Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin, Gethsémani
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X (1221-1284)
Titre : Cantiga 29 « Nas mentes sempre teer »
Ensemble : Micrologus
Album : Madre de Deus (1998)
Bonjour à tous,
u cour de nos nombreuses pérégrinations autour du Moyen Âge, nous avons entrepris, il y a quelque temps, l’exploration et la traduction des Cantigas de Santa Maria. Rédigés en galaïco-portugais, ces chants dévots du XIIIe siècle furent compilés, et peut-être même écrits pour certains, de la main du roi Alphonse X de Castille. Un grand nombre d’entre eux ont trouvé leur inspiration dans les récits de miracles liés au culte marial qui circulaient alors en Espagne et même au delà. Certains provenaient d’ouvrages écrits par divers religieux, d’autres plus directement de récits de pèlerins.
La cantiga 29 ou l’apparition de l’image
de la vierge sur une pierre
Aujourd’hui, nous nous penchons sur la Cantiga de Santa Maria 29. Il s’agit donc d’un nouveau récit de miracle. Il conte l’apparition miraculeuse d’un image de la vierge à l’enfant sur une « pierre » et se réfère à un récit de pèlerins s’étant rendu à Gethsémani. Nous tenterons de jeter quelques lumières sur tout cela. Pour illustrer cette présentation, nous vous proposons également l’interprétation de ce chant marial par l’ensemble italien Micrologus dirigé par la talentueuse Patrizia Bovi.
La Cantiga de Santa Maria 29 par l’Ensemble Micrologus
Les cantigas d’Alphonse X par Micrologus
Si l’on peut trouver la pièce du jour sur la chaîne Youtube de Micrologus, elle provient d’une production de l’ensemble médiéval, datée de 1998 et dédiée aux Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Intitulé Madre de Deus, l’album présente quinze cantigas. On le trouve disponible à la vente en ligne sous forme CD et même sous forme de fichiers MP3. Lien utile : Madre de Deus, Cantigas de Santa Maria.
Pour en apprendre plus sur cette formation médiévale italienne, vous pouvez également consulter l’article suivant : portrait de Micrologus.
La vierge de Gethsémani : aux origines de la cantiga de Santa Maria 29
Dans les Évangiles, Gethsémani est désigné comme le lieu de la dernière cène. Avec le temps, on l’a associé à plusieurs endroits. Situé à l’est de Jérusalem, il peut désigner le mont des Oliviers ou, de manière plus spécifique, son jardin ou même encore la grotte de Gethsémani qui se situe non loin. En l’occurrence et dans la cantiga de Santa Maria 29, il est vraisemblablement fait référence à l’église du sépulcre de la Sainte Vierge. Suivant le récit ayant inspiré ce chant, c’est, en effet, à l’intérieur du tombeau supposé de Marie et sur une de ses colonnes, que se trouvaient les représentations dont l’auteur nous conte qu’elles n’étaient ni des peintures, ni des sculptures, mais des apparitions miraculeuses.
Le Liber Mariae de Juan Gil de Zamora
Ci-contre, miniature du
Manuscrit médiéval MS T.I 1
de la Biblioteca del Monasterio
de El Escorial, Madrid
D’après les sources, la datation de ce miracle est contemporaine de l’Espagne d’Alphonse X. Il est toujours possible qu’elle soit antérieure, mais, factuellement, on le retrouve dans le Liber Mariae du franciscain Juan Gil de Zamora (1241(?)-1318). Secrétaire du roi et tuteur de son fils Sancho, l’homme était lui-même un érudit. Il collabora aux différentes œuvres du monarque espagnol et, entre les nombreux ouvrages qu’il a légués, son Liber Mariae, compilation de divers récits de miracles mariaux, a, semble-t-il, compté pour la rédaction des Cantigas de Santa Maria.
Hypothèse de médiévistes sur la cantiga 29
Deux historiens américains, spécialisés dans la littérature médiévale espagnole et contemporains du XXe siècle, se sont penchés sur le miracle de la Cantiga 29 (Keller John Esten and Richard P. Kinkade, Myth and Reality in the Miracle of Cantiga 29, la Corónica, 1999). De leurs côtés, ils ont rattaché l’origine possible de ce récit à la Basilique de la Nativité de Bethléem, elle-même sur la route des pèlerinages. On aurait trouvé, en effet, sur les colonnes de cette dernière, des images peintes, dont notamment une de la vierge à l’enfant. Ces peintures ont été datées de 1130 et la technique utilisée pour les exécuter aurait été particulièrement novatrice pour l’époque ; elle permettait, en effet, de peindre sur le marbre préalablement poli. Selon ces deux auteurs, plus d’un siècle après l’exécution de cette oeuvre représentant la vierge et face à la particularité de la technique usitée et son effet d’incrustation, certains pèlerins auraient pu voir là la trace d’un miracle.
A plus de 700 ans de là et quelle que soit la validité de cette hypothèse, voici les paroles de cette Cantiga de Santa maria 29, accompagnées d’une traduction en français moderne, effectuée par nos soins.
La Cantiga de Santa Maria 29 : traduction
du galaïco-portugais au français moderne
Esta é como Santa Maria fez parecer nas pedras omages a ssa semellança.
Celle-ci (cette cantiga) conte comment Sainte-Marie fit apparaître sur des pierres des images à sa ressemblance (des images d’elles).
Nas mentes sempre tẽer
devemo-las sas feituras
da Virgen, pois receber
as foron as pedras duras.
Dans nos esprits, toujours nous
Devons garder les prouesses* (actions, œuvres ?)
De la vierge car elles furent
Gravées sur des pierres dures.
Per quant’ eu dizer oý
a muitos que foron i,
na santa Gessemani
foron achadas figuras
da Madre de Déus, assi
que non foron de pinturas.
Nas mentes sempre tẽer …
Parce que j’ai entendu dire
Par de nombreuses personnes qui allèrent là bas
En la Sainte Gethsémani
Qu’on y a trouvé des images
De la mère de Dieu, telles
Qu’elles n’étaient pas des peintures.
Refrain…
Nen ar entalladas non
foron, se Déus me perdôn,
e avia y fayçôn
da Sennor das aposturas
con séu Fill’, e per razôn
feitas ben per sas mesuras.
Nas mentes sempre tẽer …
Elles n’avaient pas non plus été sculptées,
Et, que Dieu me pardonne,
On y voyait les traits
Et l’élégance de la dame
Avec son fils, et elles étaient bien faites,
Avec raison et de justes mesures (dimensions, proportions).
Refrain…
Porên as resprandecer
fez tan muit’ e parecer,
per que devemos creer
que é Sennor das naturas,
que nas cousas á poder
de fazer craras d’ escuras.
Nas mentes sempre tẽer …
Par conséquent, il (Dieu) les fit resplendir
Et apparaître de manière si parfaite
Que nous devons croire
Qu’elle est la dame de la nature
Qui, sur les choses, a le pouvoir
De changer l’obscurité en clarté.
Refrain…
Déus x’ as quise figurar
en pédra por nos mostrar
que a ssa Madre onrrar
deven todas creaturas,
pois deceu carne fillar
en ela das sas alturas.
Nas mentes sempre tẽer …
Dieu voulut la figurer
Sur la pierre pour nous montrer
Que toutes les créatures
Doivent prier sa mère
Car il est descendu pour s’incarner
En elle, depuis les hauteurs (le ciel).
Refrain…
Retrouvez ici l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites, commentées, et présentées par les plus grands ensembles de musique médiévale.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.