ujourd’hui, nous vous proposons une citation du médiéviste, philologue et académicien Michel Zink, qui, si elle déborde sans doute de son cadre médiéval, vient apporter de l’eau au moulin de la Delectatio Morosa et au fonctionnement du désir dans la lyrique courtoise du Moyen-âge.
« Le désir, par définition, est désir d’être assouvi, mais il sait aussi que l’assouvissement consacrera sa disparition comme désir. C’est pourquoi l’amour tend vers son assouvissement et en même temps le redoute, comme la mort du désir. Et c’est ainsi qu’il y a perpétuellement dans l’amour un conflit insoluble entre le désir et le désir du désir, entre l’amour et l’amour de l’amour. »
Littérature française du Moyen Âge, Michel Zink (PUF, 2014)
Sujet : chansons, poésie médiévale, amour courtois, poésie lyrique, trouvère, vieux français, fine amor, lyrique courtoise. Période : moyen-âge central Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre Programme : »Une vie, une Oeuvre, la chanson du Mal aimé » Intervenants : Jean Dufournet, Claude Mettra, France Culture (1989)
Bonjour à tous,
n 1989, Claude Mettra recevait sur France Culture, le médiéviste et romaniste Jean Dufournet dans le cadre de l’émission « Une vie, une oeuvre » dédiée tout entière à Thibaut IV de Champagne, roi de Navarre et grand poète courtois du XIIIe siècle.
« De touz maus n’est nus plesanz Fors seulement cil d’amer, Mès cil est douz et poignanz Et deliteus a penser Et tant set biau conforter, Et de granz biens i a tanz Que nus ne s’en doit oster. » Thibaut de Champagne, Chanson
Nous avons déjà souligné, à plusieurs reprises, l’importance de la cour de Champagne, de son rayonnement culturel dans le courant du Moyen-âge central, en particulier des XIIe, XIIIe siècles. Son influence s’étendra au nord jusqu’à la Flandre et même l’Allemagne. Dans les pérégrinations des intervenants du jour, on croisera, au nombre des personnages ayant compté dans ces échanges culturels entre différentes provinces de la France médiévale, Aliénor d’Aquitaine, mais aussi plus près de la Champagne, l’incontournable Gace Brûlé, aîné de Thibaut d’une génération et qui l’aura, à coup sûr, influencé, même s’il est difficile d’établir qu’ils se soient physiquement croisés.
Dans la lignée de ses pairs, le comte et roi-poète poursuivra ainsi, à son tour, la promotion et l’élévation de la fine amor et de ses codes courtois en langue d’Oïl, pour la situer dans une quête d’absolu, qualifiée même de « religion » par Jean Dufournet.
Une invitation au décryptage de la fine amor
en compagnie d’un grand médiéviste
On fera ici, un large et salutaire détour pour aborder, avec l’historien, les arcanes de l’amour courtois, ses principes, ses ressorts mais aussi le positionnement social presque « subversif » de ses valeurs au sein du moyen-âge chrétien féodal.
« Ce qui est paradoxal c’est que d’une part, la courtoisie développe la sociabilité, les rapports entre les gens, mais d’autre part, l’amour courtois tend à s’opposer, et au christianisme puisqu’il ne s’agit pas d’amour conjugal et au système féodal puisque, souvent, le poète ou le vassal est amoureux, ou prétend être amoureux, de la dame de son seigneur. Dans la mesure où la femme tend à vivre dans un univers particulier, éloignée de l’humanité quotidienne, les choses s’atténuent, mais il reste que les gens du moyen-âge ont bien senti cette difficulté et qu’en 1277, parmi les condamnations de l’évêque de Paris, Tempier, (Etienne Tempier 1210 -1279) il y avait la condamnation de la courtoisie et de l’art d’aimer d’André le Chapelain qui avait mis en forme tous les principes de cette courtoisie. » Jean Dufournet. Extrait d’un entretien avec Claude Mettra. Une vie, une oeuvre,Thibaut de Champagne. France Culture (1989).
« La joie et la douleur, la folie et la sagesse, la crainte et l’espérance sont étroitement liées. Il n’est pas de douleur, sans joie, ni de joie sans douleur. c’est à dire qu’il faut passer par la douleur de la séparation, de l’absence, des épreuves pour atteindre à cette joie supérieure. Il y a tout un long apprentissage, une sorte d’ascèse à la fois poétique et religieuse pour parvenir à cet état et il faut abandonner les chemins réguliers de la raison, de la connaissance rationnelle, tomber dans une sorte de folie. La pire folie pour les gens du moyen-âge c’est de ne pas aimer, et l’attitude la plus raisonnable c’est d’aimer à la folie. » Jean Dufournet. (op cité, France Culture, 1989).
Un peu plus loin, le médiéviste rapprochera la quête du fine amant, de celles des aventures chevaleresques et des croisades ou même encore des pèlerinages pour en faire une quête qui garde en commun avec toutes les autres, la recherche constante d’une perfection, d’un dépouillement, d’une purification, vouée peut-être à ne jamais véritablement aboutir. Ainsi et selon lui, le Roman de la Rose ou le Perceval et l’oeuvre de Chrétien de Troyes, entre autres exemples, ne seraient peut-être pas demeurées inachevés par hasard.
