Sujet : concerts, musiques médiévales, patrimoine, cathédrale, ensemble médiéval, site d’exception, scène musicale médiévale. Période : Moyen Âge (Xe au XVe s) Evénement : Concerts de Musiques Médiévales Dates : les 5, 16 et 19 octobre 2024. Lieu : Basilique cathédrale Saint-Denis, Centre des Monuments nationaux, 1, rue de la Légion d’Honneur, Saint-Denis
Bonjour à tous,
ur la liste des événements aux couleurs du Moyen-Âge, voici trois dates à retenir du côté de l’Île-de-France. En octobre, la basilique cathédrale Saint-Denis vous propose, en effet, un cycle de concerts de musiques médiévales de haute tenue dans un cadre patrimonial d’exception.
Octobre en musique à la Basilique Cathédrale Saint-Denis
Il s’agit de la quatrième édition de cet événement musical. Pour cette saison, deux premiers concerts ont déjà été donnés en septembre mais il en reste encore trois à venir. Et quels concerts !
L’Ensemble Oriscus à la découverte d’Hildegarde
Ce cycle ouvrira sur la plus jeune formation de la sélection : l’ensemble Oriscus. Bien que formé quelques années auparavant, ce talentueux trio s’est fait particulièrement remarquer avec sa prestation au Festival des musiques sacrées de Rocamadour en 2021.
Pour ce concert, l’ensemble Oriscus vous invitera à la découverte des musiques et du legs de Hildegarde de Bingen . Ce programme se propose notamment d’alterner des chants de la célèbre sainte, abbesse, mystique et compositrice du XIIe siècle, avec des présentations de sa vie et de son œuvre.
Pour découvrir la formation Oriscus, le mieux est encore d’aller l’écouter mais si vous voulez un échantillon de leur talent, vous trouverez de superbes pièces de leur cru sur la chaîne YouTube du Festival de Rocamadour (Rocamadour – Musique Sacrée). Leur album « Stella Maris » est une autre piste intéressante pour les approcher. En tout état de cause, vous pouvez vous rendre à ce concert les yeux fermés. Leur interprétation des pièces d’Hildegarde servie par la voix d’Anne Bertin-Hugault est simplement envoûtante.
Samedi 5 octobre – 17h, « Hildegard, la vivante », Ensemble Oriscus Musiciens, interprètes : Anne Bertin-Hugault (voix), Colin Heller (instruments à cordes) et Marc Vervisch (instruments à vent).
Sur les routes du Moyen-Âge avec Sequentia
Fondé en 1975 par Benjamin Bagby et Barbara Thornton, l’Ensemble Sequentia anime la scène médiévale depuis près de 50 ans avec des programmes toujours riches et ambitieux. Avec une carrière exceptionnelle, il est aujourd’hui largement reconnu dans la sphère des musiques anciennes au niveau international. Nos pérégrinations autour des musiques du Moyen Âge nous ont souvent donné l’occasion de le croiser.
Le thème du voyage médiéval sera le guide de ce concert. L’ensemble Sequentia vous entraînera sur les routes du Haut Moyen Âge au Moyen Âge central. Au programme, des pièces rares et notamment des sequelae ou « séquences », ces mélodies et formes instrumentales rarement jouées étaient propices à l’improvisation. Une fois encore, Benjamin Bagby aura l’occasion d’y démontrer son grand talent autant que sa capacité à dénicher des pièces originales.
Mercredi 16 octobre – 20h, « Le Voyageur », Ensemble Sequentia. Musiciens, interprètes : Benjamin Bagby (voix, harpes médiévales) et Norbert Rodenkirchen (flûtes traversières médiévales) en partenariat avec l’Association Rue des Chantres.
l’Ensemble Obsidienne & les chansonniers des rois
Voilà un autre ensemble de musiques médiévales qu’on ne présente plus. Depuis sa création en 2009 par Emmanuel Bonnardot, l’ensemble Obsidienne a gratifié les amateurs de musiques du Moyen Âge de nombreux programmes et productions. Sa discographie comprend les cantigas de Santa Maria, des incursions sur les chansons du manuscrit de Bayeux, en passant par l’exploration du répertoire de Guillaume de Machaut et Guillaume Dufay mais aussi des chants et musiques plus liturgiques.
