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La Bible satirique de Guiot de Provins : des princes, de Rome et du clergé (1)

black_monkSujet : poésie médiévale, satirique,  morale, sociale, réaliste biographie, portrait, trouvère, moine, moyen-âge chrétien, satire religieuse.
Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur : Guiot de Provins (Provens) (1150 – 12..)
Manuscrit ancien : MS français 25405 bnf
Ouvrage : Les Oeuvres de Guiot de Provins, poète lyrique et satirique, John Orr (1915)

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Du siècle puant et orible
m’estuet commencier une bible,
por poindre, et por argoilloneir*(*aiguillonner),
et por grant exemple doner.
Se n’iert pas bible losangiere* (*enjoleuse, trompeuse)
mais fine et voire* (vraie) et droituriere.

Mireors iere* a toutes gens (*qu’elle soit un modèle)
ceste bible : ors ne argens
de nus esloignier ne la puet,
que de Deu et de raison muet
ce que je vuel mostrer et dire.
Et sens feloignie et sens ire
vodrai molt lou siècle reprendre,
et assallir, et raison rendre,
et dis et exemples mostrer

ou tuit sil se doient mirer
qui pacience et créance ont.
Et toutes les ordres qui sont
se poront mirer es biau dis
et es biaus mos que j’ai escris :
se mirent sil qui bien entendent
et li saige molt s’i amandent !

Guiot de Provins – La Bible

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Bonjour à tous,

S_lettrine_moyen_age_passionuite à l’article sur le trouvère et moine Guiot de Provins, nous donnons aujourd’hui ici quelques extraits de sa bible satirique du début du XIIIe siècle.  Bible pourquoi ? Non pas pour la moquer, il ne s’agit pas d’une satire de la bible, mais bien, pour le poète, de dresser le portrait de son temps et d’en faire le relevé critique. Et ce siècle « puant et horrible » comme il l’annonce dans ses premières lignes, il l’examine à la lumière de la bible et des lois chrétiennes justement et c’est aussi une bible parce que l’ouvrage se veut un guide moral et chrétien édifiant, sans complaisance mais encore « sans colère et sans félonie ».

« En la bible covient a dire
parolles dures et cuissans
et qui plairont a mainte gens,
mais ja mençonge n’i iert dite,
que j’ai si la matière escrite
dedens mon cuer et la vertei.
Ne me serait ja reprovei
qu’en la bible mente ne faille;
sens cuidier et sens devinaille
je dirai raison tout de bout,
et droite veritei per tout. »

Il prendra encore des précautions en disant ne pas citer de noms et faire sa bible sans haine et sans blâmer personne en particulier, en demandant que nul ne se sente viser ou blâmer au risque de montrer sa folie.

Avant de poursuivre, je précise ici me baser sur les extraits de l’oeuvre de Guiot de Provins, présent dans l’ouvrage de John Orr (opus cité), en prenant le texte au pied de la lettre de l’universitaire anglais et sans entrer dans les débats d’experts sur les manuscrits et les variations de l’un à l’autre.

De la folie du siècle

Dès l’introduction de sa bible, Guiot de Provins va puiser dans l’antiquité les sources de la sagesse pour mieux passer au crible son temps. On a perdu le contact avec les classiques, on a oublié les philosophes et les sages de l’antiquité. Bref, le siècle est devenu fou ou plutôt il est « retourné en enfance » et les premiers signes de cet anéantissement et de ce recul, peuvent être lu du côté des seigneurs, mais surtout des princes :

« Mais tout est torneiz a anfance
li siècles et anoiantis.
Des princes sui plus abahis,
qu’il ne conoissent ne entendent.
Sil n’empirent ne sil n’amandent :
empirieir ne poroient il,
et comment amanderont sil
qui ne puent estre poiour ?
Il n’ont ne doute ne paour
de Deu, ne dou siècle vergoigne. »

Des princes, des vassaux et de l’usure

P_lettrine_moyen_age_passion copialus de faste et plus de joie dans les cours des seigneurs. Nombre d’entre eux ne sont plus, mais une certaine féodalité est aussi en recul et il s’en plaint.

Guiot fait alors la très longue liste de ceux qu’il est supposé avoir servi, qui l’ont reçu dans leurs cours dignement et lui ont donné de quoi vivre et parmi lesquels il contait des amis, disparus depuis.

« La mort nos coite et esperonne ;
trop m’ait tolut* de mes amis. (*enlevé)
….
Tuit li vallant me sont emblei* : (enlevé, dérobé)
molt voi lou siècle nice* et fol. » (ignorant, sot, niais)

 Les grands vassaux n’ont plus la confiance des princes félons, durs et vilains qui sont ici les premiers en cause. En arrière plan, c’est aussi un monde seigneurial en déséquilibre et ses vassaux appauvris mais encore dépossédés ou amoindris par les couronnes, dont il nous fait le portrait. Le siècle est à Philippe Auguste.

