Sujet : poésie morale, poète satirique, poésie médiévale, dits moraux, poésie courte, français moyen, individu, peuple Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Henri Baude (1430-1490) Ouvrage : Les vers de Maître Henri Baude, poète du XVe siècle, M. Jules Quicherat (1856),
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons quelques nouveaux vers issus des Dictz moraulx pour mettre en tapisserie de Henri Baude, poète moral et satirique du Moyen Âge tardif.
Il y est question d’une réflexion morale et même politique sur la difficulté de trouver des solutions, voire même des impasses du particulier au collectif : de l’individu, défiant envers tous, et qui se laisse tourmenter durement, sans savoir à qui s’allier, au peuple dont chacun veut s’approprier un morceau et même plus la substance, la moelle : pauvre vache à lait, silencieuse et docile, laissée dans l’impuissance et qui ne peut même acheter sa propre paix.
CHASCUN LE PARTICULIER (1)
Ne sçay à qui me douloir des griefs faiz Que je soustiens par dure vyolance. Car à nully je ne treuve fiance ; De tous coustez je ne voy que forfaiz.
Je ne sais à qui me plaindre des griefs qu’on me fait Que je supporte par dure violence. Car, en personne, je ne trouve confiance ; De tous côtés je ne vois que forfaits.
LE PEUPLE
Chascun se plainct (et je, peuple, me taiz) Pour despartir ensemble ma substance ; Et d’avoir mieulx n’ay-je point espérance. Je paye tout et ne puis avoir paix.
Chacun se plaint (et moi, peuple, me tait) Pour se partager ma substance ; Et d’avoir mieux je n’ai point d’espérance, Je paye tout et ne peux avoir la paix.
(1) Chascun le particulier : « chaque individu ». Bien que le terme « particulier » ait pu aussi désigner en français ancien le singulier, mais plus étonnamment encore « l’égoïste » (petit dictionnaire de l’ancien français Hilaire van Daele), voire même « le persécuteur » (dictionnaire Godefroy court), dans le moyen français de Baude, l’opposition touche un sens plus moderne et plus proche de nous : l’individu, le particulier en opposition au peuple, au collectif.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : auteur médiéval, conte moral, Espagne Médiévale, citation médiévale, monde féodal, Europe médiévale, devoirs des princes, fable Période : Moyen Âge central ( XIVe siècle) Auteur : Don Juan Manuel (1282-1348) Titre : ex XXII, De ce qu’il advint au lion et au taureau Ouvrage : Le comte Lucanor, traduit par Adolphe-Louis de Puibusque (1854)
« Ne laisse pas les dires de perfides menteurs,
Briser ton amitié avec gens de valeur. » Don Juan Manuel – Le comte Lucanor,
« Por dichos y por obras de algunos mentirosos,
no rompas tu amistad con hombres provechosos (1)« Don Juan Manuel – El conde Lucanor
(1) provechosos : bons, serviables, loyaux
Bonjour à tous,
etournements, alliances, trahisons, au Moyen Âge central, les conseillers perfides et manipulateurs semblent, souvent, plus redoutés encore que les princes dotés d’une mauvaise nature. La dimension divine conférée au pouvoir monarchique a sans doute contribué, dans certains cas, à mettre les souverains à l’abri de ce genre de soupçons mais peut-être aussi que la prudence a joué. Aux temps médiévaux, quand l’injure se double du blasphème, l’exercice de la critique directe envers les plus grands peut s’avérer périlleux, d’autant que ce pouvoir personnifié n’hésite pas, au besoin, à punir durement l’outrecuidant jusque dans sa chair (on pourra, à ce sujet, relire utilement quelques pages du Surveiller et punir deMichel Foucault ) .
Quoiqu’il en soit, au Moyen Âge, le mauvais conseiller est invoqué plus qu’à son tour, contre le « mauvais » roi, prince ou même encore le « mauvais » Pape et si, par mésaventure, ces très grands puissants de l’Europe médiévale se fourvoient dans l’exercice de leur pouvoir politique, il est à supposer qu’ils sont mal conseillés ou, même plus perfidement encore, manipulés.
