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Humour anglais et Moyen Âge : Bon Anniversaire Mister John Cleese !

Affiche du film Sacré Graal des Monty Python

Sujet : humour, légendes arthuriennes,  roi Arthur, extraits, citations, cinéma,  médiéval  fantaisie, idées reçues, roman arthurien, non sens, sorcières.
Titre : Sacré Graal (the Holy Grail)
Période haut Moyen Âge, Moyen Âge central
Réalisation : 
Les Monty Python  ( 1975)

Bon Anniversaire Mister John Cleese,

e plus grand des Monty Python par la taille (1m96) vient de souffler ses 83 bougies. Les réseaux le célèbrent déjà largement et nous avons décidé d’en saisir, nous aussi, l’occasion. Moyen-Âge oblige, c’est avec le film Sacré Graal qu’il nous est apparu le plus logique de le faire mais la carrière du géant anglais est bien loin de se limiter à ce titre et nous ne pouvons éviter d’en dire un mot.

Le génie comique à l’état pur

On a connu John Cleese impayable dans de nombreux sketches des Monty Python : ses géniales « démarches stupides » (Silly Walks) datés du Flying Circus sont restées légendaires, de même que son habilité au « Fish Slap » ou ses recrutements totalement absurdes. Et dans les long métrages de la joyeuse bande de comiques anglais, il n’est pas une seule scène où l’acteur anglais n’apparaisse sans que sa force comique crève l’écran.

Dans les années 70, les inconditionnels de la série Fawlty Towers (l’hôtel en Folie) n’auront pas oublié, non plus, Basil Fawlty, ce propriétaire furieusement drôle d’un petit hôtel anglais, avec ses terribles gaffes et son impayable maître d’hôtel espagnol Manuel qu’il moleste au delà de toutes règles de décence. John Cleese créa la série avec son épouse d’alors Connie Booth qui y incarne Polly Sherman, la jeune et jolie serveuse et femme de chambre de l’hôtel. De 1975 a 79 fit un tabac et est même entré » depuis au Panthéon des meilleurs programmes télévisés anglais de tous les temps.

On l’avait déjà détecté quand il se trouvait chez les Monty Python mais, si l’on osait une comparaison, avec Fawlty Towers, John Cleese est devenu à l’humour anglais ce que Louis de Funès avait pu être au comique français : un génie comique, explosif, énergique, physique et remuant qui est d’autant plus drôle qu’il est colérique et impitoyable.

Ecriture, acting, l’après Monty Python

John Cleese en Lancelot du Lac, dans Sacré Graal des Monty Python (1975)
John Cleese en Lancelot du Lac dans sacré Graal des Monty Python (1975)

Pour avancer sur la carrière de l’acteur-auteur anglais et citer encore quelques références dans sa filmographie, comment oublier ce Poisson nommé Wanda réalisé par Charles Crichton et dont John Cleese avait coécrit le scénario ? Ce dernier en sortira d’ailleurs avec un British Academy Film Awards. En terme d’écriture, ce n’est pas le seul scénario qu’il aura épinglé à sa boutonnière puisque il en a co-écrit un certain nombre avec les Monty dont Sacré Graal, bien sûr, mais bien encore d’autres en solo. Non content d’être bon, John Cleese est aussi une valeur qui dure.

Depuis les années 90, on l’a encore vu dans un grand nombre de films (La panthère rose 2, Harry Potter à l’école des sorciers, Fierce Creatures dont il signe le scénario, …) et il aura encore prêté sa voix off à des films d’animation et même à des jeux vidéos (Jasper dans Fable III ou Sir Cadwell dans The Elder Scrolls Online en autres titres). Plus récemment, dans les années 2015, on l’a vu sur scène et sur écran avec ses complices des débuts, les Monty Python (Monty Python Live (Mostly): One Down, Five to Go – le one down étant Graham Chapman décédé en 1989). Quant à son actualité plus récente, il continue de faire des apparitions dans des films plus récents et il est assez actif sur les réseaux.

Drôle dans la vie comme à l’écran

Pour finir sur une ou deux anecdotes qui montrent que John Cleese est toujours aussi drôle dans la vie qu’au cinéma, on pourra citer son statut Facebook : « John Cleese est une personne de grande taille qui aime les lémuriens, le café et le vin. Il est aussi connu pour écrire. » ou même encore se souvenir que, dans les années 70’s, il a même volontairement caviardé sa filmographie avec des titres de longs métrages aussi nonsensiques que « Confessions d’un planificateur » (Confessions of a Programme Planner). Il n’a confessé ce dernier gag que, bien plus tard dans les années 80 et, pendant tout ce temps, en a ri sous cape.

Quoi qu’il en soit, entre une si belle carrière et sa capacité à rire de tout (y compris de lui-même), il semble que John Cleese ait trouvé là son véritable graal. Nous lui souhaitons, à nouveau, un bel anniversaire et nous vous laissons avec une scène culte du film Sacré Graal pour lui rendre hommage.

La scène culte de la sorcière dans Sacré Graal

Pour ceux qui l’ont vu, Sacré Graal des Monty Python est un empilement de scènes cultes. Avec ce film, comme avec la Vie de Brian on est à l’apogée de l’art comique et du non sens anglais des Monty Python. Chose que l’on perçoit mal de nos jours, s’attaquer aux légendes arthuriennes avec cet humour totalement décalée n’alla pas sans provoquer, en son temps, quelques remous dans la bien-pensance britannique. Il aura sans doute fallu ce Sacré Graal pour que, deux décennies plus tard, Alexandre Astier décide de se pencher sur l’écriture et la réalisation de la série Télé Kaamelott en s’inspirant, à son tour, du roman arthurien. Lui-même n’a d’ailleurs jamais renié une partie de son héritage comique du côté des Monty.

Les villageois : Nous tenons une sorcière. Brûlons-là ! Brûlons-là !
Ils la présentent au chevalier Bédivère.
Villageois 1 (Eric Idle) : Nous avons trouvé une sorcière et, maintenant, on doit la brûler !
Les villageois : Brûlons-là ! Brûlons-là !
Bédivère : Comment savez-vous que c’est une sorcière ?
Les villageois : Elle ressemble à une sorcière !
Bédivère : Amenez-la moi.
La suspecte : Je ne suis pas une sorcière !
Bédivère : Mais vous paraissez bien en être une…
La sorcière : Ce sont eux qui m’ont habillée comme ça.
Les villageois protestent.
La sorcière : Et ceci n’est pas mon nez ! C’est un faux !
Bédivère (à la foule) : Alors ?
Villageois 1 (Eric Idle) : Bon, pour le nez, d’accord, on l’a fait.
Bédivère : Le nez ?
Villageois 1 (Eric Idle) : Et le chapeau… Mais c’est une sorcière !
Les villageois : Brûlez-là ! Brûlez-là ! Brûlez-là !
Bédivère : Et c’est vous qui l’avez déguisée comme ça ?
Les villageois : Non, non, Non ! … Oui, un peu… Mais elle a une verrue.
Bédivère : Qu’est-ce qui vous fait penser qu’elle est une sorcière ?
Villageois 2 (John Cleese) : Oh ! Elle m’a transformé en salamandre.
Bédivère : En salamandre ???!!!!!
Villageois 2 (John Cleese) : … Je vais mieux depuis.

