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une complainte du pays de France sous la plume d’Eustache Deschamps

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, poésie, Ballade, complainte, poésie politique, poésie satirique
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «De la Complainte du Pays de France»
Ouvrage  :  Poésies Morales et Historiques d’Eustache Deschamps,  G.A. Crapelet (1832)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle ballade d’Eustache Deschamps. Dans la veine de certaines de ses poésies politiques et satiriques, l’auteur médiéval y reviendra sur son siècle et sur la déchéance des valeurs auxquels il assiste. Cette fois, il se glissera dans la peau du « Pays de France » pour le faire parler, le temps d’une complainte sans concession.

Poésie Médiévale avec enluminure : complainte de Eustache Deschamps

Complainte sur une France en perdition

Le « Je » de cette ballade est donc celui d’une France qui a laissé disparaître son honneur et ses héros, au profit du mensonge et de la tricherie. Pour Eustache Deschamps, l’affaire est claire : la vaillance, la courtoisie, la bonté et la joie sont mortes et, avec elles, la chevalerie d’antan et ses valeurs. Devenue petite et mesquine, la France voit son nom moqué en tout lieu et personne n’ose plus s’en réclamer.

Ce n’est pas la seule poésie qu’Eustache fera sur sa tristesse de vivre au cœur d’une France déchue et dévoyée que nul ne respecte plus. On citera, par exemple, sa ballade 159. Il y empruntait déjà la première personne pour incarner une France qui se mire, avec amertume et nostalgie, dans son glorieux passé. En voici un extrait :

« Je conquestay jadis maint riche fort
Et mains pais soubmis par ma doctrine.
Toutes terres doubtoient mon effort,
Je n’oy adonc ne voisin ne voisine
Qui ne me fust obedient, encline,
Et qui en tout ne doubtast ma puissance,
Lasse! et je voy que mon fait se décline
Qui jadis fui la lumière de France. »

Eustache Deschamps – Ballade CLIX, extrait.

Contexte historique et sources

Il est difficile de dater précisément cette complainte du pays de France, mais le vers « Et chascun veult par force estre mon hoir. » pourrait suggérer qu’elle se situe autour de la mort de Charles V et des tensions qui lui ont succédé au sein de la famille royale (voir Eustache Deschamps en son temps, Hélène Millet, Publications de la Sorbonne, 1997). Nous serions donc autour de 1380.

Si la poésie nous gratifie de peu d’éléments de contexte et pour cette raison même justement, la force des vers est demeurée et continue de nous parler. A 700 ans du poète, elle peut faire écho à certaines idées qui résonnent encore au sein de notre modernité et qu’on avait pu croire nouvelles. Sous la pression de circonstances totalement différentes, on pourrait même être tenté de les plaquer au contexte très actuel.

Du point de vue des sources historiques, on pourra se reporter au manuscrit médiéval français 840 que nous avons déjà, maintes fois, cité. Cet ouvrage, daté du XVe siècle, contient l’ensemble de l’œuvre d’Eustache Deschamps et se trouve conservé au département des manuscrits de la BnF (à consulter sur Gallica).


« De la Complainte du Pays de France« 
dans la langue d’Eustache Deschamps

Je plain et plour le temps que j’ay perdu,
Vaillance, honeur, sens et chevalerie,
Congnoissance, force , bonté et vertu ;
Largesce, amour, doulz maintien, courtoisie,
Humilité, déduit, joieuse vie,
Et le bon nom que je souloie avoir,
Le hardement, la noble baronnie ;
Quant l’un ne veult fors l’autre décevoir.

J’ay veu partout honourer mon escu,
Et en tous lieux doubter ma seignourie,
Comme puissant et richement vestu;
Terre conquis par ma bachelerie
(1).
Lasse ! or me voy aujourdui si périe,
Que nul ne fait envers moy son devoir;
Bien doy éstre déboutée et esbahie,
Quant l’un ne veult fors l’autre décevoir.

A Dieu ! hélas ! que m’est-il advenu?
Orgueil me suist, lascheté, villenie,
Trop convoiter, honte, que me fais-tu?
Dissimuler, barat
(2) et tricherie ;
Mon nom s’i pert, et tourne en moquerie ,
Et chascun veult par force estre mon hoir.
Je périray ; c’est ce pour quoi je crie,
Quant nulz ne veut fors l’autre décevoir.

