Sujet : monde médiéval, podcast, préjugés, idées reçues, crise sanitaire, actualité. Période : Moyen Âge central, modernité Podcast : Delta Radio, Rediffusion du direct de Février 2021 Programme : « Vivons-nous un nouveau Moyen Âge ? « – Le poste zéro, animé par Mitch. Invités : Fréderic Effe, Florian Besson, Simon de Thuillières
Bonjour à tous,
ous espérons que ce billet vous trouve en forme. Avec l’approche du mois d’août, nous allons sensiblement ralentir le nombre de publications, en espérant pouvoir un peu mieux nous concentrer sur d’autres projets. Dans l’attente de la rentrée, nous voulions toutefois vous laisser deux ou trois choses qui, nous l’espérons, vous plairont si vous ne les avez pas encore découvertes. D’une certaine façon, elles rejoignent toutes deux l’actualité tout en questionnant le monde médiéval. Voici la première :
Le Moyen Âge est-il redevenu d’actualité ?
Il y a quelques mois, nous avions eu l’occasion de participer à une émission de radio proposé par Delta Radio. Le programme avait été diffusé en direct, courant Février 2021, et le podcast est, désormais, disponible. Si vous ne l’aviez pas écouté, nous le repartageons ici. Cela vous en fournira sans doute l’occasion de le découvrir si ce n’est déjà fait.
A près d’un an de crise sanitaire, le thème de cette émission : « Vivons-nous un nouveau Moyen Âge ? » nous donnait l’occasion de revenir sur quelques idées reçues sur cette période mais aussi d’aborder quelques différences substantielles entre monde moderne et monde médiéval. Dans le contexte de la crise sanitaire, nous y faisions, notamment, un détour sur certains éléments d’actualité, dont le rapprochement délirant fait si souvent par certains médias ou certains politiques entre Covid 19 et peste noire. Contre toute raison et à en juger la situation actuelle, il semble que cette confusion ait continué à être entretenue sur le fond.
Vous pourrez retrouver également dans ce programme Florian Besson (historien médiéviste) et Renaud Garcia aka Simon de Thuillières (illustrateur qui s’est signalé, ces dernières années, pour ses détournements entre culture pop, cinéma et enluminures).
Fred Pour moyenagepassion.com. A la découverte du Monde médiéval sous toutes ses formes.
NB : l’enluminure, sur l’image d’en-tête, est tirée du Speculum Historiale ou Miroir Historial de Vincent de Beauvais (1190-1264). Ce manuscrit médiéval (le Ms-5080 réserve de la Bibliothèque de l’Arsenal) est daté du XIVe siècle ; il est actuellement conservé à la BnF et consultable sur Gallica. Au premier coup d’œil, l’enluminure pourrait avoir d’étranges relents d’actualité, mais ce n’est pas aussi direct que cela. Dans les faits, elle représente Josephat, jeune prince indien tenu reclus longtemps par son père, découvrant le monde et tombant sous le choc devant un lépreux et un aveugle faisant l’aumône. Au Moyen Âge, les lépreux inspirent la crainte et même à certains périodes, la défiance, et on les garde soigneusement éloignés du système social et économique (voir aussiLa lèpre, première maladie épidémique de la littérature française de Baptiste Laïd).
Sujet : citations médiévales, histoire médiévale, historien, médiéviste, Moyen Âge, chevalerie, chevalier, adoubement, cérémonie, citations. Période : Moyen Âge central Auteur : Régine Pernoud (1909-1998) Ouvrage : Lumière du Moyen Age ( Grasset, 1981)
« Du futur chevalier, on exige des qualités précises, que traduit le symbolisme des cérémonies au cours desquelles on lui décerne son titre. Il doit être pieux, dévoué à l’Église, respectueux de ses lois : son initiation débute par une nuit entière passée en prières, devant l’autel sur lequel est déposée l’épée qu’il ceindra. C’est la veillée d’armes, après laquelle, en signe de pureté, il prend un bain, puis entend la messe et communie. On lui remet alors solennellement l’épée et les éperons, en lui rappelant les devoirs de sa charge : aider le pauvre et le faible, respecter la femme, se montrer preux et généreux; sa devise doit être « Vaillance et largesse ». Viennent ensuite l’adoubement et la rude « colée », le coup de plat d’épée donné sur l’épaule : au nom de saint Michel et de saint Georges, il est fait chevalier. »
Lumière du Moyen Âge, Régine Pernoud.