Les villageois : Brûlez-là ! Brûlez-là ! Brûlez-là !
Bédivère : Du calme ! Du calme. Il y existe des moyens qui permettent de savoir si c’est vraiment une sorcière.
Les villageois : C’est vrai ? Dites-nous comment !
Bédivère : Dites moi, que faites-vous avec les sorcières ?
Les villageois : On les brûle ! On les brûle !
Bédivère : Et que brûlez-vous en dehors des sorcières ?
Villageois 1 (Eric Idle) : Toutes les sorcières !
Villageois 3 (Michael Palin) : Le bois !
Bédivère : Bien. En ce cas, pourquoi les sorcières brûlent-elles ?
Les villageois cherchent et réfléchissent
Villageois 2 (John Cleese) : Parce qu’elles sont en bois !
Bédivère : Très bien ! Alors, comment savoir si elle est en bois ou non ?
Villageois 1 (Eric Idle) : En s’en servant pour fabriquer un pont !
Bédivère : Mais ne peut-on construire des ponts à partir de la pierre ?
Les villageois : Ah… Oui…
Bédivère : Est-ce que le bois coule dans l’eau ?
Villageois 1 (Eric Idle) : Non, il flotte ! Jetons-la dans la mare !
Les villageois clament leur approbation
Bédivère : Attendez ! Qu’est-ce qui flotte aussi dans l’eau ?
Villageois 3 (Michael Palin) : Le pain !… Les pommes !.…
Villageois 2 (John Cleese) : Des toutes petites pierres ?
Villageois 3 (Michael Palin) : La porcelaine ! Une bonne sauce !
Bédivère : Non…
Villageois 2 (John Cleese) : … Une église ? Le plomb ! le plomb !
Le Roi Arthur (Graham Chapman) qui, jusque là, observait la scène) : Un canard !
Bédivère : Exactement ! Un canard ! Donc logiquement. Si elle… ( il encourage les villageois à réfléchir)
Villageois 1 (Eric Idle) : … pèse le même poids qu’un canard… Elle…. Elle est fait en bois !
Bédivère : Et donc ?
Les villageois : une sorcière ! C’est une sorcière !
Bédivère : allons-y ! Utilisons la grande balance pour vérifier !
Clameur des villageois. La sorcière est mise dans la balance avec un canard de l’autre côté. Contre toute attente, la démonstration fonctionne. Elle et le canard font le même poids.
Les villageois l’emporte pour la brûler : Brûlons-la ! Brûlons-la !
La sorcière : ils m’ont bien eue.

Bédivère reconnait la sagesse du Roi Arthur basée sur son intervention (double dose de non-sens). 😀


Idées reçues sur le Moyen Âge

En reprenant nos articles sur la légende de l’inquisition médiévale et l’imagerie des bûchers de sorcières au Moyen-âge, les idées qu’on s’en fait habituellement se reportent à des faits bien plus sûrement renaissants que médiévaux. Toutefois, comme il s’agit des Monty Python et que la scène reste super drôle, on les pardonne bien volontiers d’enfoncer le clou d’une idée reçue. On le fait d’autant mieux que le raisonnement par analogie utilisé ici pour créer l’effet comique résonne de manière assez pertinente. En médecine médiévale, il n’est pas rare, en effet, qu’on l’utilise des déductions pour opérer à la prescription : formes ou couleurs d’un produit en relation aux humeurs qui permettraient d’obtenir des guérisons ou des améliorations d’état, analogie de la mandragore et du corps humain, etc…

On pourra encore ajouter que certaines formes d’ordalies pratiquées durant le Moyen-âge central (ordalie par le feu ou l’eau, … voir article) pour établir l’innocence ou la culpabilité d’un prévenu n’ont quelquefois pas grand chose à envier au procédé mis en avant ici par les Monty Python.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Les Grandes Dames de la Guerre de Cent ans (6): Isabelle de France, la Conquérante

Sujet : guerre de cent ans, monde médiéval, pouvoir féminin, nouveautés littéraires, portraits de femmes, chroniques.
Période : XVe siècle, Moyen Âge tardif
Portrait : Isabelle de France (1295-1358)
Auteur : Xavier Leloup
Ouvrage : Les Grandes Dames de la Guerre de Cent Ans, Editions la Ravinière (2022)


Préambule

Bonjour à tous,

n mars 2021, nous engagions avec Xavier Leloup, auteur de la saga historique Les trois pouvoirs, une série intitulée Les Grandes Dames de la Guerre de Cent ans. Dans le cours de cette même année, cette collaboration donna lieu à cinq chroniques sur le pouvoir médiéval au féminin ; leur succès fut alors immédiat auprès de nos lecteurs, mais aussi sur les réseaux sociaux sur lesquels elles furent partagées.

Depuis lors, moins de deux ans se sont écoulés et, pourtant, que de chemin parcouru ! D’auteur de romans historiques, Xavier Leloup est devenu éditeur. Fin 2021, il a ainsi créé La Ravinière, une maison spécialisée dans l’édition d’ouvrages et de fictions historiques avec le Moyen Âge comme période de prédilection. Nous l’avions d’ailleurs reçu en entretien pour qu’il nous parle de cette nouvelle aventure. Quelque temps plus tard, en juin 2022, il nous annonçait la sortie de deux nouveaux ouvrages : la réédition (qui serait bientôt saluée par la presse) d’une célèbre fiction médiévale : le Quentin Duward de Sir Walter Scott. Mais encore une nouveau livre signé de sa main et qui ne pouvait nous faire plus plaisir ; ce dernier ouvrage portait, en effet, le nom du cycle initié, ici-même, sur Les Grandes dames de la Guerre de Cent ans et se proposait d’en prolonger le thème.

Le livre Les grandes Dames de France de Xavier Leloup, 12 portraits de Femmes qui ont marqué l'histoire.

