Sujet : événement, exposition, monde médiéval, architecture, Paris au Moyen Âge, réalité virtuelle, cathédrale Notre-Dame Période : du Moyen Âge central au XXIe s Titre : Éternelle Notre-Dame : Une expédition immersive en réalité virtuelle Lieu : Espace Grande-Arche, 1 Parvis de la Défense, 92400 Puteaux, France Dates : Jusqu’au 05 avril 2022 inclus
Bonjour à tous,
usqu’à début avril 2022, les nouvelles technologies se mettent au service du patrimoine, du Moyen Âge et de l’histoire à Puteaux. L’occasion en est fournie par une exposition débutée depuis la mi-janvier et qui propose à ses visiteurs « une expédition immersive en réalité virtuelle » autour de Notre-Dame-de-Paris.
Un voyage dans le temps à 360° degrés
C’est la première fois qu’une exposition de ce genre est proposée autour de la grande cathédrale française. Elle permet de découvrir le passé de Notre-Dame, les événements marquants de son histoire, mais aussi quelques grands personnages historiques qu’elle a pu voir passer. La période couverte est assez large ; elle s’étale du XIIIe au XXIe siècle. Autrement dit, le périple temporel commence au Moyen Âge central pour s’achever après l’incendie de la cathédrale (avril 2019) et même après les travaux de restauration en cours.
L’ensemble du voyage se fait au moyen d’un matériel adapté. Il embarque une cinquantaine de personnes à la fois, sur un plateau de 500 m². Après avoir créé son avatar et chaussé son casque de réalité virtuelle, on est prêt à embarquer pour l’aventure : 45 minutes d’immersion au cœur du passé de Notre Dame-de-Paris. L’étonnement technologique, les sensations et la nouveauté sont au rendez-vous pour cette grande première façon « Futuroscope » à consonnance patrimoniale. Sur place, un documentaire est également présenté sur les travaux de restauration en cours.
La VR au service des musées et des expositions
Ce genre d’exposition laisse entrevoir le rôle que des nouvelles technologies comme la réalité virtuelle, la réalité augmentée mais aussi l’holographie, pourraient être amenés à jouer dans la découverte du patrimoine, au fil de la démocratisation des matériels et pour peu qu’on y mette les moyens en terme de production (modélisation 3D, scénarisation, pédagogie, animations, etc…). Depuis quelques années, 2021 compris, de nombreux musées dans le monde y ont eu, d’ailleurs, recours. Nouvelle tendance ? Peut-être. L’heure est au ludique. La réalité virtuelle interpelle et c’est un bon moyen d’attirer de nouveaux publics dans les musées. D’un point de vue pédagogique cela permet aussi, de faire vivre des sensations aux visiteurs tout en les instruisant. En un mot, cela pourrait être des façons nouvelles et efficaces d’apprendre en s’immergeant.
D’un point de vue technologique, cette performance a été pilotée par Orange, avec la Société Amaclio à l’exploitation, Bruno Seillier à la scénarisation et la Société Emissive à la réalisation. Sur le site officiel de l’exposition, on peut lire que ce développement aurait pris près de deux ans. Quand nous parlons de mettre les moyens, c’est bien de cela dont il s’agit.
L’exposition-immersion Éternelle Notre-Dame intervient près de trois ans après le terrible incendie qui avait dévasté le grand monument médiéval en laissant de nombreux témoins, internautes et téléspectateurs sans voix, en France comme au delà des frontières. Elle entre aussi pleinement en phase avec les opérations de restauration de la cathédrale. En plus de permettre à ses visiteurs de découvrir Notre-Dame-de-Paris sous un nouveau jour, 30% des recettes de l’événement seront, en effet, reversées pour le financement des travaux de réfection de la cathédrale.
Ajoutons que tout au long de l’année, cette exposition voyagera dans différents lieux de Paris. La date butoir d’avril 2022 ne vaut donc que pour l’Espace Grand Arche où elle se tient actuellement. Au printemps, on devrait la retrouver à la Conciergerie de Paris 1er et, à l’automne, sur le parvis même de Notre-Dame.
En fin d’année dernière, les dons levés pour la cathédrale s’élevaient à 840 millions d’Euros ce qui avait rendu le général Jean-Louis Georgelin, en charge de la conservation et de la restauration de la cathédrale, plutôt confiant sur l’issue des travaux. Suivant le calendrier fixé par l’actuel locataire de l’Elysée, la fin des opérations de restauration est prévue pour avril 2024, date à laquelle la cathédrale pourra rouvrir ses offices et accueillir à nouveau le public et les fidèles. Pour ces derniers, une grande messe est déjà planifiée le 16 avril de cette même année 2024.
