Sujet : sagesse persane, conte moral, guerre, bienséance, citations médiévales, citations, sagesse. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Mocharrafoddin Saadi (1210-1291) Ouvrage : le Gulistanet le Boustan
Bonjour à tous,
ans la Perse médiévale du XIIIe siècle, le conteur et voyageur Mocharrafoddin Saadi dispense sa sagesse auprès des princes et puissants de son temps. Aujourd’hui, nous partageons quelques autres de ses vers en forme de citation. Les premiers sont tirés de son Gulistan ou parterre de roses dans la traduction qu’en a faite, en 1838, Charles Defrémery, grand homme de lettres et orientaliste du XIXe siècle. Les suivants nous viendront du Boustan ou Verger tel que le traduit, en 1880, Charles Adrien Barbier de Meynard, un autre orientaliste français.
Va-t-en-guerre de salon & hystérie ambiante
La première citation de Saadi est extraite du chapitre VIII du Gulistan « Touchant les bienséances de la société« . Il y est question de la guerre et de conflits entre individus et du rôle néfaste que peuvent parfois jouer ceux qui la commentent de façon à jeter de l’huile sur le feu.
« La guerre entre deux personnes est comme le feu , et le misérable rapporteur fait office de bûcheron. Les deux adversaires se réconcilieront, et lui restera malheureux et confondu. Il n’est pas conforme à la sagesse d’allumer du feu entre deux individus, et de s’y brûler. » Citation médiévale extraite du Gulistan de Mocharrafoddin Saadi
Pour être très clair, il nous est difficile de ne pas résister à la transposition et de ne pas voir, dans ces quelques lignes, une leçon à méditer sur les tristes événements actuels. A l’heure où la guerre de l’information fait rage de tous côtés entraînant, dans son sillage, la désinformation crasse et, pire même, la censure grossière, il serait sage d’être vigilant, d’aiguiser notre sens critique mais aussi de ne pas agir en faveur d’une escalade dont absolument nul ne sait où elle pourra conduire le monde.
Les va-t-en-guerre de salon et les faux braves hystériques de plateaux télés sont comme l’ignorant que nous décrit le même Saadi : «l’ignorant est comme le tambour de guerre, sonore, mais creux et ne proférant que des paroles inutiles». A l’hystérie « covidienne », vient se succéder celle au sujet de l’Urkraine, en s’enfonçant toujours plus dans le discrédit, le ridicule et la caricature. On a changé les visages et les « experts » mais la procédure est la même ; l’heure est, de nouveau, à la propagande et aux procédés inquisitoriaux (au sens moderne et figuré d’arbitraire). On lapide à coups de « pro » ou « d’anti » tout ce qui n’entre pas dans une rhétorique imbécile qui ne souffre aucune nuance. Honte est faite à l’intelligence.
Les voies diplomatiques
Sur ce même thème de la guerre, une autre citation de Saadi nous semble intéressante à méditer. Elle est tirée, cette fois, du chapitre premier de son Boustan (traduction de A. C. Barbier de Meynard, 1880) et touche à la diplomatie. Comme on le verra, elle conseille exactement l’inverse de ce qui a été fait depuis 2014 et de ce qui continue d’être fait :
«Tant que des négociations habiles peuvent assurer le succès d’une affaire, la douceur est préférable à l’emploi de la force; quand on ne peut vaincre par les armes, c’est a la modération à fermer les portes de la guerre. La bienfaisance est le talisman le plus efficace contre les agressions de l’ennemi; au lieu de chausse-trappes sème l’or sous ses pas, tes bienfaits émousseront ses dents acérées.» Le boustan ou verger de Saadi, chapitre 1 : des devoirs des rois, de la justice et du bon gouvernement, règle de politique et de stratégie.
Pour être tout à fait honnête intellectuellement avec ce dernier extrait, précisons de notre conteur persan Saadi qu’il n’est pas non plus un pacifiste jusqu’au-boutiste. Pour lui, il n’est question que de s’adapter à la situation quitte à se montrer plus ferme, à un autre moment et si nécessaire.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : Sur l’image d’en-tête, on peut voir un exemplaire du Gulistan, superbement illuminé, daté de 1822. Il est actuellement conservé au National Museum of Iran, de Téhéran.
