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Lancement du Brussels Renaissance Festival au KBR Museum de Bruxelles

Sujet : festival médiéval, conférences, ateliers, exposition, manuscrits anciens, ducs de Bourgogne, enluminures, miniatures, Belgique médiévale
Période : Moyen Âge central à tardif
Lieu : KBR Museum,  Mont des Arts 28, Bruxelles. Belgique
Dates : du 19 juin au 11 juillet 2021

Bonjour à tous,

ur un agenda brûlant d’actualité, le KBR Museum de Bruxelles a réglé son horloge temporelle sur le moyen âge tardif et la renaissance et se propose de vous entraîner à la découverte de la Librairie des Ducs de Bourgogne et de la Belgique médiévale.

A partir du XIVe siècle, la belle capitale belge était, en effet, à la main de la très puissante maison bourguignonne. La bibliothèque nationale a ainsi hérité d’un riche patrimoine d’époque et de manuscrits anciens qu’elle se propose d’exposer aux yeux du public pendant près d’un mois. Avant de parler du riche programme de ce Festival, disons un mot du KBR Museum pour ceux qui ne le connaîtrait pas.

Le KBR Museum de Bruxelles

On connaissait auparavant, cette belle et digne dame, amoureuse d’Histoire et de culture, sous le nom de Bibliothèque Royale de Belgique. Fondée officiellement dans la première partie du XIXe siècle, en 1837, sa prédécesseure avait hérité, dès le XVe siècle, d’un fonds impressionnant de 900 manuscrits en provenance des Ducs de Bourgogne, fonds lui-même cédé à la capitale Belge en 1803.

restauration de manuscrits anciens au KBR Museum

Loin de l’archive bourguignonne des origines, le KBR Museum compte, de nos jours, pas moins de 7 millions de documents : cette archive monumentale est en évolution constante. Elle est conservée précieusement par des férus d’histoire et de patrimoine, de grands passionnés qui ont décidé de faire de la conservation, mais aussi de la transmission, leur métier.

Aujourd’hui, le KBR Muséum est donc un peu l’équivalent belge de notre BnF : une institution ayant pour mission de conserver, restaurer et proposer à la consultation, un patrimoine documentaire, culturel, scientifique, historique et pluridisciplinaire d’une valeur inestimable. Quant à son appellation, ce n’est qu’en 2019 que la Bibliothèque Royale de Belgique fut rebaptisée ainsi. La notion de Museum ouvre un peu plus sur sa vocation de conversation et d’exposition. Quant au sigle KBR, il est la marque de la double appartenance flamande et wallonne de la Belgique puisque c’est le résultat de la contraction de Koninklijke Bibliotheek (Bibliothèque royale en flamand) et Bibliothèque Royale (en Français donc) : K (Koninklijke) et R (Royale) avec un seul B central pour signifier le mot Bibliothèque/Bibliotheek. En somme, une modernisation de son nom qui s’inscrit dans la continuité historique.

Brussels Renaissance Festival, le programme

Anciennement nommé le Festival Carolus V, l’événement a lui aussi été rebaptisé. Désormais, il porte l’appellation de Brussels Renaissance Festival. Son nom s’anglicanise aussi à l’occasion de cette nouvelle édition 2021, sans doute pour mieux consacrer l’ouverture sur le monde de la capitale européenne. C’est d’ailleurs visit.brussels qui l’organise en partenariat avec le musée. Cette grande agence du tourisme et de la culture de la Région de Bruxelles a pour vocation de promouvoir la capitale intra muros mais aussi, bien au delà, auprès de l’ensemble des populations européennes.

Exposition de manuscrits médiévaux des Ducs de Bourgogne

Exposition de la Librairie des Ducs de Bourgogne

Du 19 juin au 11 juillet 2021, l’événement vous propose de découvrir de vos propres yeux, ce véritable joyau historique qu’est la librairie des Ducs de Bourgogne. Cette collection unique, engagée au milieu du XIVe siècle par Philippe le Hardi et scellée à la fin du XVe par la mort de Charles le Téméraire, contenait alors 900 manuscrits. La Bibliothèque Royale en conserve, de nos jours, un tiers. Ce fonds médiéval qui n’avait rien à envier, en son temps, avec ceux des plus belles bibliothèques d’Europe, touche toutes les thématiques et on y trouve aussi des trésors d’illustrations par les plus grands enlumineurs du Moyen Âge tardif.

Conférences & ateliers : dans les pas des peintres et des enlumineurs flamands

Brussels Renaissance Festival, affiche du festival

Pour compléter la découverte de ces manuscrits médiévaux, le KBR vous propose une véritable initiation aux arts de l’enluminure et des miniatures au Moyen Âge tardif, à travers conférences et ateliers.

Ainsi le 11 juillet, Véronique Bücken, chef de section aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, vous proposera de mettre en miroir art des enlumineurs et peintures dans les Pays-Bas bourguignons des XVe, XVIe siècles. Ce sera aussi l’occasion de partir à la découverte de l’univers des fabuleux peintres flamands de la fin du Moyen Âge et des débuts de la Renaissance. Le 27 juin, Les flamandophones pourront, quant à eux, assister à une conférence de Till-Holger Borchert sur la peinture sur parchemin, de Jan van Eyck à Simon Bening.