Une belle journée à tous
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
NB : l’enluminure, en arrière plan de Régine Pernoud sur l’image d’en tête, est tirée du Manuscrit médiéval MS Français 112 – 1, conservé au département des manuscrits de la BnF (consultez le ici sur Gallica). Elle représente l’adoubement de Lancelot du Lac par le roi Arthur (« comment Lancelot fut fait Chevalier… ») Le manuscrit, daté de 1470, est une compilation des légendes arthuriennes par Micheau Gonnot.
Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Cantiga Santa Maria 181. Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Auteur : Alphonse X de Castille, (1221-1284) Titre : « Pero que seja a gente d’outra lei e descreúda« Interprète : Raul Mallavibarrena, Rocio de Frutos, Musica Ficta et Ensemble Fontegara Album : Músicas Viajeras, Tres Culturas (2012)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous nous laissons, de nouveau, entraîner en Espagne médiévale et à la cour d’Alphonse X, pour y découvrir un nouveau miracle du corpus des Cantigas de Santa Maria. Il s’agit, cette fois, de la Cantiga De Santa Maria 181.
Luttes entre dynasties berbères marocaines et dernier bastion Almohade
Cette fois ci, ce miracle médiéval sort totalement du cadre des pèlerins et dévots chrétiens puisque Marie viendra y intercéder en faveur d’un prince berbère et de ses troupes, contre un autre prince de même origine et de même confession. Dans le cadre du culte marial médiéval, le pouvoir de Marie n’a pas non plus de frontières. Pour preuve, l’histoire se déroule en terre marocaine et à Marrakech. Elle a pour cadre les luttes qui opposèrent, au XIIIe siècle, la dynastie berbère des Mérinides à celle des Almohades. Pour être plus précis, ce chant marial fait même très certainement référence au siège avorté de Marrakech en 1262.
Du point de vue des forces en présence, le prince qui tient la cité n’est pas mentionné dans la Cantiga 181 mais il s’agit vraisemblablement de Abû Hafs Umar al-Murtadâ, khalife almohade de Marrakech de 1248 à 1266. Il est illustré dans la miniature ci contre, tirée d’un des manuscrit médiéval des Cantigas de Santa Maria (manuscrit T ou Codex Rico Ms TI1 conservé à la bibliothèque de l’Escurial à Madrid). L’assiégeant, nommé Aboíuçaf dans la cantiga ne peut être que Abu Yusuf (Abû Yûsuf Yaqûb ben `Abd al-Haqq ), souverain et chef militaire de la dynastie mérinide qui convoitait alors la prise de la cité. Il échouera en 1262 même si sa persévérance lui permettra de parvenir à ses fins plus tard.
Ainsi, après l’échec du siège, il offrira son soutien à un chef rebelle almohade, cousin de ce même Khalife de Marrakech, afin qu’il renverse son parent. Y étant parvenu en 1266, le rebelle refusera de céder les clefs de la cité à Abu Yusuf et ce dernier devra attendre 1269 pour que la ville tombe définitivement dans ses mains, mettant fin à la régence marocaine de la dynastie almohade.
Marie du côté de ses amis mécréants
Pour revenir au miracle de la Cantiga de Santa Maria 181, il met donc en scène la Sainte en terre berbère et intercédant au cœur du conflit. Qu’il suffise de brandir sa bannière et de demander le soutien des chrétiens et de leur croix pour que, sitôt, Sainte Marie freine les ardeurs des guerriers les plus téméraires. Elle se rangera ici du côté de ceux qui, ayant foi en son pouvoir, invoquent sa protection, et qu’importe s’ils ne sont pas chrétiens et vivent sous une autre loi. Elle mettra en déroute les armées de l’assiégeant en soutenant le Khalife ayant eu la sagesse d’écouter ses conseillers.