Pour rappel, l’été 2021 a déjà vu s’achever les travaux de sécurisation du bâtiment. Lors de l’incendie, nous avions été nombreux face à nos écrans à regarder, dans une sorte d’état de sidération, ce feu qui n’en finissait plus de consumer la Notre-Dame . Certains commentateurs avaient alors soulevé la possibilité que tout l’édifice pourrait s’effondrer au sol comme un simple château de cartes. S’il n’y avait pas de parenté directe entre ces images et celles de la chute des deux tours du World Trade Center américain, je me souviens que, pendant quelques instants suspendus, cette crainte m’avait aussi traversé l’esprit par une sorte d’étrange jeu de miroirs télévisuel et symbolique. Cela ne s’est heureusement pas produit et, désormais, les voutes les plus fragilisées ont été consolidées.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric Effe Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : l’enluminure en arrière plan de l’image d’en-tête est tirée du manuscrit médiéval Français 2645, soit le tome 3 des Chroniques de Sire Jehan Froissart. Ce manuscrit médiéval daté de la deuxième moitié du XXIe siècle est conservé à la BnF et consultable en ligne sur Gallica. L’illustration représente Louis II d’Anjou arrivant à Paris. En arrière plan, on distingue déjà parfaitement Notre-Dame.
Sujet : terre plate, terre ronde, science, histoire médiévale, idées reçues, préjugés, actualité. Période : Moyen Âge. Média : podcast décembre 2021 Titre : La terre était-elle plate au Moyen âge ? Intervenants : Christophe Dickès, Violaine Giacomotto-Charra, Sylvie Nony.
Bonjour à tous,
ous avions été contacté, il y a quelques années, par un auteur illustrateur. Assez sympathique, il nous avait dit faire des petits cahiers ludiques pour les enfants et pour une petite maison d’édition. L’un deux, déjà paru, portait sur le Moyen Âge. Il espérait que nous soyons intéressés et puissions en parler dans nos pages. Très honnêtement, l’idée nous a ravi. Hélas, en consultant le document, assez bien illustré, nous avons trouvé de nombreuses idées fausses sur le monde médiéval entre lesquelles la suivante, énoncée laconiquement : « Au Moyen Âge, l’Eglise et les gens pensaient que la terre était plate « . La messe était dite…
Actualité de la terre plate
Aujourd’hui encore, ce préjugé est, sans doute, celui qui résume le mieux les idées reçues sur le monde médiéval et ses mentalités. Il fait encore sourire, voir pouffer, d’un air entendu. « La Terre était considérée comme plate au Moyen Âge« . Si les médiévistes ne pouffent pas, de nouveaux publics se joignent, désormais, à eux pour des raisons différentes. À l’heure d’internet, tout devient possible et depuis quelque temps, les affirmations autour de la terre plate reviennent, en effet, au goût du jour. Cela fait lever les yeux au ciel à tous les astronomes, scientifiques, physiciens, astronomes amateurs, de la terre entière et même quelques milliards d’autres personnes. Pourtant, en janvier 2018, un sondage de l’IFOP établissait que près de 9% des français pensaient cette théorie possible : 2% en étaient totalement convaincus, 7% la jugeaient probables. C’est un peu plus qu’une sorte de « pourquoi pas ? » face à l’idée. Beaucoup de regards se sont alors tournés vers l’éducation et certains ont pu avoir une pensée émue pour la crédibilité accordée aux enseignements scolaires, autant que pour l’éducation scientifique.
À date, une brève requête faite sur google en langue française vous fera apparaître près de 46 200 000 résultats sur « terre plate ». Si vous la tentez en anglais (« flat earth »), le nombre vertigineux de 1 230 000 000 résultats s’affichera. Sur youtube, les vidéos sur le sujet sont également innombrables même si (rappelons-le) pour y poster, il ne faut pas nécessairement un doctorat en physique, ni même des études poussées en Astronomie ; une webcam et un soft de montage vidéo suffisent. En dehors de quelques pédagogues qui s’escriment à réhabiliter le bon vieux globe terrestre, si le courage vous en dit (personnellement, j’ai un peu passé mon tour), vous assisterez aux échafaudages les plus hardis visant à démontrer la platitude de notre bonne vieille « Plan-ète » .
La plupart ne tiendrait sans doute pas 5 minutes face à un Hubert Reeves. Ils n’auraient pas, non plus, été approuvés par un regretté Haroun Tazieff ni un Albert Einstein et même votre prof de physique de collège pourrait les démonter, mais qui sont tous ces prétendus experts après tout ? Quelle légitimité réelle pourraient-ils bien avoir face à des millions d’opinions et de bouches grandes ouvertes en ligne ? Deux ou trois voix de plus dans l’arène, d’où qu’elles viennent, ne font pas une vérité, pas vrai ? Je plaisante à demi. La nouvelle barbarie dont Alessandro Baricco nous avait dit un mot est dans la place. À chacun sa vérité et sa panoplie d’experts. Le plus étonnant reste, sans doute, le niveau d’élaboration de certains de ces contenus et les efforts qui peuvent y être portés. Au final, tout ça viendra allégrement alimenter la définition de la complosphère et jeter le discrédit sur tout ce qu’on peut trouver en ligne. Les vrais lanceurs d’alerte noyés dans une mer où surnagent toutes les vérités et leur exact contraire. Pas terrible…
Points de vue et motivations
Pour revenir à la terre plate, nous aurait-on menti ? Vivons-nous, sans le savoir sur un plan, un monde plus plat que la Belgique de la chanson de Brel ? Une sorte de théâtre à la Trueman show ? Certains se posent la question, d’autres s’en laissent convaincre. Nous n’allons pas passer en revue ici toutes les théories qui mettent du baume au cœur des « platistes », ni même nous aventurer à juger ces derniers. Pourtant, il est permis de se demander comment des allégations venues contredire des siècles, et même des millénaires de cosmologie, peuvent parvenir à se propager au XXIe siècle ? (même si cela reste très relativement, n’exagérons rien). À l’heure des stations spatiales, des satellites, de Hubble, des exoplanètes, de l’exploration martienne, comment le niveau de connaissances que nous avons atteint sur l’univers peut-il laisser la place à de telles affirmations ?