(1) Bachelerie : jeunes chevaliers. Voir aussi Ballade du bachelier d’armes ou encore Une branche d’armes, fabliau sur l’initiation du jeune chevalier

(2) Barat : ruse, tromperie (Hilaire Van Daele, petit dictionnaire de l’ancien français).


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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NB : l’enluminure utilisée pour l’illustration est l’image d’entête est tirée du manuscrit médiéval Ms17, le roman de la Rose (crédits photo IRHT). Le manuscrit n’est pas digitalisé mais nous avons trouvé cette enluminure sur ce très bon article de Robert Marcoux à propos de la tristesse au Moyen Âge.

La Cantiga de santa maria 70 : des 5 lettres du nom de Marie

Enluminure de Saint-Louis

Sujet :  musique  médiévale, galaïco-portugais, culte marial, chant de louanges, nom de la vierge, chanson médiévale
Période :   XIIIe s, Moyen Âge central
 Auteur  :  Alphonse X de Castille (1221-1284)
Titre : CSM 70,  « En o nome de MARIA, cinque letras, no-mais, i há»
Interprète :  Universalia in Re
Album :  Cantigas de Santa Maria, Grandes Visiões (2012)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à poursuivre notre exploration des musiques et chansons médiévales. Nous voguons, cette fois-ci, en direction des rives de l’Espagne du XIIIe siècle pour vous présenter un chant de louanges, la Cantiga de Santa Maria 70.

A partir du Moyen Âge central, le culte marial prend une forte importance dans le monde chrétien occidental et l’homme médiéval s’adresse, de plus en plus, directement à la vierge Marie ; femme et mère, douce et compréhensive, le croyant espère qu’elle pourra intercéder en sa faveur, auprès de son fils, le Christ, le « Dieu mort en croix », comme on le nomme souvent alors.

Manuscrit médiéval Codice Rico : Cantigas de Santa Maria
La Cantiga de Santa Maria 70 dans le superbe Codice Rico de la Bibliothèque Royale de l’Escurial à Madrid (Espagne)

Pèlerinages, miracles et dévotion

Si l’on prête de l’écoute, de la compassion et de la miséricorde à Marie, on lui reconnaît aussi d’immenses pouvoirs. Pour chercher le salut, le pardon et pour montrer sa dévotion, on fait même de nombreux pèlerinages vers les nombreuses églises ou cathédrales élevées en son honneur. Au Moyen Âge, les miracles qu’on lui prête sont aussi légion aux quatre coins d’Europe et même jusqu’en terre sainte (voir la cantiga 29 sur l’apparition de la vierge sur une pierre à Gethsémani). Ils courent le long des routes des pèlerinages et animent les chants de dévots. Au XIIIe siècle, le roi Alphonse X de Castille lancera une grande compilation d’une partie importante de ces récits dans ses Cantigas de Santa Maria. Ce vaste corpus de 417 chants et chansons sur le thème de la vierge demeure, encore aujourd’hui, une œuvre majeure témoignant du culte marial de la Castille médiévale et même d’au delà les frontières espagnoles.

A cette période, la dévotion à Marie soulève des montagnes en prenant la forme de pèlerinages, de témoignages de foi, de prières et de chants, mais la simple évocation de la sainte chrétienne peut même, quelquefois, suffire à produire des miracles. Dans le même esprit, les seules lettres de son prénom se drapent de vertus magiques et deviennent source de prodiges (voir cantiga 384, les clés du paradis pour l’écriture du nom de la vierge ). C’est le thème de la Cantiga Santa Maria du jour. Ce chant de louanges gravite en effet autour des cinq lettres de « Maria » et nous propose d’en décrypter le sens. Il y a quelque temps, nous avions déjà étudié, ici, une chanson très semblable du roi trouvère Thibaut IV , roi de Navarre et Comte de Champagne (voir du trez doux nom de la virge Marie). Celle de jour ne vient pas de sa cour mais de celle d’Alphonse le savant.