Pour ce concert, Obsidienne vous propose de tourner les pages des riches chansonniers des rois. On connait un certain nombre en provenance du Moyen-Âge. Certains de ces manuscrits nous gratifient de centaines de pièces d’anthologie annotées musicalement. On imagine que le Chansonnier du Roi ou le MS Français 844 de la BnF devrait y trouver une belle place, ou peut-être même encore le Chansonnier de Saint-Germain des Prés ( Ms français 20050).
Samedi 19 octobre – 17h, « Chansonniers des rois », Ensemble Obsidienne Musiciens, interprètes : Emmanuel Bonnardot (direction, vièle à archet, rebec, crwth), Camille Bonnardot (voix guiterne, vihuela, cornet à bouquin) et Colin Bonnardot (voix et percussions) en partenariat avec l’association Rue des Chantres.
Sujet : vieux-français, poésie médiévale, poésie courtoise, amour courtois, trouvères, langue d’oïl, salut d’amour. Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle. Auteur : anonyme Titre : Ma douce amie, salut, s’il vous agrée… Ouvrage : Français 837, Recueil de fabliaux, dits, contes en vers (XIIIe siècle) BnF, Département des manuscrits.
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous partons en direction du XIIIe siècle pour y découvrir un nouveau salut d’amour en langue d’oïl. Au Moyen Âge central, ces pièces courtoises émergent tout d’abord du côté du pays d’oc et des troubadours. Comme de nombreuses formes poétiques de l’occitan médiéval, elles conquerront, quelque temps plus tard, le nord de la France et les trouvères.
Le Salut d’amour des troubadours aux trouvères
Le Salut d’amour est une forme poétique courtoise née dans le courant du XIIe siècle en pays d’oc et qu’on retrouvera dans le courant du siècle suivant, chez les trouvères du nord de la France médiévale. En 1835, dans son ouvrage Jongleurs & Trouvères le médiéviste Achille Jubinal en avait extrait quelques-uns du manuscrit Français 837 de la BnF. Quelques décennies plus tard, le chartiste Paul Meyer avançait sur l’étude de cette forme poétique courtoise (1). Nous marchons ici dans ses pas.
Une déclaration dans le pur style de l’amour courtois
L’exercice du Salut d’amour se présente comme une déclaration ou une lettre (une épitre) du loyal amant à son aimée ou à la dame qu’il convoite. Le poète y loue les grandes qualités de cette dernière et lui conte, par le menu, la force de son sentiment et de son désir. On y retrouve aussi les thèmes récurrents de la lyrique courtoise : loyauté sans faille et attachement jusqu’à la mort (plutôt mourir que vivre sans la dame ou être rejetée par elle), douleur de l’éloignement, etc… A l’habitude, l’amant se tient à la merci de sa douce amie et, par ce salut, il en attend une réponse.
Entre les vers, on verra encore, plus d’une fois, affirmée l’indifférence au quand-dira-t-on. L’amour courtois s’inscrit souvent à contre-courant de la bienséance et les médisants susceptibles de le désapprouver ou de le compromettre ne sont jamais loin. Comme on le verra, le Salut d’amour du jour se plie à toutes les règles de l’art sus décrites. Il fait même une place particulièrement importante aux médisants.
Les formes des saluts d’amour en langue d’oïl
En dehors de cette adresse directe envers la dame, les saluts des trouvères demeurent plutôt hétérogènes dans leurs formes poétiques : vers octosyllabiques, alexandrins, longueur variable, présence de refrains dans certains saluts et pas dans d’autres, croisement avec le genre de la complainte dans certains cas, etc… De fait, avant que Meyer ne les distingue comme un genre à part entière, les saluts semble être passés relativement inaperçus, voire avoir été assimilés à d’autres genres poétiques.
Rareté et usages de cette forme poétique
Les saluts d’amour légués par les manuscrits sont plutôt rares. On en dénombre sept en provenance des troubadours occitans du XIIe siècle et douze produits par les trouvères du nord de France au siècle suivant.
Du côté des poètes occitans des grands noms comme Rambaut d’Orange, Arnaut de Mareuil, Raimon de Miraval se sont prêtés à l’exercice. Les saluts d’amour des trouvères en langue d’oïl demeurent, quant à eux, plus souvent anonymes, en dehors d’un long salut d’amour de 1000 vers que l’on doit à Philippe de Beaumanoir (1250-1296).
