Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, Espagne médiévale. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Compilateur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 7 « Santa Maria amar » Interprètes : Ensemble Apotropaïk Concert : Générations France Musique (2019)
Bonjour à tous,
Au XIIIe siècle, à la cour d’Alphonse X de Castille, on compile et on réunit des miracles et des chants autour du culte marial. L’œuvre et le corpus prendront le nom des Cantigas de Santa Maria. Sur moyenagepassion, nous sommes partis en quête de ces œuvres depuis quelques années. Comme elles sont originellement en galaïco-portugais, nous nous efforçons de les commenter et de les traduire. Nous en profitons, au passage, pour vous présenter de grands ensembles de la scène médiévale actuelle qui se sont attelés à leur interprétation.
La Cantiga de Santa Maria 7 ou l’absolution d’une abbesse piégée par le démon
Nous vous avons présenté cette cantiga de Santa Maria 7, dans le détail, il y a déjà quelque temps. Pour en redire un mot, ce miracle relate l’histoire d’une abbesse. Poussée à la faute par le diable nous dit la Cantiga, cette dernière s’était retrouvée enceinte de son intendant, un homme de Bologne.
Bientôt, la religieuse fut dénoncée auprès de l’évêque par ses nonnes empressées d’infliger une leçon à leur supérieure. Le dignitaire se déplaça donc pour la confondre, mais c’était sans compter sur l’apparition de la vierge à laquelle l’abbesse était particulièrement dévote. La sainte répondit, en effet, à ses appels de détresse et apparut pour la délivrer en songe de l’enfant qui fut envoyé à Soissons afin d’y être élevé. La religieuse s’éveilla donc, blanche comme neige et innocente comme au premier jour. Pour conclure, le chant marial nous conte que l’évêque n’ayant rien trouvé en l’examinant, il n’eut d’autres choix que de laisser tomber toute charge contre elle, non sans avoir blâmé au passage les nonnes accusatrices.
Aujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle interprétation de cette cantiga par l’ensemble médiéval Apotropaïk. Nous vous avions déjà présenté cette jeune formation, à l’occasion d’un concert donné au Musée de Cluny en 2018. C’est avec plaisir que nous la retrouvons, cette fois, dans le cadre d’un programme-événement Générations France Musique, le live organisé par France Musique en janvier 2019. La valeur n’attend pas le nombre des années, dit l’adage. Clémence Niclas et ses complices font justice à cette pièce médiévale en la servant avec tout le sérieux et le talent qu’on pouvait en attendre.
Membres de l’Ensemble Apotropaïk : Clémence Niclas (voix), Marie-Domitille Murez (harpe gothique), Louise Bouedo-Mallet (vièle), Clément Stagnol (luth)
Vous pouvez retrouver le détail de la Cantiga de Santa Maria 7, en galaïco-portugais, ainsi que sa traduction en français moderne à la page suivante : la cantiga de Santa Maria 7 par le menu.
En vous souhaitant une belle journée! Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, Sainte vierge, démon Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : CSM 74 «Quen Santa Maria quiser deffender» Interprète : Discantus – Brigitte Lesne Album : Santa Maria, chants à la vierge … (2016)
Bonjour à tous,
ienvenue au cœur du XIIIe siècle, à la découverte des cantigas de Santa Maria. Ce grand corpus de miracles et de louanges chantés fut compilé, au Moyen Âge central, par le sage et lettré Alphonse X de Castille. Nous en avons déjà étudié un certain nombre et nous vous proposons, cette fois-ci, de découvrir la Cantiga 74 : commentaire, sources, traduction, à l’habitude, nous en ferons le tour complet avec, en prime, aujourd’hui, l’interprétation du bel ensemble médiéval Discantus que nous en profiterons pour vous présenter.
Le miracle de la Cantiga de Santa Maria 74
Aux sources manuscrites
On trouve les cantigas de Santa Maria dans plusieurs manuscrits d’époque. Ils sont au nombre de 4. Le plus connu est, sans doute, le Ms. T.j.I (« E2 ») Códice Rico. Conservé à la Bibliothèque de l’Escorial, c’est aussi l’un des manuscrits les mieux illustrés (images et enluminures plus bas dans cet article).