On le voit, au Moyen Âge, le pouvoir du culte marial est infini et à chaque nouvelle cantiga, la sainte semble étendre sa capacité d’intercession sur les hommes et le monde toujours plus loin. Comment expliquer le fait que le Khalife berbère et musulman écoute ses conseillers, eux-mêmes réceptifs au pouvoir de la Sainte ? Marie (Maryam) est largement mentionnée dans le Coran (plus de trente fois). Elle est considérée comme une femme de grande vertu et le miracle de la nativité, tout comme la reconnaissance de Jésus (Īsā) y sont également repris. Rapprochement volontaire ou non de la part de Alphonse X, ce détail vient ajouter une certaine touche de crédibilité au miracle.
Aboíuçaf dans les cantigas de Santa Maria
Une autre cantiga de Santa Maria, la 169, mentionne le même Aboíuçaf (Aboyuçaf). Cette fois, le thème de ce miracle marial sera les vaines tentatives pour tenter de détruire une église chrétienne dédiée à la Vierge dans la région de Murcia, district alors aux mains des musulmans. Finalement, l’Eglise ne sera pas détruite malgré un accord de principe concédé du bout des lèvres par Alphonse X. Pressé de mettre à bas le lieu de culte marial par ses sujets, le seigneur musulman de Murcia y renoncera pourtant exhortant les empressés de craindre de s’en prendre à la sainte vierge. Plus tard, une autre tentative pour détruire l’édifice, cette fois conduite par Aboíuçaf, échouera également.
Raúl Mallavibarrena à la découverte des trois cultures de l’Espagne médiévale
Nous avions déjà eu l’occasion de vous toucher un mot ici des deux formations médiévales Musica Ficta et Ensemble Fontegara, ainsi que de leur fondateur et directeur Raúl Mallavibarrena, également directeur de la maison d’édition musicale Enchiriadis (voir article précédent à leur sujet).
Au début des années 2010, ce dernier s’adjoignait la collaboration de la chanteuse soprano Rocío de Frutos, mais aussi de la célèbre flutiste Tamar Lalo pour un album intitulé Músicas Viajeras : Tres Culturas. Comme son titre l’indique, il s’agissait là d’un voyage musical autour des fameuses trois cultures de l’Espagne médiévale, souvent mises en exergue par une nombre important d’ensembles médiévaux ibériques modernes.
Avec 15 pièces « itinérantes », ce riche album ne s’arrête pas aux Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. De fait, il n’en présente même que deux ; la cantiga 156 et celle du jour, la 181. Pour le reste, il offre plutôt une sélection qui alterne divers ensembles ou solistes et leur permette de mettre en avant leur Moyen Âge des trois cultures. La version CD est épuisée à date de cet article mais mais vous pouvez trouver la version numérisée de cet album en ligne. Voici un lien utile pour cela : Músicas Viajeras : Tres Culturas
Musiciens ayant participé à cet album
Tamar Lalo (flûtes) Sara Ruiz (viole de gambe) Manuel Vilas (harpe) , Rocío de Frutos (Soprano), Musica Ficta, Ensemble Fontegara, Raúl Mallavibarrena (direction).
La cantigas de Santa Maria 181 En galaïco-portugais et en français actuel
Esta é como Aboíuçaf foi desbaratado en Marrócos pela sina de Santa María.
Pero que seja a gente d’outra lei e descreuda, os que a Virgen mais aman, a esses ela ajuda.
Celle-ci raconte comment Abu Youssouf fut vaincu à Marrakech par la bannière de Sainte Marie.
Pour autant que les gens soient D’une autre loi et incroyants (mécréants) À ceux qui aiment le plus à la vierge, À ceux-là, elle vient en secours.
