Archives par mot-clé : moyen âge

Au trecento, L’âme en pleurs de Francesco Landini

Enluminure musicien médiéval à l'organetto

Sujet :  musique médiévale, musiques anciennes, chants polyphoniques, ars nova, chanson médiévale, amour courtois.
Période :  Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur :  Francesco Landini ( ? 1325-1397)
Titre :  L’alma mie piang’ e mai non può aver pace
Interprètes :  Chominciamento di Gioia et Camerata Nova
Album : Francesco Landini, Ballate (2000)

Bonjour à tous,

u XIVe siècle, l’organiste, poète et compositeur italien Francesco Landini se pose comme un grand chef de file de l’école Florentine et de l’Ars Nova italien. Il nous a laissé une œuvre renaissante faite de belles et nombreuses pièces polyphoniques. Celles qui nous sont parvenues sont, en majorité, profanes et centrées sur la lyrique courtoise, entre ballate et madrigaux.

Un maître de musique délaissé par sa dame

Partition et texte Musique médiévale du Moyen Âge tardif, Francesco Landini

La chanson du jour est une « ballata » à trois voix. Elle est adressée à une dame. Sur fond courtois, le maître de musique du trecento nous conte combien il souffre les plus grandes des peines depuis qu’elle s’est détournée de lui.

Du point de vue des sources historiques, on peut notamment retrouver l’œuvre de Francesco Landini dans le Codex Squarcialupi (Med. Pal. 87). On l’y trouve même représenté avec son organetto (voir image en-tête d’article). Ce manuscrit ancien, daté du XVe siècle, est un témoignage majeur de l’Ars Nova italien de cette période. Il contient pas moins de 216 feuillets notés et quelques belles enluminures de compositeurs d’époque. Avec près de 150 pièces, Francesco Landini y dépasse de très loin les autres compositeurs présents. Ce codex est actuellement conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence, en Italie.

Ballate un album autour du trecento

L’interprétation que nous avons choisie de vous présenter pour cette pièce du jour est tirée d’un l’album intitulé Francesco Landini Ballate. Il fut enregistré en 1999 sous la houlette du grand directeur et chef d’orchestre Luigi Taglioni, en collaboration avec deux formations italiennes : l’ensemble vocal Camerata Nova et l’ensemble instrumental Chominciamento di Gioia.

Album de musique médiévale sur  Francesco Landini

Centré sur le thème du trecento italien, l’album propose un total de 18 pièces sur un peu moins de 60 minutes de durée. Il alterne les compositions de Francesco Landini avec d’autres pièces anonymes tirés du Codex Faenza. Ce manuscrit médiéval du XVe siècle, conservé à la Bibliothèque de Faenza en Italie, contient des partitions datées du milieu du XIVe siècle.

L’album Francesco Landini, Ballate s’est fait largement remarquer sur la scène des musiques anciennes et médiévales, au moment de sa sortie. Malgrès cela et pour l’instant au moins, il ne semble avoir été réédité. Pour le trouver en format CD, il vous faudra donc tenter votre chance chez les disquaires de musiques anciennes. Si la forme dématérialisée vous convient, vous pourrez aussi essayer du côté des plateformes de musique web.

Musiciens et artistes ayant participé à cet album

Direction Luigi Taglioni. Voix : Antonella Marotta (contralto), Matelda Viola (soprano), Paola Ronchetti (soprano), Fabrizio Scipioni (tenor), Instruments : Olga Ercoli (harpe), Elisabetta di Franco (psaltérion, percussion), Giovanni Caruso (luth), Gianfranco Russo (vielle), Luigi Polsini (vielle, luth).


L’alma mie piang’ e mai non può aver pace

L’alma mie piang’e mai non può aver pace
da poi che tolto m’hai,
donna, ’l vago mirar di ch’i ’nfiammai.
Fu di tanto piacer la dolce vista
ch’innamorai nel tuo primo guardare,
sperando aver la grazia che s’aquista
ispesse volte per virtù d’amare.
Pur veggio la sperança mia mancare,
ché ’l viso non mi fai
che tu solevi, ond’io sto in pene e in guai.
L’alma mie piang’e mai non può aver pace…

Mon âme pleure et ne peut plus trouver de paix
Depuis que tu m’as privé,
Dame, du doux regard par lequel tu m’avais enflammé.
Ta douce apparition m’avait procuré, alors, tant de plaisir
Que je me suis épris de toi dès ton premier regard,
Espérant recevoir la grâce qui s’acquiert
Souventes fois par la vertu d’aimer.
Mais voilà que mon espérance se dérobe,
Car tu ne tournes plus ton visage vers moi
Comme tu le faisais, d’où je suis en grande peine et en tourments.

