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A l’entrant d’esté: une chanson d’amour courtois en langue d’Oil du trouvère Blondel de Nesle

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, langue d’oil, fine amor.
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Titre:  
A l’entrant d’esté
Auteur :   
Blondel de Nesle
Interprète : 
Estampie, Graham Derrick
Album  : Under The Greenwood Tree (1997)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn continuant d’explorer la piste des trouvères du moyen-âge central, nous revenons aujourd’hui à la poésie et aux chansons de Blondel de Nesle.  Contemporain de Gace Brûlé  et de  Conon de Bethune, ce noble entré depuis dans la légende, faisait sans doute partie d’un petit cercle d’amis et de nobles qui s’adonnaient à l’Art de Trouver, autour des cours florissantes du nord de la France et notamment celle de Champagne. Un peu plus tard, c’est sur l’héritage de ces derniers que Thibaut de Champagne composera, à son tour, ses propres chansons.

Nous ne reviendrons pas ici sur les éléments de biographie que nous avons déjà largement abordés (voir article: l’amour courtois d’Oc en Oil, Blondel de Nesle, trouvère, poète, adepte et fine amant devenu « légendaire »). Rappelons simplement que Blondel de Nesle compte dans la génération des précurseurs qui transposèrent la lyrique courtoise provençale et occitane en langue d’oïl. La chanson du jour s’inscrit totalement dans cette veine; on y retrouve tous les ingrédients et même les archétypes de la fine amor. Forme exacerbée du sentiment amoureux ou bien plutôt construction littéraire à part entière, le fine amant s’y tient dans cette position inconfortable (quelquefois même à la limite du supportable) de l’attente. A la merci du moindre signe d’acceptation, il se « complaît » dans la prison volontaire de  la  Delectatio Morosa, cette  exaltation propre à l’amour courtois, nichée dans la tension extrême entre, d’un côté, l’angoisse du rejet ou de la perte de la dame convoitée et, de l’autre, l’espoir de la reconnaissance de son statut d’amant parfait et le désir bientôt assouvi qui lui succédera.

La pièce du jour dans les manuscrits anciens

On peut retrouver cette chanson de Blondel de Nesle dans un certain nombre de manuscrits anciens ( Cangé, Français 844, Manuscrit de Berne, Manuscrit du Vatican, etc…), avec des variantes notables entre ses versions. Elle y est  diversement attribuée par les copistes à d’autres auteurs : Gace Brûlé, ou même demeurée anonyme dans certains ouvrages. D’autres manuscrits, plus nombreux, l’attribuent bien à Blondiax ou Blondiaus, Le dernier vers de cette composition ne laisse, du reste, que peu d’équivoque sur sa paternité.  Pour plus de détails sur tout cela, on pourra valablement consulter l’ouvrage de Prosper Tarbé : les Oeuvres de Blondel de Nesle, collection des poètes de Champagne antérieurs au XVIe siècle (1862).

Pour les paroles, nous retranscrivons ici la version qu’il a lui-même choisi de cette chanson, celle annotée musicalement du Manuscrit Français 1591, connu encore sous le nom de Chansonnier Français R (ancienne cote Manuscrit 7613). Vous pouvez retrouver ci-dessus les feuillets du manuscrit qui la contiennent ainsi que leur notation musicale. Daté de la première moitié du XIVe siècle, l’ouvrage contient des chansons notées et jeux partis. Il est consultable sur Gallica au lien suivant.

A l’entrant d’esté, Blondel de Nesle par l’Ensemble Estampie

L’Ensemble Estampie pour une grande évocation de la légende de Robin des Bois

Dans un album resté d’anthologie, l’Ensemble anglais Estampie, sous la direction de Graham Derrick, se proposait d’évoquer, avec une sélection musicale débordant le répertoire musical médiéval, le personnage et les aventures de Robin de Bois. Le titre de l’album « Under the Greenwood tree » (Sous l’arbre de Greenwood), se réfère d’ailleurs à la forêt de Sherwood, repère et fief du célèbre héros et archer de cette légende anglaise dont bien des composants ont été rédigés postérieurement au siècle qu’elle évoque.