Pour découvrir plus en profondeur cette période et son art autour des manuscrits, rien de tel que mettre la main à la pâte. Deux ateliers du festival vous y inviteront. Le premier aura lieu le 29 juin. Il consistera en une initiation à la calligraphie, plume à la main. Ce sera le moment d’éprouver vos talents et de savoir quel copiste vous auriez pu être aux temps médiévaux. Le second atelier, en date du 1er juillet, vous invitera à la peinture aux pigments. Après la calligraphie, ce sera donc le temps de la mise en couleur. Vous y apprendrez à manipuler, mélanger et fixer vos pigments, avant de les appliquer sur des modèles de miniatures ou d’enluminures.

Initiation à la gastronomie médiévale

gastronomie médiévale, manuscrit ancien le Mesnagier de Paris
Le Mesnagier de Paris, ms. 10310-11 KBR Museum Bruxelles

Du côté de la mise en pratique, le festival complétera son offre, en conviant ceux qui le souhaitent, à un détour gastronomique par le nouveau restaurant du musée. En fait de participation active, il s’agira là de mettre les pieds sous la table et de se laisser choyer par le chef de la Maison Albert, Filip Fransen et sa brigade. Ils vous proposeront, pour l’occasion, une carte aux accents médiévaux directement inspirée du « Mesnagier de Paris », célèbre traité ménager de la fin du XIVe siècle qui contient, entre autre chose, des recettes de cuisine. Que les frileux, s’il en est, tentés de bouder cette offre gastronomique venue du passé, soient ici rassurés : la carte moderne habituelle coexistera avec cette offre médiévale « spécial festival ».

Pour clore ce vaste programme, gageons qu’on ne se déplacera, certainement pas au musée sans visiter l’ensemble de l’institution. Le cas échéant, de nombreuses formules de visites thématiques y sont proposées. Pour plus d’informations et tous détails utiles, vous pouvez retrouver le programme détaillé du Festival sur le site du musée.


Découvrir le KBR Museum autrement

Buste Duc de Bourgogne, KBR Museum

Pour ceux qui n’auraient pas la chance de se déplacer physiquement à Bruxelles, à l’occasion de cet événement, nous vous recommandons tout de même de prendre un instant pour consulter le site officiel du KBR Museum. Vous y trouverez une bibliothéque numérique riche de nombreux documents et manuscrits anciens, entre lesquels une partie de la librairie de Ducs de Bourgogne, des croquis incroyables de Pieter Bruegel et, pour nos amis mélomanes, des partitions de musique ancienne et classique datées du XIXe siècle. Cette liste est loin de résumer l’intérêt du site. Entre autre contenu, l’institution vous invitera également à flâner dans ses couloirs et ses expositions à travers une sympathique visite virtuelle.

Pour clore cet article, si vous hésitiez encore à faire un saut en Belgique à la faveur de ce bel événement culturel et médiéval, considérez encore le charme incomparable d’un séjour à Bruxelles. Entre sa gastronomie, ses animations, ses pubs, ses atouts historiques, mais encore l’esprit pétillant de ses habitants et leur sens de l’accueil, la capitale Belge saura vous fournir le cadre de moments uniques, en journée comme en soirée, au sortir du Musée.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

en août, le grand retour du festival de musique Voix et Route Romane

Festival de musiques médiévales Voix et route Romane

Sujet : événement, festival  musiques anciennes, musiques médiévales, patrimoine, églises romanes, chants polyphoniques, églises médiévales, Espagne médiévale
Période : Moyen Âge (XIIe au XVe s)
Evénement : 29 eme Festival Voix et Route Romane, « Ibérica »
Dates : du  27 août au 12 sept 2021
Lieu : Alsace, itinérant (route romane)

Bonjour à tous,

ur l’agenda des événements à retenir autour du Moyen Âge et de ses musiques, le vendredi 27 Août marquera le retour du Festival Voix et Route Romane. Il s’étalera, à l’habitude, sur plusieurs week-end, trois en tout, et proposera pas moins de 8 concerts d’exception, jusqu’à sa clôture, le dimanche 12 septembre.

Le Festival Voix et Route Romane :
musiques médiévales et patrimoine

Depuis quelques années déjà, nous relayons, avec plaisir, cet événement qui célèbre le Moyen Âge de plusieurs manières. Rappelons un peu ses fondamentaux avant de fournir plus de détails sur son programme 2021.

Le festival Voix et Route Romane affiche une double ambition : musicale et patrimoniale. Sur le mode itinérant, il se propose ainsi de faire découvrir à ses publics, les plus beaux monuments d’architecture romane de la région Grand Est et plus précisément d’Alsace, tout en les délectant de concerts de musiques médiévales donnés par les ensembles les plus prestigieux du moment.