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, amour courtois, courtoisie Période : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210) Titre : Be.m pac d’ivern e d’estiu Interprète : Flor Enversa Evénement : Festival Troberea 2010
Bonjour à tous
ujourd’hui, nos pas nous ramènent du côté de la Provence médiévale en compagnie de Peire Vidal. Nous y découvrirons une nouvelle chanson du grand troubadour du XIIe-XIIIe siècle par le menu : sa traduction en français moderne, ses sources manuscrites, le tout accompagné d’une belle version servie par l’ensemble de musiques médiévales Flor Enversa.
Be.m pac d’ivern e d’estiu dans le manuscrit français 854 de la BnF
Une chanson médiévale en forme de louange courtoise
On retrouvera, dans la chanson du jour, un Peire Vidal, grandiloquent et énergique à son habitude. Cette fois, il mettra toute sa verve au service non pas de ses hauts faits, mais de la nouvelle grande dame qu’il a élue ; Elle est, d’après ce qu’il nous confie, sise à Montesquieu, en Nouvelle-Aquitaine. Tout au long de ses strophes, il lui fera des louanges sans réserve tout en fustigeant ouvertement les adversaires de cette dernière. Au passage, le troubadour toulousain nous gratifiera de quelques purs joyaux de poésie occitane médiévale comme ces deux vers, par exemple, qu’on a presque peine à traduire tant cela fait peu justice à la langue d’origine :
Paro.m rozas entre gel E clars temps ab trebol cel.
Des roses m’apparaissent au milieu de la glace, Et un temps clair par un ciel obscur.
Pour bien donner la mesure de son immense admiration pour la dame et du lien qui l’unit à elle, le troubadour fait aussi le choix de terminer la plupart de ses strophes par de grandes références bibliques, en invoquant aussi les saints et les anges. Dans son voyage poétique, il fera encore quelques détours vers d’autres destinations : l’un d’eux par Montoliu en Occitanie, un autre par la Castille et l’Espagne qui lui sont chères (dans ses pérégrinations, il a séjourné au cour de Castille et d’Aragon). Enfin, il citera également l’empire de « Manuel ». Il s’agit, sans grande doute, de Manuel Ier Comnène, empereur byzantin du XIIe siècle. Contemporain de Peire Vidal, ce souverain connut un long règne de 37 ans et fut très apprécié du monde chrétien occidental pour son soutien au royaume de Jérusalem.
En dehors de cela et même après traduction, ce texte ne livre pas tous ses secrets. Certaines références contextuelles demeurent obscures, leurs secrets engloutis dans le fleuve du temps mais il fallait bien que la poésies du troubadour voyageur conserve aussi ce charme.
Sources historiques et médiévales
Pour les sources historiques, Be.m pac d’ivern e d’estiu est présente dans une grand nombre d’ouvrages datés du Moyen Âge central à tardif et consacrés aux troubadours occitans. On pourra citer, par exemple, le chansonnier provençal K, référencé ms fr 12473 ou encore le fr 12474 de le BnF, ou même le canzionere provenzale de la bibliothèque d’Estense. Aujourd’hui, nous avons choisi de vous la présenter telle qu’on peut la trouver dans le Ms Français 854 (voir image un peu plus haut dans cet article). Ce manuscrit médiéval, daté du XIIIe siècle et également connu sous le nom de Chansonnier occitan I, contient, sur un peu plus de 400 feuillets, de nombreuses poésies de troubadours. Il est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF et peut-être consulté sur Gallica.
Une interprétation du duo Flor Enversa
Nous retrouvons, aujourd’hui, le duo médiéval occitan Flor Enversa. Nous avions déjà eu l’occasion de vous parler de cette formation à l’occasion de l’étude d’une chanson du troubadour Marcabru (revoir l’article et la bio de Flor Enversa). Ce duo, formé en 2006, prend l’occitan médiéval et les troubadours du Moyen Âge central, très au sérieux ; ils ont déjà produit 5 albums sur ce sujet, en s’entourant au besoin d’autres musiciens et collaborateurs.