Mon âme pleure et ne peut plus trouver de paix


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Exposition : Éternelle Notre-Dame, la réalité virtuelle au service du patrimoine

Sujet : événement, exposition, monde médiéval, architecture, Paris au Moyen Âge, réalité virtuelle, cathédrale Notre-Dame
Période : du Moyen Âge central au XXIe s
Titre : Éternelle Notre-Dame : Une expédition immersive en réalité virtuelle
Lieu : Espace Grande-Arche, 1 Parvis de la Défense, 92400 Puteaux, France
Dates : Jusqu’au 05 avril 2022 inclus

Bonjour à tous,

usqu’à début avril 2022, les nouvelles technologies se mettent au service du patrimoine, du Moyen Âge et de l’histoire à Puteaux. L’occasion en est fournie par une exposition débutée depuis la mi-janvier et qui propose à ses visiteurs « une expédition immersive en réalité virtuelle » autour de Notre-Dame-de-Paris.

Un voyage dans le temps à 360° degrés

Affiche de l'exposition sur la cathédrale Notre Dame de Paris

C’est la première fois qu’une exposition de ce genre est proposée autour de la grande cathédrale française. Elle permet de découvrir le passé de Notre-Dame, les événements marquants de son histoire, mais aussi quelques grands personnages historiques qu’elle a pu voir passer. La période couverte est assez large ; elle s’étale du XIIIe au XXIe siècle. Autrement dit, le périple temporel commence au Moyen Âge central pour s’achever après l’incendie de la cathédrale (avril 2019) et même après les travaux de restauration en cours.

L’ensemble du voyage se fait au moyen d’un matériel adapté. Il embarque une cinquantaine de personnes à la fois, sur un plateau de 500 m². Après avoir créé son avatar et chaussé son casque de réalité virtuelle, on est prêt à embarquer pour l’aventure : 45 minutes d’immersion au cœur du passé de Notre Dame-de-Paris. L’étonnement technologique, les sensations et la nouveauté sont au rendez-vous pour cette grande première façon « Futuroscope » à consonnance patrimoniale. Sur place, un documentaire est également présenté sur les travaux de restauration en cours.

La VR au service des musées et des expositions

Ce genre d’exposition laisse entrevoir le rôle que des nouvelles technologies comme la réalité virtuelle, la réalité augmentée mais aussi l’holographie, pourraient être amenés à jouer dans la découverte du patrimoine, au fil de la démocratisation des matériels et pour peu qu’on y mette les moyens en terme de production (modélisation 3D, scénarisation, pédagogie, animations, etc…). Depuis quelques années, 2021 compris, de nombreux musées dans le monde y ont eu, d’ailleurs, recours. Nouvelle tendance ? Peut-être. L’heure est au ludique. La réalité virtuelle interpelle et c’est un bon moyen d’attirer de nouveaux publics dans les musées. D’un point de vue pédagogique cela permet aussi, de faire vivre des sensations aux visiteurs tout en les instruisant. En un mot, cela pourrait être des façons nouvelles et efficaces d’apprendre en s’immergeant.

D’un point de vue technologique, cette performance a été pilotée par Orange, avec la Société Amaclio à l’exploitation, Bruno Seillier à la scénarisation et la Société Emissive à la réalisation. Sur le site officiel de l’exposition, on peut lire que ce développement aurait pris près de deux ans. Quand nous parlons de mettre les moyens, c’est bien de cela dont il s’agit.

L’exposition-immersion Éternelle Notre-Dame intervient près de trois ans après le terrible incendie qui avait dévasté le grand monument médiéval en laissant de nombreux témoins, internautes et téléspectateurs sans voix, en France comme au delà des frontières. Elle entre aussi pleinement en phase avec les opérations de restauration de la cathédrale. En plus de permettre à ses visiteurs de découvrir Notre-Dame-de-Paris sous un nouveau jour, 30% des recettes de l’événement seront, en effet, reversées pour le financement des travaux de réfection de la cathédrale.

Ajoutons que tout au long de l’année, cette exposition voyagera dans différents lieux de Paris. La date butoir d’avril 2022 ne vaut donc que pour l’Espace Grand Arche où elle se tient actuellement. Au printemps, on devrait la retrouver à la Conciergerie de Paris 1er et, à l’automne, sur le parvis même de Notre-Dame.