Fremosa miragre desto fez a Virgen groriosa na cidade de Marrocos, que é mui gran’ e fremosa, a un rei que era ende sennor, que perigoosa guerra con outro avia, per que gran mester ajuda. Pero que seja a gente…
Un merveilleux miracle à ce sujet, Fit la vierge glorieuse En la cité de Marrakech, Qui est très grande et belle, Et dans laquelle, il y avait un roi Qui était son seigneur, mais qui était engagé Dans une guerre dangereuse Contre un autre roi. Ce pourquoi, il avait besoin d’une grande aide. Refrain
Avia de quen lla désse: ca assi corn’ el cercado jazia dentr’ en Marrocos ca o outro ja passado era per un grande rio que Morabe é chamado con muitos de cavaleiros e mui gran gente miuda. Pero que seja a gente…
De la part de qui pouvait lui donner ; Ainsi, alors qu’il était reclus A l’intérieur de Marrakech, Son ennemi était déjà passé Par un grand fleuve, Qu’on nomme Morabe, Avec un grand nombre de chevaliers Et de nombreux gens à pied (fantassins). Refrain
E corrian pelas portas da vila, e quant’ achavan que fosse fora dos muros todo per força fillavan. E porend’ os de Marrocos al Rei tal conssello davan que saisse da cidade con bõa gent’ esleuda. Pero que seja a gente…
Et ceux-là couraient en direction des portes De la ville et tout ce qu’ils trouvaient qui fut hors des murs, Ils le dérobaient. Si bien que ceux de Marrakech, Donnèrent au roi ce conseil : Qu’il sorte de la ville, Avec des personnes de qualitéet bien choisies Refrain
D’armas e que mantenente cono outro rei lidasse e logo fora da vila a sina sacar mandasse da Virgen Santa Maria, e que per ren non dultasse que os logo non vencesse, pois la ouvesse tenduda. Pero que seja a gente…
En armes, et qu’instamment Il se présente face à l’autre roi. Et qu’une fois sortis de la ville, Ils brandissent l’étendard De la vierge Sainte Marie, Afin qu’en aucune façon, ses ennemis ne doutent Qu’ils seraient vaincus sur le champ, Aussitôt que la bannière serait dressée. Refrain
Demais, que sair fesesse dos crishõos o concello conas cruzes da eigreja. E el creeu seu consello; e poi-la sina sacaron daquela que é espello dos angeos e dos santos, e dos mouros foi viuda. Pero que seja a gente…
En plus de cela, le roi devrait encore faire sortir la communauté chrétienne Portant les croix de l’Eglise. Ce dernier tint compte du conseil. Et après qu’ils déployèrent l’étendard de celle qui est le miroir Des anges et des saints, Il fut vu par les maures. Refrain
Que eran da outra parte, atal espant’ en colleron que, pero gran poder era, logo todos se venceron, e as tendas que trouxeran e o al todo perderon, e morreu y muita gente dessa fea e barvuda. Pero que seja a gente…
Qui se tenaient de l’autre côté, Et ces derniers furent pris d’une telle terreur Que, malgré leur grand pouvoir, Ils se déclarèrent tous vaincus. Et les tentes qu’ils avaient apportées, Et tout le reste, ils le perdirent, Et, là-bas, moururent beaucoup de ses gens Barbus et disgracieux. Refrain
E per Morabe passaron que ante passad’ ouveran, en sen que perdud’ avian todo quant’ ali trouxeran, atan gran medo da sina e das cruzes y preseran, que fogindo non avia niun redea teuda. Pero que seja a gente…
Et ils repassèrent par le Morabe Qu’ils avaient passé auparavant Et malgré qu’ils aient perdu Tout ce qu’ils avaient emmené avec eux Ils avaient eu si peur de l’étendard Et des croix Que, dans leur fuite, Pas un d’entre eux ne tenait ses rênes en main. Refrain
E assi Santa Maria ajudou a seus amigos, pero que d’outra lei eran, a britar seus eemigos que, macar que eran muitos, nonos preçaron dous figos, e assi foi ssa mercee de todos mui connoçuda. Pero que seja a gente…
Et c’est ainsi que sainte Marie Aida ses amis, Bien qu’ils fussent d’une autre loi, À briser leurs ennemis Qui, bien qu’ils fussent très nombreux, Ne valurent pas deux figues, Et ainsi sa grande miséricorde Fut bien connue de tous. Refrain
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : la miniature médiévale ayant servi à l’image d’en-tête est également tirée du Codex Rico, Ms TI1. Ce manuscrit médiéval daté du courant du XIIIe siècle est conservé à la bibliothèque de l’Escurial de Madrid. On y voit clairement les forces en présence et la bannière de la Sainte évoquées dans la cantiga.