Pour varier un peu, nous vous proposons de découvrir, aujourd’hui, un manuscrit médiéval encore plus ancien. C’est même le plus daté des 4. Il s’agit du codex Ms. 10069, connu encore sous le nom de Códice de Toledo (TO), et conservé actuellement à la Bibliothèque Nationale de Madrid (il est consultable en ligne ici). Demeuré longtemps à la cathédrale de Tolède, ce manuscrit médiéval, daté de la première moitié du XIIIe siècle, contient sur quelques 160 feuillets, plus de 100 miracles annotés musicalement ainsi qu’un peu plus d’une vingtaine d’autres compositions. Sur l’image ci-dessus, vous retrouverez la cantiga du jour et sa partition d’époque.
La vierge au secours d’un peintre d’église
L’histoire de la Cantiga de Santa Maria 74 relate un miracle. Ici, l’art et les représentations religieuses sont, d’abord, en question. Le pouvoir en bien de l’image de la vierge traverse le corpus des cantigas. C’est un thème récurrent que nous avons approché à plusieurs reprises : statue ou image de la vierge qui se met à parler, pain que l’on tend à une représentation de l’enfant Jésus et qui ouvre, au donateur, les portes du Paradis, lettres au nom de Sainte Marie qui protègent celui qui les écrit, image d’elle retrouvée dans le cœur d’une croyante, etc… Bref, dans ces chansons mariales du XIIIe siècle, ce ne sont pas les exemples qui manquent de foi et de dévotion qui transitent par l’intermédiaire de l’iconographie et donnent lieu à des miracles. La cantiga du jour en est un autre exemple.
Art et iconographie religieuse : médiateurs entre le réel, le surnaturel ou le spirituel
Cette fois-ci, le procédé s’applique un peu d’une autre manière et il est intéressant de voir que le pouvoir de la représentation (prêté habituellement à l’image de la sainte ou de l’enfant Christ), peut également déclencher des effets (dans la réalité) quand la représentation porte sur le mal plutôt que sur le bien. L’art ou l’imagerie sacrée et religieuse auraient-ils le pouvoir de faire bouger toutes les lignes du naturel au surnaturel ? Cette cantiga semble s’y accorder. Et comme il pourra plaire à la Sainte d’être représentée avec foi et application, cette fois-ci, c’est le diable qui viendra s’offusquer du contraire. Piqué au vif, il viendra même se manifester à l’artiste peintre, dans un accès de cabotinage, en le menaçant des pires représailles.
Le peintre au cœur de la bataille du bien et du mal
Ainsi, franchissant les barrières de l’invisible, le démon engagera le dialogue avec l’homme. Devant la détermination de celui-ci à ne pas changer son pinceau d’épaule, le démon tentera même de se venger mortellement du mauvais traitement visuel que le peintre d’église lui aura réservé. C’est dire toute l’importance de la représentation artistique sur le monde surnaturel. Mais les efforts du démon resteront vains : il aura beau déchainer les éléments, ce sera sans compter sur l’intercession de la Sainte Mère. En se dressant comme un rempart entre le mal et le peintre dévot, elle sauvera l’homme d’une terrible chute, en se servant du pinceau pour défier la gravité, de manière miraculeuse.
A plusieurs reprises, la cantiga ne manquera pas d’insister sur le fait que notre artiste mettait toujours beaucoup d’application à représenter Marie dans toute sa splendeur. Plus qu’un simple outil, le pinceau est ici le symbole de la médiation de sa grande foi, autant que de sa dévotion et c’est aussi ce par quoi le miracle arrive.
Apparitions du diable au Moyen Âge
Nous avons déjà croisé le Diable, à plusieurs reprises, dans notre étude des Cantigas de Santa Maria. Dans la Cantiga 26, notamment, il apparaissait, physiquement, à un pèlerin de Compostelle, sous une forme trompeuse. Il parvenait même à le duper mortellement. Comme dans le corpus des Cantigas, le Démon se manifestera, de manière croissante, au Moyen Âge central. En prenant les formes les plus diverses – invisibles, oniriques, jusqu’aux plus matérielles et personnifiées-, il viendra ainsi menacer, tromper ou tenter les hommes médiévaux, hantant de sa présence leurs imaginations comme leur quotidien ( à ce propos, voir citation de Jacques le Goff ou encore cet article sur les manifestations du diable au Moyen Âge ).
L’ensemble Discantus
Discantus est un ensemble vocal féminin spécialisé dans les musiques anciennes dont le répertoire s’étend du Moyen Âge à des musiques plus renaissantes. Cette formation a vu le jour dans les débuts des années 90, sous l’impulsion et la direction de Brigitte Lesne.