S’il y a de quoi se frotter les mains pour ceux qui voient un complotiste derrière chaque arbre, on se demande sur quel terrain ces croyances peuvent bien faire leur nid. Au delà des certitudes qu’a pu nous laisser (ou non, la preuve !) l’éducation scientifique, faut-il simplement y voir un besoin de poésie, d’excitation, de rêve ? Le philosophe physicien Etienne Klein bondirait peut-être sur sa chaise en lisant ces lignes, lui qui prêche « le goût du vrai » et ne cache pas ses inquiétudes sur le peu de place fait à la science dans l’information. Si vous avez eu l’occasion de voir certaines de ses conférences sur youtube (justement), notamment celle sur la définition d’ultracrépidarianisme, vous savez déjà qu’il plaide pour un retour des véritables experts scientifiques dans le champ médiatique. Quant au goût du rêve, les amoureux de science ne sont pas souvent pas obtus, ni même scientistes. Certains d’entre eux vous affirmeront que l’univers et le cosmos tels que la science actuelle conservent, même ainsi, leur charge de mystère et de poésie.
Croire, ne pas croire ? Débattre ou non ? Dans un autre registre, interrogé, il y a quelques années, sur un complot possible au sujet de l’alunissage des américains en 1969, Alexandre Astier auteur du spectacle l’Exoconférence (2014) répondait simplement : « je n’ai pas besoin de ça« . En un mot, s’il faisait le constat que ce type de choses parlait à certains et pouvait même, peut-être, correspondre à un certain besoin pour eux, il n’entrait simplement pas dans le débat. « Je n’ai pas besoin de ça ». Pas de jugement, juste un constat pour lui-même. C’est sans doute la meilleure attitude. On ne peut pas être en croisade sur tous les sujets et laisser justement cela aux experts et enseignants des domaines concernés. Connaissant la goût de l’auteur de Kaamelott pour l’astronomie, il serait, toutefois, intéressant de connaître sa position au sujet de cette théorie de la terre plate qui demeure, quand de même, d’un autre niveau que l’alunissage américain.
Tout cela étant dit, la question des causes et des motivations reste ouverte. Nous n’avons pas, ici, la prétention de la trancher. Au moment de ces lignes et en regardant de près ce résultat google, une chose demeure troublante, pourtant. Certains défenseurs de cette théorie de la terre plate sont en train d’acheter de la publicité sur le moteur de recherche pour la propager. La publicité redirige sur un site qui parle uniquement de ce sujet. On y plaide même la renaissance d’une certaine foi « contre les mensonges de la laïcité ». Plutôt étonnant comme croisade. On se demande franchement à qui elle profite et qui peut investir ses deniers pour la mener.
L’homme médiéval face à la terre plate
Ces quelques réflexions posées sur cette étrange théorie de la terre plate au XXIe siècle, revenons sur la croyance supposée que cette idée était commune et admise durant le Moyen Âge. Précisons que nous avions déjà abordé ce sujet, il y a quelques années, avec le support d’une conférence de Jean-Marc Mandosio, enseignant à l’École pratique des hautes études (EPHE). Ce dernier établissait clairement que ce préjugé de terre plane aux temps médiévaux avait été faussement colporté durant des siècles.
un podcast de Storia Voce
Preuve que ce thème est encore d’actualité, tout récemment encore, deux éminentes chercheuses et enseignantes universitaires, l’une historienne, Violaine Giacomotto-Charra, l’autre physicienne Sylvie Nony se sont penchées, elles-aussi, sur le sujet. Leur collaboration a donné lieu à l’ouvrage « La terre plate, généalogie d’une idée fausse » paru aux Belles Lettres en 2021.
À cette occasion, les deux auteurs ont été également les invitées d’un podcast de StoriaVoce. Cela va nous fournir enfin l’opportunité de vous dire un mot de cette excellente radio web. Très orientée sur l’histoire et son enseignement, ce média est présenté et animé par l’historien et journaliste Christophe Dickès. Depuis sa création en 2016, il y passe en revue de nombreux sujets historiques entourés de nombreux et prestigieux invités. Les programmes de Storia Voce couvrent toutes les périodes et sont d’un niveau soutenu. Ils sont aussi très variés avec une fréquence de 6 à 8 podcasts mensuels depuis 5 ans,
Comme on le verra dans ce très complet programme audio, non seulement le Moyen Âge ne croyait pas en la terre plate mais la science et les grecs avaient affirmé, bien longtemps avant lui, que la terre était ronde. On la pensait immobile et statique, au centre de l’univers, mais elle était déjà considérée comme un globe. On y découvrira encore qu’après Voltaire, elle a même continué d’être propagée dans certains manuels scolaires jusqu’après le milieu du XXe siècle ! C’est dire toute la considération des éditeurs de manuel d’histoire pour le Moyen Âge et toute la rigueur de certains rédacteurs d’alors.