En matière d’usage, Paul Meyer est de l’avis que le salut d’amour a été plus fréquent que les sources effectives ne le laissent supposer. Certaines pièces seraient ainsi passées du domaine privé au domaine public et auraient pu être reprises par certains jongleurs ou trouvères.
Sources historiques manuscrites
La majorité des saluts d’amour en langue d’oïl connue à date est contenue dans le Ms Français 837 de la BnF (seuls deux échappent à la règle sur les douze). Ce manuscrit médiéval du XIIIe siècle que nous avons déjà présenté à divers occasions, contient 249 pièces entre fabliaux, dits et poésies diverses, dont 31 sont attribuées à Rutebeuf.
Pour la transcription en graphie moderne de ce texte, même si le manuscrit 837 reste plutôt bien conservé et lisible, nous nous sommes appuyés sur la publication du philologue et romaniste Paul Meyer (opus cité).
Ma douce amie, salut, s’il vous agrée… Salut d’amour du XIIIe siècle
NB : plus qu’une adaptation, nous vous fournissons, ici, de nombreuses clefs de vocabulaire. Il vous restera quelques blancs à remplir mais ils ne devraient pas être insurmontables.
Ma douce amie, salut, s’il vous agrée, Vous manderai, que qu’en doie avenir. Pas ceste lettre, s’ele vous est moustrée, De vostre ami vous porra souvenir. Quar je n’oz mie sovent à vous venir, Quart trop redout que n’en fussiez blasmée ; Por ce m’estuet plus loing de vous venir.
Tres douce amie plesanz, cil Diex qui fist la mer Et le ciel et la terre et les oisiaus voler Vous doinst autant de joie c’om sauroie pensser, Et autant que nus hom en porroit deviser (distinguer, dénombrer). En vous servir ai mis mon cuer sanz retorner (sans retour), Ne en toute ma vie ne l’en quier (querir, vouloir) mes oster. Or vous voudrai proier et par amors moustrer Que vous lessiez mon coeur avoec vous reposer, Le mien cuer et le voste vueil ensamble atorner (être tourné l’un vers l’autre). Certes dui vrai amant doivent .I. cuer porter Et leur .II. cuers en .I. ajoindre et bien fermer.
Hé ! Diex, por moi le di, qui ai mis mon pensser En la plus bele riens qui nus hom puist trover. Or nous doinst Diex ensamble tel joie demener, Que mesdisanz n’en puissent escharnir (railler, moquer) ne gaber (moquer, tourner en dérision), Ne les mauveses langues n’aient de quoi parler. Et ci apres vous vueil .c. mil saluz mander Et autant comme il a de goutes en la mer, D’aigues qui le navies font venir et aler, (d’eaux que les navires sillonnent) Par moi qui sui messages, meillor n’i puis trover.
S’onques nus hom por dure departie (séparation) Ot cuer irié (affligé, chagriné) ne penssif ne dolent (souffrant), Li miens est tels qu’en tout le mont n’a mie Plus angoissex ne plus plain de torment ; Ne je ne sai point de confortement Se je ne rai la douce compaignie Ou j’ai eü si glorieuse vie, Que ma mort voi se je n’i sui sovent (2).
Explicit request d’amors et complainte et regres.
En vous souhaitant une belle journée Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Notes
(1)Les Saluts d’amour dans les littératures provençale et française, Paul Meyer, Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, T28 (1967). (2) Que ma mort voi se je n’i sui sovent : il mourra s’il ne peut se rapprocher plus souvent d’elle.
Sujet : vieux-français, poésie médiévale, poésie courtoise, amour courtois, trouvères, langue d’oïl, salut d’amour, loyal amant, fine amor. Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle. Auteur : anonyme Titre : La Requeste d’amours Ouvrage : Jongleurs & Trouvères, Achille Jubinal, 1835.
Bonjour à tous,
out récemment, nous avions eu le plaisir de publier un article sur les saluts d’amour médiévaux, accompagné d’un bel exemple de ces poésies courtoises du Moyen Âge central.
