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Au Moyen Âge, une poésie satirique de Jehan Meschinot sur l’indifférence envers la pauvreté

Sujet : poésie satirique, poète médiéval, poète breton, ballade satirique, poésie politique, auteur médiéval, Bretagne Médiévale, pauvreté, Français 24314, ballade médiévale.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Titre : Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.

Bonjour à tous,

u XVe siècle, Jean Meschinot, seigneur breton de petite noblesse, officie comme écuyer au service du duché de Bretagne. Il servira militairement sous plusieurs ducs mais connaîtra, toutefois, quelques déboires et notamment, une période compliquée qui le laissera désemparé financièrement et en grand désarroi : sa charge d’écuyer ne lui sera, en effet, pas renouvelée au moment de l’accession de François II de Bretagne au duché, le 5eme duc qu’il sert.

Après cet épisode marquant, on retrouvera notre homme d’armes et poète médiéval, occupant différentes positions dans ce même duché ainsi qu’à la maison du comte de Laval : capitaine du château de Marcillé, maître des monnaies et en charge de grands ateliers monétaires bretons, il sera encore, vers la toute fin de sa vie, maître d’hôtel pour le compte d’Anne de Bretagne.

Une œuvre critique et satirique


En matière poétique, Jean Meschinot nous a légué des textes engagés sur la morale du pouvoir autant que sur les exactions et les abus de celui-ci. Son œuvre majeure Les lunettes des Princes sera imprimée post-mortem. Le poète breton y imposera un style incisif et l’ouvrage connaîtra un succès important, en son temps, avec près d’une trentaine d’éditions. Pour en mesurer l’impact, c’est plus que ce qui fut réservé au Testament de Villon.

Nous avons déjà eu l’occasion d’en étudier quelques-unes ici, mais, en autres productions, le poète breton léguera encore 25 ballades caustiques contre le pouvoir de Louis XI en s’appuyant pour leurs envois, sur Le Prince de Georges Chastelain, autre grand poète et chroniqueur du XVe siècle. Ces poésies satiriques suivent, assez souvent, les premières éditions des Lunettes des Princes.

Dans le courant du siècle suivant, Clément Marot rendra lui-même un hommage explicite à Jean Meschinot dans un épigramme en forme d’éloge aux plus grands poètes français. Le ver est demeuré célèbre : « Nantes la Brette en Meschinot se bagne. » Le Breton y trouvera bonne place, en compagnie de noms aussi prestigieux que Jean de Meung, Alain Chartier, Georges Chastelain, Octovien de Saint-Gelais, ou encore François Villon (1).

"Gens sans argent" la ballade satirique de Meschinot accompagnée d'une enluminure du poète Breton du XVe siècle,

« Gens sans argent… » : une poésie amère
sur l’indifférence envers les plus démunis

La ballade du jour est une autre belle pièce de poésie morale de Meschinot. Comme on le comprendra, sa propre détresse financière en est indubitablement la cause. Si le poète y fait un constat amer sur son temps, il ne s’agit donc pas d’une grande envolée sociale, comme on pourrait être tenté de l’interpréter, mais d’abord d’un témoignage sur sa propre condition et sur l’indifférence que ses propres difficultés suscitent aux yeux de la haute aristocratie bretonne.

Pour autant, comme d’autres auteurs avaient pu le faire dans le courant du Moyen Âge tardif (par exemple, Eustache Deschamps qui lui est antérieur ou Henri Baude qui lui est contemporain), Meschinot déplorera ici que l’avoir et les deniers en soient venus à supplanter les « mérites véritables » : ceux de classe, d’instruction ou encore ceux issus de valeurs et qualités morales.

Ainsi, il opposera les clercs instruits, les hommes bien nés, les humbles, les sages, les pauvres et les vertueux à tous ceux que la société et l’aristocratie de son siècle leur préfèrent, avec la complicité ouvertes des princes : autrement dit, les riches et les nantis, dussent-ils être renégats, voleurs, beaux parleurs ou même encore blasphémateurs. Meschinot ira même plus loin en déclarant que, depuis les temps bibliques, on ne connut de princes et de pouvoir plus permissifs envers les vices et les méfaits.