En vous souhaitant une bonne écoute et une très belle journée. Fred F Pour moyenagepassion.com À la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
NB : sur l’image d’en-tête, il s’agit d’une gravure publiée en 1888 par Camille Flammarion. Cette illustration du XIXe siècle représente un homme regardant par delà le bord du ciel ou l’atmosphère pour essayer d’y découvrir l’espace profond. Ouvrage de référence : L’atmosphère: météorologie populaire.
Sujet : musique, poésie médiévale, Cantiga de amigo, galaïco-portugais, troubadour, Espagne médiévale. Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Auteur : João Vasques de Talaveira Titre: O que veer quiser Interprète : Manseliña Album : Maria Pérez se maenfestou (2021)
Bonjour à tous,
eux qui nous lisent le plus régulièrement se souviennent peut-être de la présentation que nous avions faite, il y a quelque temps, du jeune ensemble médiéval Manseliña. Depuis notre article, la formation galicienne passionnée de musiques anciennes a poursuivi ses recherches et son chemin artistique autour des cantigas de la péninsule ibérique et de l’Espagne médiévale. Elle nous propose même un nouvel album plutôt ambitieux comme nous allons le voir.
Maria Pérez, un personnage haut en couleur à la cour des grands
Si le terrain d’exploration de Manseliña reste la poésie du Moyen Âge central, l’ensemble musical nous entraîne, cette fois-ci, du côté des chansons satiriques galaïco-portugaises : les « cantigas de escarnio” ou “cantigas de maldizer” sont, en effet, ces chansons humoristiques et pleines de moqueries (« médire » « médisances »). Avec leurs sous-entendus persifleurs et leurs railleries, elles évoquent un peu nos sirventès du pays d’Oc. Selon certaines hypothèses, elles pourraient même en avoir dérivé tout comme les serventois du nord de France l’ont fait.
Cantigas de Escarnio et de maldizer au programme donc, mais ce n’est pas tout. Ce nouvel album se concentre également sur un personnage haut en couleur des cours de l’Espagne médiévale : María Pérez, encore connue sous le surnom de María la Balteira.
Ci contre, l’incroyable enluminure utilisée pour la pochette de cet album de Manseliña. Elle est tirée du Psautier doré de Munich (XIIIe siècle, Angleterre) actuellement conservé à la Bibliothèque d’État de Berlin, à Munich.
Du point de vue du statut, Maria était une « soldadeira ». Les définitions de ce terme sont assez variables et même confuses suivant les sources. Si l’on s’en tient à la Real Academia Galega, il correspond à des artistes féminines qui faisaient des numéros ou qui dansaient durant les prestations des troubadours et des jongleurs. En d’autres endroits, on trouve une définition associée à des femmes accompagnant des soldats pour les divertir en chantant et dansant et en percevant, elles aussi, une « solde ». Dans la lyrique galaïco-portugaise, les soldadeiras occupent un rôle assez complexe et elles font souvent l’objet de cantigas humoristiques et satiriques (1).
Eléments de biographie
Au XIIIe siècle, María la Balteira connut une popularité certaine à la cour de Fernando III, mais surtout, plus tard, à celle d’Alphonse X de Castille. Le nombre de troubadours lui ayant consacré des chansons ou ayant écrit des poésies, à son sujet, en témoignent. On compte même, parmi eux, le roi Alphonse le Sage en personne. D’après le peu que l’on en sait, cette femme de caractère serait issue d’une famille noble et native de Betanzos, dans la province de la Corogne, en Galice. Etonnement, il semble que le désir de liberté l’appela assez tôt au point qu’elle décida de se soustraire aux obligations du mariage et aux contraintes d’une vie toute tracée. Elle lui préféra donc une vie de musique de danse et de chant à la solde des princes et des rois et c’est dans leurs cours qu’elle exerça ses talents. Précisons encore que certaines cantigas de Escarnio autour des soldadeiras pouvaient verser dans des allusions assez grivoises. En fonction des médiévistes, ces dernières ont pu être, ou non, prises au pied de la lettre pour juger hâtivement la légèreté (voir la fonction professionnelle) de celles à qui elles étaient adressées. María la Balteira n’a pas échappé à cela et ce fut même l’occasion d’un débat d’experts. Les derniers d’entre eux semblent avoir tranché en faveur du deuxième degré (2).
En dehors des poésies qui la chantent, un document atteste de l’existence d’un María Perez dans sa Galice d’origine. En 1257, elle signa en effet, au monastère cistercien de Sobrado dos Monxes ce qui s’apparente à un document de cession d’un bien et d’échange de services contre quoi les moines s’engageait à prendre soin de son salut. Autrement dit, prier pour elle et l’enterrer auprès d’eux en terre chrétienne. On y trouvait également un engagement de prendre la croix pour aller combattre en terre sainte. Pour combattre ou suivre les troupes ? On ne le sait pas, pas d’avantage qu’on ne sait si elle put s’y rendre, ni, le cas échéant, ce qu’il y survint. Les médiévistes se perdent aussi en conjecture pour savoir s’il s’agit bien d’elle ou plutôt d’un homonyme.
Réalité ou métaphore ?