Sans surprise, à quelques mois de son lancement, ce livre sur les femmes de pouvoir qui ont marqué l’histoire du Moyen Âge tardif continue de faire la joie des libraires et des lecteurs de tous bords. Les chroniques dont nous avait originellement gratifié leur auteur, ont été largement remaniées pour faire la place à des portraits encore plus détaillés de nos héroïnes françaises ; sont venues également s’y ajouter de nombreuses autres histoires de femmes qui, chacune à leur manière, ont influencé l’histoire de France pendant ces siècles troublés.

Excellente nouvelle pour tous nos lecteurs. Aujourd’hui, pour renouer avec ce grand cycle et donner l’envie de se plonger dans cet ouvrage à tous ceux qui ne le connaitraient pas encore, nous vous proposons de découvrir le nouveau portrait d’une grande dame de la guerre de cent ans sous la plume de Xavier Leloup : celui d’Isabelle de France (1295-1358) et de son étonnant destin. Sans plus attendre, nous lui cédons donc le pas pour une nouvelle chronique tirée de son livre. Il s’agit même de celle qui ouvre le bal de l’ouvrage.

En vous souhaitant une belle lecture.
Frédéric Effe


Isabelle la Conquérante
une chronique de Xavier Leloup

Prenez une princesse fière et élégante, fille de l’un des plus grands rois capétiens. Puis mariez-la à un roi anglais des plus fantasques ayant un certain penchant pour les garçons. Vous aboutirez alors au fabuleux destin de la reine d’Angleterre Isabelle de France, la « louve », qui réussit à conquérir le royaume de son propre époux.

Enluminure médiévale : Isabelle de France, son armée, et l'exécution de Hugh Despenser
Isabelle de France & son armée avec en arrière plan le châtiment de Hugh Despenser –
Jean de Wavrin, Recueil des croniques d’Engleterre. British Library (Royal MS 15 E IV)

24 novembre 1326. Hereford, à l’ouest de l’Angleterre. Le sire Hugues Despenser, ancien favori du roi Edouard II, se voit lire la liste des griefs qui ont été retenus contre lui : crimes, attentat contre la reine, confiscation de ses biens, complots visant à la faire assassiner, mauvais traitements envers les veuves et les enfants des opposants à sa tyrannie.

Enluminure médiévale : l'exécution publique de Hugh Despenser, amant du roi Edouard II d'Angleterre
Exécution de Hugh Despenser, Ms Français 2643, BnF, Chroniques de Froissart (XVe s)

Les grands barons qui composent ce tribunal d’exception ne tardent pas à rendre leur jugement : c’est la peine de mort. Despenser sera pendu comme un voleur, écartelé comme un traître, décapité comme un rebelle, ses entrailles seront arrachées et brûlées. Mais le condamné devra d’abord parcourir les rues de la ville, nu et couronné d’orties, sous les huées. Puis on l’attache à une claie tirée par des chevaux qui vont le conduire à la place du marché. Là, il est pendu à une grande échelle par un nœud coulant passé autour de son cou. « Et quand il fut ainsi lié », décrit Jean Froissard dans ses Chroniques, « on lui coupa en premier le vit [le pénis] et les couilles comme hérétique et sodomite, ainsi que l’on disait aussi du roi. Et pour avoir fait se quereller le roi et la reine et l’avoir faite chasser. » La tête de Despenser finira clouée sur la tour-porte du pont de Londres. Quant à son corps, il est découpé en quatre quartiers expédiés aux grandes villes.

Un roi sous emprise

La reine d’Angleterre, Isabelle de France, tient sa revanche. Des années qu’elle courbe le dos face aux humiliations, aux avanies, aux exactions du favori de son époux. Aux côtés de son père Despenser l’Aîné, le jeune Hugues a longtemps fait régner la terreur au royaume d’Angleterre. Il était « l’œil droit » d’Edouard II selon l’auteur de La Chronique de Lanercost, ou encore celui qui tournait autour du roi comme le chat autour de sa proie, selon les termes des Flores Historiarum¸ une autre chronique de l’époque. Surtout, le favori n’a jamais entendu partager le roi avec quiconque, pas même avec la reine. Et ce n’est pas le premier. Avant lui, il y eut un certain Pierre Gaveston, jeune Gascon lui aussi « bien-aimé du roi ». Dès avant son mariage avec son épouse française, Edouard II éprouvait pour ce jeune homme une passion exclusive, dévorante, qui l’avait conduit à le faire comte de Cornouailles et lui allouer une rente de 4 000 livres par an. « Nous étions trois dans ce mariage », écrira plus tard Isabelle. Et ce, au plus grand dam de la noblesse d’Angleterre. Gaveston, un homme puissant mais détesté, et à la langue bien pendue, qui par trois fois dut fuir le royaume d’Angleterre avant de finir décapité.

Enluminure médiévale : le roi Edouard II d'Angleterre dans un manuscrit de la Bibliothèque Bodléienne d'Oxford
Edouard II d’Angleterre, MS. Rawl. C. 292, Bodleian Library (XIVe s)

Mais Edouard II est incorrigible. Seulement cinq années s’écoulent, le voilà qui s’entiche d’un nouveau favori. Sauf qu’avec ce Despenser, un nouveau cap est franchi. Non content d’avoir acquis de nombreuses seigneuries, il va se faire une spécialité de l’extorsion de richesses. Impitoyable, il n’hésite pas à utiliser la force pour soutirer de l’argent à de riches héritières ou aux veuves des hommes qu’il a fait exécuter. Tel est le cas d’une certaine Alice de Lacy, menacée d’être brûlée vive si elle ne lui paie pas une amende de 20 000 livres. Or sur tout cela, le roi d’Angleterre ferme les yeux. Pire, Edouard couvre de faveurs aussi bien son favori que son épouse Eléonore, sa propre nièce, sans qu’on puisse déterminer avec certitude s’il entretient des rapports amoureux avec l’un, avec l’autre, ou bien les deux. Mais pour Isabelle, la situation ne fait guère de doute. C’est bien avec Hugues que son époux la trompe.

« Je crois que le mariage est une union entre un homme et une femme, basé par-dessus tout sur une vie commune, mais quelqu’un s’est introduit entre mon mari et moi qui est en train d’essayer de rompre ce lien », déclarera-t-elle de manière solennelle devant son frère, le roi de France Charles IV, une fois réfugiée à Paris. Et la reine d’ajouter, tout entière vêtue de noir et coiffée d’une guimpe de veuve : « Je déclare que je ne reviendrai pas tant que cet intrus ne sera pas chassé, mais, oubliant ma robe de mariée, je ne me vêtirai plus que des robes de veuve et porterai le deuil jusqu’à je sois vengée de ce pharisien ».