Sujet : poésie satirique, poésie médiévale, poète belge, rondeau satirique, poésie politique, auteur médiéval, Bourgogne médiévale, Belgique médiévale. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Georges Chastellain (1405 – 1475) Manuscrit médiéval : Ms 11020-33, KBR museum Ouvrage : Oeuvres de Georges Chastellain T7, Baron Kervyn de Lettenhove. Bruxelles (1865).
Bonjour à tous,
ous partons, aujourd’hui, en direction du Moyen Âge tardif et du XVe siècle pour y retrouver un auteur flamand très prolifique de cette période. Né sur le territoire de la Belgique actuelle, Georges Chastellain (Chastelain) est de la lignée des comtes de Flandres mais aussi des seigneurs d’Alost. Dans sa carrière, ce noble aura l’occasion d’occuper des fonctions variées à la cour de Bourgogne, et également de servir Philippe le Bon, de bien des manières (soldat, écuyer, chevalier, chancelier, …). Au long de sa carrière, l’homme aura l’occasion de voyager pour des raisons d’agreement mais aussi pour des motifs diplomatiques entre plusieurs cours dont celle de Charles VII pour finalement resté attaché à celle de Bourgogne.
Doué d’un indéniable talent de plume, on le trouvera également historiographe officiel de Philippe le Bon. Il s’essaiera alors à l’art de la Chronique, celles des ducs de Bourgogne, mais ses écrits ne s’y résumeront pas. Il léguera, en effet, en plus de sa chronique, une œuvre prolifique en vers comme en prose sur des thèmes variés : valeurs courtoises, réflexions sur la mort, sur les devoirs des puissants et des nobles, écrits plus dévots et religieux ou encore pièces plus politiques ou satiriques.
Les grands rhétoriqueurs
On rattache Georges Chastellain à l’école des Grands Rhétoriqueurs. Il est même considéré comme une de ses importantes têtes de file. Cette école du Moyen Âge tardif à la renaissance est composé d’auteurs qu’on retrouve principalement dans les grandes cours du nord de France, (Flandres, Bourgogne, Bretagne, cour de France) et qui prennent pour modèle le legs d’Alain Chartier. Parmi eux, on pourra citer Pierre Michault, Jean Meschinot, Jean Marot (père de Clément Marot), Jehan Molinet, Henri Baude, Jean Lemaire de Belges. Ces poètes sont très attachés aux figures de styles virtuoses, aux jeux de rythmes et de mots complexes et aux allégories, au risque de verser, dans certaines pièces, dans une sorte de « surinflation » stylistique au détriment du sens. Ce n’est pas le cas de la poésie du jour qui brille par son fond politique et morale.
Le prince entre les lignes de Chastellain
L’extrait de l’œuvre de Georges Chastellain que nous vous proposons aujourd’hui est tiré d’un poème de 25 strophes, connu d’abord sous le nom de Les 25 princes, puis Le Prince et quelquefois encore, Les Princes. Cette pièce satirique, et notamment sa destination, ont donné l’occasion de nombreux débats d’expert depuis le XIXe siècle. S’agissait-il d’une sorte de « Miroir des Princes » inversé, comprenez une satire listant les pires défauts qu’on puisse trouver chez un prince ou un gouvernant ? Ou fallait-il plutôt y voir un pamphlet dirigé très directement contre Louis XI ? Remontons un peu l’histoire ou même l’historiographie pour examiner tout cela de plus près.