D’une manière générale, il est difficile de trier le vrai du faux au sujet de María la Balteira mais les cantigas lui associent tout un tas de pratiques qui sonnent aussi étonnantes que « garçonnes » : compétitions de tir à l’arbalète, jeux de dés à grand renfort de jurons. Tout ceci ne lui aurait d’ailleurs pas empêché de s’attirer les nombreuses faveurs de courtisans et troubadours à en juger toujours par le contenu de certaines poésies à son encontre. D’autres histoires encore plus surprenantes content même qu’elle aurait pu être agent secret du roi Alphonse X auprès d’autres souverains chrétiens mais aussi musulmans.
Que les exploits qu’on lui prête soient avérés ou non, les chansons à son sujet ne tournent jamais en dérision ses talents artistiques. Cela semble renforcer la reconnaissance de ses qualités auprès de ses paires et des cours qu’elle a fréquentées. Pour ses vieux jours, il semble que Maria Perez se retira dans sa province d’origine. Elle est probablement décédée après l’an 1257 et elle fut enterrée au monastère de Sobrado. Avec un tel itinéraire, on comprend aisément comment ce personnage féminin détonnant a pu susciter l’intérêt de Manseliña au point de lui consacrer un album.
Maria Pérez se maenfestou, l’album de Manseliña
« Maria Pérez se maenfestou, cantigas de escarnio a María Balteira » est donc le second album de l’ensemble médiéval. Le premier « Sedia la Fremosa » était consacré aux cantigas de amigo galaïco-portugaises. De l’aveu même de María Giménez, co-fondatrice de la formation, il aura fallu plusieurs années et de sérieuses recherches pour finaliser cette nouvelle production. Comme María la Balteira n’a pas composé directement (ce n’est pas un trobairitz), on y trouvera réuni les cantigas de escarnio et chansons satiriques que les troubadours de l’époque lui consacrèrent.
Avec près d’une heure d’écoute, l’album propose 16 cantigas dont 14 gravitent autour du personnage de María Pérez. Aucune notation musicale n’ayant subsisté pour accompagner ces pièces, la formation médiévale s’est exercée à l’art du contrafactum. Les mélodies utilisées pour mettre ces textes en musique proviennent donc d’origines diverses : lesCantigas de Santa Maria d’Alphonse X mais aussi des compositions de troubadours français ou des cantigas traditionnelles de Galice et du Portugal. Pour la chanson proposée aujourd’hui, c’est la CSM 170 (Cantiga de Santa Maria) qui a été utilisée.
Vous pouvez vous procurer cet album au format digital sur Spotify. Il est également disponible en ligne. Voir le lien suivant pour plus d’informations : Maria Pérez se maenfestou.
Artistes ayant participé à cet album
María Giménez (voix, vièle, percussions), Tin Novio (luth), Pablo Carpintero. (voix, instruments à vent et percussions).
O que veer quiser, ai cavaleiro, de João Vasques de Talaveira
La chanson médiévale du jour a été attribuée à la plume de João Vasques de Talaveira. Troubadour du XIIIe siècle, il était probablement natif de la région de Tolède. Pour le reste, son legs et ses cantigas semblent établir qu’il était bien introduit dans le cercle des troubadours entourant Alphonse X de Castille. Il nous a laissé autour d’une vingtaine de pièces dont des Cantigas de escarnio y maldizer, des Cantigas de amor et des Cantigas de amigo, mais encore des tensons ou tençons (ces joutes verbales poétiques très appréciées des troubadours du Moyen Âge central).
O que veer quiser, ai cavaleiro, Maria Pérez, leve algum dinheiro, senom nom poderá i adubar prol.
Ah Messires ! Ceux qui veulent voir Maria Perez, doivent avoir de l’argent Sans quoi ils n’obtiendront rien.
Quen’a veer quiser ao serão, Maria Pérez, lev’alg’em sa mão, senom nom poderá i adubar prol.
Ceux qui pour le spectacle (la soirée) veulent voir Maria Perez, ne doivent pas venir les mains vides Sinon, ils n’obtiendront rien.
Tod’home que a ir queira veer suso, Maria Pérez, lev’algo de juso, senom nom poderá i adubar prol.
Quiconque veut aller, en-haut, pour voir Maria Perez, doit porter quelque chose en-bas, sinon, ils n’obtiendront rien.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
NB : sur l’image d’en-tête on peut voir la formation Manseliña et, à l’arrière plan, une belle enluminure du Códice Rico des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Ce manuscrit médiéval, daté de la fin du XIIIe siècle (1280-1284), est actuellement conservé à la Bibliothèque royale du monastère de l’Escorial à Madrid, Espagne. Il est consultable en ligne ici.
Notes
(1) “Vós, que conhecedes a mim tam bem…” – as soldadeiras, Márcio Ricardo Coelho Muniz· (2) O contrato de María Pérez Balteira con Sobrado, Joaquim Ventura, GRIAL, revista Gallega de Cultura (numero 215 sept 2017) et
Sujet : justice médiévale, duel judiciaire, justice divine, film, cinéma, ordalie, duel ordalique. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle Film : Le Dernier Duel, (The Last Duel) Ridley Scott Adaptation du livre le Dernier Duel de Eric Jager Date de sortie : octobre 2021
Bonjour à tous,
otre rubrique cinéma pâtit souvent du peu de temps que nous avons à lui consacrer mais, à la faveur des fêtes, nous avons eu l’occasion de voir Le dernier duel de Ridley Scott et cela va nous fournir l’occasion d’un petit rattrapage.
