Sujet : danse, musique médiévale, estampie, manuscrit ancien, chansonnier du Roy, trouvères, troubadours, chants et musiques de Croisades. Période : Moyen Âge, XIIIe siècle. Auteur : anonyme Source : Français 844, chansonnier du Roy. Titre : La quinte estampie royale Interprètes : The Early Music Consort of London – David Munrow Album: « Music of the crusades » (1971)
Bonjour à tous,
oilà longtemps que nous n’avions publié une pièce instrumentale tirée du Manuscrit ou Chansonnier du Roy (roi), conservé à la Bibliothèque nationale de France où il est référencé comme Français 844. Avec près de six-cent pièces en provenance principalement de la France du XIIIe siècle, l’ouvrage demeure une source inépuisable et incontournable pour qui s’intéresse de près à la musique médiévale du Moyen Âge central (voir le manuscrit en ligne sur Gallica).
Il s’agit donc ici de la Quinte Estampie Royale, pièce dansée, prise dans le répertoire demeuré anonyme du manuscrit. Depuis leur berceau d’origine, peut-être italien ou français, ces danses qui, par leur nature technique, avaient, selon Jean De Grouchy (1255-1320), « le pouvoir de tirer les jeunes garçons et les jeunes filles de leur vanité » (Ars Musicae) se répandirent jusqu’à l’Angleterre où elles connurent un succès certain pour s’éteindre dans le courant de la renaissance.
L‘interprétation de l’estampie que nous avons choisie de partager ici est celle du Early Music Consort of London, ensemble qui fut très reconnu en Grande Bretagne dans le domaine des musiques anciennes, dans le courant des années 70 ; cet article fournira l’occasion de vous le présenter et de toucher également un mot de son directeur : David Munrow.
La Quinte Estampie Royale par le Early Music Consort of London
The Early Music Consort of London
& David Munrow
En 1967, le chanteur, musicien, multi-instrumentiste, bassoniste, pianiste, flûtiste, directeur d’orchestre et musicologue, David Munrow fondait le Early Music Consort de Londres, unensemble dédié à un large répertoire allant du Moyen Âge à la période baroque.
En un peu moins de dix ans, la formation produisit près de quinze albums. Elle s’interrompit en 1976, suite au décès prématuré de son directeur. Entre-temps, l’homme avait laissé son empreinte sur la scène des musiques anciennes britanniques en contribuant grandement à les rendre accessibles et à les populariser auprès du public. En plus d’être un surdoué, un découvreur et encore un grand collectionneur d’instruments anciens, David Munrow fut aussi un homme de média : télévision, cinéma, radio, et durant sa brève, mais brillante carrière, il n’a pas hésité à s’essayer à tout pour faire partager son enthousiasme et sa passion au plus grand nombre.
« Musique du temps des croisades »
L’album « Music of the Crusades » dont est tirée la pièce du jour est le deuxième de l’ensemble. Il propose 19 pièces sur ce thème, dont la grande majorité sont d’origine françaises et proviennent du XIIIe siècle et du Manuscrit Français 844.
Il contient principalement des chansons de troubadours et de trouvères mais on y trouve également quelques estampies royales; l’album ouvre même sur la Quinte. Sur les 19 pièces présentées, 11 sont d’auteurs anonymes. Pour le reste, on y trouve des chansons de Marcabru, Gaucelm Faidit, Guiot de Dijon, Le Châtelain de Coucy, Conon de Bethune, Thibaut de Champagne, mais encore « l’inévitable » complainte du Roi Richard Coeur de Lion (fait prisonnier en Autriche à son retour de Croisades), et aussi le célèbre chant Palästinalied du Minnesänger et poète allemand Walther von der Vogelweide (que nous aurons bientôt l’occasion de présenter ici).
L’album est toujours édité et disponible à la vente en ligne au format CD. Pour plus d’informations, en voici le lien : Music of the Crusades (Musique du temps des croisades) Il en existe même des versions vinyle à des prix plus élevés.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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Sujet : auteur médiéval, biographie, portrait, Espagne Médiévale, Europe médiévale, Alphonse XI, conflits nobiliaires, régences, Période : Moyen-âge central (XIIIe & XIVe siècle) Auteur : Don Juan Manuel (1282-1348) Ouvrage : « Le comte Lucanor » par Adolphe-Louis de Puibusque (1854)
Bonjour à tous,
‘aventure d’aujourd’hui nous entraîne en direction de l’Espagne médiévale du XIVe, à la découverte d’un noble espagnol qui marqua son temps, tant par ses hauts faits que par ses écrits. Son nom est Don Juan Manuel et il fut duc et prince de Villena, et également seigneur de Escalona.
De futures publications nous fourniront bientôt l’occasion de parler plus avant de son legs écrit et notamment de son ouvrage le plus connu : « El Conde de Lucanor » ou le comte de Lucanor, mais pour l’instant et dans cet article, nous nous attacherons à donner sur sa personne des éléments autobiographiques.