« Iberica » : l’Espagne médiévale en vedette

Affiche du Festival de musiques médiévale Voix et route Romane

Pour cette édition, c’est « Iberica » qui sera à l’honneur, ou, si l’on préfère, l’Espagne médiévale. Ceux qui nous suivent savent combien ce thème nous est cher et, à dire vrai, ce programme 2021 s’avère plus que prometteur. Il proposera, en effet, un voyage autour des trois cultures et religions qui coexistaient alors sur la péninsule.

Pas question pour autant de tomber dans un idéalisme un peu surfait. L’introduction du programme du festival donne d’emblée le ton. On y apporte quelques bémols historiques à cette vision romancée qu’on retrouve parfois, ici ou là, d’une Espagne médiévale ou même d’une Andalousie totalement pacifiées où les 3 religions monothéistes et leur gens auraient coexisté dans une sorte d’égalitarisme, de liesse et de tolérance lisses. La réalité est un peu moins idyllique même si, en se souvenant de cours royales comme celle d’Alphonse X le savant, les organisateurs de l’événement rappellent très justement qu’à un certain niveau d’érudition et de pouvoir, l’atmosphère avait pu être quelquefois propice aux échanges et aux enrichissements mutuels.

Ajoutons que ce thème de l’Espagne médiévale tombe d’autant plus à point pour le festival qu’on célèbre, cette année, le 800e anniversaire de la naissance d’Alphonse X de Castille. Il aura, bien sûr, sa place dans la programmation, avec notamment ses cantigas de Santa Maria.

Iberica 2021 : les formations et les concerts

Voici un aperçu de ce que les organisateurs vous ont concocté. Pour ce cru, 8 ensembles de musique ancienne ont été invités.

Premier week-end, les 27 et 28 août.

Eduardo Paniagua, ensemble médiéval

Du point de vue des formations, c’est Eduardo Paniagua qui ouvrira le bal, le vendredi 27 août au soir, avec un concert dans le ton. Intitulé L’Espagne des trois cultures, ce programme verra les chants chrétiens, juifs et arabes du Moyen Âge se rejoindre et s’enchaîner sur scène, sous la houlette du grand directeur espagnol.

La Roza Enflorese, ensemble de musique médiévale

Il sera suivi, le lendemain, par l’ensemble La Roza Enflorese, originaire, quant à lui, de Belgique (comme son nom ne l’indique pas). Menée par ses deux fondateurs, la mezzo soprano Édith Saint-Mard et le flûtiste Bernard Mouton, entourés d’autres musiciens, cette formation médiévale, qui fêtera, cette année, ces 21 ans de carrière s’est consacrée tout particulièrement aux chants judéo-espagnols de la diaspora séfarade.

Second week-end, les 3,4 et 5 septembre

Ensemble Discantus, musiques anciennes et médiévales

C’est l’Ensemble Discantus qui ouvrira, le week-end suivant, avec un concert dédié aux cantigas de Sant Maria d’Alphonse X (le vendredi 3 septembre). Dans l’esprit de l’album Santa Maria, chants à la vierge dans l’Espagne du XIIIe siècle de cette formation médiévale, les cantigas d’Alphonse le Sage côtoieront ici des pièces mariales variées du Moyen Âge central et du XIIIe siècle (chants de troubadours, chants polyphoniques cisterciens, etc.). Avec ses sept voix féminines de toute beauté au rendez-vous, ce concert donné à l’Eglise de Sain-Foy de Sélestat, s’annonce comme une belle promesse d’émotion et d’évasion.

Proyecto EVOCA; quatuor médiéval

Le samedi 3, succédera une autre formation vocale féminine : Proyecto EVOCA. Ce jeune Quatuor d’origine espagnole s’est donné pour objectif « l’Exploration de la Vocalité et de l’Oralité du Chant Antique » (EVOCA) ; il proposera ici un premier programme élaboré à partir du Codex Calixtinus, manuscrit médiéval du XIIe siècle consacré à l’évocation de la vie de Saint-Jacques de Compostelle.

Cum Jubilo, formation de musique médiévale

Pour clôturer ce week-end sous des auspices artistiques très féminines, c’est Cum Jubilo, une formation française qui prendra le relai. Le dimanche, ce quintet féminin suivra, lui aussi, l’inspiration de Santiago mais en y ajoutant, cette fois, l’angle des routes de pèlerinages. Ainsi, le Codex Calixtinus viendra s’y trouver enrichi d’emprunts au corpus des Cantigas de Santa Maria. Encore un beau voyage en perspective.

Troisième week end, les 10,11 et 12 septembre

Tasto Solo, musiques du Moyen Âge et de la Renaissance

Le dernier week-end s’ouvrira sous la direction de Guillermo Pérez et sa formation Tasto Solo, dont le répertoire prend racine dans le Moyen Âge pour s’étendre jusqu’à la Renaissance. Son programme, au titre évocateur de La Flor en Paradis, entraînera son audience au XIVe siècle dans les monastères et les cours de Castille et d’Aragon. La créativité de son directeur autant que son parti pris de proposer un véritable spectacle vivant et riche d’improvisation devrait faire de ce concert un autre temps mémorable du festival à ne pas manquer.

