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Au XIIIe siècle un rondeau amoureux du trouvère Adam de la Halle au moment du départ

Enluminure d'un musicien du Moyen Äge

Sujet : musique, chanson médiévale, vieux français, trouvère d’Arras, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie, musique ancienne.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur : Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : « A Dieu commant amouretes« 
Interprète : Ensemble Sequentia
Album : Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’oïl (1987)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons pour le XIIIe siècle en musique et en chanson, avec Adam de la Halle. Nous retrouverons le trouvère d’Arras dans un rondeau courtois. Le poète y lamentera son départ et les amours qu’il s’apprête à laisser derrière lui.

A l’origine de ce rondeau courtois

Adam de la Halle a composé une variation plus longue de ce rondeau dans une chanson. Comme les deux pièces partagent de nombreuses similitudes, cela permet de cerner un peu mieux le contexte historique de la pièce du jour. Conformément à ce genre poétique, ce rondeau reste, en effet, assez court et ne donne guère de détails.

Dans cette chanson plus longue, donc, le trouvère nous expliquait qu’il devait quitter sa ville d’Arras pour des raisons économiques. Un changement de réglementation monétaire en était à l’origine qui portait sur les « gros tournois ». En l’occurrence, il ne s’agissait pas de tournois au sens habituel (chevalerie, lice, joutes, etc…) mais de monnaies d’argent en usage sous Saint Louis.

Un peu avant la composition de ce rondeau, il semble qu’une ordonnance prise par la couronne française à Chartes (1262-1264) en avait réglementé l’usage, refusant que soient acceptées certaines pièces frappées auparavant. Arras et sa province s’en sont trouvés directement affectés suivant les affirmations du trouvère :

A Dieu commant amouretes,
Car je m’en vois,
Dolans pour les douchetes
For dou douc païs d’Artois
Qui est si mus
(silencieux) et destrois (en détresse),
Pour che que li bourgeois
Ont esté si fourmené
Qu’il n’i queurt drois ne lois.
Gros tournois
(monnaie d’argent) ont anulé
Contes et rois,
Justiches et prélats tant de fois
Que mainte bele compaigne,
Dont Arras méhaigne
(souffre, pâtit)
Laissent amie et maisons et harnois
Et fuient, chà deux, chà trois,
Souspirant en terre estrange.

Ce texte médiéval auquel le rondeau du jour fait écho, daterait donc de 1263 ou de l’année suivante. Quelque temps plus tard, le trouvère reviendra dans sa ville natale pour y prendre épouse (1).

Si ce contexte n’est pas absolument indispensable à la compréhension de notre rondeau, il nous aide à mieux le cerner. Il pourrait, en effet, ressembler à une chanson de trouvère ou de troubadour comme il en existe beaucoup à cette période : le poète sur le départ, se lamente sur la douleur de la séparation, etc… à ceci près qu’ici, Adam de la Halle emploie le pluriel tout du long (reinettes, doucettes, amourettes,…). Parlent-ils uniquement de « ces amours » ? On semble un peu sortir du schéma classique du loyal amant courtois, triste de devoir laisser sa dame et peut-être sont-ce plutôt les belles d’Arras qu’il pleure ?

Source médiévales et plus récentes

Pour vous présenter ce rondeau d’Adam de la Halle, nous avons choisi les pages annotées musicalement du manuscrit médiéval ms Français 25566. Connu encore sous le nom de chansonnier W, cet ouvrage de 283 feuillets est daté de la fin du XIIe et des débuts du XIIIe siècle. Composé à Arras, il contient l’œuvre d’Adam de la Halle ainsi que de nombreuses autres textes et poésies d’époque. Il est actuellement conservé à la BnF et peut être consulté en ligne sur Gallica.fr.

