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Citation médiévale, extrait : Le temps et la viellesse dans le Roman de la Rose

citation-medievale-litterature-poesie-moyen-ageSujet : citation médiévale, temps, poésie médiévale, littérature médiévale
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Ouvrage : le Roman de la Rose (1235-1280)
Auteurs :  Guillaume de Lorris et Jean de Meung


citations-medievales-roman-de-la-rose-litterature-medievale-moyen-age-central-XIIIe-siecle

« Li Tens qui ne puet sejourner,
Ains vait tous jours sans retorner,
Com l’iaue* (l’eau) qui s’avale toute,
N’il n’en retorne arriere goute ;
Li Tens vers qui noient* (contre quoi rien) ne dure,
Ne fer, ne chose, tant soit dure,
Car il gaste tout et menjue.

Li Tens qui tote chose mue,
Qui tout fait croistre et tout norist ;
Et qui tout use et tout porrist :
Li Tens qui enviellist nos peres,
Qui viellist rois et emperieres,
Et qui tous nous enviellira,
Ou Mort nous desavancera* 
(à moins que la mort nous devance). « 

Le Roman de la Rose – Extraits, citation médiévale


PS : l’enluminure utilisée dans l’illustration provient du Manuscrit Selden Supra 57 de la Bibliothèque Bodléienne d’Oxford. Elle dépeint « Vieillesse ». C’est la rencontre avec cette dernière qui inspire à l’auteur le passage dont est extrait cette citation sur le temps.

Fortune et « ses joyes ne sont fors que droit vent », une ballade de Christine de Pizan

christine_de_pisan_auteur_poete_philosophe_monde_medieval_moyen-ageSujet  : ballade, fortune, poésies médiévales,  poésie morale, auteur(e) médiéval(e), roue de fortune, sort, impermanence, valeurs chrétiennes médiévales, Moyen Âge chrétien
Auteur  :  Christine de Pizan (Pisan) (1364-1430)
Période : Moyen Âge central à tardif
Ouvrage :   Œuvres poétiques de Christine de Pisan, publiées par Maurice Roy, Tome 1, (1896)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionu Moyen Âge central au Moyen Âge tardif, Fortune court, Fortune tourne, jamais Fortune nul n’épargne qui peut faire dégringoler le plus puissant, sitôt qu’il s’élève au sommet.

La roue de Fortune
alliée de la morale chrétienne médiévale

Dans le monde médiéval, l’invocation de Fortune et sa roue sonne comme un rappel entêtant, une leçon perpétuelle sur la nécessité de pratiquer un certain détachement face aux caprices du sort, mais plus encore. Si gloire, pouvoir, richesses, avoirs, ne portent en eux que des joies illusoires et passagères, c’est bien parce que, pour l’homme du Moyen Âge , ce monde matériel aux lois changeantes n’est qu’un court passage vers l’éternité. Or, justement, le salut de l’âme au sens chrétien, implique qu’on sache se détacher des tentations de ce monde transitoire, mais aussi de la vanité. Et c’est une deuxième leçon de Fortune que d’expliquer aux hommes accrochés sur sa roue, qu’ils ne peuvent se glorifier totalement de leur propre ascension puisque, au fond, ils n’y sont pas pour grand chose.

roue-de-fortune-moyen-age-miniature-enluminure-morale-medievaleDu Roman de la Rose aux fabliaux (voir la roé de fortune), en passant par les poésies et chansons de quantités d’auteurs du monde médiéval – Guillaume de Machaut, Michault Caron Taillevent, le O Fortuna  repris par Carl Orff dans Carmina Burana, pour n’en citer que quelques-uns –  Fortune et sa roue capricieuse, alliée de la morale chrétienne médiévale, ne cesse de mettre en garde le puissant, comme elle rassure, sans doute aussi, les plus indigents. 

Aujourd’hui, c’est dans une courte ballade sous la plume de Christine de Pizan que nous la retrouvons. La grande dame et auteur(e) du Moyen Âge savait des illusions de la permanence et de l’évanescence des bonheurs terrestres. Mariée à l’adolescence, veuve à 22 ans, elle a laissé, au sein de son œuvre considérable, de nombreuses poésies sur les douleurs de ce deuil. Elle y fait d’ailleurs allusion dans cette pièce.

« Que ses joyes ne sont fors que droit vent »
Une ballade de Christine de Pisan

Qui trop se fie es* (aux) grans biens de Fortune,
En vérité, il en est deceü;
Car inconstant elle est plus que la lune.
Maint des plus grans s’en sont aperceü,
De ceulz meismes qu’elle a hault acreü,
Trebusche test, et ce voit on souvent
Que ses joyes ne sont fors que droit vent.

Qui vit, il voit que c’est chose commune
Que nul, tant soit perfait ne esleü,
N’est espargné quant Fortune répugne
Contre son bien, c’est son droit et deü
De retoulir* (reprendre) le bien qu’on a eü,
Vent chierement, ce scet fol et sçavent
Que ses joyes ne sont fors que droit vent.