Pour plus d’informations sur les tarifs et les disponibilités, voir le site officiel de cette exposition ici.

Le calendrier de restauration de Notre Dame

En fin d’année dernière, les dons levés pour la cathédrale s’élevaient à 840 millions d’Euros ce qui avait rendu le général Jean-Louis Georgelin, en charge de la conservation et de la restauration de la cathédrale, plutôt confiant sur l’issue des travaux. Suivant le calendrier fixé par l’actuel locataire de l’Elysée, la fin des opérations de restauration est prévue pour avril 2024, date à laquelle la cathédrale pourra rouvrir ses offices et accueillir à nouveau le public et les fidèles. Pour ces derniers, une grande messe est déjà planifiée le 16 avril de cette même année 2024.

Pour rappel, l’été 2021 a déjà vu s’achever les travaux de sécurisation du bâtiment. Lors de l’incendie, nous avions été nombreux face à nos écrans à regarder, dans une sorte d’état de sidération, ce feu qui n’en finissait plus de consumer la Notre-Dame . Certains commentateurs avaient alors soulevé la possibilité que tout l’édifice pourrait s’effondrer au sol comme un simple château de cartes. S’il n’y avait pas de parenté directe entre ces images et celles de la chute des deux tours du World Trade Center américain, je me souviens que, pendant quelques instants suspendus, cette crainte m’avait aussi traversé l’esprit par une sorte d’étrange jeu de miroirs télévisuel et symbolique. Cela ne s’est heureusement pas produit et, désormais, les voutes les plus fragilisées ont été consolidées.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric Effe
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : l’enluminure en arrière plan de l’image d’en-tête est tirée du manuscrit médiéval Français 2645, soit le tome 3 des Chroniques de Sire Jehan Froissart. Ce manuscrit médiéval daté de la deuxième moitié du XXIe siècle est conservé à la BnF et consultable en ligne sur Gallica. L’illustration représente Louis II d’Anjou arrivant à Paris. En arrière plan, on distingue déjà parfaitement Notre-Dame.

Ballade Des vices qui peuvent perdre un prince

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, poésie, Ballade
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Pour ce, fait bon telz vices remouvoir»
Ouvrage  :  Poésies Morales et Historiques d’Eustache Deschamps, G.A. Crapelet (1832)

Bonjour à tous,

ans le contexte mouvementé du XIVe siècle, Eustache Deschamps mène sa barque de petit noble et officier de cour en semant des rimes, dans son sillage. Au terme de son existence, il laissera la quantité impressionnante de plus de 80 000 vers de poésie.

Ballades, virelais, rondeaux, complaintes, chants royaux,… Toutes les formes poétiques y sont passées mais aussi tous les sujets : courtoisie, alimentation, voyages, politique, vie curiale, tournois, chevalerie, mœurs de son temps. En soixante ans, Eustache a été témoin, tout à la fois, des guerres, des pillages des campagnes, des épidémies de peste, des luttes de pouvoir, les abus des princes. Il a même été contemporain d’un roi devenu fou. Il a aussi connu l’amour, les désillusions, les affres de la maladie et de l’âge, des années d’opulence et d’autres moins heureuses et tout cela, il l’a couché sur le papier et mis en rime comme tout le reste.

Poésie satirique  : une ballade  médiévale d'Eustache Dechamps avec enluminure

Aux sources de l’œuvre d’Eustache

Dans la première moitié du XIXe siècle, l’écrivain et imprimeur Georges-Adrien Crapelet fera paraître une première sélection de poésies morales et politiques d’Eustache. Elle contribuera à attirer l’attention d’autres historiens et imprimeurs sur l’auteur médiéval. Quelques années plus tard, l’archéologue et historien Louis Hardouin Prosper Tarbé fera, à son tour, paraître deux tomes de nouvelles œuvres inédites d’Eustache. Enfin, dans la dernière partie de ce même siècle et jusqu’au début du XXe siècle, deux éminents médiévistes, le Marquis de Queux de Saint-Hilaire, puis Gaston Raynaud  se relaieront pour publier les œuvres complètes d’Eustache Deschamps. On y comptera pas moins de 11 tomes entre notes diverses, éléments de biographie et poésies. À lui tout seul, Eustache nous a presque légué une encyclopédie poétique.