Le rondeau d'Adam de la Halle dans le manuscrit médiéval enluminé Ms Français 25566 de la BnF

Pour les partitions modernes de ce rondeau, ainsi que d’autres pièces du trouvère d’Arras, vous pouvez consulter valablement l’ouvrage « Œuvres complètes du trouvère Adam de la Halle » d’Edmond de Coussemaker. Ce livre daté de la fin du XIXe siècle (1872) a été réédité aux éditions Hachette Livre BnF.

Sequentia, une formation majeure
dans le monde des musiques médiévales

Pour découvrir ce rondeau courtois en musique, nous revenons à l’excellent album « Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’oïl » de l’ensemble médiéval Sequentia sous la direction de Benjamin Bagby. Formée à Paris au début des années 80, cette formation de grand talent s’est imposée, en près de 35 ans de carrière, comme une référence sur la scène des musiques médiévales et anciennes.

Avec un répertoire qui s’est largement focalisé sur l’Europe médiévale des XIIe siècle et suivants, les programmes de Sequentia couvrent tout autant les musiques sacrées et profanes de France, que celles d’Espagne, d’Allemagne, d’Italie ou d’Angleterre. L’œuvre d’Hildegarde von Bingen tient également une belle place dans leur discographie. Nous vous invitons à les suivre sur leur site officiel très complet. Il est pour le moment en anglais mais la version Française est en préparation.

Trouvères, chansons d’amour courtois
du nord de France (1175 à 1300), l’album

Le double album "Trouvères" de l'ensemble de musique médiéval Sequentia

Adam de la Halle tient une belle place sur ce fabuleux double-album de l’ensemble Sequentia, et de nombreuses compositions du trouvère y sont présentes.

En approchant une période qui couvre le dernier quart du XIe siècle pour s’étaler jusqu’à la fin du XIIe siècle, Sequentia s’est vraiment montré à la hauteur de son ambition dans cette production qui, de notre point de vue, devrait avoir sa place dans la discothèque de tout bon amateur de musiques médiévales. On y retrouvera également de nombreuses pièces des premiers trouvères, entre Conon de Béthune, Gace Brulé, Blondel de Nesle, mais également Jehan de Lescurel, et encore de nombreuses chansons anonymes ou compositions instrumentales françaises ce cette partie du Moyen Âge central.

Vous pourrez débusquer cet album au format CD chez votre meilleur disquaire ou même digitalisé sur les plateformes légales en ligne. Voici un lien utile à cet effet.


Le rondeau d’Adam de la Halle
dans son français d’Oïl d’origine

A Dieu comant amouretes
Car je m’en vois
Souspirant en tere estrange
Dolans lairia les douchetes
Et mout destrois
A Dieu comant amouretes.

J’en feroie roïnetes,
S’estoie roys,
Comant que la chose empraigne
A Dieu comant amouretes
Car je m’en vois
Souspirant en tere estrange.

Sa traduction en français actuel

A Dieu je confie mes amours,
Car il me faut partir
A regrets, en terre étrangère.
Avec peine, je laisserais les tendres et douces
Et en grande détresse
A Dieu je remets mes amours.

J’en ferais des reines,
Si j’étais roi
Mais quoi qu’il puisse survenir
A Dieu je remets mes amours,
Car il me faut partir
A regrets, en terre étrangère.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes

(1) Voir Li jus Adan et de la Feuillée, Mélanges publiés par la Société des Bibliophiles Français 1829 (Imprimerie Firmin Diderot).

Comment le roi doit prendre soin de ses sujets dans le Secret des Secrets du Pseudo Aristote

Sujet : miroir des princes, précis politique, littérature politique, guide moral, bon gouvernement, roi, devoirs politiques, Aristote, Alexandre le Grand, citation médiévale.
Période : Moyen Âge central (à partir du Xe siècle)
Livre : Sirr Al-Asrar, le livre des secrets du Pseudo-Aristote, ouvrage anonyme du Xe siècle. Le Secret des Secrets, édition commentée par Denis Loree (2012).