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« Les boins vavessours* voi je mors : (*vassaux)
les grans orguels et les grans tors
lor fait on et les grans outraiges.
Ja en ont trop cruels damaiges,
qu’il estoient herbegeor* (*hospitaliers)
et libéral et doneor,
et li prince lor redonoient
Les biaus dons, et les honoraient

or lor tôt on ains c’on lor dogne,
on les escorche on les reoigne.
Sil prince nos ont fait la figue ;
en herpe en vïele et en gigue
en devrait on rire et chanteir;
om nés doit covrir ne seler,
trop nos ont lou siècle honi.

Des barons et des chastelains
cuit je moût bien estre certains
que des vallans en i avroit ;
mais li prince sont si destroit*, (*sévères)
et dur, et vilain, et fellon
por ceu se doutent li baron.
De teius i ait qui prou seroient*, (*il pourrait y en avoir de très preux)
mais nostre prince ne vorroient
que nus feïst honor ne bien. »

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Arthur (de Bretagne), Alexandre et même Frédéric 1er, ne cherchez plus les grands seigneurs d’antan, superbes et généreux :

« Que sont li prince devenu ?
Deus ! que vi je, et que voi gié !
Moût mallement somes changié :
li siècles fu ja biaus et grans
or est de garçons et d’enfans. »

Les princes s’amenuisent jusqu’à « rapetisser ». Ils ne veulent plus qu’amasser sans rien dépenser. ils deviennent usuriers et n’utilisent plus leur argent pour faire le bien. Plus ils ont et plus ils convoitent.

Guiot nous brosse le portrait d’un recul à la fois économique et moral. C’est peut-être le trouvère déçu qui parle ici, la perte de son pain et la nostalgie d’un monde qui n’est plus, de ses joies et de ses fastes, mais c’est aussi et sans doute, déjà le moine qu’il est devenu et qui déplore à travers tout cela le manque de charité chrétienne.

Du clergé et de Rome

A_lettrine_moyen_age_passionprès les princes, ce sera au tour du clergé et au personnel de l’épiscopat romain d’en prendre pour son grade et à tous les étages. Dés le début de cette partie, Guiot de Provins, annonce clairement son « ambitieux » plan de « travail : qu’on ne s’inquiète pas, il y en aura pour tout le monde.

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« Sor les romans vodrons parleir,
ja de ce ne me quier saler :
sor les plus haus comencerai
et des autres hontes dirai.
De cui ? per foi ! des archesvesques,
et des ligals* (*légats) et des evesques.
Des clers dirai et des chanoines,
et des abbeis et des nors moinnes.

De Citeaus redirai je mont
et de Chartresce* (*Chartreux) et de Grant mont (*Grandmont);
après, de ceaus de Prei mostrei* (*ceux de l’ordre de Premoustré)
comment il se resont provei ;
et des noirs chanoines rigleiz,
de ceaus redirons nos asseiz.

Et dou Temple et de l’Opitaul
redirons nos, et bien et mal ;
et des convers de Saint Antoinne
parlerons, certes, jusque a none :
n’ait gent qui tant saichent de guille*, (*ruse, fraude)
bien lou voit on en mainte vile.

Et des nonains et des converses
oreiz con elles sont diverses.
Des faus devins i parlerons
qui amonestent, et dirons
des logistres; ce n’est pas biens
que j’obli les fisicïens.
Li siècles per trestout enpire. »

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Convoitise, mauvaise vie, pas de foi, pas de religion. Le pauvre pape, à qui l’on fait porter une couronne de plume de paon, n’y voit goutte, abusé par ses mauvais conseillers.

« mais sil li ont les euls creveiz
qui les autres ont avugleiz. »

Rome, le foyer de la malice et de la déchéance est en cause. Aprés tout, nous dit-il c’est sur cette même terre que Romulus avait occis son frère et qu’on tua aussi Jules César.

« Des Romains n’est il pas mervoille* (*il ne faut pas s’étonner)
s’il sont faus et malicious; »

Au passage et toujours à se fier à ses écrits puisque nous n’avons que cela de lui, il semble que Guiot de Provins passa un temps notable en Languedoc et en Provence et reçut notamment des enseignements à Arles. Même s’il est vraisemblablement déjà à Cluny quand il rédige ses lignes, en voyant cette diatribe contre l’église romaine, on ne peut s’empêcher de rapprocher cela avec les remarques de certains historiens qui virent aussi dans les croisades albigeoises un moyen additionnel pour Rome de remettre au pli les églises de Provence qui demeuraient inféodées et un peu trop indépendante en esprit. En réalité, nous en sommes pratiquement aux portes, à dix ans près, du côté chronologique.