Pour rappel, ces déclarations d’amour du XIIe au XIVe siècle, qu’on trouve d’abord chez les troubadours puis chez les trouvères, nous sont parvenues en nombre assez restreint. On en compte un peu moins d’une vingtaine entre langue d’oc et d’oïl et nous vous proposons, aujourd’hui, d’en découvrir une autre en vieux français.
Beaucoup de partages et d’engouement
Au passage, une fois publiée nous avons eu la très bonne surprise de constater que la poésie courtoise de notre article précédent a énormément plu, notamment sur les réseaux sociaux. Entre appréciation des talents de plume de l’auteur médiéval et étonnement sur les formes du français d’alors, le texte a fait l’objet de centaines de partages et de commentaires, suscitant beaucoup d’enthousiasme et de questions. Nous voulions le relever et vous en remercier chaleureusement ici.
Pour nous, c’est toujours un immense plaisir de voir combien le patrimoine culturel médiéval, sa littérature et sa poésie peuvent encore résonner chez nos contemporains. Le succès de certaines lectures de textes de Rutebeuf, Villon et d’autres auteurs sur notre chaine Youtube vont encore en ce sens. La Pauvreté Rutebeuf en vieux français a pratiquement atteint les 100 000 vues. Pour de la poésie lue, c’est quand même plutôt pas mal. Bref, le Moyen Âge continue de vous parler et de vous interpeler, et chaque fois qu’il touche au but, nous nous en réjouissons.
Un nouveau Salut d’amour anonyme tiré du ms Français 837 de la BnF
Intitulée « La Requeste d’Amours », la poésie du jour est tirée du même ouvrage médiéval que le salut d’amour publié précédemment. Il s’agit du manuscrit ancien Ms Français 837, conservé au département des manuscrits de la BnF.
Cet ouvrage daté de la fin du XIIIe siècle contient pas moins de 249 œuvres entre dits, fabliaux et pièces versifiées diverses. Les noms de certains auteurs nous sont familiers (Rutebeuf, Jean Bodel, Jean Renart, ,…). D’autres nous sont demeurés anonymes comme celui de la « Requête d’amours » qui nous occupe aujourd’hui.
Concernant la version de ce texte en graphie moderne, on pourra se reporter utilement à la sélection que le médiéviste Achille Jubinal avait fait des pièces du ms Français 837 dans son ouvrage Jongleurs & Trouvères, daté de 1835.
Références littéraires et idylles médiévales
Si vous aviez lu le salut d’amour précédent, vous noterez, à la lecture de celui-ci, que les références de son auteur sont un peu plus littéraires. C’est peut-être d’ailleurs ce qui rendait la poésie précédente si rafraichissante, en la rapprochant même un peu du ton de certains fabliaux.
Dans le texte du jour, le trouvère fait des allusions à la célèbre idylle de Tristan et Iseult tombés éperdument amoureux l’un de l’autre, après avoir absorbé un filtre d’amour. Il cite aussi Cligès et Fenice (Phénice), deuxième roman arthurien de Chrétien de Troyes à la fin du XIIe siècle. Dans ce récit, le jeune Cligès tombera amoureux de Fénice, qui était destinée à épouser son oncle. Les deux amants auront à affronter les foudres de ce dernier.
Enfin, on trouvera dans cette poésie une autre référence à la littérature courtoise médiévale, en la personne de Blanchandin. Tiré d’un roman d’aventure des débuts du XIIIe siècle, le romanz de Blanchandin et de Orgueillose d’amors, (Blancandin et l’Orgueilleuse d’amour) conte l’histoire d’un adolescent aventurier, sorte de double lointain du Perceval des romans arthuriens. Élevé loin de la chevalerie et ayant pourtant succombé à son appel, Blanchandin partira lui aussi en quête de hauts faits. Il croisera en chemin la passion amoureuse et ses défis.
Leçon de fine amor pour un loyal amant courtois
Pour le reste, les codes courtois mis en avant dans ce salut d’amour ne changent pas. Loyal amant et fine amor restent au programme. L’auteur y fait l’éloge des nombreuses qualités de l’élue de son cœur. Il s’ouvre également à elle de sa grande souffrance et du feu qui le brûle : feu aussi dur à supporter que plaisant et qui résume toute la contradiction du désir courtois.