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous poursuivons notre exploration du « Secretum Secretorum« , en français, « Le Secret des Secrets« . Au Moyen Âge central, cet ouvrage moral et politique connut un véritable succès. Il y est question d’une supposée correspondance entre Aristote et l’empereur Alexandre le Grand.

Aucune source historique fiable n’ayant, à ce jour, permis de rattacher le philosophe grec à cet ouvrage, la seule certitude qui nous reste est son origine arabe, autour du Xe siècle. Le nom de celui qu’on pensait être son auteur original a donc cédé la place depuis, à un Pseudo-Aristote.

« Miroirs des princes »
et littérature médiévale à usage politique

Précis des règles de bon gouvernement et de bonne conduite en matière politique, guide à l’usage du puissant empereur Alexandre dont la réputation et les faits ont traversé le Moyen Âge en continuant d’inspirer le respect, le Secret des Secrets s’est répandu en Europe à partir des des XIIe et XIIIe siècles et jusqu’aux suivants. Il l’a fait d’abord dans des traductions latines, puis dans des versions en langage vernaculaire, dont le vieux français.

Il n’est pas le seul ouvrage de la sorte. Le Moyen Âge central occidental a été friand de « miroirs des princes » comme on nomme alors souvent ce genre littéraire médiéval moral et politique. Le Kitab Sirr Al-Asrar » ou livre des secrets l’atteste (même s’il déborde, par endroits, du simple sujet de ce type de traité). Il faut également noter qu’on retrouve également ces guides éducatifs à usage politique dans la littérature perse et arabe de la même période. Nous avons eu l’occasion de croiser ce sujet en abordant l’œuvre du conteur et poète Mocharrafoddin Saadi.

Le Secrets des Secrets, chap XXIII avec une enluminure du manuscrit médiéval Nouvelle Acquisition Français 18145  de la BnF

De l’écoute et de la nécessaire compassion
du roi envers les misères de son peuple

Le passage du Secretum Secretorum que nous avons choisi aujourd’hui pourrait paraître presque de circonstance. Il touche, en effet, à l’écoute, la compassion ( on nous parle même « d’amour ») nécessaires d’un roi envers ses sujets et leurs misères. Certains tristes épisodes républicains récents continuent peut-être d’être dans les esprits à ce propos. Inutile d’épiloguer.

Au delà, il est aussi question pour le souverain de savoir déléguer ce pouvoir délicat à un « prudhomme », autrement dit un homme d’expérience, de mérite et de bien, digne de l’exercer et qui soit proche du peuple. Les remaniements en matière d’exécutif français depuis une paire d’années, pourraient sembler teinter d’ironie ce conseil venu du Moyen Âge et de plus de dix siècles en arrière, mais, là encore, chacun sera libre de projeter ses propres attentes, espoirs ou désespoirs sur l’actualité. Tenons-nous en, de notre côté, au cadre médiéval.

Nous sommes donc au Moyen Âge, en terre de croyances et le Pseudo-Aristode est là pour nous le rappeler. Comme il se doit, le créateur veille, guide et récompensera le juste souverain. En contrepartie (on le verra en d’autres endroits du Secret des Secrets), le Tout Puissant punira durement le prince outrecuidant par l’échec, la chute et la disgrâce.


Comment le roi doit subvenir à ses sujets
extrait du Secretum Secretorum

« Je te prie treschier fils que tu doyes souvent enquerir de la neccessité de tes povres subgés et que par ta bonté, tu souviengnes a tes povres subgés en leur neccessité. D’autre part, tu dois eslire uns homme qui soit preudoms et qui aime Dieu et justice et qui sache la langue de tes subgés, auquel tu commettes le gouvernement de tes subgés et qu’il le gouverne piteusement et en amour. Et se ainsi le faiz, tu feras le plaisir de ton créateur et sera la garde de ton royaume et la leesce de tes subgés. »