La réputation de cette grande voix et directrice française n’est plus à faire sur la scène des musiques médiévales et anciennes. Formée notamment à la Schola Cantorum Basiliensisde Bâle et très attachée au Centre de Musique Médiévale de Paris, elle a contribué avec Pierre Hamon, à la formation de l’Ensemble médiéval de Paris, devenu la célèbre formation Alla Francesca. Au long de sa carrière de renommée mondiale, on a pu la retrouver également en collaboration avec d’autres ensembles, mais aussi dans des productions solo.
Discographie et programmes
A l’image de sa directrice, l’ensemble Discantus a poursuivi, depuis sa création, une carrière de dimension internationale avec des concerts donnés sur tous les continents. Leur discographie affiche 17 CDs et des programmes qui s’épanchent, volontiers, du côté des chants polyphoniques et des musiques sacrées du Moyen Âge : Ars antiqua, chants grégoriens et mise à jour de pièces des premiers manuscrits du Moyen Âge central. Les albums sont le fruit de recherches ethnomusicologiques poussées, et on y trouvera même des compositions sur mesure et originales ou encore des chansons de pèlerins plus contemporaines. Pour en savoir plus sur cet ensemble et suivre son actualité, vous pouvez consulter le site du Centre de Musique Médiévale de Paris.
L’album : Santa Maria, chants à la vierge dans l’Espagne du XIIIe siècle
C’est en 2016 que fut proposé, au public, l’album « Santa Maria, chants à la vierge dans l’Espagne du XIIIe siècle« . Sur un peu plus d’un heure d’écoute, il propose un voyage à la découverte de 17 pièces mariales médiévales. Ces dernières ne sont pas toutes issues directement du corpus d’Alphonse le savant, loin de là même.
On y retrouve 7 cantigas de Santa maria ; les dix autres pièces se distribuent entre compositions et chants anonymes en provenance de manuscrits variés (dont le Codex de las Huelgas). On y découvre encore quelques signatures d’auteurs comme Adam de Saint-Victor et des troubadours occitans comme Folquet de Lunel, ou Guiraut Riquier qui se tinrent, un temps, durant cette période, à la cour d’Espagne. Edité chez Bayard Musique, cet album peut encore être trouvé à la vente. Voici un lien utile pour plus d’informations à ce sujet : Santa Maria, chants à la vièrge dans l’Espagne du XIIIe, ensemble Discantus.
Musiciennes ayant participé à cet album
Brigitte Lesne ( direction, conception, chant, cloches à main, harpe-psaltérion, percussions), Vivabiancaluna Biffi (chant, vièle à archet, cloches à main), Christel Boiron, Hélène Decarpignies, Caroline Magalhaes, Lucie Jolivet (chant, cloches à main), Catherine Sergent (chant, psaltérion, cloches à main)
La Cantigas de Santa Maria 74 Du galaïco-portugais au français moderne
Como Santa María guareceu o pintor que o démo quiséra matar porque o pintava feo.
Comment Sainte Marie sauva le peintre que le démon voulait tuer parce qu’il le peignait laid (et à son désavantage).
Quen Santa Maria quiser defender Non lle pod’ o demo niun mal fazer.
(Refrain)Le démon ne peut faire aucun mal A celui que Sainte Marie veut défendre.
E dest’un miragre vos quero contar de como Santa Maria quis guardar un seu pintor que punnava de pintar ela muy fremos’ a todo seu poder.
Et c’est de ce miracle que je veux vous conter De comment Santa Maria voulut protéger Un de ses peintres qui tentait de la peindre très belle, et de tout son pouvoir. (Refrain)
E ao demo mais feo d’outra ren pintava el sempr’; e o demo poren lle disse: « Por que me tees en desden, ou por que me fazes tan mal pareçer
Quant au démon, il le peignait toujours plus laid que tout: et, pour cette raison, le démon lui dit : « Pourquoi me voues-tu un tel mépris (dédain) Et pourquoi me fais-tu paraître de manière si laide (Refrain)
A quantos me veen? » E el diss’ enton: « Esto que ch’ eu faço é con gran razon, ca tu sempre mal fazes, e do ben non te queres per nulla ren entrameter ».
A ceux qui me voient ? » Sur quoi le peintre lui répondit : « Ce que je fais là, je le fais avec grande raison, Car tu fais toujours le mal, et de faire le bien, Tu ne veux, jamais et en rien, te mêler. » (Refrain)
Pois est’ houve dit’, o démo s’assannou e o pintor fèrament’ amẽaçou de o matar, e carreira lle buscou per que o fezésse mui cedo morrer.