Un conte politique sur fond de vécu
Pour revenir à la citation en tête de cet article et à notre auteur du jour, sans doute le grand seigneur et chevalier Don Juan Manuel ne pouvait-il s’empêcher, en écrivant ces lignes dans le courant du XIVe siècle, de songer à son propre vécu. Passé de protecteur de la famille royale et même tuteur du jeune dauphin Alphonse XI, il finit, en effet, par en devenir l’un des pires ennemis pendant de longues années. Sous la pression de la couronne, les tensions et conflits entre les deux hommes entraînèrent d’ailleurs d’autres mésalliances et trahisons dans l’entourage proche du duc et prince de Villena.
Aujourd’hui, les spécialistes de l’Espagne médiévale hésitent à mettre cette histoire incroyable faite de pièges, de meurtres et de retournements au compte de la personnalité d’un roi qui aurait été terrible et cruel « par nature ». On trouve même plutôt des thèses qui penchent en faveur de la perfidie de conseillers ayant su tirer partie du jeune âge du roi pour tirer leur épingle du jeu.
Du côté des sources historiques, on pourra retrouver la fable dont cette citation est extraite dans lecomte Lucanor du manuscrit Ms 6376, conservé à la Bibliothèque Nationale d’Espagne. De datation imprécise (entre 1300 et 1500), cet ouvrage ancien ne contient que les œuvres de Juan Manuel (consulter ici).
Une fable sur l’alliance du lion et du taureau
Dans l’histoire de Don Juan Manuel, le noble comte Lucanor interroge son conseiller Patronio sur le revirement apparent et soudain de l’amitié d’un autre puissant à son encontre. Qu’elle pourrait bien en être la cause ? Le sage Patronio lui conte alors l’histoire d’une alliance que le lion et le taureau avaient faite ensemble, asseyant ainsi leur domination sur les prédateurs comme sur les herbivores. Or, il advint que certains animaux désireux d’échapper à ce puissant pouvoir fomentèrent un complot pour rompre leur amitié, en les dressant l’un contre l’autre.
« Il n’y aura de sûreté pour nous, se dirent-ils entre eux, que lorsque nous aurons divisé nos deux oppresseurs ; il faut que leurs favoris le renard et le mouton mettent tout en oeuvre pour les brouiller. »
Sur l’avis du renard, on décida de faire intervenir l’ours. Le prédateur redoutable, second après le lion, fut chargé d’aller convaincre ce dernier que le taureau ourdissait quelques complots dans son dos. Le cheval, prestigieux herbivore d’entre les herbivores, se chargea, quant à lui, de conter un mensonge semblable au Taureau : qu’il reste vigilant, le lion voulait sa peau.
Devant la puissance des délateurs, les deux amis ne furent pas dupes. Pourtant la graine du doute avait était semée, les poussant, chacun, à consulter leur proche favori ; le renard pour le lion, le mouton pour le taureau. Il ne restait plus qu’à prendre soin de faire éclore et fructifier cette semence empoisonnée : il n’y a pas de fumée sans feu, Sire, si vous ne cessez d’y penser, c’est peut-être vrai. Les deux conseillers perfides manœuvrèrent finement et patiemment, en continuant d’instiller le doute dans l’esprit des deux puissant. Les animaux en ligue se joignirent aussi à la cohue, tant et si bien qu’à la fin les deux amis finirent par se haïr. Isolés et fragilisés, leur alliance déchue, il fut alors facile pour les autres bêtes, montées en rébellion, de s’en emparer et de les mettre tous deux à mort. Et Patronio de conclure :
« Et vous, Seigneur comte Lucanor, que cet exemple vous éclaire ! Examinez bien si les gens qui cherchent à rendre votre ami suspect à vos yeux agissent dans le même but que les animaux à l’égard du taureau et du lion. Cela vérifié, si vous reconnaissez que votre ami et un homme loyal et que sa conduite est toujours droite, fiez-vous à lui comme à un bon fils ou à un bon frère. »