Enfin, dans ce tour d’horizon de la lyrique courtoise et de son influence, on évoquera, au passage, le culte marial venu se greffer sur ses codes pour faire de la Vierge Marie, à la fois la dame idéale et la médiatrice privilégiée et miséricordieuse, passeuse d’âmes vers le monde d’après.
Claude Mettra, Jean Dufournet, France Culture (1989)
Pour conclure, on trouvera dans cette rediffusion un lot de beaux extraits et d’heureuses lectures dans le vieux-français original du Comte de Champagne et Roi poète de Navarre et il faut rendre hommage à la grande qualité des questions de Claude Mettra, autant qu’aux comédiens qui l’entourent pour avoir su faire de ce programme un véritable moment d’exception.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : blog, site d’intérêt, actualité, histoire médiévale, médiévistes, historiens, articles. Période : actualité à la lumière du moyen-âge Auteurs : historiens, doctorants & docteurs en histoire médiévale Site web : actuelmoyenage.wordpress.com
Bonjour à tous,
oici un article que nous voulions faire, depuis quelque temps déjà, pour mentionner un site d’intérêt dans le domaine qui nous préoccupe : le monde médiéval sous toutes ses formes, y compris les plus actuelles.
On trouve, chez certains historiens médiévistes de la nouvelle génération, une volonté résolue d’ancrer leur discipline dans la modernité et, par là, de l’ouvrir et s’ouvrir sur le monde. Fruit de la collaboration de jeunes doctorants et docteurs de la discipline, le blog Actuelmoyenâge se situe totalement dans cet esprit. Il se propose, en effet, d’examiner les événements sociaux, politiques et économiques actuels à la lumière de l’histoire médiévale.
Débusquer le moyen-âge derrière les faits de notre modernité, mettre en valeur sa marque encore présente ou sa possible influence, pour les sept auteurs-blogueurs intervenant sur ce site, il s’agit également de faire découvrir l’Histoire médiévale au plus grand nombre, tout en démontrant la capacité de cette discipline à nous fournir des clés de lecture pertinentes pour mieux comprendre les soubassements historiques de notre quotidien.
Corollaire de ce questionnement qui interroge la modernité du moyen-âge, on retrouve par ailleurs chez ces mêmes auteurs, des préoccupations qui font, en quelque sorte, le chemin inverse. Nous voulons parler du souci de comprendre et d’analyser le moyen-âge refabriqué ou reconstruit à travers les œuvres actuelles ou modernes qui y font référence : cinéma, littérature, séries télévisées, etc… Bref, il est ici question de médiévalisme et du moyen-âge de la modernité (ou vu par elle, si l’on préfère). Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si l’on retrouve à l’initiative de la co-création d’Actuelmoyenâge, Florian Besson, universitaire, chercheur et auteur dont nous avions déjà parlé à d’autres occasions. On se souvient que dans un ouvrage collectif et pluridisciplinaire, sorti il y a quelques mois, sous sa direction conjointe et celle de Justine Breton (voir article Kaamelott un livre d’Histoire), il se penchait avec des chercheurs venus d’horizons divers, sur la série culte d’Alexandre Astier pour faire le tri entre ses références médiévales ou celles plus modernes et « fantaisistes ». A travers cela, finalement, il s’agissait bien encore d’interroger l’articulation complexe et passionnante entre moyen-âge et modernité.
A quoi servirait l’Histoire si elle ne permettait aussi de s’orienter dans le présent ? Pour y revenir, vous trouverez donc, tout à la fois, sur Actuelmoyenâge, nombre d’articles d’intérêt sur l’actualité, vue à travers le prisme du moyen-âge. Comme nous le disions plus haut, au delà de l’à-propos manifeste de l’Histoire médiévale pour approcher la réalité de notre monde, vous lirez encore, entre les lignes de cet excellent blog, la mise en exergue d’un sens de l’Histoire que n’auraient pas dévoué les pairs de nos nouveaux historiens, une Régine Pernoud ou un Jacques le Goffpour ne citer que ces deux-là.
Sujet : citations, moyen-âge, monde médiéval, historien, médiéviste, Régine Pernoud, sens historique, amnésies.
« En négligeant la formation du sens historique, en oubliant que l’Histoire est la Mémoire des peuples, l’enseignement forme des amnésiques. On reproche parfois de nos jours aux écoles, aux universités, de former des irresponsables, en privilégiant l’intellect au détriment de la sensibilité et du caractère. Mais il est grave aussi de faire des amnésiques. Pas plus que l’irresponsable, l’amnésique n’est une personne à part entière; ni l’un ni l’autre ne jouissent de ce plein exercice de leurs facultés qui seul permet à l’homme, sans danger pour lui-même et pour ses semblables, une vraie liberté. »
Pour en finir avec le Moyen Age, de Régine Pernoud (1909-1998)