La Quintina ensemble de musiques polyphoniques anciennes

Le samedi 11, ce sera au tour du jeune ensemble La Quintina de monter sur scène. Fondée en 2019, sous la direction du ténor Jérémie Couleau, cette formation française s’est donnée pour ambition de faire revivre les polyphonies oubliées sans se cantonner à une époque, i une ère géographique particulière. Leur concert, qui aura lieu en l’église de Saints-Pierre-et-Paul de Sigolsheim, entraînera son public dans la deuxième moitié du XVe siècle et, en Espagne, comme il se doit. On y suivra les pas et l’œuvre de Juan de Triana, compositeur espagnol, héritier de l’Ecole Franco-flamande et de ses chants polyphoniques. Sur les 20 pièces léguées par ce maître de musique de la renaissance, Jérémie Couleau et son ensemble se proposera de vous faire revivre ses chants spirituels.

Canticum Novum, musiques de l'Espagne médiévale

Enfin, le dimanche 12 septembre, pour clore ce festival en beauté, c’est l’ensemble français Canticum Novum qui nous fera voyager, une dernière fois encore, sur les routes menant à l’Espagne médiévale. Créée à la fin des années 90 par le contre-ténor et directeur d’orchestre Emmanuel Bardon, la formation explore depuis, les voies de la musique ancienne. Ayant fait de l’Europe et du bassin méditerranéen, sa zone de prédilection, il entend y questionner les échanges interculturels et les notions d’identité et de transmission. Pour ce concert de clôture, tout (ou presque) est dans le titre : Samâ-ï, Les routes d’Al-Andalous de Cordoue à Alep. On y partira donc sur les traces de la musique Arabo-Andalouse, de son émergence à son histoire et ses évolutions.

Un festival pour tous

carte des lieux du festival Voix et Route Romane

Bien entendu, le Festival Voix et Route Romane ne s’adresse pas qu’à la clientèle régionale du Grand Est. Il demeure, au contraire, totalement ouvert, ajoutant encore à sa vocation culturelle, historique et patrimoniale, une dimension touristique. Aussi, si vous ne connaissez pas la région et que vous êtes férus de musiques anciennes et de moments inoubliables dans des cadres enchanteurs, cela pourrait être un très beau choix de destination pour cet été.

Nous vous laisserons découvrir les tarifs des concerts (voir lien vers le site ci-dessous) mais nous pouvons déjà vous dire que les formules restent étonnamment accessibles au regard de la qualité proposée. Pour plus de détails sur cela, ainsi que sur les dates, lieux et réservations, merci de vous reporter au site officiel du Festival Voix et Route Romane (vous pouvez également le télécharger le programme du festival au format pdf sur ce lien alternatif).

En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE

Pour moyenagepassion.com
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Au XIVe s, un rondeau sur la Franchise, signé Eustache Deschamps

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, rondeau, manuscrit ancien, poésie morale.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur  :   Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Ne porroit pas Franchise estre vendue»
Ouvrage  :  Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, Tome IV,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle incursion au Moyen Âge tardif avec une poésie courte d’Eustache Deschamps. Ce rondeau porte sur la franchise et s’inscrit dans la lignée des nombreuses poésies que nous légua cet auteur médiéval sur les valeurs et la morale. Il nous donnera l’occasion de réfléchir sur la notion de franchise telle qu’employée dans le moyen-français d’Eustache.

Eloge de la sincérité et du franc-parler ?

En ce qui concerne la franchise au sens étroit et moderne de sincérité, liberté de ton, Eustache Deschamps l’a souvent portée haut. Il s’est exprimé, à ce sujet, dans de nombreuses ballades et poésies.

« Chascuns doit faire son devoir
Es estas
(condition sociale)  ou il est commis
Et dire a son seigneur le voir
(la vérité)
Si que craimte, faveur n’amis,
Dons n’amour ne lui soient mis
Au devant pour dissimuler
Raison, ne craingne le parler
Des mauvais, soit humbles et doulz;
Pour menaces ne doit trembler :
On ne puet estre amé de tous. »


Eustache Deschamps On ne puet estre amé de tous

Il n’a pas fait que vanter les vertus de la sincérité, il a aussi souvent critiqué les travers inverses en prenant, très ouvertement à partie notamment, l’ambiance des cours royales dont il était familier et la fausseté des relations qui y régnait : menteries, flatteries, flagorneries, …

« Mentir, flater, parler de lécherie* (débauche) :
Va à la court, et en use souvent. »

Eustache Deschamps – BaladeVa à la court, et en use souvent.

Cette « franchise » au sens de franc-parler, Eustache en a aussi fait les frais, en essuyant un certain nombre de déboires pour ne pas en avoir manqué. Pour n’en donner qu’un exemple, on citera cet épisode conté par Gaston Raynaud, dans le tome XI des Œuvres complètes (opus cité). On était en 1386, en Flandres. Le temps était gros. Retenue par quelques barons et conseillers frileux, la flotte française hésitait à s’embarquer pour l’Angleterre ; pressé d’en découdre avec l’angloys, Eustache fustigea, auprès du jeune roi Charles VI, certains de ses amis qui se trouvaient là, pour leur mollesse et leur lâcheté. Las, on ne prit pas la mer et le vent tourna bientôt en défaveur de notre auteur. Non seulement, on n’embarqua pas mais pire : « irrités de sa franchise et de ses satires, les jeunes hommes dont il s’est moqué pénètrent un jour dans sa tente, le battent et, menottes aux poings, le promènent dans le camp comme un larron ». (op cité Tome XI p 51 Vie de Deschamps). On ne peut manquer d’imaginer qu’il paya ce ton moralisateur et critique par certaines autres mises à distance, même s’il ne faut pas non plus les surestimer.