L’interprétation de la version de la Cantiga 70 par Universalia in Re

Universalia in Re et les musiques médiévales

Musique médiévale, l'Ensemble Universalia en Ré

Par les hasards de la programmation, l’interprétation que nous vous présentons, aujourd’hui, nous provient d’une formation musicale russe. Cela nous fournira l’occasion de dire qu’en ces temps de conflit, nous formons le vœu pour que la paix revienne et que des compromis soient rapidement trouvés entre ses deux nations historiquement très proches que sont la Russie et l’Ukraine. Nous espérons que les populations ukrainiennes, à l’est comme à l’ouest, se tiennent en sécurité mais également que toutes les parties tiers impliquées feront le nécessaire pour éviter l’escalade.

Cette parenthèse faite, revenons à l’ensemble de musique du jour. Il a pour nom Universalia in Re et est originaire de la ville de Nijni Novgorod. Dès sa création en 2001, ses fondateurs se sont concentrés sur la musique médiévale européenne des XIIIe et XIVe siècles. Par la suite, la formation a eu l’occasion de participer à de nombreux concerts et festivals de musique ancienne en Russie, en Ukraine, mais aussi en Pologne, en Estonie et en Suisse.

Cantigas de Santa Maria: Grandes Visiões

Album de musique médiévale sur les Cantigas de Santa Maria

Sortie en 2012, l’album Grandes Visiões propose, sur une durée proche de 50 minutes, 8 cantigas de Santa Maria prises dans le répertoire d’Alphonse X. Le chant de louanges de la cantiga 70 que nous vous présentons aujourd’hui, ouvre l’album. On peut trouver ce dernier en ligne sous forme digitalisée, voici un lien utile pour l’obtenir : Cantigas de Santa Maria: Grandes Visiões. C’est le second album que Universalia in Re a consacré au Cantigas d’Alphonse X. le premier datait de 2005. A date et sauf erreur, cette production est aussi la dernière de l’ensemble médiéval.

Membres ayant participé à cet album

Maria Batova (chant), Yulia Ryabchikova (chant, psaltérion, tambourin), Ekaterina Bonfeld (chant, flute), Maria Golubeva (vielle, rebec), Danil Ryabchikov (guitare sarrazine, narration).


La cantiga de Santa Maria 70
Paroles et traduction en français actuel

Esta é de loor de Santa María, das cinque lêteras que há no séu nome e o que quéren dizer.

En o nome de MARIA,
cinque letras, no-mais, i há.

« EME » mostra Madr’ e Mayor,
e mais Mansa, e mui Mellor
de quant’ al fez Nostro Sennor
nen que fazer poderia.
En o nome de MARIA…

« A » demostra Avogada,
Aposta e Aorada
e Amiga, e Amada
da mui Santa compannia.
En o nome de MARIA…

« ERRE » mostra Ram’ e Rayz ,
e Reyn’ e emperadriz,
Rosa do mundo e fiiz
quena visse ben seria.
En o nome de MARIA…

« I » nos mostra Jhesu Cristo,
Justo, Juiz, e por isto
foi por ela de nos visto,
segun disso Ysaya.
En o nome de MARIA…

« A » ar diz que Averemos,
e que tod’ Acabaremos
aquelo que nos queremos
de Deus, pois ela nos guia.
En o nome de MARIA…


Celle-ci (cette chanson) est un chant de louange à Sainte Marie, à propos des cinq lettres qu’il y a dans son nom et ce qu’elles signifient.

Dans le nom de Marie
il y a cinq lettres, pas plus.

« M » nous montre la Mère
plus grande
La plus dotée de Mansuétude, la Meilleure
De tout ce que créa notre Seigneur
Et de ce qu’il pourrait créer.
Dans le nom de Marie


« A » la montre Avocate,
Apprêtée et Adorée,
Amie et Aimée
De très-sainte compagnie.
Refrain

« R » la montre Rameaux (branches) et Racines
Et Reine et impératrice,
Rose du monde qui comblerait
Celui qui la verrait.
Refrain

« I » nous montre Jésus Christ
Juste, Juge et c’est grâce à elle
Qu’il nous fut révélé,
Selon ce que dit Ésaïe
.
Refrain

« A » nous dit que nous Arriverons
À
Avoir et obtenir tout
Ce que nous désirons
De Dieu, puisqu’elle nous guide.
Dans le nom de Marie
Il y a cinq lettres, pas plus.