Que la dame ne s’offusque pas si le poète lui parait un peu familier. Comme il nous l’expliquera, il a appris et maîtrise les codes de la courtoisie. Il saura donc l’aimer avec distance, sagement, courtoisement et dans le secret. Une grande partie de ses vers lui permettra d’ailleurs d’exposer les différences entre le loyal amant (qu’il est) et le sans cœur, le grossier qui ne connait rien des règles de l’amour. Au passage, il expliquera aussi à sa douce qu’il préférerait mourir plutôt que de s’enticher d’une courtisane un peu facile et fourbe, donc tout le contraire d’elle.
La Requeste d’Amours Un salut d’amour anonyme en langue d’oïl
NB : pour vous guider dans cette poésie médiévale courtoise et vous en faciliter la lecture, nous vous proposons de nombreuses clés de vocabulaire.
Douce, simple, cortoise et sage, Et debonere (douce, aimable) sanz outrage, Sanz orgueil et sanz vilonie, Vous mant salut, ma douce amie.
Douce amie, salut vous mant, Plus de .c. foiz en soupirant, Simple de vis et de cuer douz, Com cil qui ert li vostre touz; (celui qui vous est tout entier dévoué) De cuer, de volenté, de cors, Je n’en vueil noient metre fors (je ne veux nullement exclure), Que je trestoz vostres ne soie. (que je ne sois entièrement votre) Si m’ait Diex que je voudroie Que vous séussiez mon martire, Et que je vous péusse dire Et raconter tout en apert (ouvertement) Le mal que j’ai por vous souffert.
Les maus, mès li maus mult me plest; N’encore pas ne me desplest Le mal d’amer à soustenir; Mult fet bon la bele servir Dont l’en atent si douz loier. Ne porroie miex emploier Mon cuer qu’en vous, ce m’est avis, Gente de cors, simple de vis, Cortoise et douce plus que miex. Cist penssers m’est mult bons itiex (tellement) , Quant je pens à vous, douce amie.
Nel’ tenez pas à vilonie (bassesse, grossièreté) Se douce amie vous apel, Quar je ne truis (trouve) nul non plus bel Certes en moi ne remaint mie Que vous n’aiez non douce amie, Quar j’ai apris à bien amer, Sanz vilonie et sanz fausser (tromperie, fausseté) Belement et céleement, Sagement de cortoisement ; Et qui d’amors vet bien ouvrer, Cortoisement l’estuet mener Et sagement, dont di por voir (en vérité) Que il estuet (convient) franchise avoir A bien amer, dont à nul fuer (en aucune manière) N’estuet amer vilain de cuer :
Vilains de cuer soit li honis, Qu’il est fel (perfide, mauvais) en fais et en dis, Et venimeus et orguilleus, Et envieus et ramposneus (querelleur, injurieux); Mes bénéoiz (bénis) soit gentiz cuers, Qu’il est atornez à bien lués (bien disposé pour les choses de l’amour?), Et est tantost navrez (blessé) d’amors. Volentiers soustient les dolors. Je proverai qu’en bien amer, Ne troveroit nus que blasmer, Dont proveron que Blanchandin, A cui grand règne fu aclin, Ama Orguilleuse d’amors, Tristrans (Tristan) en ot maintes dolors, Por Yseut la blonde, la bele, Ausi por lui maint mal ot-ele ; Et Cliges en ama Fenice. Qui n’en fu ne fole ne nice (ignorant, sot)
D’examples d’amor i a mil. Je di por voir (que véritablement) rien ne vaut cil Qui n’a amor bone et loial, Et quant il le voit desloial, Il le doit lessier et fuir. Je meismes vueil mieux morir Qu’amer fame présentière (facile, qui se donne à tous) Ne trop baude (impudente), ne trop doublière (trompeuse). Merci, merci, ma douce dam Qui tout avez mon cors et m’âme : Tout avez en vostre prison ; Por ce quier (je réclame) à vous garison ; Quar l’en doit querre (chercher) la santé, Où l’en a pris l’enfermeté.
L’enfermeté est fine amor, Dont je sens por vous la dolor, Si grant que dire nel porroie, Se tout mon pooir i metoie. Briefment le vous di, douce amie, Vous este ma mort et ma vie : Ma mort que tuer ne poez, Se vous de moi merci n’avez. Mès trop seroit grant vilonie, Se por vous perdoie la vie, Quar je ne cuit (crois) que vous truisiez (trouviez) Jamès plus léaus amistiez.