Concernant l’hypothèse d’un pamphlet contre Louis XI, elle a d’abord été admise par le plus grand nombre, y compris même par certains contemporains de Chastellain. On se souvient, en effet, que découvrant ses vers, Jean Meschinot en reprendra directement chaque couplet pour en faire les envois de ballades sans équivoque, contre Louis XI. Dans la foulée, les médiévistes suivront et s’accorderont pour voir derrière ces 25 princes, une seule et même personne, et donc, un portrait vitriolé de Louis XI. C’est Arthur Piaget, qui, au début du XXe siècle, viendra, le premier, contredire cette hypothèse. Selon lui, les dates ne collent pas et au moment de la composition de cette pièce, Louis XI n’était pas encore roi. Précisons que Piaget obtient cette datation par pure déduction en extrapolant le contenu et en tentant de le rapprocher d’une certain contexte historique. Rien ne permet, en effet, d’établir la date de composition de cette pièce avec certitude, sans quoi il n’y aurait pas débat. Selon Piaget, on s’est trompé jusque là. Si le fond de la poésie reste satirique et politique, il s’agissait simplement pour Chastellain de faire le portrait des pires travers princiers, à travers le temps, et non pas de viser un homme de pouvoir en particulier.
Le débat ne s’est pourtant pas arrêté là. Il faut dire que le contexte historique médiéval s’y prêtait. Louis XI allait se trouver en opposition forte à la Bourgogne. Chastellain était un fidèle serviteur du duché et les Ballades satiriques de Meschinot résonnaient encore jusqu’à nous.
Glissement de la datation
En suivant les pas de Jean-Claude Delclos (Le Prince ou Les Princes de Georges Chastellain : un poème dirigé contre Louis XI, Romania n°405, 1981), cette fois-ci, c’est à la spécialiste de lettres et de littérature médiévale Christine Martineau-Génieys de faire à nouveau basculer le pendule dans l’autre sens. Elle le fera par le truchement de son édition des Lunettes des Princes de Meschinot sortie chez Droz, en 1972. En se penchant sur l’œuvre de Chastellain, elle démontrera que les traits soulignés dans les 25 strophes de ce Prince pouvaient aisément être rapprochés de ceux que le poète médiéval avait attribué, par ailleurs à Louis XI, en différents endroits de sa chronique. Du même coup, la question de la datation de la poésie devrait être, inévitablement, reposée.
Dans son article de 1981, Jean-Claude Delclos bouclera la boucle de l’historiographie sur cette question. En reprenant les éléments et les strophes point par point, il s’efforcera de démontrer que cette datation devait largement glisser. La composition de la pièce de Chastellain était nécessairement intervenue après la prise de la couronne par Louis XI, en 1461. Contre l’année 1453, estimée par Piaget, le professeur de langue et littérature françaises du Moyen âge opposera une date ultérieure de 15 ans ; en ajoutant à la démonstration de Christine Martineau-Génieys, il était donc évident pour lui que ce Prince ne pouvait être que Louis XI :
(…) Les griefs exposés dans le poème rejoignent ceux que la Chronique adresse à Louis XI, comme si l’auteur avait voulu rassembler et condenser ce que la grande œuvre en prose présente naturellement de façon quelque peu dispersée. La pensée a pris une tournure abstraite, elle n’est pas appuyée par des exemples, mais elle n’a pas varié.(…) Écrit probablement entre avril 1465 et octobre 1468, il (le Prince) reste un témoignage de l’hostilité de Chastellain pour un roi qui lui semble renier les lois de la morale chevaleresque et conduire ses états à leur perte. »Jean-Claude Delclos (op cité)
Sources manuscrites et médiévales
On trouve cette poésie satirique de Georges Chastellain dans un certain nombre de manuscrits médiévaux aujourd’hui conservés dans diverses bibliothèques européennes et françaises. Ci-contre, nous vous présentons sa version dans le Ms 11020-33 de la Bibliothèque royale de Belgique (nouvellement KBR Museum). Ce volumineux manuscrit, daté du XVe siècle, comprend un nombre impressionnant de pièces en vers et en prose, issue de la France, la bourgogne et la Belgique médiévale. Georges Chastellain y côtoie, entre autres auteurs, Pierre Michault, Alain Chartier, Aimé de Montgesoie, Olivier de la Marche, Henri de Ferrieres , mais on y trouve également un grand nombre de pièces demeurées anonymes. (consulter ce manuscrit en ligne)
Pour la transcription de cette poésie en graphie moderne, nous nous appuyons sur les Œuvres de Georges Chastellain – Tome 7, par le Baron Kervyn de Lettenhove. Edition F Heussner, Bruxelles (1865).