S’il serait tout de même enlevé d’affirmer que c’est aussi une certaine Provence qui parle par la bouche de Guiot, a travers la violence, mais aussi la liberté de ses propos, on mesure tout de même bien la distance immense de cette France monastique là à l’église romaine. A titre d’anecdote mais qui tombe tout de même à point pour servir ce propos, durant la croisade albigeoise, on retrouvera chez un « hérétique » du nom de Bernard Baragnon, à Toulouse, un exemplaire de la Bible de Guiot et le tribunal inquisitorial jugera suffisamment pertinent d’en faire mention dans ses procès verbaux et lors de son instruction (voir Charles Victor Langlois,  La vie en France au moyen  âge : de la fin du XIIe au milieu  du XIVe, d’après des moralistes du temps,  page 92).

Sur Rome encore :

Rome nos assote* (*suce) et transglout* (*engloutit),
Rome trait et destruit tout,
Rome c’est les doiz de malice
dont sordent tuit li malvais vice.
C’est uns viviers plains de vermine.
Contre l’escriture devine
et contre Deu sont tuit lor fait.

On le voit, les mots de Guiot sont durs et sans appel. Le poison vient de Rome. Convoitise, simonie, mauvaise vie,… On « vend Dieu et sa mère », l’argent disparaît dans le clergé romain tel en un gouffre, et le moine dénoncera encore le fait que ses richesses ne reviennent jamais en aide concrète ou en infrastructure: « ni chaussés, hôpitaux, ni ponts ». La critique ici devient de religieuse politique et sociale. Difficile de dissocier les trois aspects, dans un moyen-âge chrétien où le clergé est une force et un pouvoir économique et politique bien réel.

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Quant li peire ocist ses enfans
grant pechié fait. Ha Rome, Rome,
encor orcirrais tu maint home :
vos nos ocïez chescun jor,
crestïentei ait pris son tor.
Tout est alei tout est perdu
quant li chardenal sont venu,
qui vienent sai tuit alumei
de covoitise, et enbrasé.

Sa viennent plain de simonie
et comble de malvaise vie,
sa viennent sens nulle raison,
sans foi, et sens religion,
car il vendent Deu et sa meire
et traïssent nos et lor peire.

Tout defollent et tout dévorent ;
sertes, li signe nos demorent
cui nostre sires doit mostreir
quant li siècles dovrait finer;
trop voi desapertir* (*désespérer) la gent.
Que font de l’or et de l’argent
qu’il enportent outre les mons ?
Chauciees, hospitals ne pons
n’an font il pas, ce m’est a vis.

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Q_lettrine_moyen_age_passionuant aux bons pasteurs ou aux bons évêques qui donneraient l’exemple et guideraient leurs ouailles sur la bonne voie, celle de dieu s’entend, ne les cherchez pas non plus, même si le moine admet qu’il en subsiste tout de même quelques uns :

« Mais covoitise ait tout vancu ;
trop per ait vencu lou clergié
qui sont si pris et si lie,
il n’ont vergoigne ne doutance,
ne de Deu nulle remembrance.* (*souvenir)« 

On croirait presque, dans certaines de ses descriptions, voir déjà défiler les religieux des fabliaux, comme ceux, par exemple, du Testament de l’Asne de Rutebeuf.

« Provendes (1), églises achatent,
en mainte manière baratent*. (*fraudent, trompent)
Achater sevent et revendre,
et les termes molt bien atendre,
et la bone vante de bleif; »

(1) Avec le bénéfice qu’elles retirent de leurs charges ecclésiastiques (la prébende), les églises investissent.

Spéculateurs, rapaces, affairistes, ils vont même d’ailleurs jusqu’à s’adonner eux-aussi à l’usure dont Guiot a fait, dans sa bible, un de ses grands ennemis, en suivant très logiquement les pas du nouveau testament sur la question, puisqu’il est moine chrétien.

Je ne di pas qu’il soient tut
de teil manière con je di.
Ja Deus n’arait de ceaus merci
qui font teil oevre et teille ordure,
que c’est fine puant usure.
….
Per foi lou seculeir clergié
voi je malement engignié :
il font lou siècle a mescroire.
Se font li clerc et li prevoire
et li chanoinne séculier ;
sil font la gent desespereir.

Là encore, peu de concession et une satire qui ne prend pas de gant. Pas de colère, certes, mais aucun faux semblant ni détours non plus.  Il faut sans doute se souvenir que pour être moine lui-même Guiot de Provins, pris en étau, mangera aussi son pain noir, de la bouche même du peuple, face auquel il devra répondre des abus réputés du clergé ou des abbés.

Par la suite, tous les ordres monastiques y passeront, à peu de choses près, chacun avec leurs propres travers et ils les connait bien. Et il s’en prendra, encore plus loin, aux théologiens, aux légistes.aux médecins mais nous garderons cela pour un deuxième article.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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Guiot de Provins, trouvère et moine du XIIe: sa vie, son oeuvre et sa « bible » satirique

poesie_litterature_medievale_realiste_satirique_moral_moyen-ageSujet : poésie médiévale, satirique,  morale, sociale, réaliste biographie, portrait, trouvère, moine, troisième croisade.
Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur : Guiot de Provins (ou Provens) (1150 – 12..)
Manuscrit ancien : MS français 25405 bnf
Ouvrage : Les Oeuvres de Guiot de Provins, poète lyrique et satirique, John Orr (1915)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous allons parler, à nouveau, de poésie satirique et, pour ce faire, embarquer pour les rivages des XIIe et  XIIIe siècles avec le trouvère et puis moine, Guiot de Provins.