Sorti en 1998, l’album contient pas moins de 30 pièces contemporaines ou plus tardives, évocatrices de cette période trouble de l’Angleterre médiévale qui avait vu son roi Richard Coeur de Lion partir pour les croisades. On retrouve ainsi, dans l’introduction de cette belle production, le célèbre chant de croisades Pälastinalied du poète médiéval allemand Walther von Vogelweide, suivi de la non moins renommée  Complainte du prisonnier de Richard Coeur de Lion : Ja Nuns Hons PrisLa chanson du jour arrive, quant à elle, en troisième et évoque, entre les lignes, la légende selon laquelle le trouvère Blondel de Nesle, très proche du roi d’Angleterre, aurait même été celui ayant permis de le retrouver dans sa geôle d’Autriche. Certaines versions de l’histoire conte que le poète, parti à la recherche du souverain, entonnait à tue-tête une chanson afin que ce dernier puisse l’entendre et se manifester et que c’est grâce à cela qu’il put le localiser. Sans doute l’Ensemble Estampie nous suggère-t-il ici, en forme de clin d’oeil, que la pièce du jour pourrait-être celle qui permit au trouvère de retrouver le roi.

Pour revenir au reste de l’album, on y trouve encore Kalenda Maya de Raimbaut de Vaquerias ainsi qu’une autre pièce anonyme en provenance de la France médiévale. Le reste se partage entre des pièces d’origine anglaise sur la légende de Robin de bois. Comme nous l’avions déjà souligné ici, on peut aussi y entendre une version vocale de la célèbre chanson Lady Greensleeves.

musique_medievale_et_ancienne_chanson_greensleeves_folk_populaire_anglaisL’album est disponible à la vente en ligne sous forme CD, mais également au format MP3 pour ceux qui préféreraient n’en acquérir que des pièces choisies. Voici un lien où vous pourrez trouver les deux versions : Under The Greenwood Tree.

A l’entrant d’esté
dans le vieux-français de Blondel de Nesle

A l’entrant d’esté que li temps s’agence* (s’adoucie),
Que j’oï sur la flour les oiseaux tentir* (retentir, faire entendre un son),
Sui pensis d’amour, où mes cuers balance* (est en péril, ébranlé)
Diex me doint* (de do(n)ner) avoir joie à mon plaisir !
Ou autrement cuid* (cuidier : croire) morir sans doutance* (hésitation);
Car je n’ay el mond autre soustenance* (soutien, appui);
Amours est la riens* (chose) que je plus désir.

N’est pas droit d’amours que cil les biens sente,
Qui ne peut les maus aussi soustenir. (1)
Chargiez me les a tous en pénitence
La belle, qui bien me les puet mérir* ( faire gagner, récompenser).
Tous les mauls d’un an par une semblance
M’assouageroit* (me soulagerait), par sa grant vaillance* (valeur),
Celle qui me fait parler et taisir* (taire).

Un autre homme en fust piécà* (depuis longtemps déjà) la mort prise,
S’il aimast ainsinc, com j’ai fait lousjours ;
Car onques n’en pois* (de peser, ne m’en pèse), par mon bel service,
Traire* (présenter) bel semblant* (apparence,image) , si com j’ai aillours.
Ja en bel servir n’aurai mès fiance* (foi, certitude, confiance) :
Sé je l’amour perd, ou j’ai m’atendance* (espérance),
Asseure m’a …. mourir la flours.

Hélas ! je l’aim tant de cuer, sans faintise ,
Ara* (de avoir) ja merci de moi fine amours.
Moult parai ma paine en bel lieu assise ;
Mes trop m’i demeure, et joie, et secours.
Ainz mès nul amant, en tel espérance,
N’attendit d’amours la reconnoissance
Comme a fait cilz ( las ! ) à si grant dolours.

Mon cuer doi haïr, sé longuement la prie.
Cuidiez que li maus d’amer ne m’anuit ?
— Nenil. — Par foi ! dit ai grande folie.
Ja ne quiers avoir nul autre déduit* (plaisir, jouissance).
Tant com li plaira, serai roy de France ;
Car en tout le mond n’a de sa vaillance
Pucelle ne dame ; mes que trop me fuit !

Je chant et respond de ma douce amie ;
Et à li penser me confort la nuit.
Diex ! verrai je ja le jour qu’ele die :
— Ami, je vous aim ! vrai voir je cuid.
Amours me soustient, où j’ai ma fiance ,
Et ce que je sai qu’elle est belle et blanche ;
Ne m’en partirai* (séparer), s’or m’avoit destruit.