Extrait de Les XXV Princes ou Le Prince de Georges Chastellain
Prince menteur, flatteur en ses paroles, Qui blandist gens et endort en frivoles, Et rien qu’en dol et fraude n’estudie, Ses jours seront de petite durée, Son règne obscur, sa mort tost désirée, Et fera fin confuse et enlaidie.
Prince inconstant, soullié de divers vices, Mescongnoissant loyaux passés services, Noté d’oubly, repris d’ingratitude, Force est qu’il perde amour et grâce humaine, Et que fortune à povre fin le maine, Tout nud d’honneur et de béatitude.
Prince entachié du couvert feu d’envye Sur autruy gloire et exaltée vie A quoi vertu et haulx faits le promeuvent, Luy-mesme prenne en soy ceste advertence Dieu luy prépare honteuse décadence, Et tous ses faits ténébreux se repreuvent.
Prince lettré, entendant l’escripture, Qui fait contraire à honneur et droiture Dont il doit estre exemplaire et lumière, Bien loist que Dieu du mesme le repaye, Et que autre, après, lui fasse grief et playe (1), Affin qu’il sente autruy playe première.
Prince assorty de perverse mesnie, De non léale abusant progénie (2) Et dont le nom tel que le fait se treuve, Luy quel il est, en fons propre et racine, Sans autre juge il le monstre et desine, Car de ses mœurs sa famille l’apreuve.
Prince aimant mieux argent et grosses sommes Que le franc coeur et l’amour de ses hommes Dont nulle rien n’est plus chière à l’attaindre, S’il pert et peuple et terre et baronnage, Quant luy propre est la cause du dommage Et qu’ainsi veult, de quoy fait-il à plaindre ?
Prince annuyé de paix et d’union, Usant de teste et propre opinion, De propre sens, comme il songe et propose, Fort est si tel en long règne prospère, Sans faire grief au peuple et vitupère Et à tout ce qui dessoubs lui repose.
Prince adonné à songier en malice, Au vaisseau propre et au mesme calice Où prétend autrui en secret faire boire, Propre en celui, par décret de fortune, Buvra en fin sa brassée amertume Et ne sied pas du contraire le croire.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
NB : l’image en tête d’article est un détail de miniature tirée du Manuscrit médiéval ms français 2689 conservé à la BnF et dont le contenu est précisément la Chronique des ducs de Bourgogne de Georges Chastellain. La scène représente Charles le Téméraire tenant le deuil de son père Philippe le Bon. Sur la miniature, notre auteur se trouve, à gauche, tenant un ouvrage. Nous sommes en 1467 et Chastellain a déjà passé les 60 ans. Pour l’illustration sur la poésie des princes, nous avons utilisé à nouveau une miniature du Compost et Calendrier des Bergers ( Rés SA 3390) conservé à la Bibliothèque d’Angers. Celle-ci représente le supplice des luxurieux en enfer.