Aventures et voyages de cour en cour

Il serait né autour de 1150. En Champagne et à Provins comme son nom semble l’indiquer ? Sans doute. Aucun document ne permet véritablement de l’attester, mais un certain nombre d’auteurs semble s’accorder sur ce point, en recoupant la liste des seigneurs qu’il dit avoir servi et qui sont champenois. Dans la courte « biographie » qu’il en faisait dans son ouvrage « Les Oeuvres de Guiot de Provins, poète lyrique et satirique », John Orr n’était, de son côté, pas si affirmatif, en suivant le poète qui paraissait plutôt indiquer, dans certains des vers, être né en Île de France et donc être plus « français » que « champenois ».

deco_medievale_enluminures_trouvere_Trouvère et poète de cour itinérant, à se fier à ses écrits, Guiot de Provins voyagea beaucoup, de cour en cour, en France (Champagne, Languedoc, Bourgogne, … ) et même au delà jusqu’à Jérusalem. Il se retrouva même à Mayence, en 1184, à la faste cour de l’empereur romain germanique  Frédéric 1er Barberousse.

Dans cette première partie de sa vie, le poète fut, de ses propres dires toujours, extrêmement actif dans ses périples, au point même de pouvoir citer près d’une centaine de seigneurs qu’il dit avoir vu lors de ses pérégrinations et qui l’auraient honoré pour ses dons de trouvère, en deniers trébuchants.

« Je ne vous ai baron nommé
Qui ne m’ait veü et donné;
Por ce sont en mon livre escrit »

Il déplorera même, en parlant de certains de ces hommes de pouvoir défunts, la perte « d’amis », laissant entendre une certaine proximité avec eux, même s’il demeure difficile d’en évaluer le degré. Il reste que la liste qu’il en fournit entre ses « amis » et les autres demeure impressionnante.

De la vie de trouvère à l’ordre monastique

Durant la deuxième partie de son existence, le trouvère embrassera la carrière monastique. Contemporain de la troisième croisade, qui, à la fin du XIIe siècle, avait appauvri les seigneurs, leurs richesses et quelquefois même décimés certains d’entre eux, est-il revenu de ses aventures en terres lointaines pour retrouver une France seigneuriale asséchée par l’effort qu’avaient supposé les expéditions guerrières en terre sainte, affaiblie encore par les manœuvres royales de Philippe-Auguste rentré tôt des croisades pour ébranler la féodalité ? Certains de ses bienfaiteurs avaient-il été également emportés dans les flots meurtriers des batailles croisées, à l’image de Frédéric Barberousse ?

Peut-être, l’histoire ne le dit pas très clairement, mais c’est, en tout cas, l’hypothèse que forme John Orr, l’un de ses biographes, éminent professeur de l’Université du Manchester au début du XXe siècle. Pour lui, Guiot de Provins se serait trouvé, à son retour, face à une période charnière et à la naissance d’une poésie des trouvères qui glissait vers le public bourgeois et citadin, au détriment des cours des seigneurs exsangues. Certains poètes surent en tirer leur partie deco_medievale_enluminures_trouvere_et s’en accommoder, mais toujours selon l’universitaire anglais, Guiot de Provins n’aurait pas alors trouvé les clés pour y entrer. Voilà ce qu’il nous en dit :

« …Tout autre, nous l’avons vu, avait été l’existence de notre poète, qui lui n’eut aucune attache avec les villes, et qui dut se trouver, de retour dans cette France nouvelle, vieilli et singulièrement égaré. Il ne se consola point de l’appauvrissement, du dépérissement des cours seigneuriales. Il ne comprit rien ni à la cause ni à la portée de changements qui ne lui apportaient que d’amers déboires. C’est alors qu’il s’en prend aux seigneurs eux-mêmes, et, les traitant d’avares et de dégénérés, devient, de poète courtois et courtisan,  poète satirique »
Les Oeuvres de Guiot de Provins,  John Orr

De fait, sans le sou et ne trouvant plus les moyens de subsister de son art auprès de cours qui festoyaient largement moins, sinon plus  ( il s’en plaindra explicitement dans ses rimes) Guiot de Provins se fera moine, chez les cisterciens de Clairvaux d’abord, mais il n’y restera pas. Les causes de son départ ne sont pas très précises, mais il fera, plus tard, de l’ordre blanc un portrait caustique et sans appel qui fournit quelques éléments d’explication. Se plaignant de la dureté du travail, il fustigera aussi le manque de fraternité et de compassion des moines blancs entre eux, mais de manière plus acerbe encore il nous dira qu’ils sont passés maîtres « dans l’art de trafiquer et de marchander«  et qu’ils orientent tous leurs efforts  « à agrandir leurs possessions, et à voler les terres des pauvres gens, les obligeant ainsi à mendier leur pain. »