Quand cela fut dit, le démon s’irrita Et menaça durement le peintre De le tuer, et de chercher le moyen Pour le faire mourir au plus tôt. (Refrain)
Porend’ un dia o espreitou ali u estava pintando, com’ aprendi, a omagen da Virgen, segund’ oý, e punnava de a mui ben compõer,
Ainsi, un jour, le démon l’épiait Tandis qu’il était en train de peindre, comme je l’ai appris et selon ce que j’ai pu entendre, l’image de la vierge, Et qu’il s’efforçait de la composer de la plus belle manière, (Refrain)
Por que pareçesse mui fremos’ assaz. Mais enton o dem’ , en que todo mal jaz, trouxe tan gran vento como quando faz mui grandes torvões e que quer chover.
Afin qu’elle paraisse la plus belle possible. Mais alors, le démon, en qui tout le mal repose, Fit lever tel grand vent comme cela se produit En cas de grandes tempêtes et que la pluie va venir. (Refrain)
Pois aquel vento na igreja entrou, en quanto o pintor estava deitou en terra; mais el log’ a Virgen chamou, Madre de Deus, que o veéss’ acorrer.
Puis, ce vent entra dans l’église, Et alors que le peintre allait se retrouver projeté au sol, il parvint à appeler la vierge, Mère de Dieu, afin qu’elle vienne à son secours. (Refrain)
E ela logo tan toste ll’ acorreu e fez-lle que eno pinzel se soffreu con que pintava; e poren non caeu, nen lle pod’ o dem en ren enpeeçer.
Et suite à cela, elle accourut aussitôt Et fit en sorte qu’il put se soutenir au pinceau Avec lequel il peignait ; et grâce à cela, il ne tomba point Et aucun dommage d’aucune sorte ne lui survint. (Refrain)
E ao gran son que a madeira fez veeron as gentes logo dessa vez, e viron o demo mais negro ca pez Fugir da igreja u s’ ía perder.
Au grand bruit que fit l’échelle (l’échafaudage) en tombant Les gens accoururent sur le champ Et ils virent le démon, plus noir que poisson Fuir de l’église où il allait perdre (pour se perdre?) (Refrain)
E ar viron com’ estava o pintor colgado do pinzel; e poren loor deron aa Madre de Nostro Sennor, que aos seus quer na gran coita valer.
Et alors ils virent comment se tenait le peintre Accroché au pinceau : et suite à cela, Ils firent des louanges à la mère de notre Seigneur, Qui veut toujours secourir, les siens, avec grand soin.
Voilà pour cette cantiga et ce beau miracle marial du Moyen Âge central, mes amis. Au passage, si les diableries sur fond médiéval vous intéressent, notre romanFrères devant Dieu ou la Tentation de l’Alchimiste est toujours disponible à la vente et en promotion.
Une très belle journée à tous. Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
PS : la vierge en oraison sur l’image d’en-tête est le détail d’une peinture de Jean Bourdichon (fin du XVe, début du XVIe siècle)
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, sauvetage, croisades, Saint-Louis, De Joinville Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 193 « Sobelos fondos do mar » Ensemble : Sequentia Album : Songs for King Alfonso X of Castille and León (1991)
Bonjour à tous,
ans la continuité de nos articles sur le culte marial dans l’Europe médiévale du Moyen Âge central, voici un nouveau récit de miracle tiré du corpus du roi Alphonse X de Castille. Il s’agit cette fois de la Cantiga de Santa Maria 193.
La vierge et son manteau contre les éléments
Au Moyen Âge, il n’est pas d’éléments terrestres qui puissent arrêter les miracle de la vierge. Des profondeurs des mers jusqu’aux plus hauts sommets, elle peut, en effet, intercéder en faveur de ceux qui la prient et ont foi en elle, et lever tous les obstacles.
Le récit de la Cantiga 193 porte sur un sauvetage en mer miraculeux. L’histoire se déroule durant ce qui semble être la première croisade de Saint-Louis. Le poète nous conte qu’un marchand fortuné se tenait sur un navire de la large flotte. L’homme était visiblement entouré de mauvaise compagnie puisqu’il fut jeté par dessus bord par l’équipage qui voulut lui dérober ses biens pour les dépenser à la guerre. Quoiqu’il en soit, la vierge intervint et déploya un voile blanc (un drap, un tissu, ailleurs il sera question de son manteau) entre l’homme et les eaux afin qu’il ne fut pas noyé. Quelque temps plus tard, survint une autre nef qui tira l’homme d’affaire. Suite au miracle, il décida qu’il se joindrait à la guerre et tous louèrent la Sainte pour son intervention.