Tout cela étant dit, voyons, d’un peu plus près, le sens que peut recouvrir cette notion de « franchise » au temps médiévaux, mais surtout chez Eustache.

liberté, noblesse, affranchissement :
les autres sens de « franchise »

Dans le Petit dictionnaire de l’ancien français de Hilaire Van Daele, on trouve « franchise » définie comme franchise, mais encore comme noblesse d’âme et générosité. Ces deux définitions sont également reprises dans le Godefroy court : noblesse de caractère, générosité (Lexique de l’Ancien français, Frédéric Godefroy, 1901).

Dans le Cotgrave, A dictionarie of the french and english tongues, compiled by Randle Cotgrave (1611), franchise rejoint d’abord l’idée de « freeness, libertie, freedom, exemption ». Viennent s’y adjoindre ensuite des notions comme « good breeding, free birth, tamenesss, kindliness, right kind » (bonne éducation, bon lignage, naissance libre, raison, gentillesse, noblesse de cœur, …) et enfin des notions proches de franchise au sens juridique (charte de franchise, affranchissement, lieu privilégié, …).

Pour finir, dans le très fouillé Dictionnaire historique de l’ancien langage françois ou Glossaire de la langue françoise de son origine jusqu’au siècle de Louis XIV, par la Curne de Sainte-Palaye, la franchise recouvre tout à la fois des notions de loyauté, crédit, liberté, privilège, exemption… A la définition de Franc : « noble, libre, sincère », donné par ce dernier dictionnaire viennent aussi se greffer tous les aspects juridiques de la franchise, pris dans le sens d’affranchissement (terre en franchise, asiles, droits dans les forêts, lettre de grâce…).

L’usage du mot franchise chez Eustache

Chez Eustache, On retrouvera un usage abondant de la notion de franchise. Il l’a mise mise à l’honneur dans plusieurs ballades : Noble chose est que de franchise avoir ou Rien ne vaut la franchise. Il en a même fait un lai : le lay de franchise. Pour mieux cerner l’usage qu’il fait de ce terme, voici quelques exemples pris dans son œuvre.

Dans la plupart des contextes, nous constaterons un sens différent de notre définition moderne de franc-parler ou de sincérité. Bien sûr, il ne s’agit pas non plus de la notion de « franchise » qui se réfère aux contrats commerciaux régissant l’exploitation ou la concession d’une marque et de ses produits. Si dans son approche de la notion, Eustache lui prête à l’évidence une noblesse « de fait », nous sommes plus proches de son sens dérivé de « franc », soit l’idée de liberté et d’indépendance.

« Les serfs jadis achaterent franchise
Pour estre frans et pour vivre franchis.

Car li homs serfs est en autrui servise
Comme subgiez en servitute chis ;
Mais quant frans est, il est moult enrrichis
Et puet partout aler ou il lui plaist,
Mais ce ne puet faire uns homs asservis,
Pour ce est li homs eureus qui frans se paist. »

E Deschamps – Balade contre le mariage, bonheur de l’indépendance

« Prince, en net lieu, en corps de souffisance
Fait bon avoir sa chevance et franchise.
Ces .III. dessus avoir en desplaisance.
Tiers hoir ne jouist de chose mal acquise. »

E Deschamps – Balade aveques quelz gens on doit eschiver mariage

« Laissez aler telz tribulacions,
A telz estas n’acomptez .ii. festus;
Cognoissez Dieu, fuiez decepcions ;
Souffise vous que vous soiez vestus,
Que vivre aiez; entendez aux vertus ;
Aprenez art qui bien régner vous face ;
Soiez joieus et aiez liée face;
Sanz plus vouloir, tel estat vous souffise ;
Lors vivrez frans, sanz paour et sanz chace :
II n’est trésor qui puist valoir franchise. »

E Deschamps – Balade Rien ne vaut la franchise.

Voie moyenne & liberté plutôt que servitude

Dans ces trois exemples, il est bien question de liberté et d’indépendance et il semble que ce soit encore ce sens qui l’emporte dans le rondeau du jour. Pour éclairer cet usage, on pourrait encore y ajouter la notion de Franc-vouloir : autrement dit franc arbitre, libre arbitre.