En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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NB : sur l’image d’en-tête, l’illustration et l’enluminure sont issues du Codice rico de la Bibliothèque royale du Monastère de l’Escurial, à Madrid. Ce manuscrit médiéval, également référencé  Ms. T-I-1, peut désormais être consulté en ligne sur le site de la grande institution espagnole.

Pouvoir central au moyen âge selon Régine Pernoud

Sujet  :   citations, Moyen Âge,  historien, médiéviste, valeurs médiévales, valeurs actuelles, savoir, livres, préjugés, arbitraire, pouvoir politique
Auteur : Régine Pernoud (1909-1998)
Ouvrage : Lumière du Moyen Age (1946)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle citation de la médiéviste Régine Pernoud sur la réalité du pouvoir central et les freins à son arbitraire au Moyen Âge. On reconnaîtra bien, dans cette réflexion, la façon qu’avait l’historienne de penser à rebrousse-poil, en faisant la chasse aux idées reçues. Cet extrait est tiré de son premier ouvrage, sorti en 1946 et ayant pour titre Lumière du Moyen Âge (à ce sujet, voir aussi l’appétit de savoir au Moyen Âge).

Citation illustrée de Régine Pernoud, historienne, médiéviste

« Loin d’être les deux seules forces en présence, l’Etat et l’individu ne correspondent que par une foule d’intermédiaires. L’homme au Moyen Age n’est jamais un isolé ; il fait nécessairement partie d’un groupe : domaine, association ou « université » quelconque, qui assure sa défense tout en le maintenant dans la voie droite. L’artisan, le commerçant sont à la fois surveillés et défendus par les maîtres de leur métier, qu’ils ont eux-mêmes choisis. Le paysan est soumis à un seigneur, lequel est vassal d’un autre, celui-ci d’un autre, et ainsi de suite jusqu’au roi. Une série de contacts personnels jouent ainsi le rôle de « tampons » entre le pouvoir central et le « Français moyen », qui de ce fait ne peut jamais être atteint par des mesures générales arbitrairement appliquées, et n’a pas affaire non plus à des puissances irresponsables ou anonymes, comme le serait par exemple celle d’une loi, d’un trust ou d’un parti. »

Régine PernoudCitation extraite de Lumière du Moyen Âge (1946)


Ni autoritarisme, ni monarchie absolue

« Il est évident qu’il n’y avait place, au Moyen Age, ni pour un régime autoritaire ni pour une monarchie absolue. Les caractères de la royauté médiévale en prennent d’autant plus d’intérêt, chacun d’eux apportant la solution d’un problème sur la question toujours épineuse des rapports de l’individu et du pouvoir central. » Nous dit encore la médiéviste avant d’enchaîner sur cette citation dans laquelle elle remet en question les notions d’arbitraire et de coercition fréquemment projetées sur le monde médiéval et son pouvoir monarchique. Le pouvoir, tel qu’elle nous le présente y est plus dilué ; son visage y est plus humain. Dans le même élan, elle renvoie cette réalité historique à celle des pouvoirs modernes et leur centralisme sous leurs triples formes politiques, légales, économiques, susceptibles d’atteindre, très directement et à tout moment, un individu bien plus livré à lui-même.

On l’a bien compris, il ne s’agit pas de dépeindre le Moyen Âge comme une période idyllique où n’aurait régné aucun arbitraire. En revanche, cette mise en valeur d’un pouvoir composite et « étagé » entre individu et pouvoir central permet de mesurer les grandes différences entre cette période et la nôtre, tout en nuançant largement certains préjugés à l’égard des temps médiévaux. Dans le contexte actuel, cette citation nous semble également résonner de façon assez particulière, en regard de certains aspects de nos démocraties modernes, de la réelle présence de contrepouvoirs ou même d’une réelle représentativité citoyenne. D’ailleurs, ces quatre dernières années en France, de nombreux mouvements politiques et sociaux ont clairement montré que nous n’étions pas les seuls à nous poser ce genre de questions.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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NB : en arrière plan de la médiéviste Régine Pernoud, sur l’image d’en-tête, vous trouverez une enluminure tirée de l’ouvrage ms Français 12559 : Thomas de Saluces , Le Chevalier errant . Ce manuscrit médiéval richement enluminé est daté des tout début du XVe siècle. Il est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF et consultable en ligne sur Gallica.