En suivant les pas de A de Puibusque (opus cité), cette histoire, qui s’apparente, en tout point, à une fable, trouve quelques-unes de ses inspirations directes dans un ouvrage sanskrit datant du IIIe siècle avant notre être : Le Pantcha Tantra ou les 5 ruses de Vishnusharman. Enfin, pour ce qui est de la morale de cet « exemple XXII » du comte Lucanor, le biographe et auteur français l’adaptera ainsi, très librement mais de belle manière :
« Repousse les soupçons qui te viennent d’un traître, Bien plus que l’amitié la haine est prompte à naître. »
Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Auteur : Alphonse X de Castille (1221-1284) Interprète : Esther Lamandier Titre : Cantiga Santa Maria 384, « A que por gran fremosura é chamada Fror das frores » Album : Alfonso el Sabio. Cantigas de Santa Maria (1981)
Bonjour à tous,
e qui nous suivent de près le savent, nous avons entrepris, depuis quelques années déjà, l’étude et la traduction des Cantigas de Santa Maria du roi Alphonse X de Castille. Récits de miracles autour de la sainte, témoignages de pèlerins, ou encore chants de louanges, avant d’être recompilées et retranscrites au XIIIe siècle et en galaïco-portugais par le souverain de Castille, un grand nombre de ces histoires circulait déjà sous diverses formes dans l’Europe médiévale.
On le sait, à partir du XIIe siècle, le Moyen Âge central s’est enflammé pour le culte marial. Dans la littérature médiévale, on trouvera ainsi de nombreux Ave Maria en hommage à la Sainte, chez quantité de nos auteurs, trouvères, poètes, clercs ou même religieux, de Rutebeuf à Villon. La vierge Marie est alors, cette mère pleine de compassion et de piété, qui peut entendre et qui sait écouter. Elle est aussi celle qui, par sa bonté et l’oreille qu’il lui prête, pourra peut-être intercéder en faveur du prieur ou du dévot auprès de son fils le Christ, la chair de Tout Puissant, Dieu mort en croix.
Le Salut pour un moine dévot à la vierge
La cantiga d’aujourd’hui est un nouveau récit de miracle. On y apprendra, ou en tout cas le poète nous contera, que dans les manières de louer la Sainte, entre imagerie, iconographie, prières, et autres, celle qui consiste à louer son nom est une des plus appréciées. Ici c’est un moine qui s’adonnant à la calligraphie, l’écrira même, ce nom, avec de belles couleurs. L’histoire se posera aussi comme une confirmation déjà acquise dans le culte marial : la dévotion à la sainte peut ouvrir, au croyant, les portes du salut.
Dans la foi chrétienne, la mort n’est rien si, au bout du chemin de vie et quelque soit sa durée, se trouve un nouveau commencement pour l’éternité. L’important est dans le salut. Dans cette cantiga de Santa Maria 384, comme nous l’avions vu dans le miracle de la jeune fille malade de la cantiga 188, le corps du protagoniste périra. Sa vie prendra fin et seule son âme sera sauvée. Pas de « transhumanisme ici, pas plus que de défi lancé à la longévité dans ce monde-ci, au Moyen Âge, les désirs d’éternité ne sont pas, ici-bas, mais dans le monde suivant.
La cantiga de Santa Maria 384 par Esther Lamanthier
Esther Lamandier et Alphonse le Sage
En 1980, la belle et talentueuse chanteuse soprano, harpiste et instrumentiste, Esther Lamandier décida de faire une incursion du côté de l’Espagne médiévale et du répertoire d’Alfonso el Sabio.
Tout entière dédiée aux Cantigas de Santa Maria, la production fut enregistrée à l’Abbaye de l’Épau, dans la Sarthe. A sa sortie, en 1981, l’album proposait 20 pièces interprétées par la musicienne et artiste, accompagnée de son seul
talent vocal et instrumental. La cantiga 384 que nous vous présentons aujourd’hui ouvre ce très bel album que l’on peut encore trouver à la vente en ligne. notamment au format mp3. Voici un lien utile pour plus d’informations : Les Cantigas de Santa Maria par Esther Lamandier.