Explicit la Requeste d’Amours.
En vous souhaitant une belle journée Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : sur l’image d’en-tête, vous retrouverez l’enluminure ainsi que les premiers vers de notre poésie courtoise du jour, tels qu’on peut les voir dans le Ms Français 837 de la BnF. L’enluminure ayant servi à illustrer cette requête d’amour dans notre deuxième image est, quant à elle, à nouveau, extraite du très célèbre Codex Manesse. Ce manuscrit médiéval allemand est postérieur d’un siècle à la poésie mais il illustre de très belle manière le thème médiévale de l’amour courtois.
Sujet : jacquerie, paysans, révolte paysanne, poésie médiévale, anglo-normand, vieux français, langue d’Oïl, littérature médiévale. Période : Moyen Âge central, XIIe siècle, an mil Auteur : Robert Wace Ouvrage : Roman de Rou et des Ducs de Normandie par Robert Wace, publié pour la première fois par les Manuscrits de France et d’Angleterre. Frédéric Pluquet, 1827 (Edouard Frère Editeur, Rouen).
Bonjour à tous,
ujourd’hui, pour faire écho à la révolte paysanne qui gronde en France et jusqu’aux portes de Bruxelles, nous vous proposons un texte médiéval. Daté de la dernière partie du XIIe siècle, il s’agit d’un extrait du Roman de Rou du poète anglo-normand Wace (ou Gace). Son auteur nous conte comment les serfs et les petites gens des campagnes d’alors se lièrent entre eux contre les seigneurs et les abus du pouvoir en place, dans une tentative d’affranchissement.
On découvrira, au passage, les contraintes que le poète porte aux crédits des travailleurs de la terre de l’an mil. Certes, les temps ont changé mais, à lire Wace, les paysans normands de cette période voyaient déjà peser sur leur dos normes, taxes, bureaucraties et contraintes variées qui résonnent, d’une manière particulière, dans le contexte actuel. Vous en jugerez.
Naissance d’une révolte paysanne en l’an mil
Rédigé par Wace autour de 1160-1170, le Roman de Rou et des ducs de Normandie est une chronique historique en vers qui reprend l’histoire et la génèse du duché de Normandie depuis Rollon et l’épopée viking. L’attribution de la totalité de cette œuvre à Wace a été contestée depuis par certains érudits.
On trouve notre extrait du jour souvent cité dans les manuels historiques et littéraires, sans doute parce qu’il est assez représentatif des premiers tentatives d’affranchissement des serfs. Les abus et les contraintes que leur faisaient peser le pouvoir des seigneurs et des nobles d’alors y sont aussi dépeints de manière assez explicite par Wace. C’est un détail linguistique mais il semble également que cette pièce voit la notion de « bocage » apparaître pour la première fois en littérature française médiévale.
Aux sources médiévales du Roman de Rou
Vous pourrez retrouver le Roman de Rou de Wace dans un certain nombre de manuscrits médiévaux conservés à la BnF ou même encore à la British Library. Pour l’extrait du jour, nous avons choisi le manuscrit ms Français 375 de la BnF. Cet ouvrage consultable sur Gallica présente un ensemble de poésies, de pièces littéraires et de romans divers datés des XIIe au XIIIe siècles. Ce manuscrit ancien est lui-même daté de la fin du XIIIe et des débuts du XIVe siècle.
Pour situer historiquement cet extrait du Roman de Rou, nous sommes sous le règne naissant de Richard II de Normandie, entre la toute fin du Xe siècle et le début du XIe siècle. Wace nous la raconte donc un peu moins d’un siècle plus tard.
La Jacquerie des paysans normands
N’aveit encore guere regné Ne guaires n’aveit duc esté Quant el païs surst une guerre Ki dut grand mal faire en la terre.
Li païsan e li vilain Cil del boscage et cil del plain, Ne sai par kel entichement Ne ki les mut premierement Par vinz, par trentaines, par cenz Unt tenu plusurs parlemen Tel parole vunt conseilant S’il la poent metre en avant Que il la puissent a chief traire. Ki as plus hauz faire cuntraire Privéement ont porparlè E plusurs l’ont entre els juré Ke jamez, par lur volonté, N’arunt seingnur ne avoé.