L’art des troubadours provençaux, l’album
La version de la chanson de Peire Vidal que nous vous proposons ici est extraite d’un concert donné à l’occasion du Festival Trobarea 2010. Cependant, vous pourrez également la retrouver dans un double album de Flor Enversa, sorti en 2018, et ayant pour titre L’Art des Troubadours Provençaux des XIIème et XIIIème siècles. Avec une durée total de 104 minutes d’écoute et au long de 21 pièces, ce double CD propose un très large voyage au temps des troubadours occitans du Moyen Âge.
On y retrouve des noms célèbres tels que la Comtessa de Dia, Raimbaut de Vaqueiras, Raimbaut d’Aurenga et bien sûr Peire Vidal, mais ils sont également entourés d’une foule d’autres troubadours d’époque un peu moins reconnus mais tout aussi intéressants. Au passage, la formation occitane nous gratifie de quelques contrafactum originaux qui fournissent l’occasion de découvrir de nouveaux textes et poésies. Nous vous proposons de retrouver cet album sur le site officiel de Flor enversa aux côtés de l’ensemble de leur discographie.
Membres du groupe Flor Enversa
Thierry Cornillon (chant, rote, flûtes, harpe, psaltérion…) et Domitille Vigneron (chant, vièles à archet). A l’occasion de cet album, les duettistes de Flor Enversa se sont aussi accompagnés du musicien David Zubeldia.
Be.m pac d’ivern e d’estiu de Peire Vidal, en occitan médiéval et en français moderne
NB : pour cette traduction en français actuel, nous avons utilisé amplement le travail de Joseph Anglade (les poésies de Peire Vidal, 1913). Toutefois, nous nous sommes permis de le revisiter aux moyens de recherches complémentaires et de tournures plus personnelles.
I Be -m pac d’ivern e d’estiu E de fretz e de calors, Et am neus aitan com flors E pro mort mais qu’avol viu : Qu’enaissi m ten esforsiu E gai Jovens et Amors. Equar am domna novela, Sobravinen e plus bêla, Paro.m rozas entre gel E clars temps ab trebol cel.
Je me délecte ( je me repais, j’apprécie) d’hiver et d’été Et de froid et de chaleur, Et j’aime la neige autant que les fleurs Et un preux mort plus qu’un vil lâche : Ainsi je me tiens avec force En gaîté, Jeunesse et Amour. Pareillement, comme j’aime une nouvelle dame, Gracieuse et belle plus que toute autre, je vois des roses au sein de la glace et un temps clair dans un ciel obscur.
II Ma domn’ a pretz soloriu Denan mil combatedors, E contra.ls fals fenhedors Ten establit Montesquiu : Per qu’al seu ric senhoriu Lauzengiers no pot far cors, Que sens e pretz la capdela, E quan respon ni apela, Sei dig an sabor de mel, Don sembla Sant Gabriel.
Ma dame a un mérite unique Face à mille combattants Et contre les faux hypocrites Elle tient Montesquieu fortifié ; C’est pour cela qu’à sa puissante seigneurie Aucun médisant ne peut s’attaquer, Car la raison et l’honneur la guident Et quand elle répond ou appelle, Ses paroles ont saveur de miel, Qui la font sembler à Saint-Gabriel.
III E fai.s plus temer de griu A vilas domnejadors, Et als fis conoissedors A solatz tant agradiu, Qu’al partir quecs jur’ e pliu Que domn’ es de las melhors : Per que – m trahin’ e.m cembela E.m tra.l cor de sotz l’aissela, E a.m leial e fizel E just plus que Deus Abel
Et elle se fait plus redouter qu’un griffon Des galants méprisables Et pour les fins connaisseurs (de l’amour ajoute Anglade) Elle est d’une compagnie si charmante Qu’en s’en séparant d’elle, chacun d’eux jure et assure Qu’elle est une des meilleures dames qui soit ; Pour tout cela, elle m’entraîne et m’attire Et elle me tire le cœur de sous l’aisselle ; Et je lui suis loyal et fidèle, Et plus juste qu’Abel envers Dieu.