Mes ne doit Amours servir en balance,
Car à chascuns rend selonc sa vaillance.
Blondel a de mort a vie et conduit.

(1) Il n’est pas juste en amour (fine amant parfait) celui qui en ressent les bienfaits, mais n’est pas capable d’en supporter les souffrances.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com.
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Danses médiévales : la sexte Estampie Royale du manuscrit du roy par le Eurasia Consort

sexte_estampie_royale_manuscrit_ancien_musiques_medievales_français_844Sujet : musique, danse médiévale, musique ancienne, Estampie Royale, manuscrit médiéval.
Période :  moyen-âge central, XIIIe
Titre :  la Sexte Estampie Royale
Tirée du manuscrit du Roy (Roi), chansonnier du Roy, français 844
Interprète: The Eurasia Consort
Média : A concert for Unity, 2016, Seattle, Chaîne youtube de August Denhard

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passion‘antique Chansonnier du Roy, daté du XIIIe siècle et conservé au département des manuscrits de la Bnf où il est référencé comme le MS français 844, n’en finit, décidément pas, de croiser notre route. Il faut dire que ce véritable trésor de musiques et chansons de la France médiévale d’Oc et d’Oil, demeure incontournable pour qui s’intéresse des près aux compositions musicales du moyen-âge central. Nous en reprenons donc, aujourd’hui, le fil pour vous présenter une estampie_royale_manuscrit_ancien_musiques_danses_medievales_français_844de ses nouvelles pièces.

Cette fois, il ne s’agit pas d’une chanson mais d’une danse : la Sexte Estampie Royale. Elle fait partie des rares compositions uniquement instrumentales (par ailleurs demeurées anonymes) que l’on peut trouver dans ce manuscrit.

Les Danses et Estampies royales du Manuscrit du Roy Français 844   consultable en ligne sur Gallica)

L’interprétation que nous en présentons ici, nous provient d’outre-atlantique et d’un ensemble nord américain formé d’artistes venus des Etats-Unis, d’Asie et encore de Turquie. Baptisée le Eurasia Consort, cette formation qui s’intéresse de près aux musiques médiévales, se veut également résolument ouverte sur le monde, ses cultures et ses musiques et nous vous la présenterons un peu plus avant, dans cet article.

Le Sexte Estampie Royale du Chansonnier du Roi par le Eurasia Consort

Le Eurasia Consort,  à la découverte des musiques anciennes sur les routes de la soie

F_lettrine_moyen_age_passion-copiaondé dans le courant de l’année 2013 aux Etats-Unis, par le luthiste et guitariste baroque américain August Denhard (par ailleurs très impliqué dans le champ de la early music côté US, puisqu’il est aussi directeur de l’organisme pour la promotion des musiques anciennes de Seattle depuis 15 ans) et la harpiste d’origine japonaise Tomoko Sugawara, le Eurasia Consort explore le large champ des musiques anciennes en provenance de l’Europe médiévale, du Proche orient, du bassin méditerranéen mais aussi de la Chine et du Japon.

musiques_anciennes_ensemble_medieval_eurasia_consort_route_de_la_soieA l’occasion de ses pérégrinations artistiques, la formation se propose, notamment, dans ses  derniers programmes, de suivre l’antique route de la soie  (du haut moyen-âge au moyen-âge tardif), en passant par les cours des empereurs chinois et ottomans, mais aussi celles du proche-orient ou de l’Europe méridionale.

Soutenu par une certain nombre de fondations américaines pour les arts, la musique et la culture, le Eurasia Consort se donne  pour objectif  la sensibilisation du public (adultes ou jeunes audiences et scolaires) à la richesse de toutes ces musiques anciennes qui font partie du patrimoine de l’Humanité et, plus largement encore, à travers tout cela, la promotion d’une plus grande ouverture sur les cultures du monde.

Du côté concert et prestations et bien qu’il compte en son sein des artistes à la carrière internationale, cet ensemble médiéval est pour l’instant, actif principalement aux Etats-Unis. Il n’a, à ce jour, toujours pas produit d’albums, mais, consolons-nous puisqu’à travers sa chaîne youtube, son co-fondateur August Denhard se charge de nous faire partager quelques unes de leurs pièces.