De ceux qui n’ont rien à « ceux qui ne sont rien »

« Dans la ploutocratie naissante du XVe siècle » comme la qualifiait, au fin du XIXe siècle, Arthur de la Borderie, historien français, biographe du poète breton (2), Mechinot relèvera donc, avec dépit, que celui qui n’a pas d’argent n’existe pas au regard du pouvoir et des jeux mondains : « Gens sans argent, ressemblent corps sans âme ». Totalement Invisibilisés, les miséreux sont condamnés à « n’être rien » aux yeux des princes que de pauvres enveloppes vides. Autrement dit, quand l’avoir se confond avec l’être, on finit par considérer, dans les hautes sphères, que « ceux qui n’ont rien, ne sont rien » : cela devrait rappeler quelques mauvais souvenirs à certains.

Pour conclure, dans sa grande détresse, Jean Meschinot en viendra même à souhaiter sa propre mort ce qui, en dehors des nombreuses allégories courtoises dont le Moyen âge est pavé (cf : je muir d’amourette) est assez peu commun dans la littérature médiévale et dans un tel contexte : Prince, ce mest a porter pesant fais, et desir estre plus que jamais, Avec les bons qui gisent soubz la lame, écrira-t-il. Autrement dit « Il me faut porter ce triste fardeau et je désire plus que jamais rejoindre les bons qui gisent sous la terre« .

Sources manuscrites médiévales

Jean Meschinot meurt à la toute fin du XVe siècle, moment où l’on entre à plein dans l’air de l’imprimerie. Pour les éditions « modernes », à partir de la première, datée de 1493, vous aurez donc l’embarras du choix. En cherchant un peu, vous en trouverez même un certain nombre en ligne datées de la fin du XVe et du XVIe siècles, que vous pourrez même vous amuser à déchiffrer.

Gens sans argent, la ballade de Jean Meschinot dans le Ms Français 24314 de la BnF.
La ballade satirique du jour dans le manuscrit ms Français 24314 de la BnF

En ce qui concerne des sources plus anciennes et manuscrites, vous pourrez vous reporter utilement au Manuscrit Français 24314 de la BnF (à consulter sur Gallica). Cet ouvrage, daté du XVe siècle, contient l’oeuvre de l’auteur breton sur quelques 146 feuillets. De notre côté, pour la transcription complète de cette ballade en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur l’édition des œuvres de Meschinot par Nicole Vostre (1522) : « Jehan Meschinot, escuier, en son vivant grant maistre d’hostel de la royne de France« , ainsi que sur l’édition d’Étienne Larcher, « poésies de Jehan de Meschinot », Nantes (1493).

Une réédition récente des œuvres de Meschinot

Couverture d'un livre et d'une réédition récente des œuvres du poète médiéval Jean Meschinot

Si vous êtes intéressés par les œuvres de cet auteur médiéval, dans un format imprimé récent, il vous faudra être vigilant à ce que l’édition choisie contienne bien les additions originales des Lunettes des Princes de Meschinot et notamment les 25 ballades et autres textes de l’auteur.

En 2017, les éditions Len ont réédité un ouvrage qui semble correspondre à ces critères. Il se base sur une première édition de 1501 par le libraire Michel le Noir, ayant pour titre : « Les lunettes des princes avec aucunes balades et additions nouvellement composées par noble homme Jehan Meschinot et escuyer, en son vivant grant maistre dhostel de la Royne de France ». Vous devriez pouvoir commander ce livre broché chez votre libraire habituel. A défaut voici un lien utile pour le trouver en ligne.


Gens sans argent, ressemblent corps sans âme
dans le moyen français de Meschinot

Fy d’estre fils de prince ou de baron
Fy d’estre clerc ne d’avoir bonnes moeurs !
Ung renoyeurs
(renégat), ung baveux, ung larron,
Ung rapporteur ou bien grans blasphemeurs,
Plus sont prisez aujourd’hui, — dont je meurs,
Voyant ainsi les estats contrefaits
(3)
Qui a de quoy est en dicts et en faicts.
Sage nommé et sans aucun diffame ;
Mais les povres vertueux et parfaitz,
Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.