Après seulement quatre mois, le nouvellement moine et ancien trouvère quittera donc l’abbaye de Clairvaux et se fera « moine noir », autrement dit bénédictin, pour finalement se retrouver à Cluny où il passera vraisemblablement tout le reste de son existence. Après une vie d’errance et un premier « métier » tout entier tourné vers le beau verbe, l’éloquence et le faste (même relatif pour un trouvère) des cours, la vie monastique, ses contraintes, ses privations autant que deco_medievale_enluminures_moine_moyen-ageson vœu de silence lui pèseront pourtant et même s’il donnera le change à l’extérieur quand on l’haranguera sur la mauvaise tenue des abbés et de certains membres du clergé (mal du siècle ?), son indiscipline intra-muros et sa nature restée revêche lui vaudront, semble-t-il, quelques pénitences.

Pour tout dire, à lire certaines de ses lignes et mesurer son inconfort dans cette vie d’ascèse, on en vient même à se demander comment l’homme a fait pour tenir aussi longtemps chez les bénédictins en étant presque si viscéralement opposé, ou du moins si retors à certains aspects de la règle de Saint-Benoit, qui était aux sources même de la vie communautaire à Cluny. Fallait-il qu’il soit laissé à ce point sans choix ? Peut-être le temps passant et l’âge expliquent encore qu’il y soit resté.

L’oeuvre de Guiot de Provins

Que nous reste-t-il de son legs et de ses oeuvres? On les retrouve principalement dans deux manuscrits anciens : le MS français 25405 de la BnF et le Manuscrit 389 de la bibliothèque de Berne.

Lyrisme et amour courtois

Quelques chansons et poésies  lyriques, cinq pour être précis, lui ont été attribuées. Elles se situent dans le registre de l’amour courtois. C’est assez  conventionnel et sans grande surprise pour un trouvère de l’époque,

La Bible Guiot, satire de son temps :
du monde « civil » aux ordres monastiques

P_lettrine_moyen_age_passion copialus intéressant sans doute pour nous ici que ses poésies courtoises et, en tout cas, plus favorablement retenu par l’Histoire, on lui doit un ouvrage qu’il appela « la bible » et qui est une satire de son temps. Il l’aurait achevé entre 1204 et 1206 si nous nous fions à Charles Victor Langlois qui donne de nombreux arguments dans ce sens, dans son ouvrage La vie en France au moyen  âge : de la fin du XIIe au milieu  du XIVe, d’après des moralistes du temps, suivi d’ailleurs dans son raisonnement par John Orr (opus cité)

L’ouvrage ouvre sur une satire du monde « laïque » ou plutôt civil et se poursuit sur une satire du clergé, des prélats aux évêques, jusqu’aux ordres monastiques. Les deux parties ne sont liées que par le style et pourraient même avoir été écrites à deux époques différentes mais il demeure que cette satire de l’église et  des ordres monastiques  (de l’intérieur de surcroît) compte certainement parmi les premiers écrits de ce type en vieux français ou, si l’on préfère, en langue vulgaire.

En langue latine, il y a eu d’autres auteurs avant Guiot de Provins pour le faire et pour critiquer le clergé et ses prélats de ce moyen-âge central, si vite noyés dans les affres de l’opulence,  la convoitise, et encore l’apparat et/ou la vie curiale et mondaine. Du XIIe au XIIIe siècle, ce personnel ecclésiastique qui « s’embourgeoise » ou s’empâte n’en finira pas d’ailleurs d’être montré du doigt par les poètes du temps, à travers les fabliaux entre autres textes. Et si on en trouve de nombreux signes dans la littérature satirique, on se souvient deco_medievale_enluminures_moine_moyen-ageencore que ce qui était en germe dans cette critique sociale, finira par se concrétiser au XIIIe siècle par l’émergence de divers mouvements religieux d’obédience chrétienne, désireux, au moins dans leur préceptes, de revenir à des sources plus proches du christianisme des origines. L’affaire prendra d’ailleurs des tours dramatiques, donnant lieu à de véritables croisades de l’église, sur les terres même de l’Europe occidentale chrétienne (les albigeois, les vaudois, etc…), fait nouveau, et avec elles, naissance de nouvelles définitions de « l’hérésie » et création de l’inquisition.

L’empâtement du clergé et son enrichissement n’expliquent peut-être pas tout, et sans doute y avait-il encore là le contrecoup  d’une réforme grégorienne qui, par son centralisme, avait confisqué une certaine forme de relation directe de l’homme à Dieu. Les intermédiaires, leur probité autant que leur légitimité se retrouvaient d’autant plus en question.