Au XVe s, le débat d’un cheval & d’un boeuf sous la plume d’Henri baude

gravure ancienne Henri Baude

Sujet  : poésie morale, poète satirique,   poésie médiévale, poésie courte, moyen français , fable, métaphore animalière
Période  : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur :  Henri Baude  (1430-1490)
Ouvrage :  Les vers de Maître Henri Baude,   poète du XVe siècle,  M. Jules Quicherat (1856),

Bonjour à tous,

u XVe siècle, Henri Baude, fonctionnaire à la cour en charge de la collecte des impôts et des litiges liés à cette activité, se pique d’écriture et de rimes durant son temps libre. Il participe même à une joyeuse confrérie de juristes et de clercs parisiens qui exercent leur plume sur des poèmes satiriques et humoristiques. Certains textes vaudront à Baude quelques déboires avec Louis XI et sa cour. Il connaîtra même la prison pour avoir lu publiquement quelques vers acides sur le mauvais entourage du roi (voir sa biographie détaillée ici).

Aujourd’hui, nous vous proposons de retrouver cet auteur médiéval dans une poésie assez courte. Il s’agit d’un débat entre un cheval et un bœuf. Bien que dans un autre registre, du point de vue de la mécanique, ce texte n’est pas sans évoquer la fable du chien et du loup d’Esope, reprise plus tard par Jean de La fontaine. Si le fond est ici différent, la notion de servilité reste au cœur du débat. Humilité et labeur besogneux contre prestance et arrogance ? Les deux bêtes s’interrogeront sur leur condition respective. Qui, des deux, a la plus envieuse ? Baude (l’acteur) n’en tirera pas de morale explicite mais en laissera juge le lecteur. Entre-temps, le bœuf aura tout de même conclu.

Poésie médiévale avec enluminure d'Henri Baude

« Le débat du Cheval et du Beuf »
dans le moyen français d’Henri Baude

Le cheval
— Où vas-tu, beuf, beste lourde et pesante?
Qui t’a cy fait venir querant pasture ?
Point n’appartient à ta grosse nature
Estre avec moy ; trop suis beste plaisante.

Le beuf
— Sire cheval, de riens je ne me vante,
Mais tant vous diz que toute créature
Utile suis, pour faict de nourriture
Et de labeur ; tous ne vivent de rente.

Le cheval
— Roys et seigneurs, et chascun qui régente.
Sans moi ne peult porter faiz ni armeure.
Tant en armes comme en agriculture
Par moy est faicte mainte chose excellente.

Le beuf
— De ma chair vit maint homme et s’allimente.
Et de mon cuyr on fait bonne chausseure ;
Mon poil te sert à faire l’embourreure
De tes selles, la chose est évidente.

Le cheval
— A humain corps suis beste condécente ;
Mon service trop plus que le tien dure ;
Tenu suis nect, et tu gis en ordure ;
Chascun de moy s’esjouyst et contente.

Le beuf
— En mon labeur fault que j’endure et sente
De l’éguillon mainte forte picqueure;
Mais aussi bien seuffre-tu la poincttire
De l’esperon, qui souvent te tormente.

L’acteur
J’ouy l’autrier ceste question gente
De deux bestes de diverse figure.
Icy l’ay mis en petite escripture.
Jugez qui a raison plus apparente.


Découverte sur le thème du bestiaire médiéval

Si vous souhaitez explorer d’autres fables ou histoires médiévales sur le thème des animaux, voici une sélection de textes déjà commentés, traduits et publiés :

En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

PS : l’enluminure du cheval et celle du bœuf (en image d’en-tête et sur l’illustration) sont tirées du manuscrit Royal MS 12 C XIX . Ce manuscrit médiéval est conservé à la très prestigieuse British Library. Daté du début du XIIIe siècle ( 1200-c 1210), ce beau bestiaire a pour titre : Bestiarum uocabulum proprie conuenit Incipit : liber de naturis bestiarum et earum significationibus. Il peut être consulté en ligne sur le lien suivant.