De sa guise qui n’est pas a touz une
Bien puis parler; car je l’ay bien sceü,
Las moy dolens! car la fausse et enfrune* (gloutonne, avide)
M’a a ce cop trop durement neü* (de nuire),
Car tollu m’a* (m’a ôté) ce dont Dieu pourveü
M’avoit, helas ! bien vois apercevent
Que ses joyes ne sont fors que droit vent.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred

Pour moyenagepassion.com
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Au XVe siècle, le Mystère de la Passion de Jean Michel et la leçon du pêcheur Zébédée à ses deux fils

poesie-medievale-moyen-age-chretien-mystere-de-la-passion-Jean-michel-XVe-siecleSujet : poésie médiévale, nouveau testament, mystère, valeurs chrétiennes médiévales,  auteur médiéval, drame, théâtre médiéval, poésie morale
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle.
Œuvre : Le Mystère de la Passion (1486)
Auteur : Jean Michel (1435 -1501)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionaté de 1458, le Mystère de la Passion de Arnould Gréban fut un Mystère chrétien très prisé du Moyen-âge tardif. On peut le trouver publié, en 1878, par deux célèbres médiévistes du XIXe siècle : Gaston Paris et Gaston Raynaud. Pourtant ce n’est pas cette pièce originale qui nous intéresse, aujourd’hui, mais sa version remaniée, quelques trente ans plus tard, vers la fin du XVe siècle.

Le Mystère de la Passion de Jean Michel

Publiée pour la première fois en 1486, la pièce en question porte le même nom que celle qui l’avait inspirée. Elle est signée de la main d’un grand dramaturge angevin du nom de Jean Michel. Si on doit, par ailleurs, à ce même auteur médiéval, l’écriture d’un autre mystère (celui de la Résurrection), sa réécriture du Mystère de la passion fut si heureuse et talentueuse qu’elle en vint même à éclipser l’œuvre originale de Arnould Gréban.

C’est donc de l’œuvre de Jean Michel que sont extraits les vers que nous partageons avec vous ici. La scène est inspirée du Nouveau Testament ; le vieux pêcheur Zébédée y donne à ses deux fils, Jacques et Jean, une leçon de vie profonde. On se souvient que, selon les évangiles, les deux jeunes gens deviendront bientôt deux grands apôtres du Christ. Ce dernier en fera, en effet, des « pécheurs d’hommes » dans une autre scène bien connue des écritures.

Dans un style d’une grande pureté, Jean Michel nous expose ici des valeurs qui sont au cœur du monde chrétien médiéval : humilité, contentement, simplicité. En prenant un peu de hauteur et au delà de la référence biblique et purement chrétienne, on pourra voir ici  une leçon plus générale sur le sens de la vie.

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Pour ceux que ce mystère de la passion, au complet, intéresserait, sa version papier semble, pour l’instant, assez difficile à trouver. Le plus simple serait, sans doute, de miser sur une réédition  d’un ouvrage qui lui avait été consacré en 1959. Le titre en est : Le mystère de la Passion (Angers 1486), édité par Omer Jodogne. Pour l’instant, il ne semble pas disponible en ligne mais votre libraire préféré saura, peut-être, comment vous le procurer. Si ce n’est pas le cas, il vous faudra vous contenter de sa version numérique que vous pourrez emprunter pour quelques jours,  sur le site archive.org. Vous trouverez, sinon, d’autres extraits de ce Mystère de la Passion selon Jean Michel  (dont celui du jour),  dans l’ouvrage Morceaux choisis des auteurs français, poètes et prosateurs, de Louis Petit de Julleville (1901).

Pour ce qui est de sa traduction, son moyen français ne pose pas de difficultés particulières, aussi nous ne vous donnons ici que quelques menues clefs de vocabulaire.


La leçon du pêcheur Zébédée et ses deux fils
Extrait du Mystère de la Passion de Jean Michel

Mes enfans, congnoissés que c’est
De nostre povre vie humaine :
En ce monde n’a point d’arrest,
Le temps court ainsi qu’il nous maine;
Et qui quiert* (veut) richesse mondaine
la fault gaigner loyaulment,
Ou encourir d’enfer la peine,
A jamais perdurablement.

J’ay en povre simplicité
Vescu sans avoir indigence;
Je vy selon ma povreté ;
Si j’ay petit, j’ay patience.
Mes enfans, j’ay mis diligence
A pecher et gaigner ma vie ;
Assés a qui a suffisance.
Des grans biens n’ay je point envye.

Jehan et Jaque, or aprenés
A congnoistre vent et marée;
Si tous deulx mon mestier tenés,
Vous vivrez au jour la journée.
Si vous avez bonne denrée,
Vendés bien, et a juste pris,
Et merciés Dieu la vesprée* (au soir)
De tout ce que vous aurés pris.


