ne riens ne m’agree* (ne me satisfait) Fors tant qu’amors mi soustient. J’ai ma volonté doublee A faire quanqu’il convient Au cuer qui d’amors mantient Loial amour bien gardee. Mais li miens pas ne se crient* (n’a de craintes) Qu’il ne la serve toz jorz. Cil doit bien merci* (grâce) trouver Qui loiaument sert amors.
Amors et bone esperance Me fet a cele penser Ou je n’ai pas de fiance* (confiance, garantie) Que merci puisse trouver. En son douz viere* (visage) cler Ne truis nule aseürance, S’aim melz* (mieux) tout a endurer Qu’a perdre ma paine. D’amors vient li maus Qui ensi mos maine.
Maine tout a sa voillance Car moult bien mi set mener En tel lieu avoir baance Qui mon cuer fet souspirer Amors m’a fet assener* (m’a mené, m’a destiné) A la plis bele de France Si l’en doi bien mercier, Et di sanz favele* (sans mensonge), Se j’ai amé, j’ai choisi Du mont* (monde) la plus belle.
Bele et blonde et savoree* (exquise, agréable) Cortoise et de biau maintien, De tout bien enluminee*(dotées de toutes les qualités), En li ne faut nule rien (rien ne lui manque, ne lui fait défaut) Amors m’a fet mult de bien, Quant en li mist ma pensee. Bien me puet tenir pour sien A fere sa volonté. J’ai a ma dame doné Cuer et cors et quanque j’é* (tout ce que j’ai)…
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com. A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.