IV Del ric pretz nominatiu Creis tan sa fina valors Que no pot sofrir lauzors La gran forsa del ver briu. Sei enemic son caitiu E sei amie ric e sors. Olh, front, nas, boch’ e maissela, Blanc peitz ab dura mamela, Del talh dels filhs d’Israël Et es colomba ses fel.
De son précieux et remarquable mérite S’accroît tant sa valeur parfaite Que l’éloge ne peut exprimer La grande force de sa valeur véritable. Ses ennemis sont chétifs et misérables, Et ses amis puissants et élevés. Yeux, front, nez, bouche et menton, blanche poitrine aux seins durs, Elle est du même bois que les fils d’Israël Et elle est colombe sans fiel.
V Lo cor tenh morn e pensiu, Aitan quant estauc alhors ; Pois creis m’en gaugz e doussors, Quan del seu gen cors m’aiziu. Qu’aissi com de recaliu Ar m’en ve fregz, ar calors ; E quar es gai’ et isnela E de totz mals aibs piucela, L’am mais per Sant Raphaël, Que Jacobs no fetz Rachel.
J’ai le cœur morne et pensif Autant que je suis éloigné d’elle, Puis ma joie et ma douceur augmentent Quand je me rapproche de son corps gracieux. Et ainsi comme lors d’une fièvre, Tantôt me vient le froid, tantôt la chaleur. Et parce qu’elle est gaie et joyeuse Et vierge de tous vices, Je l’aime d’avantage, par Saint Raphaël, Que Jacob ne le fit de Rachel.
VI Vers, vai t’en ves Montoliu E di m’a las très serors, Que tan mi platz lor amors, Qu’ins en mon cor las escriu ; Ves totas très m’umiliu ; E.n fatz domnas e senhors. E plagra.m mais de Castela Una pauca jovensela, Que d’aur cargat mil camel Ab l’emperi Manuel.
Vers, allez vers Montolieu Et dites aux trois sœurs Que tant me plaisent leurs amours Qu’au dedans de mon cœur je les ai gravées ; Envers toutes trois, je m’incline ; Et j’en fais mes dames et seigneuresses. Et je préfère bien mieux de Castille une modeste jouvencelle Que mille chameaux chargés d’or Et tout l’empire de Manuel.
VII Qu’en Fransa et en Beriu Et a Peiteu et a Tors Quer Nostre Senher socors Pels Turcs que.l tenon faidiu, Car tout l’an los vaus e.l riu On anavo.lh pechadors ; E totz hom que no-s revella Contr’aquesta gen fradella Mal me sembla Daniel Que.l dragon destruis a bel.
Qu’en France et en Berry, Et à Poitiers et à Tours, Notre Seigneur cherche secours Contre les Turcs qui le tiennent banni, Puisqu’ils lui ont enlevé les vallons et le ruisseau Où se rendaientles pécheurs ; Et tout homme qui ne se réveille pas Contre cette gent scélérate Me parait bien dissemblable à Daniel Qui tua le dragon de Bel.
VIII Per Sant Jacme qu’om apela L’apostol de Compostela, En Luzi’ a tal Miquel Que.m val mais que cel del cel.
Par Saint Jacques qu’on appelle L’apôtre de Compostelle, A Luzia, il y a un Michel Qui, pour moi, vaut mieux que celui du ciel.
IX Francs reis, Proensa.us apella, Qu’en Sancho la.us desclavella, Qu’el en trai la cer’ e.l mel E sai trametvos lo fel.
Nobles Rois, la Provence vous appelle ; Que Don Sanche la détache de vous, Car il en tire la cire et le miel Et, ici, ne vous transmet que le fiel.
En vous souhaitant une excellente journée. Fred pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
NB : sur l’image d’en-tête nous avons simplement repris et retouché légèrement l’enluminure et le portrait de Peire Vidal qu’on trouve, en dessous de sa Vida, dans le Manuscrit 654 de la BnF.