Visiter le site officiel du Eurasia Consort (anglais)

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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Serventois : quand le seigneur et trouvère Huon d’Oisy raillait vertement les croisades de Conon de Bethune

chanson_musique_medievale_croisades_enluminures_moyen-age_centralSujet : chanson médiévale, poésie médiévale, servantois, satire, poésie satirique, chevalier, trouvère, chanson de croisades, musique médiévale.
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur : Huon d’Oisy  (1145 – 1190)
(Hues, Hugues d’Oisy)
Titre : Maugré tous sains et maugré Diu ausi
Ouvrage : « Les chansons de Croisades », Joseph Bédier et Pierre Aubry (1909)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passionontemporain du XIIe siècle, Hugues III, seigneur d’Oisy, châtelain de Cambray et vicomte de Meaux, plus connu encore sous le nom d’Huon ou Hues d’Oisy est considéré comme l’un des premiers trouvères du nord de France.

Du point de vue de son oeuvre, il n’a laissé que deux chansons. L’une, plutôt étonnante, conte par le menu un tournoi de nobles dames, dont il nous explique que ces dernières l’avaient organisé pour savoir ce que produisaient les coups que recevaient leurs doux amis lors de tels affrontements. La deuxième chanson est deco_medievale_enluminures_trouvere_un servantois dirigé par le seigneur d’Oisy contre celui qui fut son disciple en poésie : le trouvère Conon ou Quesnes de Bethune. Pour rappel, on trouve une référence explicite à cela dans une chanson de ce dernier  :

Or vos ai dit des barons ma sanblance;
Si lor an poise de ceu que je di,
Si s’an praingnent a mon mastre d’Oissi,
Qui m’at apris a chanter très m’anfance.
Conon de Bethune   « Bien me deüsse targier »
Les Chansons de Conon de Bethune par Axel Wellensköld

A l’occasion du portrait que nous avions fait de ce trouvère (voir biographie de Conon de Bethune ici), nous avions mentionné sa courte participation à la 3ème croisade. Après s’être enflammé et avoir vanté la nécessité des expéditions chrétiennes et guerrières en Terre Sainte auprès de ses contemporains, fustigeant ceux qui ne voulaient s’y rendre, le poète croisé n’eut pas l’occasion d’y briller puisqu’il rentra à la hâte.

trouvere_huon_oisy_poesie_satirique_chanson_medievale

Il faudra attendre la 4ème croisade pour que Conon de Bethune prenne à nouveau la croix et fasse montre alors de plus d’allant mais quoiqu’il en soit, le premier retour rapide de sa première expédition lui valut, comme nous le disions, une verte critique sous la plume d’Huon d’Oisy. Ce dernier prit même pour référence et modèle la chanson « Bien me Deüsse targier » de son homologue, afin de mieux le railler.

Pour mieux comprendre le fond politique et satirique de ce texte, plein de causticité et de ce « roi failli » auquel il est fait ici allusion, il faut ajouter que le châtelain de Cambray s’était, de son côté, rangé sous la bannière de Philippe Iᵉʳ de Flandre, dit Philippe d’Alsace contre le parti de Philippe-Auguste, choisi par Conon de Bethune.

Huon d’Oisy dans les Manuscrits anciens

On retrouve cette chanson dans les deux manuscrits que nous citons souvent ici, le Français 844Manuscrit ou Chansonnier du Roy et le  Français 12615 (MS fr 12615), connu encore sous le nom de Chansonnier de Noailles. Elle est attribuée dans les deux à Mesire(s) Hues d’Oisy.

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Ci-contre Huon d’Oisy dans le Manuscrit du Roy, MS Français 844 de la BnF, consultable sur Gallica au lien suivant.

Eléments chronologiques

Les dates de ce servantois ont été sujettes à débat entre médiévistes, au point de mettre quelquefois en doute, (contre les manuscrits et leurs copistes), l’attribution de cette chanson au seigneur et trouvère d’Oisy. Si la chanson est bien de sa plume, ce qu’on a, en général, fini par convenir, il a dû l’écrire, peu de temps avant sa mort.

Il faut, du même coup, en déduire que cette rentrée de la 3eme croisade de Conon de Bethune se serait située deux ans avant que Philippe-Auguste n’en revienne lui-même, même si à la première lecture, on pourrait être tenté de supposer que le retour du trouvère avait coïncidé avec celui plutôt précipité et décrié du roi de France, fournissant ainsi à Huon un double motif pour les railler tout deux. Le seul problème est que si Conon était rentré en même temps que Philippe-Auguste en 1191, Huon d’Oisy aurait été dans l’impossibilité d’écrire cette chanson puisqu’il avait supposément trépassé près d’une année auparavant.