La version de la Cantiga de Santa Maria 193 par Sequentia
Les Cantigas de Santa Maria par Sequentia
En 1991, l’ensemble Sequentia fit, à son tour, un tribut aux célèbres cantigas d’Alphonse X. Enregistré en Suisse, l’album sortit l’année d’après sous le label Deutsche Harmonia Mundi. Il contient 18 pièces dont 13 cantigas et a pour titre : Songs for King Alfonso X of Castille and León (1221-1284). Pour plus de détails à son sujet voir : un chant de Louanges de Cantigas par Sequentia. Vous pouvez également vous procurer cet album au lien suivant : Sequentia performs Vox Iberica III by El Sabio. Quant à la formation de Benjamin Bagby et Barbara Thornton, vous la trouverez présentée ici : portrait de l’ensemble médiéval Sequentia
Aux origines de la Cantiga 193 :
un récit de Sire de Joinville ?
On trouve la trace de miracles semblables à celui de la Cantiga 193 dans des sources diverses. Pour la plupart d’entre eux, ils portent toutefois sur le sauvetage de plusieurs pèlerins de la noyade par l’intervention de la Sainte. (Les Collections De Miracles De La Vierge en Gallo et Ibéro-Roman au XIII Siècle, Paule V. Bétérous, 1993). Autour de 1248-1250, un récit de Sire de Joinville a pu également inspirer le souverain d’Espagne. L’histoire conte, en effet, un miracle ayant de troublantes correspondances avec celui du roi espagnol, à ceci près qu’il s’agit d’une chute malencontreuse à la mer, et pas d’une tentative d’homicide. Dans Les mémoires de Saint-Louis de De Joinville, c’est aussi une des nefs royales qui secourut l’homme. La voici dans le détail, telle que traduite par Natalis de Wailly, en 1874 :
« 650. Une autre aventure nous advint en mer; car monseigneur Dragonet, riche homme de Provence, dormait le matin dans sa nef, qui était bien une lieue en avant de la nôtre, et il appela un sien écuyer et lui dit : « Va boucher cette ouverture, car le soleil me frappe au visage.» Celui-ci vit qu’il ne pouvait boucher l’ouverture s’il ne sortait de la nef: il sortit de la nef. Tandis qu’il allait boucher l’ouverture, le pied lui faillit, et il tomba dans l’eau, et cette nef n’avait pas de chaloupe, car la nef était petite : bientôt la nef fut loin. Nous qui étions sur la nef du roi, nous le vîmes, et nous pensions que c’était un paquet ou une barrique, parce que celui qui était tombé à l’eau ne songeait pas à s’aider.
651 . Une des galères du roi le recueillit et l’apporta en notre nef, là où il nous conta comment cela lui était advenu. Je lui demandai comment il se faisait qu’il ne songeait pas à s’aider pour se sauver, ni en nageant ni d’autre manière. Il me répondit qu’il n’était nulle nécessité ni besoin qu’il songeât à s’aider ; car sitôt qu’il commença à tomber, il se recommanda à Notre-Dame de Vauvert, et elle le soutint par les épaules dès qu’il tomba, jusques à tant que la galère du roi le recueillît. En l’honneur de ce miracle, je l’ai fait peindre à Joinville en ma chapelle, et sur les verrières de Blécourt. «
Jean Sire de Joinville Histoire de Saint Louis,
credo et lettre a Louis X, Natalis de Wailly (1874)
Contre ce récit miraculeux de Jehan de Joinville, et sous réserve que le roi d’Espagne s’en soit inspiré, on notera que la version de ce dernier ne met pas tellement à l’honneur la qualité de l’ost du roi de France et, encore moins, certains membres de sa flotte.
Les paroles de la Cantiga de Santa Maria 193
et approche de traduction française
Como Santa Maria guardou de morte u mercadeiro que deitaron no mar.
Comment Sainte-Marie sauva de la mort un marchand qu’on avait jeté à la mer.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra á poder Santa Maria, Madre do que tod’ ensserra.