On notera que cette notion de franchise s’articule souvent chez Eustache avec la nécessité de conduire la voie moyenne. Autrement dit, l’indépendance n’a pas de prix et il faut mieux vivre libre et dans la modestie que servile ou servant, dans l’opulence. Voici un quatrième exemple pour illustrer cette idée :

Qui sert, il a moult de soing et de cure ;
Se femme prant, d’acquerre art trestous vis;
S’il est marchant trop a grief pointure.
Et se il est gouverneur d’un pais,
II est souvent de pluseurs envahis,
Et s’il a foison de mise,
Lors li sera mainte doleur amise
Et lui faurra laissier de son avoir;
Qui assez a franchement, lui souffise,
Noble chose est que de franchise avoir.

E Deschamps Noble chose est d’avoir la Franchise.

Comme vous l’aurez compris (et c’est un autre leçon de cet article), au delà des apparences et même quand leur langage nous semble immédiatement accessible, il ne faut pas sous-estimer le sens caché des textes médiévaux. La langage évolue à travers le temps et même quand les vocables sont les mêmes, il n’est pas toujours aisé d’en percer le sens véritable. C’est d’autant plus vrai face à un moyen-français qui nous semble parfois si proche mais qui nous est distant de plus de 600 ans.


Ne porroit pas Franchise estre vendue
un rondeau d’Eustache Deschamps

NB : dans l’ouvrage du Marquis de Queux de Saint-Hilaire (op cité), le titre adopté pour ce rondeau est « Il faut garder la franchise. » On ne retrouve pas ce titre dans le Français 840. Les autres rondeaux n’en possèdent pas non plus. Il est donc plus sûrement le fait de l’auteur moderne que d’Eustache Deschamps.

Pour trestout l’or qui est et qui sera
Ne porroit pas Franchise estre vendue ;

Cilz qui la pert ne la recouverra
Pour trestout l’or qui est et qui sera.

Or la garde chascuns qui le porra,
Car d ‘omme franc ne doit estre rendue :
Pour trestout l’or qui est et qui sera
Ne porroit pas Franchise estre vendue.


Sources médiévales et historiques

On pourra retrouver ce rondeau, aux côtés de nombreux autres, dans le tome IV des Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps (op cité)

Du point de vue des sources manuscrites, il est présent dans le Manuscrit médiéval Français 840 conservé à la BnF. Cet ouvrage daté du XVe siècle et dont nous vous avons déjà dit un mot, contient essentiellement les poésies « d’Eustache Deschamps dit Morel ». Elles sont suivies d’une poésie latine datée de la fin du XIVe siècle. On peut consulter le Français 840 en ligne sur Gallica. Ci-dessus, vous trouverez également le feuillet de ce manuscrit sur lequel on retrouve notre rondeau du jour.

En vous remerciant de votre lecture.
Une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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NB : l’image en tête d’article présente, en arrière plan, la page du rondeau d’Eustache Deschamps tirée du Ms Français 840. Le premier plan est un clin d’œil aux valeurs chevaleresques : il s’agit du chevalier Gauvain. Nous l’avons tiré d’une miniature/enluminure du Manuscrit Français 115 de la BnF. Cet ouvrage de la fin du XVe siècle présente une version illuminée du Lancelot en Prose de Robert Boron. Il fait partie d’un ensemble de plusieurs tomes consacrées au Saint-Graal et au roman arthurien.

Les Grandes dames de la guerre de Cent Ans (3) : Christine de Pizan, la championne des dames

Sujet : guerre de cent ans, destin, femmes, monde médiéval, saga historique, roman, jeanne d’Arc, Charles VII. auteur médiéval
Période : XVe siècle, Moyen Âge tardif
Portrait : Christine de Pizan (1364-1430)
Auteur : Xavier Leloup
Ouvrage : Les Trois pouvoirs (2019-2021)


En plein Moyen Âge tardif et au cœur de la guerre de Cent Ans, le destin de grandes femmes a marqué, à jamais, celui de la France. Dans ce cycle, nous vous présenterons quatre d’entre elles. Nous poursuivons, aujourd’hui, avec la troisième : Christine de Pizan.


a guerre de Cent Ans ne fut pas qu’une période sombre. Le XVe siècle voyait aussi l’émergence de la première femme de lettres française : Christine de Pizan. Grâce au soutien des plus hauts personnages du royaume, à commencer par la reine Isabelle de Bavière, cette femme engagée a pu produire une œuvre extraordinairement éclectique ; et qui nous surprend encore par sa modernité.

Une chef de famille

Fille d’un médecin italien appelé auprès de Charles V, Christine de Pizan est une française d’adoption. Mais qui deviendra rapidement très parisienne. Bénéficiant de l’enseignement de son père et de la fréquentation du milieu de la chancellerie royale, elle baigne d’emblée dans un milieu intellectuel très actif et ne quittera quasiment jamais la capitale.

Christine de Pizan, Cent balades et œuvres diverses, miniature du MS Français 835, BnF (début XVe s)

A 23 ans, la mort prématurée de son mari la plonge dans la tourmente : elle doit faire face à de lourdes dettes alors que ses trois filles, une nièce et sa mère dépendent entièrement d’elle. Christine entreprend alors de faire valoir ses droits par la voie judiciaire. Un combat de plusieurs années qui lui vaudra quelques victoires, mais ne réglera pas pour autant tous ses problèmes d’argent. Si bien qu’après les procès, Christine de Pizan prend une nouvelle décision courageuse : celle de gagner sa vie à la pointe de sa plume.