Mesire Hues d'Oisy dans le Chansonnier de Noailles de la BnF - consultez ici
Mesire Hues d’Oisy dans le Chansonnier de Noailles de la BnF – A consulter sur Gallica ici

Suivant Joseph Bédier, ce retour anticipé des croisades de Conon aurait donc des raisons totalement indépendantes de celui du roi et serait même intervenu bien avant, dans le temps. (si vous souhaitez plus de détails sur ces aspects, nous vous renvoyons à l’ouvrage cité en tête d’article).

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Maugré tous sains et maugré Diu ausi

Maugré* (malgré) tous sains et maugré Diu ausi
revient Quenes* (Conon), et mal soit il vegnans!* (malvenu)
… … … … … … … … … …

… … … … … … … … … …
Honis soit il et ses preechemans* (prédications),
et honis soit ki de lui ne dist: «fi»!
Quant Diex verra que ses besoins ert grans* (qu’il sera dans le besoin),
il li faura, car il li a failli* (il lui faillira comme il lui a failli).

Ne chantés mais, Quenes, je vos em pri,
car vos chançons ne sont mais avenans;
or menrés* (de mener) vos honteuse vie ci:
ne volsistes pour Dieu morir joians, (1)
or vos conte on avoec les recreans* (les lâches, ceux qui ont renoncé),
si remanrés* (resterez) avoec vo roi failli;
ja Damedius, ki sor tous est poissans *(Dieu tout puissant),
del roi avant et de vos n’ait merci!* (n’ait plus pitié ni du roi, ni de vous)

Molt fu Quenes preus, quant il s’en ala,
de sermoner et de gent preechier,
et quant uns seus* (seul) en remanoit decha,
il li disoit et honte et reprovier* (reproches, affronts);
or est venus son liu recunchiier, (il est revenu souiller son nid)
et s’est plus ors* (sale, malpropre) que quant il s’en ala;
bien poet* (de pöeir, pouvoir) sa crois garder et estoier(ranger, remiser),
k’encor l’a il tele k’il l’emporta.

(1) Vous n’avez pas voulu « mourir joyeux » pour Dieu

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En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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« De la joie que désir tant », la lyrique courtoise du trouvère Gace Brulé par l’ensemble médiéval Oliphant

musique_danse_moyen-age_ductia_estampie_nota_artefactumSujet : musique médiévale, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français,  manuscrit du Roy, fine amant,
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Titre: De la joie que désir tant 
Auteur :  Gace Brulé  (1160/70 -1215)
Interprète :  Ensemble Oliphant
Album: Gace Brûlé  (Alba Records, 2004)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons aux trouvères des XIIe, XIIIe siècles avec une chanson médiévale de l’un des plus célèbres d’entre eux : Gace Brûlé. C’est une pièce de lyrique courtoise et l’interprétation que nous vous proposons, ici, nous provient de l’Ensemble Oliphant, dont nous aurons l’occasion de dire un mot.

Attribution dans les manuscrits

Dans son ouvrage de 1902 sur les Chansons de Gace Brûlé, Gédéon Huet classait l’attribution de la pièce au trouvère comme « douteuse », tout en la définissant, tout de même, comme « très probablement authentique ». Elle est, du reste, généralement admis depuis, gace_brule_chanson_trouvere_medievale_manuscrit_du_roy_fr-844_moyen-centralcomme  telle.

(ci-contre la chanson « A la joie que désir tant » dans le Français 844 de la BnF –
( consultez-le sur Gallica ici )

Du côté des manuscrits anciens, on la retrouve notamment attribuée au trouvère (« Messire Gasse ») dans le Français 844 (MS fr 844 ou Manuscrit du Roy) et encore dans le Français 12615 (MS fr 12615, connu encore sous le nom de Chansonnier de Noailles ), tous deux consultables sur le site de la BnF.

Gace Brûlé « De la joie que désir tant » par l’ensemble Oliphant

L’Ensemble Oliphant,  le  moyen-âge des trouvères français en Finlande

D’origine finlandaise, l’ensemble médiéval Oliphant s’est formé dans le courant de l’année 1995. Il compte, à son bord, des musiciens spécialisés dans le répertoire des musiques anciennes et s’est donné comme champ d’exploration un répertoire qui va du XIIe siècle et ses moyen-age_musique_chanson_ensemble_medieval_oliphantchants de trouvères ou même de Minnesangers allemands aux chants polyphoniques de l’Ars Nova et du moyen-âge tardif.