Sur les profondeurs des mers et les plus hautes montagnes, Elle a tout pouvoir Sainte Marie, Mère de celui qui règne sur toute chose,
E daquest’ un gran miragre vos direi e verdadeiro, que fezo Santa Maria, Madre do Rei josticeiro, quand’ o Rei Lois de França a Tunez passou primeiro con gran gente per navio por fazer a mouros guerra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et, à ce propos, je vous conterai un grand et véritable miracle Que fit Sainte-Marie, Mère du Roi de Justice (Dieu, Jésus), Quand le roi Louis de France navigua vers la Tunisie Avec une grande armée pour faire la guerre contre les Maures.
En ha nave da oste, u gran gente maa ya, un mercador y andava que mui grand’ aver tragia; e porque soo entrara ontr’ aquela conpania, penssaron que o matassen pera despender na guerra
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Sur l’un des navires de son ost, où on comptait beaucoup de gens vils, voyageait un marchand qui avait avec lui une grande fortune. Et comme il s’était embarqué seul avec une telle compagnie Ceux-ci eurent l’idée de le tuer pour dépenser à la guerre
O aver que el levava. E [tal] conssello preseron que eno mar o deitassen, e un canto lle poseron odeito aa garganta e dentro con ele deron. Mais acorreu-ll[e] a Virgen que nunca errou nen erra,
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
toutes les richesses qu’il avait avec lui. Ils s’accordèrent
pour le jeter à la mer, et il lui attachèrent une pierre autour de son cou, et le jetèrent à l’eau. Mais la Vierge, qui n’a jamais commis de péchés et n’en commettra jamais, vint le secourir.
Que aly u o deitaron tan tost’ ela foi chegada e guardou-o de tal guisa, que sol non lli noziu nada o mar nen chegou a ele, esto foi cousa provada; ca o que en ela fia, en ssa mercee non erra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Ainsi, elle vint aussitôt à l’endroit où ils l’avaient noyé et le protégea de sorte que la mer ne lui fit aucun mal et ne le toucha même pas. C’est là une chose admise, que, dans sa miséricorde, elle n’abandonne jamais ceux qui ont foi en elle.
E ele ali jazendo u o a Virgen guardava, a cabo de tercer dia outra nav’ y aportava; e un ome parou mentes da nav’ e vyu com’ estava aquel ome so a agua, e diz: «Mal aja tal guerra
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et l’homme resta couché là où la vierge le protégeait Et trois jours plus tard, un autre navire s’est approché Et un homme a arrêté le navire et en voyant comment se trouvait cet homme sous l’eau, il a dit : «Maudit soit une telle guerre
U assi os omes matan en com’ a este mataron.» E dando mui grandes vozes, os da nave ss’ y juntaron, e mostrou-lles aquel ome; e logo por el entraron e sacárono en vivo, en paz e sen outra guerra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Dans laquelle les hommes tuent comme ils tuèrent celui-ci.» Et comme il poussait de grands cris, ceux du navire le rejoignirent Et il leur montra cet homme ; et ensuite, ils entrèrent (sous les eaux) et l’en sortirent vivant, en paix et sans autres difficultés.
E poi-lo om’ a cabeça ouve da agua ben fora, catou logo os da nave e falou-lles essa ora e disse-lles: «Ai, amigos, tirade-me sen demora daqui u me deitou gente maa que ameud’ erra.»
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et quand l’homme eut la tête bien hors de l’eau, Il vit alors ceux du navire et leur fit cette supplique, et leur dit : « Ah, mes amis, tirez-moi sans tarder de là où m’ont jeté ces mauvaises gens qui aiment faire du tord (pêcher)« .
Quando os da nav’ oyron falar, espanto prenderon, ca tian que mort’ era; mais pois lo ben connoceron e lles el ouve contado como o no mar meteron, disseron: «Mal aja gente que contra Deus tan muit’ erra.»
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Quand ceux du navire l’entendirent parler, ils furent pris de terreur car ils pensaient qu’il était mort ; mais ils le connaissaient bien et en l’entendant conter comment on l’avait jeté à l’eau, ils dirent : » Bien mauvaises gens qui contre Dieu agissent à si grand tort »
E depois lles ar contava como sempre as vigias el jajava da Virgen e guardava os seus dias; e porend’ o guardou ela e feze-lle no mar vias que o non tangess’ a agua e lle non fezesse guerra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et ensuite il leur a conté comment toujours il gardait Le jeûne pour la Vierge et célébrait ses fêtes : Et c’est pour cela qu’elle le protégeait et le faisait sur les voies maritimes Pour qu’il ne tombe pas à l’eau et qu’on ne lui fasse pas la guerre.