Sur les pas de Adolphe-Louis de Puibusque
premier traducteur français du comte Lucanor
Quand de grands hommes s’opposent, faut-il nécessairement que l’un d’eux soit le héros et l’autre le félon ? Sous la pression de leurs commanditaires, les chroniques médiévales ont souvent cédé à la tentation de présenter les choses de manière manichéenne et Don Juan Manuel s’est trouvé quelquefois jugé de manière lapidaire contre le roi Alphonse XI, (neveu d’Alphonse X dont nous parlons souvent ici). La chose était d’autant plus vrai que l’Histoire avait fait de ce souverain, « un justicier » (puisque c’est un des ses surnoms) et encore un héros de la lutte contre l’invasion sarrasine, ce qu’il fut aussi.
Pour faire justice à l’auteur, autant qu’à l’Historiographie, dans le courant du XIXe siècle, l’écrivain et traducteur français féru d’histoire Adolphe Louis de Puibusque (1801-1863) faisait paraître une traduction des oeuvres de Don Juan Manuel et, dans une large introduction, il tentait de restituer un peu de vérité historique sur l’auteur. Ce sont ses pas que nous suivrons ici. Cette saga nous entraîne dans une Espagne déchirée par des conflits nobiliaires à rebondissement qui, par leur nature, ne sont pas sans rappeler les pages les plus haletantes de certains roman d’aventure médiévale moderne. Elle vont même jusqu’à se teinter, par endroits, de fantastique et on pense parfois en les lisant, à certaines intrigues des rois maudits ou même encore, plus près de nous, au Trône de Fer de GRR Martin.
L’enfance d’un noble
& la confiance de deux rois
Né à Tolède, en 1282, de Manuel de Castille et de Béatrice de Savoie, Don Juan Manuel est le petit fils de Ferdinand III, roi de Castille, de Tolède, de léon et de Galice et il est aussi le neveu de Alphonse X de Castille dont nous avons souvent parlé ici. Cette lignée royale s’est soulignée par sa grande érudition culturelle autant qu’un souci de promotion du castillan, et l’éducation du noble auteur dont nous parlons aujourd’hui n’échappa pas à la règle. Aux côtés des arts militaires, Don Juan Manuel acquit de solides bases dans les matières de l’esprit (histoire, droit, théologie) ainsi qu’en langues (le latin et l’italien faisant partie de son bagage, en plus du castillan).
Devenu orphelin de père à deux ans, il fut élevé sous la tutelle de son cousin Sanche IV, roi de Castille et de Léon, encore connu comme Sanche le brave, lui-même fils d’Alphonse X de Castille et qui, à la mort de son frère aîné, avait réclamé le trône devant ses neveux, en occasionnant quelques tensions avec le roi. Quoiqu’il en soit l’histoire conte que les deux hommes Sanche et Don Juan Manuel furent très liés et que le château de Pañafiel qui devint la demeure de ce dernier est le résultat d’une faveur royale et de cette amitié.
(ci-contre portrait du roi Sanche IV de Castille par José María Rodríguez de Losada (XIXe)
A sa mort, Sanche laissera le trône à son propre fils Ferdinand IV. Le règne de ce dernier fut court puisque le souverain mourra à 26 ans, d’une maladie foudroyante dont la légende dit qu’elle lui fut mandée par un homme qu’il avait fait injustement condamné. Avant de mourir ce dernier, l’invectiva en effet en lui prédisant qu’il mourrait sous trente jours et effectivement trente jours plus tard, le roi décédait inexplicablement. Légende médiévale ? C’est fort plausible. Une histoire similaire se répéta, dit-on, un an plus tard en France entre Philippe le Bel et le grand maître du temps (qui semble-t-il est le fruit de l’imagination d’un historien italien du XVe).
Quoiqu’il en soit, à sa mort, Ferdinand IV laissait derrière lui une ligue formé autour d’un de ces frères (Don Pedro) que sa propre défiance avait peut-être contribué à créer. Le souvenir d’un père ayant ravi le trône à son propre neveu l’avait-il rendu méfiant? L’histoire ne le dit pas. Pour revenir à notre auteur du jour, durant son règne, Ferdinand IV lui accorda sa confiance en le faisant nommer Sénéchal, Un peu avant sa mort, le roi lui confiera même, le royaume de Murcie, ainsi que la mission d’étouffer les futures ambitions de son frère Don Pedro, pour laisser libre champ à l’héritier légitime, son propre fils. Don Juan Manuel n’a alors pas encore trente ans mais il a déjà derrière lui une longue carrière militaire et quelques faits notables. L’histoire dit en effet que, dès l’âge de 12 ans, il guerroyait déjà avec vaillance pour repousser les invasions maures à Grenade et Murcia.
Les déchirements autour de la régence
Le roi Ferdinand IV mort, il laisse derrière lui trois enfants dont un héritier, un jeune fils, âgé de 1 an, Alphonse XI et une veuve, la reine Constance du Portugal. A leurs côtés, on trouve Juan de Castilla, oncle du futur roi et fils d’Alphonse X ( Jean de Castille, autre Don Juan à ne pas confondre avec celui qui fait l’objet de cet article, ou même encore avec les rois Juan I et Juan II de Castille). Fidèle à la promesse faite au défunt roi, Don Juan Manuel prendra ce parti. Face à eux, la reine mère et régente María de Molina se liguera bientôt avec son fils Don Pedro (Pierre de Castille) pour leur disputer le pouvoir.