La Cantiga de Santa Maria 384
Du galaïco-portugais au français moderne
Como Santa Maria levou a alma dun frade
que pintou o seu nome de tres coores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Comment Sainte Marie emmena au paradis l’âme d’un frère qui avait peint son nom de trois couleurs.
Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs, Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.
Desto direi un miragre, segundo me foi contado, que aveo a un monge bõo e ben ordinado e que as oras desta Virgen dizia de mui bon grado, e mayor sabor avia desto que d’outras sabores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
A ce propos, je vous dirai d’un miracle, selon qu’il me fut conté, Qui arriva à un bon moine bien ordonné, Qui disait les heures de la Vierge avec grande joie Et prenait en cela un plaisir plus grand que tout autre plaisir.
Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs, Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.
Este mui bon clerigo era e mui de grado liia nas Vidas dos Santos Padres e ar mui ben escrivia; may[s] u quer que el achava nome de Santa Maria fazia-o mui fremoso escrito con tres colores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
C’était un bon prêtre qui, avec enthousiasme, lisait Les vies des Saints Pères et qui écrivait aussi très bien ; Et, à chaque fois, qu’il arrivait au nom de Sainte Marie, Il l’écrivait de très belle manière et de trois couleurs.
Celle qui, pour sa beauté…
A primeyra era ouro, coor rica e fremosa a semellante da Virgen nobre e mui preçiosa; e a outra d’azur era, coor mui maravillosa que ao çeo semella quand’ é con sas [e]splandores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
La première était d’or, couleur riche et belle Semblable à la Vierge noble et très précieuse ; L’autre était d’azur, couleur très merveilleuse Qui ressemble au ciel quand il se montre dans toute sa splendeur.
Celle qui, pour sa beauté…
A terçeyra chamam rosa, porque é coor vermella; onde cada a destas coores mui ben semella aa Virgen que é rica, mui santa, e que parella nunca ouv’ en fremosura, ar é mellor das mellores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
La troisième, est appelée rose, car c’est une couleur vermeille ; Et chacune de ces couleurs ressemble donc en tout point à la Vierge qui est splendide et très sainte, et qui jamais n’eut d’égale en beauté, et demeure la meilleure entre toutes.
Celle qui, pour sa beauté…
Ond’ aqueste nome santo o monge tragia sigo da Virgen Santa Maria, de que era muit’ amigo, beyjando-o ameude por vençer o emigo diabo que sempre punna de nos meter en errores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Ainsi, ce moine portait toujours avec lui ce nom saint de la vierge Sainte Marie, à laquelle il était fermement dévoué, L’embrassant souvent pour vaincre le diable ennemi Qui s’acharne toujours pour nous faire tomber dans l’erreur.
Celle qui, pour sa beauté…
Onde foi a vegada que jazia mui doente da grand’ enfermidade, de que era en possente; e pero assi jazia, viinna-lle sempre a mente de seer da Virgen santa un dos seus mais loadores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Mais vint un temps où il tomba gravement souffrant D’une grande maladie, qu’il avait contracté. Et bien qu’il gisait ainsi, il lui venait toujours à l’esprit De rester un des plus grands faiseurs de louanges de la vierge Sainte.
Celle qui, pour sa beauté…
O abade e os monges todos veer-o veron, e poi-lo viron maltreito, un frade con el poseron que lle tevesse companna; e pois ali esteveron un pouco, foron-se logo. Mais a Sennor das sennores
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
L’abbé et les moines vinrent tous le voir, Et en le voyant en si piteux état, ils assignèrent un frère Pour lui tenir compagnie; puis ils restèrent un moment, avant de s’en aller. Cependant, la reine des reines
Celle qui, pour sa beauté…
Apareçeu ao frade que o guardav’, en dormindo, e viu que ao leyto se chegava passo yndo, e dizia-lle: «Non temas, ca te farey ir sobindo mig’ ora a parayso, u veerás os mayores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Apparut en rêve au frère qui gardait le moine, Et il vit qu’elle s’approchait du lit, Et disait au moine alité : « n’aies crainte, car je te ferai monter Avec moi au paradis où tu verras tous ceux qui s’y trouvent déjà (les anciens).