Après un premier album consacré aux chants de croisades,  largement salué par la critique, lors de sa sortie, en 2000, la formation médiévale se proposait, en 2004, de faire redécouvrir l’oeuvre de  Gace Brûlé avec un album qui portait comme titre le nom du trouvère champenois et qui comportait 14 chansons de ce dernier, servie par la voix de la soprano Uli Kontu-Korhonen.

Pour l’instant et du côté import, il semble que les enchères soient sérieusement montées sur cet album même si l’on en trouve quelques exemplaires d’occasions à des prix plus abordables. Pour l’obtenir, le plus raisonnable serait, sans doute, d’attendre un peu ou de se le faire adresser directement depuis le site de son distributeur.

chanson_musique_medievale_trouvere_gace_brule_ensemble_oliphant_moyen-age_centralAprès cette production, dans le courant de l’année 2006, l’ensemble finlandais sortit un nouvel album sur les  trouvères  de la France médiévale et, un peu plus tard, en 2010, leur quatrième et dernier album (à ce jour) voyait le jour. Il prenait, cette fois, pour thème les Minnesängers et des chansons de l’Allemagne médiévale.

Du côté de l’actualité d’Oliphant, on ne trouve guère, depuis, de quoi se mettre sous la dent, Leur site web officiel n’a, en effet, pas été actualisé depuis fort longtemps et du côté album, à tout le moins, l’ensemble est en sommeil, s’il ne s’est pas simplement dissolu.

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De la joie que désir tant
Chanson XLIV

De la joie que désir tant
D’Amors qui m’a a soi torné,
Ne puis lessier* (renoncer) que je ne chant
Puis que ma dame vient a gré,
En cui j’ai mis cuer et pensé,
A trestote ma vie;
Mes trop me font ennui de lé* (de laier abandonner, laisser)
Cil cui Deus maleïe* (de malaier : maudire).

A tel fes* (de faire) joie sens talant,
Por s’amor, que de mon cuer hé* (de haîr) :
Félon, losengier* (calomniateur), mesdisant
Dont deable font tel planté
Que trestote lor poësté* (puissance)
Tornent en félonie,
Qu’ainçois sont de mal apensé
Que l’amor soit jehie.* (de gehir : avouer, confesser)

Petit puet lor guerre valoir
Quant ma dame voudra amer,
Et s’ele a talent ne voloir
Du plus loial ami trover
Qui soit, dont me puis je vanter
Qu’a haute honor d’amie
Ne porroit nus amis monter
Por nule seignorie.

Se longue atente et bon espoir
Ne me font joie recovrer,
Donc m’a Amor traï por voir,
Qui toujours la me fait cuider;
Mes uns vis m’en doit conforter
Qui mainte ame a traie ;
Et si sai qu’en désespérer
A orgueil et folie.

Bele douce dame, merci
De moi qui onc mes ne fu pris
D’Amors, mais or m’en est ainsi,
Qu’a toz amans m’en aatis* (de aatir : défier):
De cuer vos pri volenteïs
Qu’en vostre compaignie
M’acueilliez, ainz qu’il me soit pis,
De felenesse envie.

Dame, moût ai petit servi,
A tel don com je vos ai quis* (de querre : démandé) ;
Mes mes cuers vers vos a plevi* (de plévir, a promis, s’est engagé)
D’estre li plus leaus amis
Dou mont; si le serai toz dis ;
Qu’Amor n’ai pas lessie* (de laissier, abandonner, renoncer),
Ains est tote en moi, ce m’est vis,
Tant qu’a loial partie.

Odin (1) pri et mant et devis
Que ceste chanson die
A ceus qu’il savra ententis* (soucieux)
D’amer sens tricherie.

(1) Gace Brûlé fait référence dans quelques unes de ses chansons à ce Odin. Il s’agit d’un de ses contemporains dont l’identité demeure inconnue, à ce jour. Selon Gédéon Huet (opus cité), il pouvait peut-être s’agir du jongleur du trouvère. Le dernier paragraphe de cette chanson pourrait, en effet, le suggérer.

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En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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