Don Juan de Castille & Don Pedro
Un an plus tard, la jeune reine Constance mourra, laissant libre le champ à la reine mère et atermoyant ainsi quelque peu les tensions. Don Pedro et Juan de Castilla seront alors proclamés tous deux, tuteurs du futur roi. En l’absence d’intérêts convergents manifestes, de coordination et de directions claires, l’étrange arrangement de ce triumvirat dont la reine forme la troisième tête, ne tardera pas à donner lieu à des tensions entre les différentes parties. Si elles n’atteindront pas, dans un premier temps, celles qui sévirent un peu plus tard en France avec le conflit des armagnacs et des bourguignons, les suites sanglantes qu’allait lui donner l’Histoire, quelque temps après, sous le règne futur d’Alphonse XI portèrent, sans doute, quelques uns de ses fruits gâtés.
Don Juan Manuel, quant à lui, en essuya assez vite quelques plâtres puisque Don Pedro tenta de lui reprendre quelques terres et domaines qui lui avait été précédemment concédés. L’homme ne se laissa pas faire et pour y surseoir, se délia même de son serment de vassal et entreprit de piller les terres du prétendant, ce qui finit par régler le conflit. On reconnut ainsi bien vite à Don Juan Manuel le bien fondé de ses propriétés et l’on comprit au passage, si l’on ne le savait déjà, qu’il n’était pas homme à prendre à la légère.
Du côté de la gouvernance de l’Espagne, l’année 1319 mit bientôt d’accord les deux tuteurs Juan de Castille et Don Pedro d’une manière assez radicale. Réunis en effet sous la même bannière, à l’occasion d’une bataille contre le sultan de Grenade, (la bataille d’Elvira), les deux seigneurs espagnols périrent tous deux sur le champ de bataille et semble-t-il, sans que le fer, ni l’estoc de l’ennemi sarrasin n’y soit pour rien; on conta que le premier noble tomba de sa monture alors qu’il n’était engagé dans aucun combat et qu’il en périt, mais le comble, on dit encore qu’apprenant la nouvelle, quelques instants après, le deuxième noble fut pris à son tour d’un malaise inexplicable et qu’il trépassa, à son tour, sans qu’on put rien y faire et alors qu’on l’évacuait du champ de bataille : foudre de Dieu ?, Confusion, légendes inventées après coup ou plutôt chute accidentel de cheval, apoplexie, déshydratation, ou effet d’une chaleur de plomb ? Les historiens n’ont, à ce qu’il semble, toujours pas tranché sur cette étrange farce du destin.
Don Felipe de Castilla et Juan de Haro,
le temps de la guerre
A la mort des deux tuteurs, Don Juan Manuel offrit ses services à la reine pour prendre, à son tour, la régence. Il a le droit de son côté et peut-être aussi que le devoir l’y pousse. Comme rien n’est jamais simple, la souveraine qui a peut-être le mauvais souvenir des tensions ayant opposé l’homme à son fils mais qui semble aussi bien décidée à promouvoir à tout prix ses propres enfants aux poste-clés, accepte la demande du noble tout en enjoignant un autre de ses fils, Felipe de Castilla (Philippe), de faire tout son possible pour entraver la chose. Ce dernier tendra un piège à Don Juan Manuel pour tenter de l’enlever, puis, devant son échec, mandera encore un exercice pour l’affronter mais c’est sans compter sur l’expérience militaire de Don Juan Manuel autant que sa puissance. A l’époque, l’homme à en effet à son service une armée de plus de 800 cavaliers et plusieurs milliers de fantassins. Devant le fait, l’opération capotera lamentablement sans qu’on est même eut à batailler.
La nature a horreur du vide et le pouvoir plus encore. La manoeuvre grossière ayant échoué, la reine se trouvera en position délicate et, à la faveur de ces circonstances, un autre noble se rapprochera d’elle, tout en entendant bien jouer sa carte dans les affaires de régence et de pouvoir. Il a pour nom Juan de Haro, dit encore Juan el tuerto (Jean le Borgne), et il n’est autre que le fils du défunt Juan de Castille, mort au combat sans combattre; par le sang, il est donc aussi cousin du futur roi. (ci-dessus les armoiries de la maison des Haro)
Peut-être sous l’influence de l’infant Felipe et du nouveau noble entré en lice, la reine finira par ôter le titre de grand sénéchal à Don Juan Manuel. Isolée par cette nouvelle maladresse et sous la pression des influences, elle finira par perdre la régence tandis que le conflit entre Felipe et le prince de Villena se résoudra bientôt par un pacte de non agression et un serment prêté devant l’église.