Le succès des ordres mendiants suivrait, intégré cette fois par l’Eglise, et même si ce succès allait être aussi dû à une plus large ouverture de la carrière monastique aux classes bourgeoises et urbaines, ce même constat critique d’un éloignement des sources chrétiennes se trouvait déjà sans doute en germe à  l’intérieur même des ordres monastiques et chez certains de ses moines. En son temps, Guiot de Provins n’était certainement pas le seul d’entre eux à regarder autour de lui avec une certain recul satirique, moral et  critique. Du reste, sa « Bible »  satirique  semble avoir été relativement populaire et lue durant le XIIIe siècle. Les références qu’en donnent d’autres auteurs qui l’ont succédé l’attestent, autant que le nombre relatif de manuscrits dont beaucoup se sont perdus ou égarés depuis.

A titre anecdotique, mentionnons encore que l’ouvrage est un des tout premiers à mentionner la boussole et son principe.

Le reste de l’oeuvre

deco_medievale_enluminures_trouvere_Pour clore sur ses œuvres, une autre poésie morale est généralement attribuée à Guiot de Provins. Elle fut publiée  pour la première fois en 1915 et par John Orr sous le nom de « l’armeüre de chevalier ». Nous aurons l’occasion d’y revenir également.

Enfin, il existe un débat du coté des spécialistes de littérature médiévale allemande qui n’est toujours pas tranché et qui tendrait à assimiler Guiot de Provins à un autre poète de langue française connu sous le nom de Kyot, Kyot Frage ou encore « le provençal« , auteur d’un Perceval postérieur à celui de Chrétien de Troyes et qui aurait inspiré à son tour, le Parzival du poète Wolfram Von Eschenbach (1170-1220). Ce dernier lança d’ailleurs le débat en clamant ouvertement cette référence, mais l’ouvrage auquel il faisait allusion s’étant perdu depuis, sauf à en trouver une autre copie quelque part, la question est demeurée ouverte.

Un moine rieur et bon vivant, franc parleur, fin observateur et critique

« …ennemi du charlatanisme de toute espèce, aimant la bonne chère et riant gros; jouissant de son franc-parler mais sans méchanceté ; juste, bon et sensé.  »
Les Oeuvres de Guiot de Provins,  John Orr

Quoiqu’il en soit, pour en revenir à ce trouvère et moine du moyen-âge central atypique que fut Guiot de Provins, nous aurons dans de prochains articles l’occasion de savourer quelques extraits de sa poésie, empruntés, notamment, à sa bible satirique. A cette occasion, nous goûterons au passage son style direct autant que la distance et le sens de l’auto-dérision dont il a su aussi faire montre.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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Une belle reconstitution 3D pour le château-fort anglais de Corfe

mondes_3D_virtuels_rue_médiévale_unity_3D_jeux_videosSujet  : château-fort, lieu d’intérêt, reconstitution 3D, vidéo, architecture médiévale, Guillaume le Conquérant, monument historique, patrimoine anglais.
Période  : Moyen-âge central (XIe siècle)
Lieu :  Château de Corfe (Dorset, île de Purbeck, Angleterre)

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoilà quelque temps que nous n’avions pas publié un article sur un édifice et château-fort médiéval, et c’est un reconstitution très réussie à l’aide de technologies de pointe en matière de 3D qui nous en fournit aujourd’hui l’occasion.

Cette fois, il s’agit d’un château anglais, celui de Corfe. Situé dans le Dorset sur la péninsule de Purbeck, à la pointe sud de l’Angleterre,  avant son occupation normande, le site et sa belle élévation auraient été occupés par des saxons. On prête la construction de cet édifice défensif à Guillaume le Conquérant, dans le courant du XIe siècle. Il est d’ailleurs considéré comme un des plus anciens châteaux fort anglais de cette époque à avoir été construit, dès le départ et partiellement, en pierre et non en terre et en bois comme de nombreuses autres châteaux à mottes ou mottes castrales de cette période.

architecture_medievale_chateau-fort_corfe_angleterre_reconstitution_maquette_3D_moyen-age_centralPar la suite, le château de Corfe est demeurée forteresse royale anglaise jusqu’au milieu du XVIe siècle et plus précisément en 1572, date à laquelle il fut cédé par la couronne au lord chancelier Christopher Hatton, pour changer à nouveau de main jusqu’à l’aube de la révolution anglaise. Durant les XIIe et XIIIe siècles, ce  beau château-fort connut un certain nombre d’aménagements par ses différents monarques successifs. dont la construction de son donjon, l’aménagement de sa cour intérieure et encore diverses autres opérations de restauration ou de renforcement sur ses ouvrages défensifs. Au début du XIIIe siècle, il servit encore de prison royale, de garde du trésor et même d’entrepôt militaire, c’est dire si l’on comptait alors sur la fiabilité de son architecture défensive.

Plus tard, dans le courant du XVIIe siècle, il fut un des derniers bastions des partisans de la royauté et du roi Charles 1er et fut assiégé par les Parliamentarians puritains farouches défenseurs du parlement anglais contre la couronne. Ils finirent d’ailleurs par faire tomber le château et ordonnèrent qu’il soit démantelé. Il le fut pratiquement complètementDe fait, aujourd’hui d’un édifice témoin du moyen-âge central, il est devenu également  un des symboles encore débout de la révolution anglaise.