«E porque entendeu ela que prendera eu engano, log’ entre mi e as aguas pos com’ en guisa de pano branco, que me guardou senpre, per que non recebi dano; poren por servir a ela seerei en esta guerra.»
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et parce qu’elle a compris qu’on m’avait trompé Alors, entre moi et les eaux, elle a posé, comme un drap (tissu) Blanc, qui m’a protégé sans cesse, afin que je ne sois pas blessé; Aussi, pour la servir, je participerais à cette guerre.
Quando os da nav’ oyron esto, mui grandes loores deron a Santa Maria, que é Sennor das sennores; e pois foron eno porto, acharon os traedores e fezeron justiça-los como quen atan muit’ erra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Quand ceux des navires entendirent cela, de très grandes louanges Ils firent à Sainte Marie, qui est la dame d’entre les dames : Et puis ils allèrent au port, livrer les traîtres Et leur firent justice comme on le fait à ceux qui agissent mal.
Poi-la jostiça fezeron, o mercador entregado foi de quanto lle fillaran quando foi no mar deitado; e el dali adeante sempre serviu de grado a Virgen Santa Maria sen faliment’ e sen erra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Lorsque le châtiment fut appliqué, le marchand retrouva tout ce qu’ils lui avaient pris avant de le jeter à la mer. Et lui, à partir de ce jour, servit toujours de bon gré La Sainte-Vierge sans faille et sans péchés.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin, Gethsémani Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 29 « Nas mentes sempre teer » Ensemble : Micrologus Album : Madre de Deus (1998)
Bonjour à tous,
u cour de nos nombreuses pérégrinations autour du Moyen Âge, nous avons entrepris, il y a quelque temps, l’exploration et la traduction des Cantigas de Santa Maria. Rédigés en galaïco-portugais, ces chants dévots du XIIIe siècle furent compilés, et peut-être même écrits pour certains, de la main du roi Alphonse X de Castille. Un grand nombre d’entre eux ont trouvé leur inspiration dans les récits de miracles liés au culte marial qui circulaient alors en Espagne et même au delà. Certains provenaient d’ouvrages écrits par divers religieux, d’autres plus directement de récits de pèlerins.
La cantiga 29 ou l’apparition de l’image
de la vierge sur une pierre
Aujourd’hui, nous nous penchons sur la Cantiga de Santa Maria 29. Il s’agit donc d’un nouveau récit de miracle. Il conte l’apparition miraculeuse d’un image de la vierge à l’enfant sur une « pierre » et se réfère à un récit de pèlerins s’étant rendu à Gethsémani. Nous tenterons de jeter quelques lumières sur tout cela. Pour illustrer cette présentation, nous vous proposons également l’interprétation de ce chant marial par l’ensemble italien Micrologus dirigé par la talentueuse Patrizia Bovi.
La Cantiga de Santa Maria 29 par l’Ensemble Micrologus
Les cantigas d’Alphonse X par Micrologus
Si l’on peut trouver la pièce du jour sur la chaîne Youtube de Micrologus, elle provient d’une production de l’ensemble médiéval, datée de 1998 et dédiée aux Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Intitulé Madre de Deus, l’album présente quinze cantigas. On le trouve disponible à la vente en ligne sous forme CD et même sous forme de fichiers MP3. Lien utile : Madre de Deus, Cantigas de Santa Maria.
Pour en apprendre plus sur cette formation médiévale italienne, vous pouvez également consulter l’article suivant : portrait de Micrologus.
La vierge de Gethsémani : aux origines de la cantiga de Santa Maria 29
Dans les Évangiles, Gethsémani est désigné comme le lieu de la dernière cène. Avec le temps, on l’a associé à plusieurs endroits. Situé à l’est de Jérusalem, il peut désigner le mont des Oliviers ou, de manière plus spécifique, son jardin ou même encore la grotte de Gethsémani qui se situe non loin. En l’occurrence et dans la cantiga de Santa Maria 29, il est vraisemblablement fait référence à l’église du sépulcre de la Sainte Vierge. Suivant le récit ayant inspiré ce chant, c’est, en effet, à l’intérieur du tombeau supposé de Marie et sur une de ses colonnes, que se trouvaient les représentations dont l’auteur nous conte qu’elles n’étaient ni des peintures, ni des sculptures, mais des apparitions miraculeuses.