Comment le roi doit soubvenir à ses subgés, Le Secret des Secrets, édition commentée; Denis Lorée (op cité), chap XXIII

Traduction de ce passage en français actuel

« Je te prie, très cher fils, de souvent t’enquérir des besoins de tes pauvres sujets et que; par ta bonté, tu subviennes à tes pauvres sujets dans la nécessité. D’autre part, tu dois nommer un homme qui soit de grande honnêteté et de valeur et qui aime Dieu et la Justice et qui connaisse aussi la langue de tes sujets, à qui tu confies le gouvernement de tes sujets afin qu’il les gouverne avec compassion et avec amour. Et s’il le fait de la sorte, tu feras le plaisir de ton créateur, tu protégeras ton royaume et obtiendra la la joie (reconnaissance) de tes sujets. »


Sources manuscrites médiévales

Le chapitre du Secrets de Secrets dans le manuscrit médiéval NA fr 18154
Le manuscrit Nouvelle Acquisition Fr 18145, XVe s (consulter en ligne sur Gallica)

En matière de sources manuscrites, notre choix s’est encore porté sur le manuscrit médiéval Nouvelle Acquisition Fr 18145 de la BnF, daté du XVe siècle. On y trouve quelques belles enluminures représentant Aristote et Alexandre le Grand. Pour l’entête d’article et l’illustration, nous avons opté pour celle représentant Dieu apparaissant à Alexandre sur le champ de Bataille en entête du chapitre XXV du manuscrit.

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
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Une bonne et heureuse année 2024 à tous !

Bonjour à tous,

omme le veut la tradition, nous commençons ce nouvel an, en vous souhaitant une excellente année 2024 avec tous nos vœux de réussite, de santé et de bonheur.

Pour cette carte de vœux de 2024, nous avons choisi une enluminure festive extraite d’un best-seller incontesté du Moyen Âge français : le Roman de la Rose. De la fin du XIIIe siècle jusqu’à la Renaissance et au XVIe siècle, cet ouvrage rédigé par deux plumes très différentes a, en effet, connu un succès retentissant. Ce dernier fut tel qu’on en connait, encore aujourd’hui, près de 300 manuscrits anciens dont un partie importante est conservée en France, au départements des manuscrits de la BnF.

Une belle enluminure tiré du manuscrit médiéval Français 19137 et du roman de la rose pour notre carte de vœux 2024

Un best-seller du Moyen Âge sur l’aventure amoureuse

Maintes gens dient que en songes
N’a se fables non et mençonges;
Mais l’en puet tiex songes songier
Qui ne sunt mie mençongier.

Le Roman de la Rose,
Guillaume de Lorris (1200-1238)

Guillaume de Lorris, auteur de la première partie du Roman de la Rose, a débuté son récit en nous contant un rêve passé qui, finalement, s’est avéré prémonitoire. Dans ce songe fait quelques années auparavant, le poète s’était trouvé entraîné dans un étrange jardin pour y faire la découverte de l’Amour, de ses attraits et ses charmes comme de ses obstacles.

Quelques années plus tard, le récit de Guillaume de Lorris sera repris par Jean de Meung là où il l’avait laissé. Erudit et clerc à la plume plus critique et acerbe, ce deuxième auteur donnera un nouveau souffle et une nouvelle profondeur au roman. Plus satiriques par endroits, ses ajouts susciteront même quelques débats houleux chez certains penseurs des siècles suivants.

Amour, joie et surtout paix & fraternité pour 2024

Le sujet de l’enluminure du Roman de la rose que nous avons choisi pour notre carte de vœux se retrouve dans de nombreux manuscrits illustrés médiévaux et renaissants. Celle-ci est tirée du manuscrit Français 19137 de la BnF. L’ouvrage, daté du XVe siècle, contient divers textes en français donc le Roman de la Rose, ainsi que La consolation de la philosophie de Boèce traduit par Renaud de Louhans. Ce manuscrit ancien peut être consulté sur le site de Gallica.