Comme nombre d’autres monuments historiques du patrimoine anglais, le château de Corfe est actuellement géré par le National Trust qui y organise les visites et finance le maintien de ses vestiges.


Les technologies 3D au service
de l’architecture médiévale et de l’Histoire

Pour en revenir à la vidéo qui accompagne cet article, bien qu’assez courte, elle permet bien de se représenter l’édifice tel qu’il se présentait encore dans le courant du XVe siècle. D’un grand réalisme et d’une très belle qualité d’intégration (sur le site réel), elle démontre bien tout l’intérêt et l’apport des technologies 3D pour approcher de manière réaliste l’architecture médiévale. Ajoutons encore qu’elle a été réalisée dans le cadre d’un projet de fin d’études par l’infographiste  Ciprian Selegean, alors étudiant en animation digitale et 3D de l’université de Porthmouth. Le moteur de modélisation utilisé ici  était le très puissant software Maya d’Autodesk.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Beau livre et légendes arthuriennes, la magie de Brocéliande sous l’oeil de Philippe Manguin

excalibur_legendes_arthuriennes_conference_histoire_medieval_litterature_moyen-age_michel_pastoureauSujet : beau livre, photographies, livre d’Art, légendes arthuriennes, forêt de Brocéliande,  littérature médiévale, roman arthurien,
Période : Haut moyen-âge, moyen-âge central.
Lieu  : Forêt de Brocéliande
Ouvrage : « Brocéliande entre rêve et réalité »
Auteurs : Philippe Manguin
et Vivian Fedieu Daniel

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passion‘article d’aujourd’hui nous emmène au coeur des légendes arthuriennes, mais cette fois, du côté de la Bretagne continentale, dans la forêt mythique et profonde de Brocéliande. Nous y suivons les pas de deux amoureux de l’endroit qui n’ont de cesse, depuis des années, d’en traquer la magie et les lumières et viennent tout juste d’éditer un très beau livre d’art et de photographies sur le sujet. Et comme on ne se refait pas, tout en émaillant cet article de quelques belles photos empruntées, avec leur aimable autorisation, à leur ouvrage et pour vous en donner le goût, nous en profitons également, dans un second temps, pour remonter le fil de Brocéliande et de son apparition dans le roman arthurien.

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Brocéliande , entre rêve et réalité
Un beau livre d’Art sur la forêt mythique

Installés au coeur de Brocéliande, Philippe Manguin et Viviane Fedieu Daniel, tous deux fascinés par la mythique forêt bretonne, ont donc eu l’excellente idée d’éditer un beau livre pour nous en faire partager les beautés et les mystères. Il a pour titre Brocéliande, entre rêve et réalité, les photographies sont réalisées par Philippe Manguin et servies par les textes de Viviane Fedieu Daniel. Le propos n’est pas, ici de retracer l’histoire de Brocéliande mais plutôt d’y suivre le fil d’une balade émerveillée au coeur de ses lieux et à travers ses saisons.

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Issu d’une opération de financement participatif réussie, l’ouvrage vient tout juste de paraître. Les textes sont disponibles en français et en anglais et le tirage est, pour l’instant, limité. Pour plus d’informations (format, tarif, commande,etc…) suivez le lien suivant

Au delà des amateurs de beaux livres et de photographies, il ne pourra que ravir les férus de légendes arthuriennes et bretonnes, et les amoureux de ce beau lieu magique qu’est la forêt de Brocéliande.  Et pour ce qui est de la nature légendaire de cette dernière, sans même parler de son histoire néolithique, de ses impressionnants menhirs, ou de certains autres de ses vestiges celtiques, nous voulons revenir ici, à son entrée et sa présence, devenue presque incontournable, dans les célèbres légendes du cycle arthurien.

Et toi Brocéliande,
Sous ton lourd manteau d’hiver,
Rêves-tu d’Arthur?

Brocéliande et le roman arthurien :
huit siècles de légende

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Le poéte normand Wace et le roman de Rou

C’est au trouvère anglo-normand Wace  (1100-1175) que l’on doit d’avoir mentionné pour la première fois la forêt de Brocéliande (Bréchéliant) et même la célèbre fontaine de Barendon, dans son roman de Rou.  Contrairement à son roman de Brut, l’ouvrage ne s’intéresse pas tant à la matière de la Bretagne outre-manche qu’à l’histoire du duché de Normandie depuis Rollon (Rou ou Rol), mais Wace nous y apprend tout de même qu’avant même d’être investie par les légendes arthuriennes, la forêt de Brocéliande semblait déjà considérée comme un haut lieu de contes et de mystères, loué par les bretons, autant que ses chevaliers étaient renommés :

« … e cil devers Brecheliant
donc Breton vont sovent fablant,
une forest mult longue e lee
qui en Bretaigne est mult loee.