Le Liber Mariae de Juan Gil de Zamora
Ci-contre, miniature du
Manuscrit médiéval MS T.I 1
de la Biblioteca del Monasterio
de El Escorial, Madrid
D’après les sources, la datation de ce miracle est contemporaine de l’Espagne d’Alphonse X. Il est toujours possible qu’elle soit antérieure, mais, factuellement, on le retrouve dans le Liber Mariae du franciscain Juan Gil de Zamora (1241(?)-1318). Secrétaire du roi et tuteur de son fils Sancho, l’homme était lui-même un érudit. Il collabora aux différentes œuvres du monarque espagnol et, entre les nombreux ouvrages qu’il a légués, son Liber Mariae, compilation de divers récits de miracles mariaux, a, semble-t-il, compté pour la rédaction des Cantigas de Santa Maria.
Hypothèse de médiévistes sur la cantiga 29
Deux historiens américains, spécialisés dans la littérature médiévale espagnole et contemporains du XXe siècle, se sont penchés sur le miracle de la Cantiga 29 (Keller John Esten and Richard P. Kinkade, Myth and Reality in the Miracle of Cantiga 29, la Corónica, 1999). De leurs côtés, ils ont rattaché l’origine possible de ce récit à la Basilique de la Nativité de Bethléem, elle-même sur la route des pèlerinages. On aurait trouvé, en effet, sur les colonnes de cette dernière, des images peintes, dont notamment une de la vierge à l’enfant. Ces peintures ont été datées de 1130 et la technique utilisée pour les exécuter aurait été particulièrement novatrice pour l’époque ; elle permettait, en effet, de peindre sur le marbre préalablement poli. Selon ces deux auteurs, plus d’un siècle après l’exécution de cette oeuvre représentant la vierge et face à la particularité de la technique usitée et son effet d’incrustation, certains pèlerins auraient pu voir là la trace d’un miracle.
A plus de 700 ans de là et quelle que soit la validité de cette hypothèse, voici les paroles de cette Cantiga de Santa maria 29, accompagnées d’une traduction en français moderne, effectuée par nos soins.
La Cantiga de Santa Maria 29 : traduction
du galaïco-portugais au français moderne
Esta é como Santa Maria fez parecer nas pedras omages a ssa semellança.
Celle-ci (cette cantiga) conte comment Sainte-Marie fit apparaître sur des pierres des images à sa ressemblance (des images d’elles).
Nas mentes sempre tẽer devemo-las sas feituras da Virgen, pois receber as foron as pedras duras.
Dans nos esprits, toujours nous Devons garder les prouesses* (actions, œuvres ?) De la vierge car elles furent Gravées sur des pierres dures.
Per quant’ eu dizer oý a muitos que foron i, na santa Gessemani foron achadas figuras da Madre de Déus, assi que non foron de pinturas.
Nas mentes sempre tẽer …
Parce que j’ai entendu dire Par de nombreuses personnes qui allèrent là bas En la Sainte Gethsémani Qu’on y a trouvé des images De la mère de Dieu, telles Qu’elles n’étaient pas des peintures.
Refrain…
Nen ar entalladas non foron, se Déus me perdôn, e avia y fayçôn da Sennor das aposturas con séu Fill’, e per razôn feitas ben per sas mesuras.
Nas mentes sempre tẽer …
Elles n’avaient pas non plus été sculptées, Et, que Dieu me pardonne, On y voyait les traits Et l’élégance de la dame Avec son fils, et elles étaient bien faites,
Avec raison et de justes mesures (dimensions, proportions).
Refrain…
Porên as resprandecer fez tan muit’ e parecer, per que devemos creer que é Sennor das naturas, que nas cousas á poder de fazer craras d’ escuras.
Nas mentes sempre tẽer …
Par conséquent, il (Dieu) les fit resplendir Et apparaître de manière si parfaite Que nous devons croire Qu’elle est la dame de la nature Qui, sur les choses, a le pouvoir De changer l’obscurité en clarté.
Refrain…
Déus x’ as quise figurar en pédra por nos mostrar que a ssa Madre onrrar deven todas creaturas, pois deceu carne fillar en ela das sas alturas.
Nas mentes sempre tẽer …
Dieu voulut la figurer Sur la pierre pour nous montrer Que toutes les créatures
Doivent prier sa mère Car il est descendu pour s’incarner En elle, depuis les hauteurs (le ciel).