Las !, la promesse de la paix retrouvée ne sera qu’un mirage de courte durée et, à la mort de la reine, les luttes pour la régence et le pouvoir se poursuivront, cette fois, entre Felipe et Juan De Haro, pour finir par éclater bientôt en un conflit militaire et ouvert, aux allures de guerre civile. Les échauffourées entre les deux seigneurs gagneront bientôt leurs vassaux, des factions émergeront, certains civils s’en mêleront et on entretiendra même des hordes de brigands qui dévasteront tout sur leur passage : pillage, rapine, meurtre, exaction, c’est un véritable déchaînement de violences dans une Espagne meurtrie par ses luttes intestines. Des deux côtés, on met les cités de la partie adverse à sac et on va même jusqu’à en assassiner les notables. Bien qu’étant aussi l’un des tuteurs du roi, il semble que, durant le sanglant épisode, ces déchirements et ses exactions aient plus concerné les deux nobles susnommés que Don Juan Manuel. Quant au conflit entre Don Felipe, l’oncle du roi, et Don Jean de Haro, son cousin, Il fallut que l’enfant roi devint majeur pour y mettre un terme.
L’enfant fait roi
Le rêgne d’Alphonse XI
Dans l’Europe du moyen-âge central, les monarques se suivent et ne se ressemblent pas toujours et quand le pouvoir est centralisé de manière si forte autour d’une seule personne, ils finissent par marquer invariablement leur pays de leur empreinte, pendant leur années de règne. A la dureté du contexte et des crises, peut-être fallut-il que l’Espagne donne naissance, à ce moment précis de l’Histoire, à un roi à la main forte. De fait, on le surnomma le justicier et, à en juger par certains faits dont il fut comptable, Alphonse XI n’usurpa pas sa réputation d’impitoyabilité.
(ci-contre portrait de Alphonse XI de Castille, par Francisco Cerdá de Villarestan (XIXe), Musée du Prado, Madrid)
Dès son accession au pouvoir, en 1325, les trois tuteurs furent de fait, écartés de la régence mais aussi de l’oreille du roi. Les exemples qu’ils venaient de laisser de leur capacité à mener le pays avaient sans doute jouer contre eux mais il en fallait plus pour que les déchirements cessent. Ainsi, le reste est encore fait d’intrigues et de luttes de pouvoir.
De son côté, il semble que Felipe ait réussi à tirer son épingle du jeu en conservant quelques influences à la cour, mais sa mort en 1327 y mettra fin; trois hommes auxquels on prête une influence certaine auprés du roi, virent bientôt s’imposer dans les jeux de pouvoir: Álvar Núñez Osorio, Juan Martínez de Leiva y Garcilaso I de la Vega. Les luttes qui en suivront sont, en partie, souterraines puisqu’elles opposent ses nouveaux conseillers de cour ambitieux aux deux anciens tuteurs Juan de Haro et Don Juan Manuel, considérés alors comme des rivaux potentiels. Faut-il pour autant supposer que le roi s’est laissé totalement manipulé ? Difficile de l’affirmer, au vue du contexte et des crises passées, peut-être avait-il hérité, lui aussi, d’une méfiance naturelle envers de trop puissants vassaux ?
Fausses promesses et froids assassinats
Sachant leur position devenue délicate, Don Juan Manuel et son neveu Juan le Haro formèrent bientôt une alliance qui, comme souvent au Moyen-âge, quand on les voulait fortes et pérennes passait par un mariage. Ainsi le noble promis au borgne sa fille Constanza (âgée alors de 9 ans) et on s’apprêta à célébrer les noces. Sous la pression de ses conseillers ou simplement parce que la présence de ce nouveau contre-pouvoir l’inquiétait, le roi Alphonse XI contra l’alliance en s’interposant de la manière la plus imparable qui soit. Il demanda en effet d’épouser lui-même la jeune princesse. Don Juan Manuel y souscrira de bonne grâce et sur la foi de cette promesse, il servira même les intérêts du nouveau roi en partant en campagne pour lui.
En réalité, soit que le roi n’en ait jamais eu l’intention, soi que les suites de l’Histoire ne le permirent pas, ce mariage ne fut jamais mené à son terme. Sur son intention véritable pourtant et en s’avançant un peu, quelques subterfuges dont il usa juste après la promesse faite à Don Juan Manuel, laissent à supposer que ce n’était pour lui qu’un moyen politique de contrer l’alliance, même si on avait célébré les fiançailles avec faste. C’est en tout cas certainement ce qu’en pensa Don Juan Manuel. Dans le même temps, bien décidé à éliminer tout contre pouvoir potentiel, Alphonse XI fera, en effet, froidement assassiner Juan le borgne (son cousin) après lui avoir promis la main de sa soeur. Nous sommes en 1326, le souverain n’a alors que 16 ans et quelque soit l’influence que l’on peut prêter à de fallacieux conseillers, la scène est si brutale et la manoeuvre si perfide qu’elle pourrait être digne d’un épisode ou d’un chapitre du trône de fer.
Rendu méfiant par les rumeurs sur les intentions de la couronne et sachant que certains des conseillers veulent sa peau, malgré la proposition qui lui est faite d’épouser la soeur du roi, Juan le Haro refusera de se rendre à une convocation du souverain. On lui donnera donc rendez-vous sur un terrain plus neutre et Alvar Nuñez en personne, viendra assurer l’homme des bonnes intentions de la couronne à son égard. Juan le Haro finalement mis en confiance, on pourra l’entraîner dans un piège impitoyable auquel Alphonse XI garde son nom entaché. Après avoir convié l’homme à table, on le fera, en effet, égorger pendant le repas avec deux de ces vassaux avant de jeter un drap noir sur la scène et de le déclarer traître non sans s’approprier, au passage, ses fiefs et ses domaines. Etroitement associé au crime, Alva Nuñez s’y taillera une belle part et héritera même d’un château.