Depuis le temps que Moyse et Aaron
firent a dieu prieres et clameurs
Pour évader l’ire du roy pharaon
Et de ses gens de leur peuple opprimeurs
Ne furent moins les princes reprimeurs
Des grans vices regnans et des meffais
Tels qu’ils se font ne furent jamais fais.
Raison pourquoi on n’ayme honneur ne fame
Qui a le bruyt
(la réputation, renommée), les riches et reffais
Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.

Or conviendra qu’a la fin reparon
Les gras exces dont emplissons nos coeurs,
D’autant que brin vault mieulx que reparon
Et le bon fruict que les feuilles ou fleurs
Valent vertuz plus que ces vains honneurs,
Tresors mondains qui sont biens imparfaictz
Les princes dont deussent heyr torsfaicts
(haîr les meffaits, les forfaits)
Aymer bonté donner aux maulvais blasme
Mais tout ainsi qu’on bannist les infaitz
(corrompus)
Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.

Prince, ce mest a porter pesant fais
(triste fardeau),
Et desir estre plus que jamais,
Avec les bons qui gisent soubz la lame
(4),
Puisqu’aujourd’hui entre bons et maulvais,
Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes


Notes

(1) Epigramme des poètes françois, à Salel
De Jean de Meun s’enfle le cours de Loire
En maistre Alain Normandie prend Gloire,
Et plaint encore mon arbre paternel :
Octavian rend Cognac éternel :
De Molinet, de Jan le Maire et Georges
Ceux de Haynault chantent à pleines gorges ;
Villon, Cretin ont Paris décoré,
Les deux Grebans ont le Mans honoré.
Nantes la brette en Meschinot se baigne ;
De Coquillard s’esjouyt la Champaigne ;
Quercy, Salel, de toi se vantera,
Et (comme croy) de moi ne se taira.

Clément Marot – Œuvres complètes

(2)« Un mal toutefois sur lequel sa satire (celle de Meschinot) est abondante, verveuse, empressée, c’est la ploutocratie, dont le règne commençait déjà. » Arthur de la Borderie, “Jean MESCHINOT, sa vie et ses œuvres, ses satires contre louis XI”. Arthur de la Borderie (1865).

(3) « Les estats contrefaits », la condition de chacun est jugée contre toute raison et à l’envers de toute bienséance (ou plutôt préséance).

(4) Avec ceux qui sont en terre, qui sont morts.

Quand Eustache Deschamps dénonçait l’ascendant des financiers sur la société médiévale

Ballade Médiévale Eustache Deschamps

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, poésie, ballade, finance, monnayeurs, banquiers, poésie morale, poésie politique, poésie satirique, satire, convoitise.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Nul n’a estat que sur fait de finance.»
Ouvrage  :  Œuvres  inédites d’Eustache Deschamps, T1   Prosper Tarbé (1849).

Bonjour à tous,

os aventures du jour nous entraînent à la découverte d’une nouvelle poésie satirique, signée de la plume d’Eustache Deschamps. Nous sommes donc au Moyen Âge tardif et au XIVe siècle et il y sera question de convoitise, d’appétit d’argent et d’invasion des financiers dans toutes les sphères du pouvoir et de la société.

Les financiers dans les rouages du pouvoir

En suivant le fil des ballades satiriques et politiques d’Eustache Deschamps, le poète médiéval revient, ici, sur le thème du pouvoir, de l’argent et de la convoitise. Il y fait le constat amer d’une certaine éducation et légitimité en recul, celle des clercs lettrés. Les voilà, en effet, rendus sans pouvoir et sans plus d’influence, au profit d’un art qu’il considère comme le « moindre de tous », mais aussi le moins vertueux et le moins sage : celui de la finance.

Nous ne sommes qu’au XIVe siècle et, pourtant, à l’entendre, toutes les portes s’ouvrent déjà devant ceux qui ont fait de la gestion de l’argent, leur profession. Si Eustache critique le pouvoir donné à ceux qui comptent, produisent et manient les écus, en dernier ressort, ce sont bien les princes qu’il vise, ici, car ce sont bien eux qui se prêtent au jeu de la convoitise et privilégient, non sans intérêt, cet entourage plutôt que celui de clercs plus instruits et lettrés.

La Ballade sur les financiers d'Eustache Deschamps illustrée.