Il s’agira d’abord de poèmes amoureux et de compositions religieuses, puis d’œuvres morales, enfin de traités historiques et politiques. Ainsi se fera-t-elle repérer par le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, oncle de Charles VI, qui lui demandera de rédiger une vie de son frère Charles V. Avant que le frère du roi et régent du royaume, Louis d’Orléans, ne la présente à la reine Isabelle de Bavière. Christine de Pizan lui dédiera bientôt une Epître, ce qui lui vaudra de devenir l’une de ses dames de compagnie et de recevoir une pension de « chambrière ».

Dès lors, sa carrière est lancée. Christine de Pizan enchaîne les œuvres pour le compte des Puissants, qui en retour la gratifieront de sommes d’argent, d’objets précieux, d’immeubles, de pensions ou d’offices. Les droits d’auteur n’existant pas encore, ce système de mécénat se révélera essentiel au soutien de sa famille.

Christine de Pizan cité des dames, miniature médiévale
Ms Français 1178, BnF, département des manuscrits. Prudence, Justice et Rectitude apparaissent à Christine de Pizan et lui suggèrent l’écriture de sa “Cité des Dames” qu’elle entreprend d’édifier.

Dès lors, que peut-on retenir de son œuvre ?

D’abord, son éclectisme. Ce qui frappe chez Christine de Pizan, c’est sa curiosité d’esprit. Du règne de Charles V au panégyrique de Jeanne d’Arc à l’art de chevalerie ou encore au récit de sa propre vie, elle semble vouloir s’exprimer sur tous les sujets. Et à chaque fois, avec talent. À tel point que c’est son Livre des faits d’armes et de chevalerie qui servira de modèle à la réorganisation de l’armée de Charles VII. On en retrouvera même un exemplaire, quelques 400 ans plus tard, dans la bibliothèque de l’aide-de-camp de l’empereur Napoléon Ier. Mais ce qui marquera surtout l’histoire, c’est La Cité des Dames. Dans ce qui est devenu un grand classique de la littérature féminine, Christine de Pizan s’engage dans la « querelle des femmes » qui bat alors son plein pour affirmer leur rôle dans la société et critiquer la misogynie. Or, il est frappant de constater à quel point certains passages de cette œuvre n’ont pas pris une ride.

Au nom des femmes

C de Pizan présentant un ouvrage à Isabelle de Bavière, Harley MS 4431, British Library.

Pour Christine, les femmes ne sont pas ces êtres dangereux dont les hommes doivent se méfier. Ce sont au contraire des créatures pleines de vertus inspirées par la Raison, la Droiture et la Justice. Et l’écrivain d’insister sur le rôle moteur que doit jouer pour elles l’éducation. « Si c’était la coutume d’envoyer les petites filles à l’école et de leur enseigner méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles apprendraient et comprendraient les difficultés de tous les arts et toutes les sciences tout aussi bien qu’eux », soutient-elle. L’auteur encourage ses semblables à toujours apprendre pour, comme elle l’a fait elle-même, s’élever dans la hiérarchie sociale et devenir l’égale des hommes. Elle insiste également pour que les femmes soient très tôt associées aux affaires de leurs maris sous peine, comme elle a pu en faire elle-même la douloureuse expérience, de se retrouver le moment venu fort démunies.

Mais son plaidoyer ne se limite pas à ces questions. Christine de Pizan revendique également le droit des femmes à gouverner et n’hésite pas à aborder la question du viol, et donc de la sexualité. Elle se déclare « navrée et outrée d’entendre que les femmes veulent être violées et qui ne leur déplait point d’être forcées, même si elles s’en défendent tout haut. » Christine prend au contraire l’exemple d’Hippo, une femme grecque faite prisonnière par des pirates, qui, « ne pouvant se soustraire au viol, préféra mourir que de subir un outrage si ignominieux », ou encore de, Polyxène, la fille cadette du roi Priam, qui choisit la mort plutôt que d’être réduite à l’esclavage.

Ms Français nouv Acq 25636 Le Livre des III Vertus à l’enseignement des dames – Miniature des 3 vertus apparaissant à l’auteure pour lui suggérer la rédaction de cet ouvrage à l’attention des dames.

Gardons-nous toutefois de tout anachronisme. Christine de Pizan n’est pas une féministe au sens moderne du terme, c’est-à-dire considérant que c’est la liberté sexuelle qui conduira les femmes à l’émancipation. Au contraire, explique l’auteur du Livre des Trois Vertus, « il n’est rien en ce bas monde qu’il faut fuir davantage, pour dire la stricte vérité, que la femme de mauvaise vie, dissolue et perverse. C’est une chose monstrueuse, une contrefaçon, car la nature même de la femme la porte à être simple, sage et honnête. » Le mode de vie que recommande Christine aux châtelaines, qui impose de veiller au ravitaillement du château tout en se rendant sur le terrain pour choisir ses fermiers ou superviser la tonte des brebis, est d’ailleurs extrêmement exigeant. Il nécessite de solides qualités d’organisatrice et un travail de tous les instants. Une fois l’avenir de ses filles assurée, notre pamphlétaire s’empressera d’ailleurs de se retirer au monastère de Poissy. Bref, pour les autres comme pour elle-même, Christine de Pizan prône travail et vertu. Une émancipation féminine, donc, mais empreinte de l’idéal chrétien.