Don Juan Manuel contre le roi
Après avoir appris les faits, Don Juan Manuel rendu méfiant quittera l’armée royale pour se retirer en Murcie. Le roi déchaînera alors sa fureur contre les anciens alliés du noble et répudiera la fille de ce dernier, la faisant même enfermer, pour se promettre de son côté à la princesse Marie-Contance du Portugal. Devant les faits, Don Juan Manuel se déliera de ses obligations envers le roi et formera même une ligue contre lui. (ci-dessus armoiries de Don Juan Manuel)
Le conflit sévira alors., la ligue de Don Juan Manuel d’un côté et de l’autre les conseillers du roi rapidement élevés dans leur statut et leur pouvoir à de plus haut rangs nobiliaires. Le souverain a fait le vide autour de lui, il ne lui reste d’autres choix. Face à la disgrâce du conflit et de ces déchirements entre chrétien, Le pape Jean XXII finira même par s’en mêler.
(portrait supposé de Don Juan Manuel, Cathédrale de Murcia)
De son côté, Alva Nuñez que l’on rend comptable d’une bonne partie de ces conflits finira, bientôt, assassiné sur ordre du roi et sur un mode opératoire semblable à celui qu’il avait lui-même utilisé pour venir à bout de Juan de Haro. Sa méfiance endormie par un de ses anciens alliés, venu lui faire une visite de courtoisie, Nuñez serapoignardé dans le coeur par ce même homme mandaté en réalité par la couronne. Et comme on ne change pas une recette quand elle est bonne, ce dernier recevra, en échange de ses loyaux service et à son tour, le château de sa victime.
Après cela le roi tentera encore de tendre un piège à Don Juan Manuel pour l’assassiner mais ce dernier ne tombera pas dedans. Qui peut encore faire confiance à un homme qui a fait assassiner deux hommes dans leur dos, fusse-t-il roi, et qui en plus a fait enfermer votre propre fille et refuse de la libérer ?
L’union face à l’envahisseur sarrasin
Il faudra encore de longues années pour que le conflit s’apaise et que les deux parties s’unissent. il faudra que le roi montre sa mansuétude et qu’ayant longtemps et de la manière la plus cruelle, assiégé la forteresse de son cousin Don Juan Nuñez, autre allié de Don Juan Manuel, il accorde finalement à l’homme sa merci et le nomme même à ses côtés pour faire un pas dans la bonne direction et restaurer un peu de la confiance qu’il avait depuis si longtemps et par ses actes, perdus. Après quelques tractations menées par des intermédiaires auprès de Don Juan Manuel, la réconciliation suivra… à temps.
De leur côté, les musulmans d’outremer se sont unifiés et ont levé, dit-on, une armée de soixante mille cavaliers et quatre cent mille fantassins avec laquelle ils promettent d’envahir cette fois toute l’Europe. Un peu plus tard, face à la dureté des affrontements avec l’envahisseur et devant la nécessité de nouveaux moyens, Alphonse XI finira même par céder à la demande du Portugal de relâcher la fille de Don Juan Manuel. Le souverain portugais d’alors entend en effet lui faire épouser son héritier Pierre Iᵉʳ et le souverain espagnol y consentira, contraint par la nécessité dit-on, après avoir d’abord refusé. Dix avaient passé depuis ses fiançailles avec elle, dix ans retenue prisonnière, comme les princesses des contes. On ne sait pas vraiment si c’est par jalousie que Alphonse XI ne voulut toujours pas, dans un premier temps, la faire libérer. La princesse a laissé en tout cas un témoignage éloquent de ses états d’âme et de ses vues sur le roi dans une lettre qui nous est parvenue de cette période.
Pour, le reste de l’histoire, à près de soixante ans, Don Juan Manuel se battit loyalement et valeureusement aux côtés du roi et fut l’artisan de nombreuses victoires contre les maures. Ses faits et son héroïsme entrèrent pour longtemps dans la légende de l’Espagne, autant que le fit Alphonse XI pour ses grandes campagnes d’alors contre les sarrasins.
Dans une vie troublée par tant de luttes intestines, notre auteur du jour trouva tout de même le temps de léguer à la postérité quelques écrits qui firent date. Comme nous le disions en introduction, nous aurons bientôt l’occasion d’en publier quelques extraits ici mais nous voulions dans un premier temps, faire une large place à sa vie politique et militaire, d’abord parce qu’elle nous ait assez bien connu, ensuite parce qu’elle nous fournit l’excuse de faire un détour par l’histoire de l’Espagne médiévale.