L’obsession de la finance soulignée par Eustache

En bon moraliste chrétien, ce n’est pas la première fois qu’Eustache Deschamps pointera du doigt l’emprise de la finance et de la convoitise sur la société de son temps. Le thème reviendra, en effet, à plusieurs reprises dans son œuvre abondante. En voici un exemple assez proche de la ballade du jour :

Conseillez moi – De quoi ? – D’avoir chevance,
Et des .VII. ars lequel puet plus valoir
Pour le present, et tost avoir finance.
Tresvoluntiers je te faiz assavoir
Qu’Arismetique est de moult grant pouoir,
Tous les .VII. ars en puissance surmonte
Elle enrrichist, elle giette, elle compte,
Finance fait venir de mainte gent;
Nulz n’a estat se bien ne scet que monte
Compter, getter et mannier.


Gramaire est rien; Logique ne s’avance;
Rethorique ne puet richesce avoir
Astronomi n’ont estat ne puissance;
Geometrie se fait pou apparoir,
Et Musique n’a au jour d’ui vray hoir.
De ces .VI. ars aprandre a chascun honte;
Mais qui assiet sur finance et remonte,
Qui scet doubler et tierçoier souvent
C’est le meilleur apran ton cuer et dompte
Compter, getter et mannier argent.


Ballade CCC, Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, T2,
Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1858)

On retrouvera, encore, chez l’auteur médiéval de nombreuses poésies dénonçant les effets directs de cette convoitise des princes et des puissants sur les misères du peuple. A ce sujet, on pourra se reporter, par exemple, à la ballade Nul ne tend qu’à remplir son sac ou encore à son chant royal Méfiez-vous des barbiers et sa critique acerbe des abus financiers de la couronne.

Au XVe siècle, quelque temps après Eustache, on pourra retrouver un peu de l’esprit de sa ballade du jour dans le dit des pourquoi d’Henri Baude. Ce dernier y opposera, en effet, à son tour, les sages lettrés aux compteurs d’écus, en dénonçant l’ascendant de ces derniers sur la société et sur le pouvoir.

Aux sources manuscrites de cette ballade

La ballade d'Eustache Deschamps dans le manuscrit médiéval MS Français 840 de la BnF.
La ballade d’Eustache dans le MS Français 840 de la BnF

Une nouvelle fois, c’est dans le manuscrit médiéval Français 840 que vous pourrez retrouver cette poésie d’Eustache Deschamps. Cet ouvrage, daté du XVe siècle, est tout entier dédié à son œuvre très fournie. Conservé au département des manuscrits de la BnF, il est disponible à la libre consultation sur le site Gallica.fr.

Pour la transcription en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur le Tome 1 des Œuvres  inédites d’Eustache Deschamps, par Prosper Tarbé (1849), mais vous pourrez également retrouver cette Ballade dans les œuvres complètes d’Eustache par le marquis de Queux de Saint-Hilaire.


Ballade sur les financiers
dans le moyen français d’Eustache Deschamps

Le moyen français d’Eustache Deschamps n’est pas toujours très simple à saisir. Aussi, pour vous y aider, nous vous fournissons, à l’habitude, quelques clés de vocabulaire.

De tous les VII ars qui sont libéraulx
Lequel est plus aujourd’ui en usaige ?
Cellui de tout qui mendres
(le moindre) est entre aulx (eux),
Et qui moins tient de vertu et de saige
(sage):
C’est de compter et détenir or en caige,
De convoitier, et de faire démonstrance
D’argent trouver. Est ce beau vassellaige
(prouesse)?
Nulz n’a estat
(condition, stature) que seur fait (activité, action) de finance.

Un receveur, un changeur, s’il est caux
(rusé),
Un monnoier, ceulz sont en haulte caige
(demeure) :
Et les claime on seigneurs et généraulx
(des finances).
Et c’est bien drois
(juste) ; grans est leur héritaige.
L’or et l’argent passent par leur passaige :
Villes, chateaulx ferment
(assujettir) par leur puissance.
Aux clercs lettrez, vault petit leur langaige;
Nul n’a estat que sur fait de finance.

Petit puelent
aux autres (ils peuvent peu comparés aux autres) : c’est deffaulx
D’entendement, de congnoissance, n’age
Qui ne congnoist des vaillans
(des braves, des valeureux) les travaulx
Ni des expers le sens et le couraige.
Convoitise gouverne, qui enraige
D’argent tirer, qui les bons desavance
(repousse, font reculer),
Et fait à tous sçavoir par son messaige :
Nulz n’a estat que sur fait de finance.