Rebelle à son mari, rebelle à son roi

Enluminure médiévale : Isabelle de France rend visite au roi Charles IV à Paris (vers 1325)
Isabelle de France rend visite à son frère Charles IV à Paris (vers 1325) – Chroniques de Sire Jehan Froissart – Ms Français 2643 (XVe s)- BnF dépt des manuscrits

Ces affirmations ont beau être justifiées, elles n’en sont pas moins d’une incroyable audace. Non seulement la reine Isabelle refuse de rejoindre son époux en Angleterre mais qui plus est, elle sous-entend publiquement qu’il la trompe avec une personne de son sexe. C’est là rompre avec toutes les conventions de l’époque et pour ainsi dire, lui déclarer la guerre. Mais on reconnaît bien là la fille de Philippe le Bel, le puissant roi capétien surnommé « le roi de fer ». Des cheveux d’or, grande et bien formée, elle n’a pas seulement hérité sa beauté. Elle a aussi son intelligence, sa détermination, la haute idée de sa propre dignité ; son goût pour la chasse aussi.

Enluminure : Charles IV accueille sa sœur Isabelle de France accompagné de son fils Edouard (1325)
Isabelle & son fils à la cour de Charles IV Chroniques de Froissart, MS Français 2663 – BnF dept des Manuscrits

Si elle a longtemps fait passer en premier ses devoirs de reine, Isabelle de France déclare qu’à compter de ce jour, elle ne comptait plus se soumettre. De batailles perdues contre les Ecossais, en conflits avec les barons, en fuites à travers le pays, le roi d’Angleterre l’a plusieurs fois mise en péril de mort. Un exemple de ce qu’elle a dû subir : alors que les grands du royaume assiégeaient la capitale, Isabelle en fut réduite à accoucher de sa deuxième fille dans une Tour de Londres si délabrée qu’au moment de la délivrance, elle se trouva éclaboussée par la pluie traversant le plafond !

La reine d’Angleterre n’aurait toutefois osé prendre la tête de la rébellion contre son époux si elle n’avait possédé dans son jeu une carte maîtresse. Cette carte maîtresse, c’est le sire Roger Mortimer de Wigmore. Ancien lieutenant du roi en Irlande et l’un de ses plus fidèles barons, la tyrannie des Despenser l’a conduit à devenir à son tour l’un de ses plus farouches opposants. C’est un homme intrépide, épris de fastes et jaloux de son rang. Il est venu se réfugier en France après sa spectaculaire évasion de la Tour de Londres. Isabelle et Roger ont également en commun le goût des récits de chevalerie et des romans arthuriens, si bien qu’à l’image de Lancelot et Guenièvre, ils ne vont pas tarder à devenir amants. « En vérité, très cher frère, il est apparent à nous et à tous qu’elle ne nous aime pas comme elle le devrait envers son seigneur, et la cause qui l’a poussée à dire des mensonges sur notre neveu et à s’éloigner de nous est due, selon mes pensées, à une volonté désordonnée depuis qu’elle garde en sa compagnie ouvertement et notoirement Mortimer, à l’encontre de tous ses devoirs », écrira Edouard II à son cousin de France dans une énième tentative de faire revenir son épouse auprès de lui.

Isabelle chef de guerre

C’est donc aux côtés de ce grand soldat que la reine va entreprendre ce que nul n’avait tenté depuis Guillaume le Conquérant : envahir le royaume d’Angleterre. Or malgré une force militaire composée de seulement 1 500 hommes, elle va réussir. Au fur et à mesure de son avancée en terre anglaise, les ralliements à sa cause se multiplient. Et il ne s’agit pas seulement de ces barons, de ces évêques qui ont en commun la haine des Despenser. C’est en vérité tout le peuple anglais qui se lève pour rallier sa cause. Cambridge, Oxford, Gloucester, Bristol puis enfin Londres, en quelques mois seulement, Isabelle de France se rend maîtresse de toute l’Angleterre.

Enluminure manuscrit : de retour en Angleterre, Isabelle de France et son fils sont attendus par l'armée.
Isabelle & Edouard accoste en Angleterre, Chroniques de Saint-Denis. Français 6465, BnF XVe s.

Le règne d’Edouard II n’y résistera pas. On finira par le retrouver en compagnie de son cher Despenser, errant dans la lande sous une pluie battante, après avoir vainement tenté de s’échapper par la mer. Conservé deux ans en captivité, le roi trouvera la mort au château de Berkeley, dans la nuit du 20 au 21 septembre 1327.

Faut-il pour autant considérer, à l’image du poète Thomas Gray, qu’Isabelle était cette « Louve de France, dont les crocs acharnés déchirent les entrailles de son époux mutilé » ? Ce serait là lui faire injustice. D’abord parce que l’assassinat du roi a sans doute été ordonné par Roger Mortimer sans même qu’elle n’en ait été avertie. Convaincu de ce qu’Edouard constituerait une menace tant qu’il demeurerait en vie et craignant son évasion, son amant a préféré le faire tuer. Ensuite parce qu’en dépit de la triste fin de Despenser, la reine saura fait preuve d’une relative clémence à l’encontre de ses anciens alliés. Comme le souligne l’historienne Sophie Brouquet dans sa biographie d’Isabelle de France (1) : « au total, la répression se borne à six exécutions. Isabelle de France n’a pas fait couler de bain de sang et se montre davantage prête à pardonner que les Despenser … En réalité, très vite, le gouvernement de la reine a offert un grand nombre de pardons. Il y a eu peu d’enfermements et de confiscations, et les biens sont souvent rendus à leurs propriétaires. »

Julie Gayet en Isabelle de France dans la mini-série télévisée Les rois Maudits de 2005 (France 2)

D’une tyrannie à l’autre

Par la suite, Isabelle commettra toutefois plusieurs erreurs politiques.

Enluminure d'Isabelle de France en train d'accoster avec sa nef sur la rive de la rivière Orwell
Chroniques de Froissart MS 2663 (vers 1420), BnF dept des Manuscrits

Elle est si prompte à recouvrer ses biens que son revenu annuel s’élève bientôt à 40 000 livres, soit un tiers des revenus du royaume. De quoi faire des jaloux. Sa politique pacificatrice envers les Ecossais, de même que ses volontés d’accommodements avec la France, vont aussi déplaire aux Grands. Mais surtout, il y a son idylle avec Mortimer. Moins celle-ci est dissimulée, et plus elle fait scandale. Au faîte de leur puissance, les deux amants iront même jusqu’à organiser de grandes festivités autour de la légende arthurienne durant lesquelles Mortimer, costumé en roi Arthur, trônera à la place d’honneur en compagnie d’une Guenièvre qui n’est autre que la reine elle-même.