L’illustration représente la carole à laquelle assiste l’auteur à son arrivée dans le jardin. Amour mène cette danse joyeuse entouré de plusieurs personnages. Il tient à la main une flèche prête à toucher le poète au cœur. Ce dernier est, pour l’instant, penché sur la fontaine : celle là même qui avait piégé le pauvre Narcisse épris de son image. En fait de s’abîmer dans sa propre contemplation, Guillaume de Lorris apercevra le reflet d’un buisson de roses dans l’eau. Son aventure et sa quête amoureuse est sur le point de commencer.

Joie, amour, danse et insouciance, que pourrait-on souhaiter de mieux pour le monde en 2024 ? Après les tragiques événements de cette année et de la précédente, il nous semble que c’est aussi de paix et de fraternité dont l’humanité ait besoin et de beaucoup moins de va-t-en-guerre de tous bords, et notamment les plus dangereux, ceux qui officient dans les milieux politiques, technocratiques et médiatiques… Alors tant pis ! Même si le message peut encore paraître un peu naïf dans ce monde empreint de cynisme, de notre côté, nous formons le vœux, ou peut-être le rêve, pour marcher dans les pas de Guillaume de Lorris, que cette année 2024 voit enfin le conflit ukrainien se résoudre dans la paix, ainsi que celui qui touche de près le Moyen-Orient et encore tous ceux qui font saigner le continent africain.

Encore une très bonne année 2024 à tous !

Frédéric Effe
Pour Moyenagepassion.com
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Le roi tué par un cochon, une leçon magistrale d’histoire médiévale

Sujet   : monde médiéval, histoire médiévale, anthropologie, histoire culturelle, symbole, cochon, animaux, régicide, capétiens, royauté française, anthropologie, médiéviste.
Période : Moyen âge central, XIIe et XIIIe siècle
Ouvrage : Le roi tué par un cochon (Edition du Seuil, 2015)
Auteur : Michel Pastoureau

Bonjour à tous,

e 13 octobre 1131, le jeune prince Philippe, fils et héritier direct de Louis VI le gros déambule à cheval, avec quelques uns de ses gens, dans les rues de Paris. Est-il lancé dans un galop imprudent ? Joue-t-il à se courser avec l’un de ses écuyers ? Les chroniqueurs hésitent.

Pourtant, par un funeste tour du destin, un porc errant viendra se prendre dans les pattes de sa monture, faisant choir le futur roi alors âgé de 15 ans. Quelques heures plus tard, le terrible drame s’abat sur la couronne : le jeune Philippe est mort des suites de ses blessures. Il était l’ainé choyé du souverain. La royauté avait mis en lui tous ses futurs espoirs et même s’il avait été déjà sacré à Reims en 1129, il ne règnera jamais sur la France contre toutes les attentes de son géniteur, Louis VI.

Enluminure de l'accident du roi Philippe dans le Ms 677 de la ville de Besançon - Chronique anonyme, en langue française, depuis la création du monde jusqu'en 1384 (Fin du XIVe s)
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Enluminure de l’accident du prince Philippe dans le Mss 677 de la ville de Besançon – Chronique anonyme, en langue française (fin du XIVe siècle)

Quand le destin des capétiens croisa
celui d’un porc « envoyé du diable »

L’événement pourrait passer pour anodin et la « grande histoire » l’a même un peu oublié, mais c’eut été sans compter sur la présence de Michel Pastoureau. Partant du funeste accident, le médiéviste va dérouler ici toute son érudition pour nous entraîner dans un voyage au cœur du Moyen Âge central. Il y mettra même ses larges connaissances des bestiaires, des héraldiques, des couleurs et des symboles du monde médiéval au service d’une hypothèse étonnante : sous l’apparence du simple accident urbain, ce « porcus diabolicus », comme le nomment certains chroniqueurs d’alors, cet animal infâme, ce porc envoyé du diable aurait-il pu, à ce point, affecter le destin de la lignée capétienne pour que, se pensant souillée et presque maudite, elle cherche finalement à se laver de l’infâmie, et à se racheter aux yeux de Dieu, en se drapant de nouveaux symboles propices à conjurer le sort :