Celle qui, pour sa beauté…
Ca por quanto tu pintavas meu nome de tres pinturas, levar-t-ey suso ao çéo, u verás as aposturas, e eno Livro da Vida escrit’ ontr’ as escrituras serás ontr’ os que non morren, nen an coitas nen doores».
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Puisque, en effet, tu as peint mon nom de trois couleurs, Je t’emmènerai au ciel et tu verras ce qui est droit et juste Et dans le livre de la vie, tu seras inscrit entre les écritures entre ceux qui ne meurent pas, et qui n’ont ni peine ni douleur.
Celle qui, pour sa beauté…
Enton levou del a alma sigo a Santa Reynna. E o frade espertou logo e foy ao leyt’ agynna; e pois que o achou morto, fez sõar a campaynna segund’ estableçud’ era polos seus santos doctores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Puis, la sainte reine prit l’âme du moine avec elle, Et le frère s’éveilla et s’approcha de son chevet, Et comme il le trouva mort, il fit sonner la cloche Ainsi qu’il a été établi par les Saints Docteurs de l’Eglise.
Celle qui, pour sa beauté…
Mantenente o abade chegou y cono convento, que eram y de companna ben oyteenta ou çento; e aquel monge lles disse: «Sennores, por cousimento o que vi vos direy todo, se m’ en fordes oydores».
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
L’abbé s’en vint rapidement avec ses moines, Qui était une communauté de près de 80 ou 100 Et le frère leur dit : « Messieurs, pour en avoir été témoin ( pour le connaître ) Je vous dirais tout ce que j’ai vu, si vous voulez bien m’entendre ».
Celle qui, pour sa beauté…
Enton contou o que vira, segundo vos ey ja dito; e o abade tan toste o fez meter en escrito pera destruyr as obras do emigo maldito, que nos quer levar a logo u sempr’ ajamos pavores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Puis, il leur dit tout ce qu’il avait vu et que je vous ai déjà conté; Et l’abbé, sans attendre, le fit consigner par écrit Pour détruire les œuvres de l’ennemi maudit (le diable) Qui toujours veut nous entraîner en des lieux où nous vivons dans la peur.
Celle qui, pour sa beauté…
E pois souberon o feyto, loaron de voontade a Virgen Santa Maria, a Sennor de piedade; e se en alga cousa ll’ erraran per neçidade, punnaron de se guardaren que non fossen peccadores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Et après avoir entendu le miracle, ils louèrent avec joie La Vierge Saint Marie, dame de Piété ; Et si, en quelques occasions, ils avaient pu errer par négligence, Ils s’efforcèrent après cela, de se garder de commettre des pêchés.
Sujet : amour courtois, musique, poésie médiévale, chanson médiévale, Cantigas de amigo, galaïco-portugais, troubadour, lyrique courtoise. Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Auteur : Martín (ou Martim) Codax Titre : Eno sagrado en Vigo, Cantiga VI Interprètes : The Dufay Collective Album : Music for Alfonso the Wise (2005)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous revenons sur les Cantigas de Amigo de l’Espagne et du Portugal du Moyen Âge central. Nous le faisons même avec un des plus célèbres compositeurs de ce genre galaïco-portugais du XIIIe, le jongleur (jogral) et troubadour Martín Codax.
Les Cantigas de Amigo conjuguent l’amour courtois au féminin, en donnant la parole à des jeunes filles : espoir, attente de l’être aimé (« l’ami »), joie ou tristesse, les compositeurs de ces chansons médiévales se glissent dans le cœur des damoiselles pour nous chanter avec grâce, les émois et les revers du sentiment amoureux. Au delà de leur contenu, ces poésies se signent par leur simplicité, leur pureté de style et la présence d’un refrain qui vient créer une résonance sur l’émotion au centre de chaque composition.