Mortimer est alors devenu comte de la Marche – titre inédit créé spécialement en son honneur – et un pair du royaume bénéficiant de 8000 livres de rente. A chacun de ses déplacements, une garde armée l’accompagne. « Roi fou » l’appelle son propre fils, « homme gonflé d’orgueil », écrit de son côté l’auteur du Brut, célèbre chronique anglo-normande. Autant dire que pour beaucoup, la tyrannie de Mortimer ne vaut guère mieux que celle des Despenser.

L’ambitieux roi Edouard III n’aura donc guère de mal à trouver des complices pour faire capturer l’impudent. « Beau fils, ayez pitié du gentil Mortimer. Ne le blessez pas ; c’est un preux chevalier. Notre bien-aimé ami, notre cher cousin », l’aurait imploré Isabelle alors que ses partisans s’apprêtaient à mettre la main sur son amant dans un château de Nottingham endormi. Mais la roue de la Fortune avait déjà tourné. Accusé à son tour de haute trahison, Mortimer trouvera la mort sur le gibet.

Enluminure médiévale du siège de Bristol par Isabelle de France et son armée.
Siège de Bristol, Chroniques de Froissart MS 2663 (vers 1420)- BnF dept des Manuscrits

C’est beaucoup de morts, décidément, qui auront jalonné l’existence de cette fille de France. Mais on ne choisit pas son destin, ni encore moins son époque. Mariée à 12 ans à un roi excentrique, Isabelle aura toutefois su traverser les tempêtes avec courage et une rare intelligence politique. Cette femme distinguée avait aussi réussi à faire vivre autour d’elle une cour brillante où le raffinement des parures n’avait d’égal que la parfaite entente entre des sujets séparés par la langue. Comme l’écrit encore Sophie Brouquet, la reine avait « su nouer des liens étroits avec des nobles anglais, tout en conservant auprès d’elle des hommes et des femmes venus de France… Sa cour est à l’image de cette jeune reine fière, intelligente, avide de richesses, aristocratique, pacifique et multiculturelle. »

Ironie du sort, c’est son sens de l’honneur familial qui signera la perte des siens. En 1314, elle dénonce à son père l’adultère de ses belles-sœurs françaises, ce qui aboutira à une crise de régime et l’extinction de la dynastie des Capétiens directs au profit de leurs cousins Valois. Pour qui voudrait en savoir davantage, il se suffit de se replonger dans la saga des Rois Maudits. Puis en 1328, quand les ambassadeurs du roi de France Philippe VI viennent réclamer l’hommage d’Edouard III pour la Gascogne, c’est Isabelle qui refuse et leur jettera avec hauteur : « Mon fils, qui est le fils d’un roi, ne prêtera jamais l’hommage à un fils de comte ». La rupture avec la France est dès lors définitive et Philippe VI confisque la Gascogne. C’est alors une autre histoire qui commence, celle d’un terrible conflit entre France et Angleterre qui durera plus de cent années.


Une chronique de Xavier Leloup. éditeur & auteur de romans historiques dont la trilogie Les Trois pouvoirs.
Découvrir le livre Les Grandes Dames de la Guerre de Cent Ans aux Editions la Ravinière (2022)


Pour découvrir ses autres chroniques du cycle des grandes dames de la Guerre de Cent ans sur moyenagepassion.com :

  1. Yolande d’Aragon, la reine de fer.
  2. Isabelle de Bavière, une reine dans la tourmente
  3. Christine de Pizan, championne des dames
  4. Les illusions perdues de Valentine Visconti, duchesse d’Orléans.
  5. Colette de Corbie, une grande mystique au service de la cause française

Retrouvez également nos entretiens exclusifs avec Xavier Leloup ici :
La Saga médiévale des Trois pouvoirsLa grande aventure de l’éditionLes nouveautés des Editions de la Ravinière


Notes

(1) Sophie Cassagnes-Brouquet Isabelle de France, reine d’Angleterre, éditions Perrin 2020)

NB : sur l’image d’en-tête vous pouvez découvrir, en premier plan, une photo de l’actrice Sophie Marceau qui incarnait Isabelle de France dans le film mythique Braveheart de Mel Gibson (1995). En arrière plan, l’enluminure représente le mariage d’Isabelle de France et Edouard II d’Angleterre telle qu’on peut le découvrir dans les « Anciennes et nouvelles chroniques d’Angleterre » (Old and New Chronicles of England) de Jean de Wavrin. Ce manuscrit médiéval du XVe siècle est actuellement conservé à la British Library sous la référence Royal MS 15 E IV.

Agenda : Clichy-sous-Bois, un grande première pour la médiévale des Genettes

Blason armoirie ville de Clichy-sous-Bois

Sujet : animations médiévales, fêtes, festivités, Moyen Âge festif, compagnies médiévales, marché artisanal, fauconnerie, campements, monde médiéval.
Evénement : Les Genettes de Clichy-sous-Bois ou La médiévale des Genettes
Lieu : Clichy sous bois, Seine-Saint-Denis, Île-de-France
Dates : les 15 et 16 octobre 2022

Bonjour à tous,

vec l’avancée vers la saison froide, l’agenda des animations médiévales se clairsème quelque peu, mais pour ce week-end, nous avons eu envie de donner un petit coup de pouce à une fête qui sera une première. Elle se tiendra à Clichy sous Bois et a pour nom La Médiévale des Genettes.

Au programme de cette manifestation

Animations et médiévale de Clichy-sous-Bois, Affiche

Cette fête médiévale se tiendra les 15 et 16 octobre en journée, avec un prolongement jusqu’à la nuit tombée, le samedi soir. Elle avait été programmée, depuis 2 ans déjà, par les Genettes de l’Histoire, en collaboration avec la municipalité. Las ! L’association organisatrice a joué de malchance du fait des restrictions sanitaires. L’évènement s’est donc vu reporté à plusieurs reprises mais, cette fois, le sort sera bel et bien conjuré et les animations pourront se dérouler tout le week-end, à Clichy-sous-Bois.


Avant d’aller plus loin, pourquoi les genettes ?

Si ce joli petit mammifère a donné son nom à ces animations médiévales comme à l’association qui les organisent, c’est que deux genettes trônent de part et d’autre du blason officiel de la cité de Clichy-sous-Bois et le supportent.


Campements, marché artisanal & spectacles

Pour ceux qui viendront de l’extérieur et d’autres coins d’Île-de-France, le site choisi pour l’événement est particulièrement spacieux et arboré avec de belles facilités d’accès et de parking. Les compagnies invitées seront également nombreuses et entre campements, spectacles, et marché artisanal, les visiteurs devraient trouver, là, de quoi contenter leur envie de voyage temporel en direction du Moyen Âge.