  • D’un côté, le lys, celui de la mère des mères, la vierge Marie, fleur des fleurs du culte marial naissant,
  • De l’autre, le bleu roi, couleur de la lumière divine, qui avait déjà occupé Michel Pastoureau dans son histoire des couleurs.

    Conjugués, ces deux symboles puissants et protecteurs, s’imposeront, en effet, tous deux, quelque temps après l’incident, sur les habits royaux les plus symboliques de la couronne de France.

Ombre et souillure d’un cochon diabolique

Dans une grande aventure, pour passer au crible son étonnante hypothèse, Michel Pastoureau donnera dans ce livre une leçon magistrale de nouvelle histoire, en liant chronologies, histoire des symboles et des mentalités et bien entendu, approche anthropologique et historique.

Enluminure d'un cochon errant tirée de, Der Naturen Bloeme de Jacob van Maerlant (KA16, Koninklijke Bibliotheek),
Cochon errant dans la forêt, enluminure (1350), Der Naturen Bloeme de Jacob van Maerlant, manuscrit conservé à la Bibliothèque Royale de la Haye.

Il nous parlera du lourd deuil du père du prince : Louis VI le gros a-t-il, par ses exactions et ses conduites par trop libertine, suscité la colère de Dieu ? Il abordera encore la question du possible poids qu’aura fait peser cet héritage du frère défunt sur l’autre fils qui par là, deviendra rien moins que le nouveau roi de France, Louis VII. Suivons un peu Michel Pastoureau sur les traces de ce règne qui, sans le porc errant n’aurait jamais du avoir lieu.

Louis VII ou le règne maladroit d’un héritier de circonstance

Peu préparé à ses fonctions, ce roi par accident, accumulera les maladresses. D’un naturel très pieu et d’un caractère peu amène, il se fâchera avec le pape et d’autres encore, entrera en conflit ouvert avec Thibaut de Champagne. En 1143, et dans le cadre de ses passes d’armes d’avec le puissant comte, les gens de Louis VII seront même à l’origine des terribles incidents conduisant au drame de l’église de Vitry-en-Perthois : un millier de villageois en furent victimes et périrent brûlées en les murs de l’édifice religieux où ils s’étaient réfugiés. Pour le souverain, il fallut bien au moins un départ aux croisades pour tenter d’expier l’horreur de cette tragédie, mais son voyage oriental ne se soldera par aucune victoire flamboyante et bien plutôt par des déroutes.

Enfin, et c’est encore une pierre à l’édifice de sa déroute, Louis VII le jeune ratera totalement son mariage (arrangé par son père), avec Aliénor d’Aquitaine. Il se montrera incapable de concevoir un héritier (ils auront cependant deux filles). Mauvais assortiment, natures incompatibles, jalousie trop grande de Louis le Jeune ou frivolité d’Aliénor ? L’union finira par un divorce qui verra la belle, deux ans plus tard, conclure un remariage avec le roi Henri II d’Angleterre (autre terrible disgrâce). De neuf ans son cadet, le souverain anglois donnera à Aliénor de nombreux descendants dont un nombre incomptable de fils, autre disgrâce par procuration pour Louis VII. L’ombre du porc maléfique encore lui et la punition divine planerait-elle sur tout cela, mais surtout sur l’esprit ou les dispositions psychologiques de la lignée capétienne ? Michel Pastoureau tient son fil et nous le suivons avec plaisir et même, à plus d’un tour, une certaine jubilation. Le sujet est passionnant et l’historien ne perd pas son fil pour le rendre crédible.