Ridley Scott en terres de France
Quand un grand nom du cinéma anglo-américain comme Ridley Scott s’attaque à un sujet, le résultat laisse rarement indifférent. Le réalisateur a, dans son parcours, des films qui ont marqué à jamais l’histoire du 7eme art dans des registres aussi différents que les thrillers, la science fiction ou même les films sur fonds historiques.
Cette fois-ci, ce n’est pas dans l’espace profond qu’il nous entraîne à la recherche du huitième passager, ni même dans la forêt de Sherwood à la poursuite de Robin de bois, mais bel et bien, au temps médiévaux et, qui plus est, sur le sol de France. Ce dernier duel, sorti en octobre dernier dans les salles, nous invite donc à le suivre sur les traces du dernier duel judiciaire par ordalie de l’histoire française : celui qui vit s’affronter les nobles Jean de Carrouges et Jacques le gris, par un jour froid de décembre 1386. La joute impitoyable eut lieu dans le champ clos du monastère de Saint-Martin, à Paris. L’événement rameuta les foules et Jean Froissart, avant un grand nombre d’autres écrivains et historiens, le commenta largement dans ses chroniques.
L’histoire du dernier duel et son contexte
Historiquement, ce duel du XIVe siècle est assez bien documenté entre registres judiciaires et les chroniques. De notre côté et pour ceux qui nous suivent, nous avions déjà mentionné ce duel historique, il y a quelques années, à l’occasion d’un article sur les duels judiciaires et les jugements par ordalie au Moyen Âge.
Le film Le dernier duel est tiré du livre du même titre de Eric Jager, professeur de littérature médiévale et critique littéraire américain (2004). Pour poser le cadre, en essayant de ne pas trop en dévoiler, le dernier duel judiciaire français a opposé deux nobles normands : Jean IV de Carrouges , homme d’armes à la longue carrière qui avait notamment combattu aux cotés de Duguesclin et, face à lui, Jacques le gris, écuyer de son état et de moins grand nom mais puissant, semble-t-il, par ses possessions et richesses. Les deux hommes avaient été, par le passé, assez proches et même amis. Le premier était vassal et chambellan de Pierre II de Valois, comte d’Alençon. L’autre était le protégé de ce dernier et même son écuyer. Une suite de circonstances et de tensions ont pourtant éloigner les deux hommes. Il est question d’un incident sur un terrain promis en dot à Carrouges et qui sera, malgré les engagements du père de la futur épouse, repris par le comte d’Alençon pour être offert à Le gris. Le point culminant n’est cependant pas celui-ci mais l’accusation bien plus grave portée par l’épouse de Carrouges, Marguerite de Thibouville à l’encontre de l’écuyer du comte. Elle affirma, en effet, qu’après s’être fait ouvert la porte avec l’aide d’un complice, l’homme avait abusé d’elle et l’avait violée, en profitant de l’absence de son mari et de sa belle mère. Carrouges, revenu d’un voyage à Paris et rentré dans ses foyers, trouva sa femme en grand trouble et la questionna. L’histoire dit qu’elle lui confia alors les faits, en demandant à son époux d’en obtenir réparation en son nom.
Confondu, Le Gris refusa catégoriquement d’admettre l’accusation. Il dit même ne pas s’être trouvé sur place. Devant son obstination à nier, Jacques de Carrouges décida d’invoquer le duel judiciaire par ordalie. Il demanda donc, devant le parlement de Paris et le roi de France, de concéder l’organisation d’un combat, en bonne et due forme, pour permettre à la justice divine de trancher. En cas de victoire, le duel laverait son honneur et celui de sa femme. En cas de défaite, celle-ci serait brûlée, lui occis et leurs deux noms salis à jamais. La requête de Carrouges fut finalement acceptée malgré les gages donnés par le comte d’Alençon et ses intercessions en faveur de son protégé ; le parlement et le roi statuèrent loin de son influence.
Trois partitions pour un même drame
Le film met en opposition un Jacques de Carrouges, guerrier et chevalier loyal trempé de courage, un peu rustre (voire lourdaud et peu cultivé suivant les points de vues) contre un Jacques Le gris plus lettré et sophistiqué ; ce dernier nous est présenté comme un homme de cour à qui tout ou presque est concédé par sa simple proximité d’avec le comte. C’est aussi un coureur invétéré de jupons.
Côté scénario, Ridley Scott a fait le choix de livrer les trois partitions : celle de l’épouse, celle du mari, celle de Le Gris. Certaines critiques ont pu trouver le procédé un peu redondant en cela que les histoires comprennent de nombreuses convergences mais le réalisateur connait son affaire et arrive à les mettre au service de son récit. Les acteurs le servent parfaitement dans son entreprise avec un casting de haut vol. Jodie Comer est juste et superbe dans le rôle de Marguerite. Matt Damon, dans la peau de ce Jacques de Carrouges ombrageux et plein de ressentiment et Adam Driver dans le rôle d’un Le gris sur le fil, entre amitié sincère et perfidie, sont, eux-aussi, excellents. Pierre II de Valois, campé parfaitement par Ben Affeck, est présenté comme un personnage jouisseur et plutôt méprisable. Cette partie semble spéculative. Le scénario lui fait aussi jouer un rôle assez trouble dans les intrigues entre les deux hommes et, malgré la loyauté de Carrouges à son encontre, le comte d’Alençon et du Perche semble lui vouer quelque rancœur presque atavique.