Encore une fois, avec quelques nuances, il ne s’agit que d’une brève synthèse des pages de son biographe, cité en introduction. En plus de leur qualité de plume, ces dernières portent en elles toute la force de conviction que pouvait parfois porter l’histoire du XIXe dans ses grandes envolées narratives et lyriques. Elle n’avait pas toujours raison, mais tout de même, qu’elle était belle à lire quand elle savait se charger de véritables qualités littéraires, aussi nous ne pouvons que vous enjoindre si le sujet vous intéresse et pour plus de détails, d’aller puiser directement à leur source.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, moyen-âge chrétien, Espagne médiévale Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Ensemble : Arany Zoltán Titre : Cantiga 77 « Da que deus mamou » Média : chaîne youtube de l’artiste (2011)
Bonjour à tous,
n route pour l’Espagne médiévale du XIIIe siècle, nous continuons d’y dérouler le fil des Cantigas de Santa Maria du roi Alphonse de Castille. Aujourd’hui, c’est sur la Cantiga 77 que nous portons notre attention et c’est un autre récit de miracle à inscrire au crédit du culte marial du moyen-âge central.
Pour son interprétation, nous avons choisi ici une version assez « enlevée ». Il s’agit de celle de l’artiste hongrois Arany Zoltan (voir portrait de ce musicien multi-instrumentiste et chanteur ici). Loin des rivages du chant lyrique ou classique, le rythme de sa version autant que sa voix très « terrestre » ou ancrée nous sortent des lieux de culte habituels pour nous ramener vers une interprétation qui nous fait toucher du doigt un autre aspect de ces chants. Au moyen-âge, ils appartiennent à tous et on se les approprie dans les arts les plus allégoriques et les plus sophistiqués comme dans les plus populaires ( dans les écoles, dans la rue et bien sûr encore sur les routes de pèlerinage).
Vierge à l’enfant,Jean Fouquet (1481), moyen-âge tardif, début renaissance
D’une certaine manière, c’est encore un peu le cas de nos jours et en voici un autre exemple. Ces miracles médiévales autour de la vierge continuent en effet de séduire et d’interpeller les artistes les plus classiques du répertoire médiévale comme les plus folk.
La Cantiga Santa Maria 77 par Arany Zoltan
Cantiga 77 : la guérison de Lugo et son adaptation-traduction en français moderne
e miracle conté dans la Cantiga de Santa Maria 77 touche le champ de l’infirmité. Elle ne sera pas la seule à traiter de ce sujet et on retrouvera d’autres Cantiga sur le thème.
Pèlerins ou sujets frappés de paralysie, d’infirmités, de maux étranges et orphelins ou même encore de lèpre, dans le courant du Moyen-âge central, la vierge guérit tout, pour peu qu’on lui prête foi, et comme celui qu’elle avait enfanté avait accompli, avant elle, de merveilleux prodiges, elle répète ses miracles quelquefois avec son aide et en intercédant auprès de lui, d’autre fois seule.
Nous vous proposons, ici, une adaptation traduction en français moderne des paroles de cette Cantiga.
Esta é como Santa María sãou na sa igreja en Lugo ũa mollér contreita dos pées e das mãos.
Voici comment, dans son église de Lugo, Sainte-Marie guérit une femme qui avec les pieds et les deux mains paralysés (rétrécis)
Da que Deus mamou o leite do seu peito, non é maravilla de sãar contreito.
Puisque Dieu elle a nourri de son sein, Il ne faut pas s’étonner qu’elle puisse soigner les paralysés
Desto fez Santa Maria miragre fremoso ena sa ygrej’ en Lugo, grand’ e piadoso, por ha moller que avia tolleito o mais de seu corp’ e de mal encolleito. Da que Deus mamou o leite do seu peito…
De fait, Sainte Marie accomplit un grand,
pieux et merveilleux miracle dans son église de Lugo
pour une femme qui avait contracté
un mal ayant paralysé (contracré, rétréci) la plus grande partie de son corps. (refrain)
Que amba-las suas mãos assi s’ encolleran, que ben per cabo dos onbros todas se meteran, e os calcannares ben en seu dereito se meteron todos no corpo maltreito. Da que Deus mamou o leite do seu peito…
Ses deux mains étaient contractées de telle manière
qu’elles se mettaient jusqu’à dedans ses épaules
et ses deux talons, pour la même raison,
entraient jusque dans son corps maltraité. (refrain)
Pois viu que lle non prestava nulla meezinna, tornou-ss’ a Santa Maria, a nobre Reynna, rogando-lle que non catasse despeyto se ll’ ela fezera, mais a seu proveito Da que Deus mamou o leite do seu peito…
Après avoir vu qu’aucune médecine ne lui fonctionnait Elle se tourna vers Sainte Marie, la noble reine, La suppliant de ne pas prendre mal
ce qu’elle avait pu faire, mais qu’elle le prenne à son avantage. (refrain)
Parasse mentes en guisa que a guareçesse, se non, que fezess’ assi per que çedo morresse; e logo se fezo levar en un leito ant’ a sa ygreja, pequen’ e estreito. Da que Deus mamou o leite do seu peito…
Qu’elle fasse cesser son mal de façon à ce qu’elle guérisse Et, sinon, qu’elle fasse en sorte qu’elle meurt vite (à l’instant). Et suite à cela elle se fit emmener sur un lit
petit et étroit, en face de son église. (refrain)
E ela ali jazendo fez mui bõa vida trões que ll’ ouve merçee a Sennor conprida eno mes d’ agosto, no dia ‘scolleito, na sa festa grande, como vos retreito Da que Deus mamou o leite do seu peito…
Et se trouvant là, elle mena une vie virtueuse, Jusqu’à obtenir la miséricorde de la dame pleine de bonté au mois d’août, durant le jour choisi pour sa grande fête, comme je vous le conterai (refrain)
Será agora per min. Ca en aquele dia se fez meter na ygreja de Santa Maria; mais a Santa Virgen non alongou preyto, mas tornou-ll’ o corpo todo escorreyto. Da que Deus mamou o leite do seu peito…
Vous le conterais désormais. Qu’en ce jour elle se fit porter à l’intérieur de l’église de Sainte Marie.