Seingnur ne lur font se mal nun ; Ne poent aveir od els raisun, Ne lur gaainz, ne lur laburs ; Chescun jur vunt a grant dolurs. En peine sunt e en hahan Antan fu mal e pis awan Tote jur sunt lur bestes prises Pur aïes e pur servises.
Tant i a plaints e quereles E custummes viez e nuveles Ne poent une hure aveir pais Tut jur sunt sumuns as plais : Plaiz de forez, plaiz de moneies Plaiz de purprises, plaiz de veies, Plaiz de biés fair, plaiz de moutes, Plaiz de defautes, plaiz de toutes. Plaiz d’aquaiz, plaiz de graveries, Plaiz de medlées, plaiz d’aïes.
Tant i a prevoz e bedeaus E tanz bailiz, vielz e nuvels, No poent avier pais une hure : Tantes choses lur mettent sure Dunt ne se poent derainier ! Chascun vult aveir sun lueier A force funt lur aveir prendre : Tenir ne s’osent ne defendre. No poent mie issi guarir : Terre lur estuvra guerpir. Ne puent aveil nul guarant Ne vers seignur ne vers serjant : Ne lur tiennent nu cuvenant.
« Fiz a putain, dient auquant. Pur kei nus laissum damagier ! Metum nus fors de lor dangier ; Nus sumes homes cum il sunt, Tex membres avum cum il unt, Et altresi grans cors avum, Et altretant sofrir poum. Ne nus faut fors cuer sulement ; Alium nus par serement, Nos aveir e nus defendum, E tuit ensemble nus tenum. Es nus voilent guerreier, Bien avum, contre un chevalier, Trente u quarante païsanz Maniables e cumbatans. «
Roman de Rou et des Ducs de Normandie, Wace (chap 1, vers 815 à 880, op cité)
Traduction en français actuel
NB : l’anglo-normand reste une langue relativement difficile à percer avec un simple bagage en français moderne. Nous vous proposons donc une traduction de cet extrait. Pour la suite, vous pouvez vous reporter au Roman de Rou (opus cité) ou encore à l’article de Louis René et Michel de Boüard (1).
Il n’avait encore guère régné Et n’était duc que depuis peu Quand au pays survint une guerre Qui fit grand mal à la terre.
Les paysans et les vilains Ceux du bocage (des bois) comme ceux de plaines Je ne sais sous quelle impulsion Ni qui les y poussa en premier lieu Par vingt, par trentaine et par cent Ont tenu plusieurs assemblées Ils y délibèrent d’un projet, Qui, s’ils pouvaient le mener bien Et le réaliser, Pourrait contrarier de nombreuses personnes en haut lieu. En privé, ils ont convenu Et se sont jurés entre eux Que jamais, de leur propre volonté, Ils n’auraient seigneur, ni avoué (protecteur noble, représentant généralement les abbayes et églises).
Les seigneurs ne leur causent que du mal Les paysans ne peuvent s’en sortir Ni par leurs gains, ni par leur labeur. A chaque jour, vient son lot de souffrances, Ils triment et ahanent sans trêve Si naguère fut mal, c’est pire à présent. Chaque jour, ils voient leurs bêtes prises, Pour des aides ou pour des services.
On les afflige de tant de plaintes et de querelles de tant de coutumes vieilles et anciennes Qu’ils ne connaissent jamais de trêve. Chaque jour, on leur fait des procès : Procès de forêts, procès de monnaies Procès à propos des voies ou des chemins Procès de biefs (usage des cours d’eau) ou de droit de mouture, Procès pour défaut, procès de saisie Procès pour service de guet, procès pour les corvées Procès pour des altercations, procès pour des aides…
Il y a tant de prévôts et d’huissiers, Tant de baillis, anciens et nouveaux Qu’on ne leur laisse aucun répit. On les charge de tant de griefs, Qu’ils ne peuvent s’en disculper. Chacun veut prélever son loyer sur leur dos, On leur prend leurs avoirs de force Et les paysans n’osent résister, ni se liguer contre cela, De sorte qu’ils ne pourront jamais s’en sortir. Il ne leur restera qu’à déserter le pays. Impossible de trouver un protecteur Ni du côté du seigneur, ni vers son sergent qui ne respectent jamais leur parole.