Si tous ses vers n’ont pas accédé au panthéon de la rime et de la poésie, loin s’en faut, son legs est d’un grand intérêt à plus d’un titre. Les amateurs de poésie peuvent l’explorer tout à loisir pour y chercher quelques pépites ou parfaire leur connaissance de l’ancien français. Les spécialistes de littérature médiévale, les philologues, historiens du Moyen Âge et autres universitaires y puisent aussi abondamment pour alimenter leur connaissance des mœurs et usages de cette période et approcher aussi de près les mentalités médiévales. Du point de vue des sources historiques, le manuscrit médiéval Ms français 840, conservé à la BnF contient l’ensemble de l’œuvre d’Eustache Deschamps, soit le chiffre vertigineux de 1500 pièces.

Pour ce qui est de la ballade du jour, elle est dans la veine de ses poésies les plus politiques et morales sur les devoirs des Princes et même les vices dont ceux-ci doivent se tenir éloignés au risque de se faire honnir de leur peuple.


Des six choses qui perdent le Prince
une ballade d’Eustache Deschamps

Six choses sont qui font prince exillier,
Perdre s’onneur et haine encourir :
Trop longuement sa guerre conseillier,
Estre orgueilleus , son convent non tenir
(1),
Trop convoiter, ses subgiez asservir,
Paresce ès fais qu’om doit hastis avoir
(2) ;
Par ces six poins se puet prince honnir
(deshonorer) :
Pour ce, fait bon telz vices remouvoir
(écarter).

Par longs conseilz
(décision, délibération) puet terre périllier,
Et la puet lors l’ennemi conquérir,
Et par orgueil se fait prince laissier,
Et si acquiert déshoneur par mentir;
Par convoiter, se fait partout haïr;
Par asservir, ses subgiez esmouvoir;
Par paresce, du tout anientir :
Pour ce, fait bon telz vices remouvoir.

Conseil
se doit briefment expédier,
C’est ce qui fait la guerre secourir;
Humilité souffisance traittier
(3),
Franchise amer, vérité soustenir,
Diligence en tous cas maintenir ;
Car tous ces poins doit tous bons princes sçavoir,
Règnes en puet par les autres fenir :
Pour ce, fait bon telz vices remouvoir.

(1) Tenir son convent : tenir ses engagements.
(2) Paresse dans les choses qui doivent être accomplis rapidement.
(3) Traitier : traiter, parler de, s’occuper d’humilité de manière suffisante


En vous remerciant de votre lecture.
Une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : l’enluminure sur image d’en-tête ainsi que sur l’illustration représente un pèlerin médiéval croisant sur sa route Flatterie et orgueil. Elle provient du manuscrit ms 1130 : Les trois pèlerinages et le Pèlerinage de la Vie Humaine de Guillaume de Digulleville (moine et poète français du Moyen Âge central (1295-1360). Ce manuscrit de la deuxième moitié du XIVe peut être consulté en ligne ici. Il est conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris

Le médiéviste Philippe contamine nous a quitté

Bonjour à tous,

‘historien médiéviste Philippe Contamine vient de nous quitter à l’âge de 89 ans. Plutôt discret auprès du grand public, cet enseignant et chercheur à la très prestigieuse carrière avait occupé de nombreuses chaires universitaires dont Paris-Sorbonne ainsi que des fonctions importantes dans de nombreux comités scientifiques, académiques et historiques, en France comme à l’étranger. Il était également membre, depuis 1990, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.

Il laisse derrière lui de très nombreuses publications sur la société médiévale au sens large. On relèvera des thèmes privilégiés comme la noblesse, le pouvoir mais encore l’histoire militaire et les guerres au Moyen Âge, dont notamment des ouvrages sur la guerre de cent ans, sur Azincourt ou encore Jeanne d’Arc. Il y a, quelque temps, nous avions eu l’occasion de partager sur nos pages une excellente conférence de l’historien donné à l’Ecole des Chartes au sujet de la France et les français aux temps médiévaux.

Nous lui rendons ici hommage. Qu’il repose en paix.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : l’enluminure en arrière plan, sur l’image d’en-tête, représente la bataille d’Azincourt autour de laquelle Philippe Contamine avait fait paraître l’ouvrage « Azincourt » (Gallimard, 2013). Cette illustration provient du manuscrit médiéval ms 2680 (Abrégé de la Chronique d’Enguerran de Monstrelet) actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF (à consulter sur Gallica).