Et la Sainte ne retarda pas son action
mais remis tout son corps en ordre. (refrain)
Pero avo-ll’ atal que ali u sãava, cada un nembro per si mui de rig’ estalava, ben come madeira mui seca de teito, quando ss’ estendia o nervio odeito. Da que Deus mamou o leite do seu peito…
Mais tout survint de telle façon que là où elle soignait chaque membre, tout à tour, se mettait à craquer comme le bois très sec d’un toit quand son muscle rétréci s’étirait. (refrain)
O bispo e toda a gente deant’ estando, veend’ aquest’ e oynd’ e de rijo chorando, viron que miragre foi e non trasgeito; porende loaron a Virgen afeito. Da que Deus mamou o leite do seu peito…
L’évêque et tous ceux qui se trouvaient en face, voyant cela et l’entendant, et criant à haute voix, virent qu’il s’agissait d’un miracle et non une tromperie, et pour cela, ils louèrent la Vierge. (refrain)
Sujet: ville médiévale, métiers médiévaux, travail moyen-âge, artisans, corporations, corps de métiers valorisation, culture technique, histoire médiévale, médiéviste Période : moyen-âge, du XIIe au XVe siècles Média: conférence vidéo, chaîne youtube Lieu:Musée de Cluny, décembre 2017 Titre: Travailler en ville au Moyen Âge Conférencière: Julie Claustre
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous reprenons la suite du cycle passionnant de conférences proposées par le Musée de Cluny sur le travail au moyen-âge et qui valait vraiment que nous lui consacrions quelques articles séparés. Après le travail de la terre avec Didier Panfili, celui des chantiers avec Cécile Sabathier et celui des moines et des monastères avec Elisabeth Lusset, l’intervention du jour a pour objet le travail dans la ville médiévale. Elle nous est proposée par l’historienne médiéviste Julie Claustre.
Réalité de la ville médiévale :
entre espace urbain espace rural
Dans la ville du moyen-âge, espace urbain et espace rural s’interpénètrent et les frontières entre nature et agriculture, d’un côté et, de l’autre, activités proprement urbaines et espace construit y sont bien moins tranchées qu’aujourd’hui. A ce titre, comme l’intervenante du jour nous le rappellera, au début du XVe siècle on trouve encore à Paris de nombreuses parcelles cultivées ou dédiées à l’élevage des animaux destinés à nourrir les habitants de la ville. Un tiers de l’espace leur est même consacré. Le phénomène débordera largement la période médiévale puisque laboureurs et vignerons vont se côtoyer, dans la capitale, jusqu’au XVIIe siècle.
(ci-contre, chronique de Girart de Roussillon, construction d’une église à Saint-Denis (XVe siècle)
Bibliothèque de vienne,
Au milieu de ce savant mélange d’urbanité et de ruralité, émergent pourtant des spécificités liées à la vie urbaine et notamment certains métiers qui lui sont propres. C’est de ce travail là dont il est question dans la conférence du jour. Dans ce vaste champ de pratiques, elle se concentrera en particulier sur certaines activités « productives » et marchandes de la cité, sur leur organisation et sur les représentations qui s’y trouveront bientôt attachées. On y parlera donc de diversité même mais encore de corporations, de culture technique et d’une valorisation hétérogène des savoirs-faire qui ne rimera pas systématiquement avec la reconnaissance sociale de ces acteurs ni avec leur réussite économique.
« Le travail en ville au moyen-âge »par Julie Claustre (Musée de Cluny)
Julie Claustre est maître de conférences en Histoire du moyen-âge à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et attachée au Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris.
Activités productives citadines
« …Vraiment on eût volontiers dit qu’en qu’en la ville se tenait une foire perpétuelle, tant elle regorgeait de richesses, cire, poivre, graines et fourrures de vair et de gris, et toutes marchandises qui se peuvent imaginer. » Chrétien de Troyes – Perceval le Gallois ou contes de Graal
Fourmillement, diversité, technicité
En partant de l’arrivée du Gauvain de Chrétien de Troyes à Escavalon, la première réalité à laquelle nous confronte le travail dans la ville médiévale tient autant de la diversité et de l’effervescence : « bons ouvriers qui travaillent aux métiers les plus variés » fonderies d’or et d’argent, orfèvreries, travail des émaux, du verre, du cuir, fabrication d’armures et d’écus, draperie et textile, fourrures, épices, etc. Tout s’y fabrique et tout s’y vendent et l’image est celle d’un fourmillement, de l’opulence, mais encore d’une forme « d’excellence » (le mot est moderne mais l’idée est là).