Pour détailler encore les animations : déambulations, saltimbanques et bateleurs viendront s’ajouter à la vie des camps médiévaux avec leur quotidien, leurs combats en armure et leur artisanat d’époque. Tout cela sera complété par des jeux, des ateliers de tir à l’arc, des spectacles de feu ainsi que des démonstrations de fauconnerie.

Compagnies médiévales invitées

Animals and Co – La meute de Garmr – La Compagnie médiévale de Saint-Ouen – Association histoire événement – La Horde des mondes oubliés – Les Barbiers fous – Hildeberg le colporteurs – Feañor Clan Cie – Nun Perentia – La Compagnie d’arc de Clichy-sous-Bois

D’un point de vue thématique, le positionnement est mixte. Autrement dit certaines mesnies seront là pour vous apporter une certaine rigueur dans l’approche historique (campements des XIIe, XIIIe et XIVe siècles), mais le week-end comptera aussi son lot d’animations inspirées d’un Moyen Age plus fantaisie ou fantastique. Pour plus d’informations, voir la page Facebook de l’Association.

Et puisqu’il s’agit d’une première, nous souhaitons longue vie à cette nouvelle médiévale !

Voir nos articles sur d’autres festivités médiévales en Île de France.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Monde Médiéval  sous toutes ses formes.

NB : les photos tirées de cet article proviennent des compagnies médiévales ou artistiques invités pour l’événement, notamment Animals and Co, La Compagnie médiévale de Saint-Ouen, l’Association histoire événement, La Horde des mondes oubliés et Les Barbiers fous.

l’Histoire « éclairée » de Claire : interview exclusive d’une vraie passionnée de patrimoine et d’histoire vivante

Sujet : patrimoine, histoire vivante, reconstitution historique, visites guidés, interview, conférences, animations médiévales,
Période : Moyen Âge central à tardif
Intervenante : Claire Barbier, conférencière, intervenante, guide professionnelle, doctorante en histoire de l’Art.
Site web : eclairerlhistoire.fr

Bonjour à tous,

oilà longtemps que nous n’avions eu l’occasion de vous proposer un portrait de passionné de Moyen Âge. Nous en sommes d’autant plus heureux que la personne qui fait l’objet de ce portrait, cumule des compétences qu’il est rare de trouver réunies en un même profil.

Jugez plutôt : chercheuse en histoire de l’Art spécialisée dans la période médiévale (actuellement en doctorat et déjà mastérante de la Sorbonne), guide touristique professionnelle pour le compte de lieux patrimoniaux prestigieux (ville de Chartres, centre historique, cathédrale, musée et centre du vitrail, château de Châteaudun, …) mais encore conférencière et intervenante en présentiel ou à distance en Histoire. Et si cela ne suffisait pas elle est encore reconstitutrice passionnée de confection de costumes médiévaux au plus près de leur réalité et elle n’hésite pas à les revêtir pour donner une touche unique à certaines de ses visites ou de ses activités ! Alors, quand le goût du patrimoine se met à rimer avec Histoire vivante et pédagogie, tout en conservant la rigueur de l’approche historique, qui pourrait y résister ? Certainement pas nous et c’est donc avec grand plaisir nous vous proposons de découvrir ci-dessous, une interview exclusive de la pétillante et dynamique Claire Barbier de Eclairer l’histoire.

L’interview de Claire Barbier
de Eclairer L’histoire

Claire Barbier, une passionnée d'Histoire et de Patrimoine

Itinéraire & parcours

Mpassion : Bonjour Claire. Nous sommes ravis de vous recevoir, aujourd’hui, pour parler de vos nombreuses activités dans le domaine du patrimoine, de l’enseignement et même des animations médiévales. Ce n’est pas si souvent que nous avons l’occasion de rencontrer une passionnée d’histoire aussi active et qui soit à l’intersection d’autant de domaines. Pour commencer, peut-être pourriez-vous présenter un peu votre parcours atypique à nos lecteurs ?

Claire B : Bonjour, je suis également ravie de partager avec vous les différents aspects de ma vie qui sont, comme vous l’avez souligné, animés par ma passion de l’Histoire et du Patrimoine. Pour moi, tout a commencé lorsque j’avais 6-7 ans : j’allais chez mes grands-parents et je leur posais des questions sur les objets qu’ils avaient rapportés de leurs différents voyages à l’étranger (notamment les sculptures et papyrus égyptiens). De là est née ma passion et mon admiration pour l’Egypte Antique qui m’ont poussée à faire l’Ecole du Louvre pour devenir archéologue. Par la suite, différents évènements dans ma vie m’ont obligé à changer de voie : j’ai donc engagé un BTS Tourisme que j’ai obtenu en 2010, en travaillant en même temps au Château d’Angers et dans les musées de la ville d’Angers. J’y ai alors appris le métier de guide et médiateur du patrimoine. J’ai ensuite obtenu une Licence Arts, Lettres et Langues à la Sorbonne, en faisant des petits boulots alimentaires pour subvenir à mes besoins.

Visite de lieux patrimoniaux, cathédrales, musées et châteaux

A l’époque, les Masters à distance n’étaient pas encore tellement développés, et j’ai dû abandonner momentanément l’idée d’aller plus loin dans mes études. J’ai travaillé plusieurs années dans un groupe de communication à Paris où j’ai appris plusieurs métiers (assistante commerciale, chargée de développement et de prospection, etc…) mais le sentiment de plaisir, d’échange, et de passion que j’avais lorsque je faisais des visites guidées au château d’Angers me manquaient énormément. J’ai alors quitté mon travail et, ayant déménagé à Chartres, j’ai commencé à travailler en tant que guide avec les visites de la crypte de la cathédrale, puis les visites de la cathédrale et de la ville. Après quelques années, j’ai développé de nouveaux thèmes et on m’a proposé également de travailler, ponctuellement, pour le musée du vitrail, le château de Villebon, le château de Châteaudun, la ville de Bonneval, les tours de la cathédrale de Chartres…

Mpassion : Voilà de belles références patrimoniales. Et pour le côté histoire vivante ?

Claire B : En parallèle, je faisais de la reconstitution historique depuis près de 10 ans. J’ai tellement d’objets et de vêtements de reconstitution que je pourrais vivre complètement avec mes seules affaires médiévales ! Avec la crise Covid, les écoles ne pouvant pas faire de sorties scolaires, j’ai eu l’idée de proposer aux établissements de mon département d’aller en classe pour parler du Moyen Age aux enfants et échanger avec eux. J’ai eu du succès dès la première année ! J’ai fait la même chose avec les centres de loisirs et je participe également à des projets avec des classes de collège. Je propose aussi des visites de lieux patrimoniaux, vêtue comme au Moyen Age, pour les enfants comme pour les adultes (et même en nocturne !). Pour finir, je donne des cours et des conférences pour les adultes sur des thèmes de l’Histoire et d’Histoire de l’Art. Et lorsque j’ai un peu de temps libre, je travaille sur ma thèse. J’ai donc réussi à lier un travail qui me passionne à ma passion pour la reconstitution, ce qui donne cette touche d’originalité à mon travail.