Un exercice de synthèse érudit et réjouissant

Le roi tué par un cochon, livre d'histoire médiévale de Michel Pastoureau

Afin de servir sa démonstration, le médiéviste fera encore des détours par l’histoire des croisades, les bestiaires médiévaux et notamment l’histoire du porc domestique. Fort répandu dans les villes d’alors, l’animal les nettoie de sa grande voracité. Nous visiterons également avec l’auteur, la symbolique médiévale attachée au cochon, en opposition à celle de son cousin sauvage le sanglier, qu’on affronte à la chasse et dont on tire quelques mérites guerriers. Michel Pastoureau en profitera encore pour disgresser sur le statut du porc et les interdits comparés qui pèsent sur sa consommation dans différentes cultures et religions en tentant de donner des pistes à leur propos : porc attaché à la souillure, porc omnivore, porc (trop) proche de nous du point de vue anatomique, etc…

On croisera encore, dans cet ouvrage finalement très dense, de grands personnages historiques comme Bernard de Clairvaux ou l’abbé et homme d’état Suger animés de leurs propres enjeux. On y sera gratifié d’un bonne dose d’historiographie sur l’incident et on en ressortira copieusement instruit sur l’héraldique, la nature végétale des symboles royaux français contre les animaux préférés par les royaumes de l’Europe d’alors.

Faire de l’histoire sérieuse avec des choses triviales

Pour conclure, on a même un peu de mal a restituer la richesse et la densité de ce petit ouvrage tant Michel Pastoureau y a mis d’information, en faisant des détours et des parenthèses toujours passionnantes sans perdre de vue longtemps son hypothèse. Il reste de ses érudits intarissables qui sait tenir ses lecteurs et ses auditeurs en haleine.

Au passage et pour les apprentis- chercheurs en sciences humaines, il donnera aussi une belle leçon de méthodologie, en démontrant comment à partir d’une hypothèse et de choses qui pouvaient sembler, à première vue triviales, on peut faire sérieusement de la science historique. Dans l’exercice, il aura fait, dans le même temps la nique à l’histoire classique ou « la grande histoire » comme on a pu la nommer, en interrogeant, une fois de plus ses fondements, pour établir dans la lignée de ses pairs, les Duby ou les Le Goff que les dates et les faits importants ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Finalement, pour boucler la leçon de méthode et sur le terrain de l’épistémologie, la falsifiabilité de Poppers demeurera au centre de la conclusion de cet ouvrage ; l’hypothèse, par certains aspects, cocasse, de ce porcus diabolicus et son influence sur les emblèmes royaux de la France capétienne et du bleu de la France actuelle restera une hypothèse, sauf à trouver plus d’éléments ou de documents capables de l’avérer ou de l’infirmer. Entre-temps, le médiéviste nous aura donné beaucoup de plaisir, au long d’un ouvrage qui reste parfaitement accessible à tout type de publics et dont on sent aussi, à son ton plus d’une fois amusé, qu’il a pris beaucoup de plaisir à l’écrire.

Comment se procurer cet ouvrage ?

Ce livre de Michel Pastoureau est disponible au format poche chez Points. Il fait un peu moins de 300 pages mais aucun caractère n’y est perdu. Voici un lien utile pour l’acquérir : le roi tué par un cochon, Michel Pastoureau, Edition Points (2018). Si vous préférez écouter cet ouvrage, notez qu’il est également disponible chez Audible en forma audio, lu par Olivier Martinaud et paru chez l’éditeur Le livre qui parle.

Découvrir d’autres ouvrages de Michel Pastoureau :

 En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : le détail d’enluminure sur l’image d’en-tête est tiré du manuscrit médiéval Royal 16 G VI de la British Library d’Angleterre. Daté du milieu du XIV siècle et superbement illuminé, cette longue série de manuscrits médiévaux présente une édition révisée des Grandes Chroniques de France.