Savoir-faire, technicité, complexité des opérations réalisées, à travers certaines formes d’artisanat urbain, il est donc question de maîtrise et les villes des XIIe, XIIIe et XIVe siècles verront s’organiser autour de ces métiers de véritables corporations (« mestier », « guildes », etc…) qui deviendront bientôt les interlocuteurs privilégiés du pouvoir et qui auront même une forme de représentation d’influence variable, dans les instances décisionnaires de certaines cités.
Naissance et développement
d’organisations corporatives des métiers
Ces « corporations » régiront bientôt les droits d’entrée et de sorties des individus à l’intérieur de leurs différentes spécialités, leurs conditions d’exercice, leurs filières d’apprentissage et mettront en place de véritables chaînes pour contrôler et réglementer chaque métier, tout autant que pour garantir la qualité de leurs oeuvres ou productions. Un peu plus tard dans le temps, certaines d’entre elles seront même à l’initiative de la constitution de caisses pour aider leurs membres victimes de maladies professionnelles ou même pour financer leur funéraille.
Intrication du politique et de l’économique
On notera, au passage, l’implication des pouvoirs seigneuriaux dans ces processus dans un véritable dialogue qui s’installera alors entre pouvoir politique et économique. Les instances de la ville y auront bien sûr un intérêt de contrôle social tout autant que fiscal et même encore militaire et participatif, mais le phénomène dénotera aussi, sur certains secteurs clés, d’une véritable volonté d’implication du pouvoir politique dans la « signature » des productions.
C’est notamment souvent le cas du secteur de la draperie et on s’en étonne moins quand on sait l’importance que ce dernier a revêtu pour le développement intra-muros de nombreuses villes médiévales mais aussi pour leur rayonnement économique et culturel « hors frontières ». Dans le courant du moyen-âge central, nombre de cités européennes ont été, en effet, littéralement propulsées vers l’avant par la vente et l’exportation de leurs textiles.
(ci contre, étapes de confection textile, illustrations tirées du manuscrit allemand
« Le livre de douze frères des maisons mendel, » (XIVe)
cité dans la conférence.)
L’activité en question emploie aussi une main d’oeuvre conséquente aux différentes étapes de sa production qui justifiera d’un large crochet de l’intervenante de cette conférence, pour nous le détailler. On notera notamment avec elle et pour en donner la mesure, qu’une ville comme Florence employait, à un moment donné de son histoire médiévale, plus d’un quart de ces habitants dans ce secteur.
Valorisation sélective
Le développement de ces métiers urbains, en particulier ceux liés à la production et à la « création » de la matière (opérations techniques réputées complexes), donnera le jour à une valorisation générale de leur exercice et de leurs productions, mais il ne suffira pourtant pas qu’on les loue ou qu’on les consacre sur les vitraux des cathédrales pour en faire de larges voies d’accès à la richesse ou à l’opulence économique. Si, là-encore les drapiers ont souvent tiré leur épingle du jeu (on pourrait peut-être y ajouter certaines productions stratégiques de la ville qui ont prises, pour des raisons locales et historiques, une importance particulière au regard de leur exportation ), certains secteurs sont exclus de cette valorisation et certains métiers, à l’intérieur de secteurs pourtant valorisés, le sont aussi. L’historienne nous en donnera ici quelques exemples éloquents.
Dans le même ordre d’idées, compétence et maîtrise d’oeuvre technique ne garantiront pas toujours à leurs détenteurs, fussent-ils aux échelons les plus élevés de leur profession, une indépendance financière ; ainsi, certains maîtres artisans seront même contraints de se ranger sous le régime du salariat pour pouvoir subsister. D’égale façon, des barrières financières, réglementaires , sociales ou légales existeront aussi pour passer du statut de salarié à celui d’artisan indépendant ou de maître d’oeuvre. Enfin, on pourra encore ajouter aux limites de cette valorisation, des différences de reconnaissance qui touchent encore les notions de genre, puisque masculin et féminin ne sembleront pas s’y trouver logés à la même enseigne.
Pour conclure sur un voeu pieux et tout en rendant grâce à la qualité de ces interventions proposées par le Musée de Cluny, on peut espérer que d’autres conférences viendront compléter le tableau sur le sujet immensément vaste du travail dans la ville au moyen-âge. Si bonne soit-elle, une seule conférence ne saurait en effet l’épuiser. On pense notamment à d’autres secteurs et métiers (métiers de bouche, restauration, etc…), mais aussi aux activités urbaines de service ou encore pourquoi pas aux métiers de la justice, de la régulation ou de la loi, pour ne donner que ces quelques exemples.
Pour le moment, sachons toutefois nous contenter et disons-le encore une fois, en les articulant, ces quatre belles conférences nous offrent un panorama assez complet de la réalité du travail au moyen-âge et des règles qui le régissent et demeurent une véritable mine d’information. Merci donc encore une fois au Musée du moyen-âge pour partager gracieusement tout cela avec le public sur sa chaîne youtube.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.