À l’ombre des Puissants

Christine de Pizan n’aurait toutefois pu mener une telle carrière sans un sens aigu de la vie de cour. Car si notre « championne des dames » a réussi à vivre de sa plume, c’est aussi en s’efforçant sans cesse d’attirer l’attention des Puissants ; quitte, pour ce faire, à jouer habilement du contenu de ses compositions. Il lui suffisait pour cela d’en adapter le prologue ou d’en modifier quelques passages afin de pouvoir dédicacer une même œuvre à plusieurs personnages. Mais de l’habilité à la versatilité il n’y a qu’un pas que Christine de Pizan a pu parfois franchir.

Christine de Pizan présentant son Livre des III vertus à Marguerite de Bourgogne, duchesse de Guienne, Français 1177, BnF (XVe)

Qu’on en juge plutôt. Durant de longues années, la « demoiselle » se met au service de la Maison de Bourgogne : le duc Philippe Hardi, et après lui son fils Jean Sans Peur, figureront parmi ses plus généreux mécènes. 20 écus en 1403, 100 francs en juin 1408, 50 francs en décembre 1412… la comptabilité du duc de Bourgogne prouve d’ailleurs que non seulement il appréciait ses écrits, mais qu’il n’était pas insensible à la fragilité de sa situation. Pour preuve, son receveur général de finances qui enregistre un paiement fait « à demoiselle Christine de Pizan, veuve de maître Etienne de Castel, pour et en récompense de deux livres qu’elles a présentés… et aussi par compassion et en aumône pour employer au mariage d’une sienne pauvre nièce qu’elle a mariée ». Reste que le moment venu, Christine de Pizan n’hésitera pas à tourner le dos au duc de Bourgogne. Dès lors que Jean Sans Peur perd le pouvoir à Paris, elle passe du côté des Armagnacs, ses ennemis intimes. Ce qui la conduira ainsi à critiquer celui qui aura pourtant été l’un de ses plus généreux mécènes.

Mais sans doute était-ce là le prix à payer pour survivre à une période si agitée. Sa vie durant, guerres, massacres et meurtres politiques se seront succédé… jusqu’à ce que Jeanne d’Arc sonne le début de la reconquête, ce que Christine de Pizan, au travers de son Ditié de Jehanne d’Arc, sa dernière composition, sera l’une des premières à reconnaître. Et puis, ne faisons pas les difficiles. Son formidable instinct de survie nous vaut de pouvoir profiter d’une œuvre abondante, dont plus de 160 manuscrits ont subsisté. Grâce à eux, grâce à elle, nous savons au moins deux choses : que les femmes n’ont pas attendu l’ère moderne pour s’exprimer dans la sphère publique et que les débats relatifs à leur condition n’étaient pas moins virulents à la fin du Moyen Âge qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Un article de Xavier Leloup. avocat, journaliste, auteur.
Auteur de la saga médiévale « Les Trois Pouvoirs »
Editions Librinova (2020-2021).
Découvrir son interview exclusif ici.

Voir également les autres articles du cycle sur Les grandes dames de la guerre de cent ans signé de cet auteur : Yolande d’Aragon, la reine de fer. –  Isabelle de Bavière, une reine dans la tourmente – Les illusions perdues de Valentine Visconti, duchesse d’Orléans.


Bibliographie & Références

Charles VI, Françoise Autrand, Fayard.
Jean Sans Peur, Le prince meurtrier, Bertrand Schnerb, Payot.
Le livre des faits d’armes et de chevalerie de Christine de Pizan et ses adaptations anglaise et haut-alémanique, Compte rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, année 2011
La vie des femmes au Moyen Âge, Sophie Cassagnes-Brouquet, Editions Ouest-France
Le Paris du Moyen Âge, sous la direction de Boris Bove et Claude Gauvard, Belin.
1328-1453 Le temps de la guerre de Cent Ans, Boris Bove, Belin

NB ; sur l’image d’en-tête, en premier plan, la photo est tirée du film « Christine, Cristina« , réalisé par Stefania Sandrelli et co-produit par la Rai Cinema, Cinemaundici et Diva. Dans ce biopic italien de 2009, c’est la très belle Amanda Sandrelli (en photo ici) qui incarnait le rôle de la poétesse médiévale. En arrière plan, la miniature est tirée du manuscrit médiéval Français 1177 conservé à la BnF. Elle représente Raison, Droiture et Justice apparaissant à l’auteur(e) médiévale alors qu’elle est assoupie à son pupitre. Cet ouvrage daté du XVe siècle contient Le Livre de la cité des dames de Christine de Pizan, ainsi que son Livre des trois vertus à l’enseignement des dames. Vous pouvez le consulter en ligne ici.