La fontaine de Berenton
sort d’une part lez le perron ;
aler i solent veneor
a Berenton par grant chalor,

e a lor cors l’eve espuiser
e le perron desus moillier ;
por ço soleient pluie aveir. »
Wace – Le roman de Rou

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Comme l’indique le même extrait, Wace est donc aussi un des premiers à  mentionner les prodiges de la fontaine de Barendon. Plus loin, il nous dit même s’être rendu en personne à Brocéliande, pour y débusquer ses « merveilles », et peut-être aussi pour avérer les croyances qui voulaient qu’en répandant quelques gouttes de la fontaine miraculeuse sur le sol, on pouvait déclencher la pluie et les orages, en période de grande sécheresse. N’était-il pas assez savant, méritant ou versé dans le druidisme pour la trouver ou pour y parvenir, l’histoire ne le dit pas, mais en tout cas et de son propre aveu (joliment tourné), il échoua totalement dans son entreprise :

« La allai je merveilles querre* (chercher)
Vis la forêt, et vis la terre,
Merveilles quis*, mais ne trovai, (*je cherchai)
Fol m’en revins, fol y allai,
Foll y allai, fol m’en revins,
Folie quis, por fol me tins »
Wace – Le roman de Rou

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Brocéliande et Chrétien de Troyes :
Yvain et le chevalier au Lion,

A_lettrine_moyen_age_passionprès cette première entrée écrite et connue de Brocéliande dans la littérature des contes et légendes de la Bretagne continentale, Chrétien de Troyes mentionnera, à son tour, la forêt (devenue cette fois Brocheliande) dans son roman arthurien Yvain et le chevalier au lion, même s’il ne la situera pas tout à fait au même endroit que Wace, mais plutôt outre-mancheC’est donc Yvain le narrateur ici :

Et trouvai un chemin a destre,
Parmi une forest espesse.
Mout y ot voie felenesse,
De ronses et d’espines plaine.
A quel ahan et a quel paine
Tout* chele voie et chel sentier!
A bien pres tout le jour entier
M’en alai chevauchant ainsi
Tant que de la forest issi,
Et che fu en Brocheliande.
De la forest en une lande
Entrai et vi une breteche
A demie lieue galesche;
Yvain ou le chevalier au lion, Chrétien de Troyes

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Et pour ce qui est de la fontaine de Barendon, Chrétien de Troyes lui fera également une belle place, sans en donner le nom.  C’est à l’évidence la même que celle décrite par Wace. Elle en a, en tout cas, les propriétés merveilleuses et légendaires, et sous la plume de son auteur, Yvain aura même largement plus de réussite que Wace a en faire surgir les merveilles :

Puis erra dusque a la fontaine,
Si vit quanques il vaut veoir.
Sans arrester et sans seoir,
Versa seur le perron de plain
De l’yaue le bachin tout plain.
De maintenant venta et plut
Et fist tel temps que faire dut.
Et quant Dix redonna le bel,
Sor le pin vinrent li oysel
Et firent joie merveillouse
Seur la fontaine perillouse.
Yvain ou le chevalier au lion, Chrétien de Troyes

Dans le courant des XIIe et XIIIe siècles, d’autres auteurs ou trouvères mentionneront encore Brocéliande. Pour n’en citer que deux de plus, Robert de Boron lui attachera le personnage de Merlin et elle gagnera même l’Occitanie dans le roman de Jaufré qui en fera aussi un lieu à part entière des légendes arthuriennes. Elle sera, dès lors et pour longtemps, définitivement entrée dans le roman arthurien.

broceliande_foret_bretagne_legendes_roman_arthurien_roi_arthur_moyen-age_centralAu XVe siècle, quelques maisons de seigneurs bretons de son voisinage revendiqueront même leur appartenance directe à la lignée d’Arthur. Le légendaire roi breton sera alors devenu à l’image de Charlemagne, ce héros qui inspire et dont on se réclame du côté de la Bretagne armoricaine et continentale et la forêt de Brocéliance, partie intégrante de cet héritage. Le pouvoir de fascination de cette dernière ne s’arrêtera d’ailleurs pas au moyen-âge, ni aux légendes du roi Arthur, puisqu’elle inspirera de nombreux autres romans contemporains qui la prendront encore pour cadre.


broceliance_livre_photographie_foret_legendes_arthuriennes_bretonnesPour revenir au livre du jour et ses belles photographies dont cet article a pu vous donner une idée – même si l’objet livre est quelque chose que l’on touche, que l’on sent et que l’on manipule, a fortiori quand c’est un livre d’Art – puisque Noel approche et avec lui, le temps des petites attentions et des beaux livres, peut-être céderez-vous à la tentation de suivre  les pas inspirés de ses deux auteurs Philippe Manguin et de Viviane Fedieu à la découverte des lumières de cette belle forêt de légendes et de leur bel ouvrage: Brocéliande, entre rêve et réalité.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.