Sujet : poésie médiévale, auteur médiéval, moyen-français, manuscrit ancien, poésie, Ballade, complainte, poésie politique, poésie satirique Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle. Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : «De la Complainte du Pays de France» Ouvrage : Poésies Morales et Historiques d’Eustache Deschamps, G.A. Crapelet (1832)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle ballade d’Eustache Deschamps. Dans la veine de certaines de ses poésies politiques et satiriques, l’auteur médiéval y reviendra sur son siècle et sur la déchéance des valeurs auxquels il assiste. Cette fois, il se glissera dans la peau du « Pays de France » pour le faire parler, le temps d’une complainte sans concession.
Complainte sur une France en perdition
Le « Je » de cette ballade est donc celui d’une France qui a laissé disparaître son honneur et ses héros, au profit du mensonge et de la tricherie. Pour Eustache Deschamps, l’affaire est claire : la vaillance, la courtoisie, la bonté et la joie sont mortes et, avec elles, la chevalerie d’antan et ses valeurs. Devenue petite et mesquine, la France voit son nom moqué en tout lieu et personne n’ose plus s’en réclamer.
Ce n’est pas la seule poésie qu’Eustache fera sur sa tristesse de vivre au cœur d’une France déchue et dévoyée que nul ne respecte plus. On citera, par exemple, sa ballade 159. Il y empruntait déjà la première personne pour incarner une France qui se mire, avec amertume et nostalgie, dans son glorieux passé. En voici un extrait :
« Je conquestay jadis maint riche fort Et mains pais soubmis par ma doctrine. Toutes terres doubtoient mon effort, Je n’oy adonc ne voisin ne voisine Qui ne me fust obedient, encline, Et qui en tout ne doubtast ma puissance, Lasse! et je voy que mon fait se décline Qui jadis fui la lumière de France. » Eustache Deschamps – Ballade CLIX, extrait.
Contexte historique et sources
Il est difficile de dater précisément cette complainte du pays de France, mais le vers « Et chascun veult par force estre mon hoir. » pourrait suggérer qu’elle se situe autour de la mort de Charles V et des tensions qui lui ont succédé au sein de la famille royale (voir Eustache Deschamps en son temps, Hélène Millet, Publications de la Sorbonne, 1997). Nous serions donc autour de 1380.
Si la poésie nous gratifie de peu d’éléments de contexte et pour cette raison même justement, la force des vers est demeurée et continue de nous parler. A 700 ans du poète, elle peut faire écho à certaines idées qui résonnent encore au sein de notre modernité et qu’on avait pu croire nouvelles. Sous la pression de circonstances totalement différentes, on pourrait même être tenté de les plaquer au contexte très actuel.
Du point de vue des sources historiques, on pourra se reporter au manuscrit médiéval français 840 que nous avons déjà, maintes fois, cité. Cet ouvrage, daté du XVe siècle, contient l’ensemble de l’œuvre d’Eustache Deschamps et se trouve conservé au département des manuscrits de la BnF (à consulter sur Gallica).
« De la Complainte du Pays de France« dans la langue d’Eustache Deschamps
Je plain et plour le temps que j’ay perdu, Vaillance, honeur, sens et chevalerie, Congnoissance, force , bonté et vertu ; Largesce, amour, doulz maintien, courtoisie, Humilité, déduit, joieuse vie, Et le bon nom que je souloie avoir, Le hardement, la noble baronnie ; Quant l’un ne veult fors l’autre décevoir.
J’ay veu partout honourer mon escu, Et en tous lieux doubter ma seignourie, Comme puissant et richement vestu; Terre conquis par ma bachelerie (1). Lasse ! or me voy aujourdui si périe, Que nul ne fait envers moy son devoir; Bien doy éstre déboutée et esbahie, Quant l’un ne veult fors l’autre décevoir.