L’Envoy.


Prince, pou (peu) vault estre homme de parage (noble, bien né),
Saiges, prodoms, n’avoir grant diligence :
Pour le jour d’ui vault trop pou vaisselaige
(fait d’armes, bravoure) :
Nulz n’a estat que sur fait de finance.


Si le Moyen Âge d’Eustache Deschamps est sans commune mesure avec la financiarisation du monde actuelle, à la lecture de cette ballade, il est tout de même intéressant de noter que le problème d’une société qui valorise, à tout crin, la convoitise, la spéculation et les activités financières est moins récent qu’il n’y paraît.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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NB : concernant les illustrations de cet article, elles sont tirées d’une fresque murale du Moyen Âge tardif. Elle est l’œuvre du peintre toscan Niccolo di Pietro Gerini (1368-1415) et on peut la trouver en la chapelle Migliorati de l’église San Francesco de Prato, en Italie.

Ballade satirique : larmes & plaintes contre les abus d’un Prince

Sujet : poésie satirique, poésie médiévale, poète breton, ballade médiévale, poésie politique, auteur médiéval, Bretagne Médiévale.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean Meschinot (1420 – 1491)
Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF
Ouvrages : Œuvres et poésies variés de Jean MESCHINOT , édition 1493, édition 1522 et biographie de Arthur de La Borderie, 1896.

Bonjour à tous,

ous revenons, aujourd’hui, à la poésie satirique de Jean Meschinot. Au Moyen Âge tardif, ce poète breton a critiqué vertement les abus du pouvoir dans ses Lunettes des princes. Poussant plus loin son engagement moral et politique, il a également prolongé cette œuvre par 25 ballades corrosives contre Louis XI.

Pour rédiger ces 25 poésies satiriques, brutales et sans concession, Jean Meschinot avait alors emprunté ces envois à un auteur célèbre de son temps : Georges Chastellain (Chastelain). Chroniqueur et poète médiéval d’origine flamande installé à la cour de Bourgogne, ce dernier ne s’était pas privé, lui-même, quelque temps auparavant, d’écorcher copieusement le roi français dans une longue diatribe intitulée « Le Prince« .

Ballade sur la souffrance du peuple
sous le joug du pouvoir central

La poésie du jour est la dix-huitième de la série des 25 ballades de Meschinot. L’auteur breton y met l’accent sur la grande misère et la pauvreté dans lesquelles sont rendus les sujets du royaume de France et les petites gens. La prédation des puissants et, plus particulièrement, du pouvoir central y est mis directement en cause ; on retrouvera même l’image familière des loups cruels et sans pitié, gouvernant les ouailles en leur infligeant le pire.

Ce thème de la souffrance du peuple sous le joug du pouvoir est récurrent dans l’œuvre de Jean Meschinot ; il traverse ses 25 ballades comme ses Lunettes des princes. Ici, il invoquera Dieu en témoin des exactions d’un prince qui n’inspire aux hommes que « haine et froidure » et qu’il n’hésitera pas à qualifier de « pillard« .

La poésie de Meschinot accompagnée d'une enluminure du poète breton

Contexte historique de cette poésie

Pour replacer cette poésie médiévale dans son contexte, nous sommes non loin du temps de la ligue du bien public et des révoltes qui verront se soulever de nombreux nobles et leurs provinces contre Louis XI : Bourgogne, Bretagne, Lorraine, Berry, Armagnac, Bourbonnais, …

Autour de cette période et même après, Meschinot et Chastellain sont loin d’être les seuls à blâmer la gestion de Louis XI, comme nous le rappelle l’auteur Jean-François Lassalmonie dans un ouvrage de 2002 sur la politique financière de Louis XI :

« Les commentaires des chroniqueurs s’accordent pour blâmer sa libéralité excessive (celle de louis XI). Sa prodigalité leur apparaît d’autant plus condamnable qu’elle accablait inutilement ses sujets pour enrichir des hommes qui, par leur condition surtout, n’étaient pas fondés à leurs yeux à profiter des deniers publics : la redistribution qui s’opérait ainsi était jugée injuste. (…)  Cette extorsion, vitupérait Basin (Thomas Basin – 1412-1491, évêque & chroniqueur français), était d’autant plus scandaleuse que le sang des pauvres ne servait qu’à engraisser des pensionnaires sans mérite et de vile condition, tant les distributions du souverain étaient inconsidérées »
La boîte à l’enchanteur, Jean-François Lassalmonie (1)

Aux sources médiévales de cette ballade

Du côté des manuscrits anciens, vous pourrez retrouver cette ballade de Meschinot au cœur du ms Français 24314. Cet ouvrage daté du XVe siècle est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF et consultable sur Gallica.fr.