Pourquoi le Moyen Âge ?

Mpassion : A voir votre succès sur les réseaux et les retours de vos audiences, tout le monde y trouve son compte. Partant de cet intérêt général pour l’histoire et le patrimoine, comment en êtes-vous venus au Moyen-Âge ?

Claire B : Mon intérêt pour l’Histoire et le Patrimoine est lié à mon histoire personnelle (intérêt de mes grands-parents) et mes parents m’emmenaient souvent dans des musées et des expositions. Comme je voulais assez tôt être archéologue ou égyptologue, je me suis fortement intéressée à l’Egypte Antique. J’étais même amoureuse d’un pharaon quasi-inconnu lorsque j’étais enfant (Didoufri, fils de Khéops) ! Donc, cette période était ma favorite. Le Moyen Age est arrivé un peu plus tard, il y a 10 ans, lorsque mon compagnon qui faisait partie d’une association de reconstitution médiévale m’a transmis son intérêt pour cette période. Ensuite, travaillant à la cathédrale de Chartres, on ne peut que tomber en amour devant cet édifice, et vouloir en apprendre davantage sur la période qui l’a créée !

Mpassion : On le comprend aisément. La cathédrale de Chartres regorge de trésors. Dans un autre registre qui touche peut-être plus la perception du Moyen Âge par le grand public, quel est votre point de vue sur la vision actuelle de la période médiévale ? Certains préjugés continuent-ils d’être résolument ancrés dans l’esprit des gens ou a-t-on un peu avancé ? Je pense à des poncifs comme le manque d’hygiène ou l’ignorance de l’homme médiéval, ce genre de choses ou même encore la vision d’un Moyen Âge foncièrement obscurantiste, etc…

Claire B : J’ai l’impression que toutes les tranches d’âges ont encore beaucoup de clichés sur le Moyen Age. Mais j’ai tout de même le sentiment que ça va dans le bon sens : avec les vidéos de vulgarisateurs ou certains reportages à la télévision, on commence à avoir des pans de la population qui s’intéressent à cette période, et qui peuvent plus facilement trouver des réponses ou s’informer sur ce qu’ils ont vu dans des séries ou des films qui se veulent «fidèles historiquement ».

Visites animées et histoire vivante

Mpassion : Pour revenir à vos activités sur le terrain patrimonial et touristique, pour l’instant un nombre important d’entre elles se centre sur Chartres : conférences, enseignement au centre du vitrail, visites des grands lieux historiques de la ville, etc… Pourquoi cette ville ? C’est un coup de cœur ? Y a-t-il quelque chose qui vous touche particulièrement dans son patrimoine et son histoire ?

Passion reconstitution historique et costumes du Moyen Âge

Claire B : J’ai vécu plusieurs années près de Chartres (entre 6 ans et 16 ans) en étant au collège et au lycée dans cette ville. J’en suis partie en 2005. La vie a fait que mon conjoint a trouvé du travail à Chartres en 2015. Nous sommes donc venus nous installer ici. C’est donc un hasard mais heureux. J’ai toujours adoré la cathédrale qui est la mieux conservée de France. Elle n’a pas subi de dégâts trop importants pendant la Révolution française ou les 2 guerres mondiales et elle a aussi la plus grande collection de vitraux du Moyen Age du monde entier ! C’est une vraie splendeur qui ne finit pas de m’impressionner. Et même si je pourrais tenir plusieurs dizaines d’heures de visite (littéralement), j’en apprends encore tous les jours !

Mpassion : Du fait de vos nombreuses casquettes, vous pourriez être ce que l’on appelle une « historienne de labo », puisque vous êtes désormais une brillante universitaire, avec un master en poche et un doctorat bien engagé. Pourtant, vous continuez de cultiver ce véritable intérêt pour le tourisme, le patrimoine et l’histoire vivante. Vous semblez même tenir à opérer une fusion unique entre transmission, animation et découverte patrimoniale. Parlez nous un peu de ces formules originales que vous êtes la seule à proposer ? Comment ces idées vous sont-elles venues ? Comment le public a-t-il accueilli le concept ? On imagine que certains ont dû être surpris.

Claire B : Oui ! Alors d’abord, merci pour les compliments. J’ai la chance d’avoir des intérêts divers et variés mais qui me passionnent tous ! Comme j’ai la particularité d’être la seule guide à faire de la reconstitution médiévale et à faire un doctorat, j’ai pu créer des produits touristiques uniques avec un vrai parti pris de qualité ! Et donc me voici, à présent, à proposer des visites guidées en costume (en journée ou la nuit) à partir du résultats de mes recherches sur la vie quotidienne au Moyen Age à Chartres, ou à organiser des visites-enquêtes pour les scolaires comme pour les familles et adultes ! Je suis également la seule à ma connaissance qui sois guide professionnelle mais qui propose aux établissements scolaires de me déplacer en costume médiéval sourcé pour faire découvrir le Moyen Age aux enfants, et sous forme d’échanges et d’interactions.

Comme je le disais, j’ai pensé à proposer ces interventions médiévales en établissements scolaires avec la crise Covid, même si j’avais en tête de faire des visites guidées en costume avant cela (sans l’avoir encore mis en place). Cette idée de visites en tenues médiévales est venue notamment du fait que parfois, lors d’une visite, j’avais envie de montrer concrètement aux gens ce à quoi pouvait ressembler une robe au 15e siècle par exemple (la forme, la matière, le poids ! etc…) et la différence entre le sous-vêtement et la robe… C’est plus parlant lorsqu’on a l’objet sous les yeux ! Idem pour les lanternes, les pièces de monnaie, etc. De nombreux locaux sont habitués maintenant à me voir déambuler en ville, mais je croise encore souvent (en visite ou en dehors de visite), des personnes très interloquées de me voir ainsi vêtue ! (rires)

Fête médiévales et reconstitution

Mpassion : Cela n’est pas surprenant ! (rires) Ce n’est pas quelque chose de très habituel hors des fêtes médiévales. Justement en parlant de cela, dans vos activités vous semblez tout faire vous-même et en solitaire : confection de costumes, personnages, écriture et scénarisation de vos visités animées et même de vos activités ludiques. Avez-vous aussi le goût des fêtes médiévales ? Est-ce un endroit où on peut vous croiser ? Faites vous également partie d’une troupe de reconstituteurs ?