A Dieu ! hélas ! que m’est-il advenu? Orgueil me suist, lascheté, villenie, Trop convoiter, honte, que me fais-tu? Dissimuler, barat (2) et tricherie ; Mon nom s’i pert, et tourne en moquerie , Et chascun veult par force estre mon hoir. Je périray ; c’est ce pour quoi je crie, Quant nulz ne veut fors l’autre décevoir.
(2) Barat : ruse, tromperie (Hilaire Van Daele, petit dictionnaire de l’ancien français).
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
NB : l’enluminure utilisée pour l’illustration est l’image d’entête est tirée du manuscrit médiéval Ms17, le roman de la Rose (crédits photo IRHT). Le manuscrit n’est pas digitalisé mais nous avons trouvé cette enluminure sur ce très bon article de Robert Marcoux à propos de la tristesse au Moyen Âge.
Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, culte marial, chant de louanges, nom de la vierge, chanson médiévale Période : XIIIe s, Moyen Âge central Auteur : Alphonse X de Castille (1221-1284) Titre : CSM 70, « En o nome de MARIA, cinque letras, no-mais, i há» Interprète : Universalia in Re Album : Cantigas de Santa Maria, Grandes Visiões (2012)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous invitons à poursuivre notre exploration des musiques et chansons médiévales. Nous voguons, cette fois-ci, en direction des rives de l’Espagne du XIIIe siècle pour vous présenter un chant de louanges, la Cantiga de Santa Maria 70.
A partir du Moyen Âge central, le culte marial prend une forte importance dans le monde chrétien occidental et l’homme médiéval s’adresse, de plus en plus, directement à la vierge Marie ; femme et mère, douce et compréhensive, le croyant espère qu’elle pourra intercéder en sa faveur, auprès de son fils, le Christ, le « Dieu mort en croix », comme on le nomme souvent alors.
La Cantiga de Santa Maria 70 dans le superbe Codice Rico de la Bibliothèque Royale de l’Escurial à Madrid (Espagne)
Pèlerinages, miracles et dévotion
Si l’on prête de l’écoute, de la compassion et de la miséricorde à Marie, on lui reconnaît aussi d’immenses pouvoirs. Pour chercher le salut, le pardon et pour montrer sa dévotion, on fait même de nombreux pèlerinages vers les nombreuses églises ou cathédrales élevées en son honneur.
Au Moyen Âge, les miracles qu’on lui prête sont aussi légion aux quatre coins d’Europe et même jusqu’en terre sainte (voir la cantiga 29 sur l’apparition de la vierge sur une pierre à Gethsémani). Ils courent le long des routes des pèlerinages et animent les chants de dévots. Au XIIIe siècle, le roi Alphonse X de Castille lancera une grande compilation d’une partie importante de ces récits dans ses Cantigas de Santa Maria. Ce vaste corpus de 417 chants et chansons sur le thème de la vierge demeure, encore aujourd’hui, une œuvre majeure témoignant du culte marial de la Castille médiévale et même d’au delà les frontières espagnoles.
A cette période, la dévotion à Marie soulève des montagnes en prenant la forme de pèlerinages, de témoignages de foi, de prières et de chants, mais la simple évocation de la sainte chrétienne peut même, quelquefois, suffire à produire des miracles. Dans le même esprit, les seules lettres de son prénom se drapent de vertus magiques et deviennent source de prodiges (voir cantiga 384, les clés du paradis pour l’écriture du nom de la vierge ). C’est le thème de la Cantiga Santa Maria du jour.
Ce chant de louanges gravite, en effet autour des cinq lettres de « Maria » et nous propose d’en décrypter le sens. Il y a quelque temps, nous avions déjà étudié, ici, une chanson très semblable du roi trouvère Thibaut IV , roi de Navarre et Comte de Champagne (voir du trez doux nom de la virge Marie). Celle de jour ne vient pas de sa cour mais de celle d’Alphonse le savant.