Pour sa transcription en graphie moderne, nous nous sommes, quant à nous, appuyés sur deux éditions différentes des œuvres de Meschinot : « Jehan Meschinot, escuier, en son vivant grant maistre d’hostel de la royne de France« , Nicole Vostre (1522), et « poésies de Jehan de Meschinot », Étienne Larcher, Nantes (1493). A noter que l’historien breton Arthur de La Borderie la mentionne également dans sa biographie de Meschinot datée de 1896 : Jean Meschinot, sa vie, ses œuvres, ses satires contre Louis VI ».

La ballade politique et satirique de Meschinot dans le ms 24314 de la BnF
La ballade de Meschinot dans le manuscrit Ms Français 24314 de la BnF

Et contre luy former larmes et plaintes.
dans le français de Jean de Meschinot

O vous qui yeux avez sains et oreilles,
Voyez, oyez, entendez les merveilles ;
Considérez le temps qui présent court.
Les loups sont mis gouverneurs des oueilles ;
Fut-il jamais nenny choses pareilles ?
Plus on ne voit que traisons à la court.
Je croy que Dieu paiera en bref ses debtes,
Et que l’aise qu’avons sur molles couettes
Se tournera en pouretez
(pauvretés) contraintes.
Puisque le chef qui deust garder droicture
Fait aux poures
(pauvres) souffrir angoisse dure
Et contre luy former larmes et plaintes.

Les bestes sont aux corbins et corneilles,
Mortes de faim, dont peines nonpareilles
(sans égales)
Ont poures
(pauvres) gens. qui ne l’entend est sourd.
Las ! Ilz n’ont plus ne pipes ne bouteilles,
Cidre ne vin pour boire soubz leurs treilles,
Et brief je voy que tout meschief
(malheur, infortune) leur sourt (advient),
Les bons sages et anciens poetes
N’enseignent pas a faire telz molestes
(tourment, ennuis)
(2)
Come a present se font, ne telles faintes.
C’est ung abus qui trop longuement dure
Qui cause en est, fait envers dieu injure
Et contre luy former larmes et plaintes.

Seigneur puissant, saison n’est que sommeilles,
Car tes subjectz prient que tu t’esveilles.
Ou aultrement leur temps de vivre est court.
Que feront-ils si tu ne les conseilles ?
Or n’ont-ilz plus bledz
(blé), avoines ne seigles,
De toutes pars misère leur acourt.
A grant peine demeurent les houettes
(3).
Abillement des charues et brouettes,
Qu’ilz ne perdent et aultres choses maintes,
Par le pillart qui telz maulz leur procure :
Auquel il faut de tout faire ouverture.
Et contre luy former larmes et plaintes.

Envoi (Georges Chastellain)

Prince qui sourt nouvellettez estroictes (4)
Et retrecist les amples voyes et droittes
Celles que honneur doit maintenir non fraintes
(entières, non brisées)
Celluy esmeut cueurs d’hommes en murmure
Les fait tourner a hayne et a froidure
Et contre luy former larmes et plaintes.


Notes

(1)La boîte à l’enchanteur, Politique financière de Louis XI, Jean-François Lassalmonie (2002)
(2) ms 1493 « a faire telz moettes » : moue, grimace.
(3) petite houe, outil utiliser pour bécher la terre.
(4) Prince qui sourt nouvellettez estroictes : qui répand des nouveautés étriquées

NB : l’image de l’image d’en-tête provient du ms 24314. Elle représente un portrait de Jean Meschinot face aux travers et vices qui le visitent.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Manuscrits rares et basse-danse au KBR Muséum de Bruxelles

événements autour du Moyen Âge au KBR Museum.