Une belle sur le parvis de l’église de Vigo
Cette Cantiga de amigo de Martín Codax est connue sous le titre Eno sagrado en Vigo (sur la base de son premier vers) : en français, on peut le traduire par sur le parvis de Vigo. On peut supposer, sans trop de risques, qu’il s’agit là d’une allusion au parvis de l’actuelle collégiale de Santa Maria de Vigo, en Galice. Datée du XIXe siècle, cette dernière a été reconstruite en lieu et place d’un autre édifice religieux qui, lui même, était venu faire suite, au XVe siècle, à une église Santa Maria qui se tenait, là, depuis le Moyen Âge central et le XIIe siècle.
Du point de vue du sens de cette composition, la jeune fille y danse en chantant et on l’imagine tournant et souriant, emportée par la joie de l’amour qu’elle porte en elle. Pour faire bonne mesure, nous vous en proposerons une traduction sur laquelle on pourra d’ailleurs argumenter. La simplicité des vers prête, en effet, à interprétation suivant les auteurs qui s’y sont penchés et notamment ce refrain : » Amor ei… » . Faut-il simplement traduire : « Oh Amour » ou « J’ai de l’amour« , autrement dit « Je suis amoureuse » ou même encore « Je suis aimé » ? Nous avons penché, de notre côté, pour « Je suis amoureuse ».
Sources et interprétations
Cette cantiga de amigo, que l’on retrouve dans le Parchemin Vindel, actuellement conservé à la Morgan Library de New York, a été reprise par une certain nombre de formations médiévales contemporaines. On pense notamment à celle d’Eduardo Paniagua ou encore, plus près de nous, au groupe allemand Triskilian. Pour vous la faire découvrir, nous avons, pour cette fois, choisi la version des anglais de The Dufay Collective.
Eno sagrado en Vigo de Martin Codax par The Dufay Collective
Quand le Dufay Collective chantait
l’Espagne médiévale d’Alphonse le Sage
En 2005, les artistes du Dufay Collective décidèrent de consacrer leur talent aux musiques contemporaines de la cour d’Alphonse X de Castille. Intitulé « Music for Alfonso the Wise » (musique pour Alphonse le Sage), l’album sortit chez Harmonia Mundi. Il proposait pas moins de 19 pièces pour plus d’un heure d’écoute entre lesquelles de nombreuses Cantigas de Santa Maria (dix compositions) du roi savant d’Espagne. Dans la deuxième partie de l’album, on retrouvait aussi huit cantigas de Amigo, signée de la main de Martín Codax. Enfin, une danse anonyme de la même période venait compléter le tableau de cette production.
Au moment de cet article, l’album n’est pas disponible à la vente en ligne ( en tout cas sur Amazon). Il n’est même pas sûr qu’il ait été réédité. Nous en avons trouvé un copie d’occasion à la vente, mais le vendeur en attendait un prix tellement indécent que nous avons préféré ne pas vous en donner le lien ici. En contrepartie, nous mettons le lien par défaut vers ce produit, en espérant que tôt ou tard, de nouveaux CD’s fassent leur apparition : Music for Alfonso the Wise by The Dufay Collective (2005-04-20).
Eno sagrado en Vigo, de Martin Codax
traduite en français moderne
Eno sagrado en Vigo, Beylava corpo velido En Vigo, no sagrado, Beylava corpo delgado Amor ei…
Sur le parvis, à Vigo. Dansait une belle (un joli corps) Sur le parvis, à Vigo. Dansait une jolie fille (un corps fin) :
Je suis amoureuse …
Beylava corpo delgado Que nunc’ ouver’ amado Beylava corpo velido Que nunc’ ouver’ amigo Amor ei…
Dansait une jolie fille Qui n’avait jamais eu d’être aimé Dansait une belle Qui n’avait jamais eu d’ami
Je suis amoureuse …
Que nunc’ ouver’ amigo Ergas no sagrad’, en Vigo Que nunc’ ouver’ amado Ergas en Vigo, no sagrado Amor ei…
Qui n’avait jamais eu d’ami Sauf à Vigo, sur le parvis, Qui n’avait jamais eu d’aimé Sauf à Vigo, sur le parvis, Je suis amoureuse …
En vous souhaitant une très belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.