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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« Se la belle n’a le voloir », un rondeau courtois de Gilles Binchois

gilles_binchois_chants-polyphoniques_musique-ancienneSujet : chanson, poésie médiévale, Amour Courtois, musique médiévale, lyrique courtoise, rondeau, chants polyphoniques, moyen-français
Auteur-Compositeur : Gilles de Binche, Gilles Binchois (1400-1460)
Titre : Se la belle n’a le voloir
Période :  XVe siècle, Moyen Âge tardif
Interprètes : Ensemble  Gilles Binchois
AlbumMon souverain désir, Virgin Classics 1998

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionigne représentant de l’Ecole Bourguignonne de la toute fin du Moyen Âge, Gilles Binchois nous a laissé une musique religieuse et profane, marquée par un goût de la polyphonie, qui allait inspirer, à la même époque l’Ecole Franco-Flamande. Rappelons qu’il est d’ailleurs lui-même originaire de Mons.

Dans ce XVe déjà tourné vers la renaissance, l’art musical n’est plus celui des troubadours et des trouvères mais, du point de vue de leurs vers, les compositions profanes continuent très fréquemment de s’inscrire dans l’héritage de la lyrique courtoise des siècles précédents. C’est encore le cas ici avec cette chanson du jour. Dans ce  rondeau, le poète, en parfait fine amant, est suspendu à la décision de la belle qu’il convoite et il se mourrait presque « d’amourette »,  par anticipation, de crainte qu’elle ne se refuse à lui.

Sources historiques : les Codices de Trente

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Le MS 1374, Tr 87, manuscrit de musiques notées du XVe siècle, trentino.cultura.it

Bien que l’œuvre abondante du maître de musique soit assez dispersée en terme de manuscrits, on peut en retrouver une partie importante dans les Codices de Trente. Ces  sept volumineux traités de musiques notées datant du XVe siècle sont considérés comme des documents majeurs pour la musique de l’Europe médiévale de ce siècle. La majeure partie de ces précieux ouvrages est encore conservée, à ce jour, au Musée Provincial d’Art de Castello del Buonconsiglio, à Trente, en Italie.

Le Tr87 ou MS 1374 où l’on peut croiser la chanson du jour et sa notation (cf image ci-dessus), aux côtés d’un peu moins d’une vingtaine de compositions de Gilles Binchois, était jusque là consultable en ligne au lien suivant www.cultura.trentino.it, mais nous venons de vérifier (juin 2022) et il semble que le site ne soit plus accessible pour l’instant.

Se la belle n’a le voloir, par l’Ensemble Gilles Binchois

« Le Souverain désir » de Gilles Binchois
Sous la direction de Dominique Vellard

Mené par Dominique Vellard, l’Ensemble du même nom que le compositeur est sans nul doute celui qui a le plus contribué à nous faire redécouvrir les chants et les pièces tout en subtilité de Gilles Binchois. Dans un album datant de 1997-98 , ayant pour titre Mon Souverain Desir, la formation de musiques anciennes proposait ainsi 17 pièces, tirées du répertoire profane du compositeur, sur le thème du sentiment amoureux et de la fine amor.

gilles_binchois_ensemble_amour_courtois_chants_polyphoniques_musique_medievale_moyen-ageCe bel album, qui démontrait une fois de plus les grands talents de son directeur, a été accueilli avec tous les honneurs sur la scène musicale. Extrêmement bien noté par la presse spécialisée, il a également reçu, en son temps, un Diapason d’Or. Il est toujours édité et disponible à la vente dans toute bonne boutique de musique ou même en ligne. Voici un lien utile pour l’acquérir : Mon souverain désir de l’Ensemble Gilles Binchois.

L’Ensemble Gilles Binchois, une longue et belle carrière  pour  plus de 45 albums

Fondé en 1979, cette grande formation dont nous avons déjà parlé abondamment ici, ne s’est pas cantonnée au répertoire du grand compositeur. Avec plus de 40 années de présence sur la scène des musiques anciennes, l’Ensemble Gilles Binchois a déjà légué à la postérité près de 45 albums et propose encore, de nos jours, les programmes les plus variés des temps médiévaux à l’après-renaissance. Vous pouvez retrouver leur discographie complète ainsi que l’agenda de leurs concerts sur leur site web officiel : gillesbinchois.com

Nous vous invitons également à consulter tous nos articles à leur sujet ici : l’Ensemble Gilles Binchois sur Moyenagepassion.


Se la belle n’a le voloir, rondeau
les paroles de la chanson de Gilles Binchois

Se la belle n’a le voloir
D’alegier mon piteux martire
Il ne m’est nul besoin de rire
Pour le mal qui me fait doloir

Car je n’ay cuer, corps ne pouvoir
Qui puist a tel dolour souffrire
Se la belle n’a le voloir
D’alegier mon piteux martire,

Et pour la verité savoir
A toute heure mon mal empire
Dont je m’en vois de droite tire
Ma mort prochaine recevoir.

Se la belle n’a le voloir
D’alegier mon piteux martire
Il ne m’est nul besoin de rire
Pour le mal qui me fait doloir.


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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