Sujet : musique, basse danse, Bourgogne médiévale, manuscrit ancien, manuscrits médiévaux, exposition, ateliers, ducs de Bourgogne, musée, enlumineurs médiévaux
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle & renaissance
Lieu : KBR Museum,  Mont des Arts 28, Bruxelles.
Dates : samedi 3 et dimanche 4 décembre 2022

Bonjour à tous,

vec l’arrivée de l’hiver, le KBR Museum de Bruxelles se drape de ses plus belles couleurs médiévales pour proposer à ses visiteurs de nouvelles expositions et de nouveaux ateliers.

Ainsi, à partir du 22 novembre, le musée exposera une nouvelle sélection de manuscrits et œuvres du temps de la Bourgogne médiévale. Le KBR a, en effet, hérité de la riche librairie des Ducs de Bourgogne, une collection d’ouvrages conservée précieusement sur place et que le public peut découvrir à l’occasion d’exposition variées.

Nouveaux manuscrits à découvrir
& basses danses de Marguerite d’Autriche

Temps fort de cette nouvelle exposition de pièces et manuscrits de la fin du Moyen Âge et des débuts de la renaissance, le week-end des 3 et 4 décembre verra exposer un manuscrit particulièrement précieux, demeuré sous clef depuis de longues décennies. Il s’agit du manuscrit original des basses danses de Marguerite d’Autriche, référencé KBR ms 9085. Véritable symbole de luxe et de prestige en son temps, cet ouvrage ancien d’une grande rareté est réalisé sur parchemin noir, pour une écriture et des notations musicales faites à l’encre doré et argenté.

feuillet du manuscrit ms9085, basses danses & musique médiévale du XVe siècle

Pour prendre toute la mesure de sa nature exceptionnelle, à ce jour, on compte seulement 7 manuscrits anciens dans le monde réalisés avec une technique similaire et sur un tel parchemin. C’est d’ailleurs ce qui explique que cet ouvrage ne voit pratiquement jamais la lumière. En plus d’être précieux et prestigieux, le ms 9085 est, en effet, extrêmement fragile et s’est montré, jusque là, rétif à toute tentative de restauration.

Le contenu du très rare ms 9085

Du point de vue de son contenu, ce manuscrit propose, sur 47 feuillets, 58 basses danses annotées musicalement et chorégraphiquement. Nous lui avions d’ailleurs consacré un article accompagné d’une basse danse en musique, ici. Daté des tout débuts du XVIe siècle, le ms 9085 compte aussi parmi les plus anciens témoins écrits des basses danses, danses de cour tout en maintien qui resteront prisées de la classe nobiliaire, jusqu’à la fin du siècle suivant.

Resté au coffre du musée depuis plus de trente ans, ce véritable trésor plusieurs fois centenaire fera donc une sortie exceptionnelle, le temps d’un week-end, avant de regagner, en toute discrétion, son lieu protégé, loin des regards du public.

Visite guidée et ateliers sur les secrets
de fabrication des manuscrits médiévaux

Basse-danse enluminure médiévale du Ms 5073 de la BnF
« Regnault de Montauban », T2, ms 5073 réserve, Arsenal, basse-danse, BnF.

Au KBR Museum, ce même week-end de décembre sera, bien sûr, l’occasion de parler de musique médiévale et notamment de basses danses. A ce titre, nous ne pouvons que vous conseiller de profiter de l’occasion pour une visite guidée (le 4 décembre de 11h00 à 12h30), en compagnie des guides du musée. Ils se proposeront de vous faire découvrir tous les secrets de fabrication des manuscrits médiévaux et de vous initier au sens caché et aux symboles que recèle l’art des enluminures au Moyen-Âge. En leur compagnie, vous pourrez également découvrir les nouveaux manuscrits de la Librairie des Ducs de Bourgogne exposés cette saison, donc celui mentionné ci-dessus.

Durant ce même week-end, l’exposition sera encore complétée par deux ateliers de découverte et mise en pratique de la calligraphie ancienne et de l’usage des pigments naturels dans l’enluminure médiévale : les samedi 3 & dimanche 4 décembre, de 14h00 à 17h00 heures.

Voir les détails et informations sur le site officiel du KBR Museum.


En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen âge sous toutes ses formes.