Visites nocturnes ou en journée de monuments patrimoniaux avec Claire Barbier

Claire B : C’est justement parce que j’ai commencé à apprécier le Moyen Age par le biais de la reconstitution historique (et donc temps passé en fêtes médiévales) que j’ai eu l’idée d’intégrer cet aspect dans mes visites. Depuis plusieurs années, je fais partie de l’association La Massenie Saint Michel 1473 et nous allons dans des châteaux et autres abbayes, sites patrimoniaux de Bretagne en Allemagne, de Dordogne en Belgique. Nous sommes reconnus dans le milieu de la reconstitution par les institutions pour refléter une image de qualité de la société médiévale de la fin du 15e siècle ! Pour le reste, effectivement, je réalise tous mes costumes moi-même depuis près de 10 ans, je me suis découvert une passion pour la couture à la main ! — et je crée toutes mes visites moi-même également. Pour les livrets des visites-enquête, je demande à ma meilleure amie qui est infographiste de se charger des visuels et de la mise en page.

Mpassion : Quand nous disions en préambule que vous étiez une passionnée très active et dynamique dans ses champs d’intervention, nos lecteurs doivent, maintenant, bien mesurer à quel point. Dans ce monde des animations dites médiévales justement, une des dernières questions que j’aurais souhaité vous poser est votre sentiment sur ce Moyen Âge un peu fourre-tout qu’on voit prendre forme, de plus en plus, y compris dans des fêtes qui, auparavant, se voulaient plus historiques. On pense à l’ajout de fantasy, de cosplay, de fantastique, etc… A votre avis c’est un phénomène comme le décrivait Georges Duby ? Le Moyen Âge est devenu ce « western » dont il parlait ? Une sorte de territoire imaginaire où toutes les projections sont permises ? Ou c’est plutôt un phénomène d’acculturation permanent sous la pression de la culture anglosaxonne et particulièrement américaine littérature, cinéma, jeux de rôles, jeux vidéo , avec un Moyen Âge fantastique/fantasmagorique encore véhiculé par des œuvres comme celle de Tolkien et d’autres auteurs ? Pour poser la question de manière un peu abrupt, pensez-vous qu’on aura, d’ici quelques années, des Fêtes de Jeanne d’Arc « Steampunk » ou des Fêtes de la Saint Louis avec des nuées virevoltantes de costumes de trolls et d’elfes ? Dit encore autrement : Moyen Âge historique, restitué, rigoureux d’un côté et totalement fantaisie et imaginaire de l’autre, est-ce que tout cela peut coexister ? Ou est-ce qu’il faut œuvrer à préserver un peu de réalisme historique et quelques lignes de démarcation ? Et surtout, est-ce que l’historien a aussi un rôle d’éducation à jouer sur ces terrains-là ?

Claire B : C’est vrai que c’est un sujet un peu compliqué… Comme la barrière entre le Moyen Age et l’univers fantasy/fantastique est très mince, cela peut créer des clichés sur le Moyen Age historique ! Typiquement, on va être persuadé que les vikings avaient des casques à corne ou portaient des manteaux en peaux de bêtes, qu’en France on avait des vêtements en cuir ou des capes à capuches… Tout cela vient de ce qu’on a pu voir en BD, films, séries, etc…, depuis plusieurs dizaines d’années ! Je dois avouer que c’est un peu mon objectif également (en plus de me faire plaisir dans ce que je fais et de faire passer des bons moments aux gens) : casser les clichés qu’on a sur le Moyen Age et expliquer comment trouver les bonnes informations si le sujet nous intéresse ! Donc oui, ce sera à nous, historiens mais surtout guides et médiateurs du patrimoine, de profiter de ces instants privilégiés avec le public pour leur faire entrevoir la réalité historique derrière l’imaginaire collectif.

Où et comment contacter Claire ?

Claire Barbier, entre la passion du patrimoine, de l'histoire et de l'histoire vivante

Mpassion : Voilà une noble mission et une belle direction pour l’avenir ! Pour finir, où est-ce que nos lecteurs peuvent vous contacter pour suivre vos aventures patrimoniales et y participer, voire encore assister à vos conférences ou étudier avec vous la possibilité d’une intervention en milieu scolaire ou autre ? Des nouveaux projets 2022-2023 en vue ?

Claire B : Oui ! J’ai une page Facebook et Instagram professionnelle « Eclairer l’Histoire » (j’ai fait un jeu de mot avec mon prénom) sur laquelle je publie des informations sur l’Histoire, le Moyen Age, la cathédrale de Chartres, la reconstitution historique, mes visites à venir, des photos des lieux que je fais visiter, etc. Depuis peu, j’ai également rajouté une billetterie en ligne sur mon site internet www.eclairerlhistoire.fr qui permet à qui veut de se rajouter à une visite guidée ou de suivre mes cours en visio-conférence, par exemple.

Pour l’année 2022-2023, j’ai mis en place une nouvelle visite de la cathédrale et des cryptes « Légendes et secrets de la cathédrale », et je compte en proposer deux nouvelles sur le thème « Codes et symboles médiévaux dans la cathédrale » et « Anges et Démons à la cathédrale ». Et je vais essayer de prendre quelques jours de vacances à l’occasion, ça ne m’est pas arrivé depuis plusieurs années !

Mpassion : C’est plutôt un indicateur de succès même si, de temps en temps, il faut savoir lever le pied ! Merci beaucoup pour toutes vos réponses, en tout cas, Claire ! De notre côté, on espère vous retrouver bientôt, peut-être à l’occasion d’une visite à Chartres, ou même pourquoi pas, à l’occasion d’un article dans nos colonnes ? Ce sera avec grand plaisir.

Claire B : Merci à vous !


Voilà pour cette interview, mes amis. En espérant qu’elle vous ait autant plu qu’il nous a été plaisant de la conduire. En dehors de ses visites guidées, de ses activités en milieu scolaire, et des aspects de reconstitution historique de son travail sur lequel nous avons particulièrement mis l’accent ici, Claire donne aussi des cours et des conférences. Les thèmes abordés sont aussi variés que le costume civil et militaire du Xe au XVe siècle, l’hygiène au Moyen Âge, l’histoire et les merveilles de la cathédrale de Chartres ou encore la représentation de l’Arche d’Alliance au Moyen Âge. Les sujets sont traités sous forme de cycles ou de conférences uniques. Pour suivre ces interventions, vous pouvez retrouver Claire au Centre international du vitrail de Chartres, mais aussi la joindre directement sur son site pour des sessions à distance sur internet.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes.

NB : toutes les photos de cet article proviennent de la page Facebook de Claire, à l’adresse : Eclairer l’histoire.