Histoire médiévale et regards modernes
Sur le fond, la vision de Ridley Scott n’est pas exempte de parti-pris. Même s’il présente trois versions, avec ce dernier duel, lui et ses scénaristes ont choisi, à l’évidence, de nous conter la leur ; elle suit, d’ailleurs, de près la conviction de l’auteur du livre qui accrédite la version de l’épouse de Jacques de Carrouges. Disant cela, gardons en tête que l’ histoire n’a jamais su trancher objectivement sur ce qui est survenu ce jour là, ni sur les relations exactes qui ont lié ces trois personnages. Factuellement, Le Gris n’a jamais reconnu son crime même si, au vu du risque pris par Marguerite de Carrouges en exposant publiquement son infortune, on a, un peu, peine à imaginer qu’elle ait pu tout inventer. Froissard la décrit ainsi au moment du duel :
« Et vous dy qu’elle estoit en grans transses et n’estoit pas asseuree de sa vie. Car se la chose tournoit a desconfiture sus son mary, il en estoit sentencié que sans remedde on l’eust arse, et son mary pendu. » Jehan Froissart – Chroniques
Pour infirmer sa version, il faudrait lui prêter une confiance aveugle dans la capacité de son époux à triompher de Le gris sans quoi elle se serait trouvée condamnée au bûcher. L’affaire se complique d’autant qu’elle est tombée enceinte, apparemment suite aux faits. Y-a-t-il pu avoir une sorte de complicité entre les deux époux pour occire Le Gris ? C’est une autre hypothèse qui suppose là encore la certitude de vaincre. Par ailleurs, si l’enfant avait été de Carrouges, les époux auraient-ils pris le risque de le faire passer pour un bâtard en ourdissant un plan scabreux afin d’occire Le gris ? A tout cela, il faut encore ajouter les menaces proférées par le violeur après son forfait et portées par la plaignante au registre. Cela n’engage que nous mais elles nous semblent particulièrement criantes de vérité. Toutes ces hypothèses vous donnent une idée des spéculations sur lesquels les auteurs n’ont pas tari depuis. Dans la dernière version de ses chroniques, Froissart penche, lui aussi, en faveur de la version de Marguerite (1).
Dernier duel ou première #MeToo ?
Le titre peut prêter à sourire mais on n’a pas manqué de trouver, dans le film de Ridley Scott, des références directes à des idées qui semblent tomber à pic dans une actualité assez récente. Pour le réalisateur, il s’est agi indubitablement de traiter les deux sujets et il nous présente un peu Marguerite de Carrouges comme une des premières femmes de l’Histoire à s’être dressée contre l’abus sexuel. En tout état de cause, la volonté du réalisateur de transposer son regard actuel jusque dans l’histoire médiévale ou, au moins, d’y trouver de fortes résonnances est manifeste. Interrogés à la Mostra de Venise, lui et ses scénaristes (Matt Damon, Ben Affleck et Nicole Holofcener) ont d’ailleurs totalement assumés leur intention de se servir de la superproduction pour faire avancer les consciences modernes en matière de féminisme.
Au delà même de l’intrigue et dans ce même esprit, le film nous montrera encore une jeune femme esseulée et opprimée en train de se démener à grand peine, contre les mâles et la société patriarcale qui l’entourent : bringuebalée entre les jeux de pouvoir, troquée par son père contre des biens et des terres et pour un meilleur nom (dans une scène franchement digne d’un échange de rues et de gares au Monopoly), on la verra usée jusqu’à la corde par la gente masculine (le père, le mari, le prétendant). Elle sera encore violentée en permanence par un mari brutal, disons même bestial, et inculte incapable, à l’évidence, de lui donner du plaisir. Enfin, on la découvrira écrasée sous le poids de ses devoirs à l’égard du lignage ( injonction de fertilité, mépris, cf aussi la relation à la belle-mère, …). Au paroxysme de cette instrumentalisation, elle sera même (présentée comme) susceptible de se retrouver immolée sur un bûcher simplement pour permettre à son mari de laver son propre nom et honneur d’homme (2). C’est ce qu’on appelle la totale.
Un léger surdosage pour les besoins de la cause ?