L’interprétation de la version de la Cantiga 70 par Universalia in Re
Universalia in Re et les musiques médiévales
Par les hasards de la programmation, l’interprétation que nous vous présentons, aujourd’hui, nous provient d’une formation musicale russe. Cela nous fournira l’occasion de dire qu’en ces temps de conflit, nous formons le vœu pour que la paix revienne et que des compromis soient rapidement trouvés entre ses deux nations historiquement très proches que sont la Russie et l’Ukraine. Nous espérons que les populations ukrainiennes, à l’est comme à l’ouest, se tiennent en sécurité mais également que toutes les parties tiers impliquées feront le nécessaire pour éviter l’escalade.
Cette parenthèse faite, revenons à l’ensemble de musique du jour. Il a pour nom Universalia in Re et est originaire de la ville de Nijni Novgorod. Dès sa création en 2001, ses fondateurs se sont concentrés sur la musique médiévale européenne des XIIIe et XIVe siècles. Par la suite, la formation a eu l’occasion de participer à de nombreux concerts et festivals de musique ancienne en Russie, en Ukraine, mais aussi en Pologne, en Estonie et en Suisse.
Cantigas de Santa Maria: Grandes Visiões
Sortie en 2012, l’album Grandes Visiões propose, sur une durée proche de 50 minutes, 8 cantigas de Santa Maria prises dans le répertoire d’Alphonse X. Le chant de louanges de la cantiga 70 que nous vous présentons aujourd’hui, ouvre l’album. On peut trouver ce dernier en ligne sous forme digitalisée, voici un lien utile pour l’obtenir : Cantigas de Santa Maria: Grandes Visiões. C’est le second album que Universalia in Re a consacré au Cantigas d’Alphonse X. le premier datait de 2005. A date et sauf erreur, cette production est aussi la dernière de l’ensemble médiéval.
La cantiga de Santa Maria 70 Paroles et traduction en français actuel
Esta é de loor de Santa María, das cinque lêteras que há no séu nome e o que quéren dizer.
En o nome de MARIA, cinque letras, no-mais, i há.
« EME » mostra Madr’ e Mayor, e mais Mansa, e mui Mellor de quant’ al fez Nostro Sennor nen que fazer poderia. En o nome de MARIA…
« A » demostra Avogada, Aposta e Aorada e Amiga, e Amada da mui Santa compannia. En o nome de MARIA…
« ERRE » mostra Ram’ e Rayz , e Reyn’ e emperadriz, Rosa do mundo e fiiz quena visse ben seria. En o nome de MARIA…
« I » nos mostra Jhesu Cristo, Justo, Juiz, e por isto foi por ela de nos visto, segun disso Ysaya. En o nome de MARIA…
« A » ar diz que Averemos, e que tod’ Acabaremos aquelo que nos queremos de Deus, pois ela nos guia. En o nome de MARIA…
Celle-ci (cette chanson) est un chant de louange à Sainte Marie, à propos des cinq lettres qu’il y a dans son nom et ce qu’elles signifient.
Dans le nom de Marie il y a cinq lettres, pas plus.
« M » nous montre la Mèreplus grande La plus dotée de Mansuétude, la Meilleure De tout ce que créa notre Seigneur Et de ce qu’il pourrait créer. Dans le nom de Marie…
« A » la montre Avocate, Apprêtée et Adorée, Amie et Aimée De très-sainte compagnie. Refrain
« R » la montre Rameaux (branches) et Racines Et Reine et impératrice, Rose du monde qui comblerait Celui qui la verrait. Refrain
« I » nous montre Jésus Christ Juste, Juge et c’est grâce à elle Qu’il nous fut révélé, Selon ce que dit Ésaïe. Refrain
« A » nous dit que nous Arriverons ÀAvoir et obtenir tout Ce que nous désirons De Dieu, puisqu’elle nous guide. Dans le nom de Marie Il y a cinq lettres, pas plus.
En vous souhaitant une belle journée. Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : sur l’image d’en-tête, l’illustration et l’enluminure sont issues du Codice rico de la Bibliothèque royale du Monastère de l’Escurial, à Madrid. Ce manuscrit médiéval, également référencé Ms. T-I-1, peut désormais être consulté en ligne sur le site de la grande institution espagnole.