« Fils de p…, disent certains, Pourquoi nous laissons-nous malmener ? Mettons nous hors de leur portée, Nous sommes des hommes tout comme eux Comme eux, nous avons des bras et des jambes Comme les leurs, nos corps sont robustes Et nous pouvons résister tout autant qu’eux. Il ne nous manque que du cœur au ventre. Faisons un serment d’alliance, Défendons nous et nos avoirs, Et tous ensemble soutenons-nous. Et s’ils veulent nous faire la guerre Nous avons bien, contre un chevalier Trente ou quarante paysans, vaillants, solides et combattants.
Une répression dans le sang et la violence
L’épisode de cette première jacquerie, comme beaucoup d’autres, fut réprimé dans la violence et par le fer, au détriment de toute justice. Les actions sanglantes furent menées de la main de Raoul comte d’Evreux, agissant pour le duc de Normandie alors tout jeune. Le nom de ce dernier ne fut pas entaché semble-t-il, de cette répression qui étouffa la révolte paysanne dans l’œuf. On le nomma, en effet, plus tard « Richard le bon ».
Au XIXe siècle, Eugène Bonnemère, historien et auteur de l’Histoire des paysans (1) parle de tortures effroyables, de mains tranchées et d’yeux arrachés, etc… (toutes proportions gardées, cela pourrait rappeler des souvenirs pas si lointains à certains gilets jaunes ). Selon l’auteur du XIXe siècle, le comte d’Evreux ne s’arrêta pas là. Plomb fondu et empalement vinrent se joindre à la répression mais il prit bien soin de renvoyer chez eux certains émissaires éborgnés et diminués afin qu’ils dissuadent les autres serfs de rêver de liberté.
Fort heureusement, la Ve république n’est pas encore allée jusque là avec nos agriculteurs même si le positionnement dissuasif et malencontreux de quelques engins blindés aux abords du marché de Rungis avait pu faire craindre la pire des escalades. De leur côté, les paysans sont restés pacifiques dans leurs manifestations. Ils ont aussi démontré qu’ils savaient jouer les blocus à distance, en évitant les affrontements directs trop près de la capitale.
Vers une asphyxie de la France rurale et agricole
Pour rester encore un peu sur l’actualité, le contexte n’est, bien sûr, pas le même que celui de notre extrait. Nous sommes à plus de huit siècles du roman de Wace. Pourtant, certains rapprochements ne peuvent s’empêcher de venir à l’esprit. Asphyxiés, nombre de nos paysans ne vivent plus qu’à grand peine de leur labeur. On ne compte plus le nombre d’exploitations qui se voient contraintes de mettre la clef sous la porte ou d’agriculteurs qui mettent fin à leur jour.
Incohérences technocratiques, injonctions de productivité dans un océan de normes, politique de prix sans cesse révisée à la baisse et rentabilité nulle, les lois de la grande distribution comme la mondialisation font mal et la bureaucratie en rajoute. Dans ce contexte, le nombre d’heures de labeur abattues ne suffit pas à combler le fossé et dans le monde paysan, on s’use souvent sans trêve, pour bien peu.
Ajoutons à cela une politique européenne qui laisse entrer, par la grande porte, des marchandises à prix cassés, en provenance de pays non soumis aux règles drastiques imposées à nos agriculteurs. La logique d’un marché à 27 pays avec d’énormes disparités économiques entre eux battait déjà de l’aile mais l’ouverture à tous les vents fait craindre le pire. Tout cela commence à faire beaucoup et on comprend la réaction du monde agricole et de nos paysans d’autant qu’au delà de leur seule condition, la souveraineté alimentaire reste au centre du débat.
A propos des jacqueries et des révoltes paysannes, voir aussi :
Frédéric Effe Pour Moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Notes
(1) La Normandie Ducale dans l’œuvre de Wace, Supplément aux annales de Normandie, Louis René, de Boüard Michel. (1951). (2)Histoire des paysans depuis la fin du Moyen Âge jusqu’à nos jours, Tome 1, Eugène Bonnemère, Edition F Chamerot, Paris (1856)
NB : Sur l’image d’entête vous retrouverez la page de garde du Roman de Rou dans la Ms Français 375 de la BnF