En bref, femme spoliée, femme objet, femme ventre, femme chosifiée, femme sacrifiée, femme trahie jusque par ses amies (d’ailleurs, elle n’en a pas). Etre violée n’était pas suffisant. Il fallait décidément qu’il ne subsiste aucune lueur dans la vie de la Marguerite de Carrouges de ce Dernier duel. Les besoins de la construction dramatique peuvent, sans doute, en expliquer les raisons. Mais on peut, quand même, se demander si les scénaristes américains ne sont pas tombés un peu dans le Netflix : autrement dit, dans la tentation d’en étaler un peu trop, pour servir leur propos, au risque de verser dans une vision un brin caricaturale et victimaire plutôt tendance et, pour le coup, assez loin des réalités et des mentalités médiévales (« de l’instrumentalisation idéologique de l’Histoire », vous avez 2 heures). Au passage, tout cela nous fait inévitablement retomber dans cette vision habituelle et rabattue de la femme tout au long du Moyen Âge (quand ce n’est pas tout au long de l’Histoire). La médiéviste Régine Pernoud n’en aurait, sans doute, pas été ravie, elle qui avait œuvré, durant sa longue carrière, pour montrer, entre autre chose, la grandeur et le pouvoir des femmes durant cette longue période.
Bien sûr, me direz-vous, Ridley Scott n’avait sûrement pas la prétention de refléter toute la réalité du Moyen Âge dans son film, mais c’est un peu le problème des surproductions. En donnant l’impression d’illustrer des vérités immuables plutôt que ce qu’elles sont le plus souvent : des points de vue, elles finissent, quelquefois, par gommer les nuances. C’est un effet des idéologies distillées dans les films ou les séries qui a été, plus d’une fois, mis à profit. On sait que ce type de fiction peut finir par être maladroitement, interprété ou généralisé pour laisser, à sa traîne, des perceptions un peu simplistes de la réalité, voire des aprioris (cf le film Le Nom le Rose et l’inquisition médiévale). Tout ça est donc à prendre avec un peu de recul et, disons-le, même si cela parait évident : ce film n’est pas sorti d’un laboratoire de recherche et n’est pas non plus un documentaire. Pour le dire autrement, toutes les femmes du Moyen Âge n’étaient pas des Marguerite de Carrouges à la façon de Ridley Scott.
Un ensemble relativement réussi malgré le fond idéologique un peu lourd
Si le box office n’a pas rendu justice à ce long métrage d’un point vue financier, cet insuccès est largement démérité. Il faut espérer que son thème historique n’en est pas la cause et aussi se souvenir qu’en son temps Blade Runner, du même réalisateur, s’était fait descendre par les critiques avant de devenir un film SF culte. Boudé par le grand public, dans les salles, Le Dernier duel est pourtant un bon Ridley Scott. L’ensemble est contrasté, épique, mené à bon rythme, même si, disons-le pour les âmes sensibles, certaines scènes de combats et de bataille sont violentes. Pour que ce soit moyenâgeux, il fallait bien que cela tranche un peu et cela donne aussi à l’ensemble un côté réaliste : de l’abus subi par l’épouse de Carrouges à la vie militaire de son guerrier d’époux et ses épopées sanglantes en terrain ennemi, Scott nous dépeint un monde rude et sans concession.
Est-ce encore un monde d’hommes avec sa réalité barbare (guerroyer, occire ou se vautrer dans le stupre) qu’il a cherché à suggérer, par contraste, avec les espaces silencieux et feutrés de la femme et de son attente (voir le Brécheliant de Annick Le Scoëzec Masson) ? Quoi qu’il en soit, sa plongée dans le monde médiéval est assez réussie et, d’un point de vue historique, on aimerait voir cette qualité au rendez-vous plus souvent ; la rigueur n’étouffe pas, en général, le cinéma outre-Atlantique quand il s’attaque à la période médiévale. Il a même plus souvent tendance à se retrancher dans le médiéval fantasy, ce qui vaut toujours mieux qu’une référence historique ratée et sans recherche sérieuse, même si cela fournit très souvent le prétexte aux pires scénarios (voire âneries).
Pour conclure, on ne peut pas s’empêcher de se dire que cette histoire qui s’est déroulée sur notre sol devait sans doute passer par un auteur et un réalisateur étranger pour susciter un intérêt cinématographique. Apparemment, Martin Scorsese avait aussi louché dessus, un peu après la sortie du livre, mais finalement sans s’y atteler. Mais va ! Consolons-nous. Si on aurait rêvé de voir ce film médiéval réalisé localement, avec de vrais moyens, Ridley Scott l’a servi avec tout son talent. L’histoire de ce dernier duel judiciaire le valait bien et il y a suffisamment peu de films intéressants sur la période médiévale pour ne pas bouder notre plaisir et même en redemander.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
NB : l’enluminure de l’image d’en-tête est tirée du Royal MS 14 E IV de la British Library. Ce manuscrit de la fin du XVe est le troisième tome des Anciennes et nouvelles chroniques d’Angleterre de Jehan de Wavrin. Il peut être consulté en ligne au lien suivant. Au premier plan de l’image vous aurez reconnu l’actrice Jodie Comer qui incarne Marguerite de Carrouges dans le film de Ridley Scott.
(2) Attention divulgâchage : il y a, du reste, un renversement assez paradoxal opéré par les scénaristes à un moment donné. Marguerite est présentée, tout du long, comme fortement déterminée à laver son propre nom et à prouver qu’elle dit bien la vérité. C’est même elle qui pousse largement son époux à tout faire pour cela. En revanche, quand elle comprend que le duel à mort présente non seulement pour son époux le risque de périr mais aussi pour elle (elle sera exécutée s’il perd), elle lui reproche d’avoir mis sa vie à elle en danger et de l’avoir instrumentalisée.