Sujet : sagesse persane, conte moral, guerre, bienséance, citations médiévales, citations, sagesse. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Mocharrafoddin Saadi (1210-1291) Ouvrage : le Gulistanet le Boustan
Bonjour à tous,
ans la Perse médiévale du XIIIe siècle, le conteur et voyageur Mocharrafoddin Saadi dispense sa sagesse auprès des princes et puissants de son temps. Aujourd’hui, nous partageons quelques autres de ses vers en forme de citation. Les premiers sont tirés de son Gulistan ou parterre de roses dans la traduction qu’en a faite, en 1838, Charles Defrémery, grand homme de lettres et orientaliste du XIXe siècle. Les suivants nous viendront du Boustan ou Verger tel que le traduit, en 1880, Charles Adrien Barbier de Meynard, un autre orientaliste français.
Va-t-en-guerre de salon & hystérie ambiante
La première citation de Saadi est extraite du chapitre VIII du Gulistan « Touchant les bienséances de la société« . Il y est question de la guerre et de conflits entre individus et du rôle néfaste que peuvent parfois jouer ceux qui la commentent de façon à jeter de l’huile sur le feu.
« La guerre entre deux personnes est comme le feu , et le misérable rapporteur fait office de bûcheron. Les deux adversaires se réconcilieront, et lui restera malheureux et confondu. Il n’est pas conforme à la sagesse d’allumer du feu entre deux individus, et de s’y brûler. » Citation médiévale extraite du Gulistan de Mocharrafoddin Saadi
Pour être très clair, il nous est difficile de ne pas résister à la transposition et de ne pas voir, dans ces quelques lignes, une leçon à méditer sur les tristes événements actuels. A l’heure où la guerre de l’information fait rage de tous côtés entraînant, dans son sillage, la désinformation crasse et, pire même, la censure grossière, il serait sage d’être vigilant, d’aiguiser notre sens critique mais aussi de ne pas agir en faveur d’une escalade dont absolument nul ne sait où elle pourra conduire le monde.
Les va-t-en-guerre de salon et les faux braves hystériques de plateaux télés sont comme l’ignorant que nous décrit le même Saadi : «l’ignorant est comme le tambour de guerre, sonore, mais creux et ne proférant que des paroles inutiles». A l’hystérie « covidienne », vient se succéder celle au sujet de l’Urkraine, en s’enfonçant toujours plus dans le discrédit, le ridicule et la caricature. On a changé les visages et les « experts » mais la procédure est la même ; l’heure est, de nouveau, à la propagande et aux procédés inquisitoriaux (au sens moderne et figuré d’arbitraire). On lapide à coups de « pro » ou « d’anti » tout ce qui n’entre pas dans une rhétorique imbécile qui ne souffre aucune nuance. Honte est faite à l’intelligence.
Les voies diplomatiques
Sur ce même thème de la guerre, une autre citation de Saadi nous semble intéressante à méditer. Elle est tirée, cette fois, du chapitre premier de son Boustan (traduction de A. C. Barbier de Meynard, 1880) et touche à la diplomatie. Comme on le verra, elle conseille exactement l’inverse de ce qui a été fait depuis 2014 et de ce qui continue d’être fait :
«Tant que des négociations habiles peuvent assurer le succès d’une affaire, la douceur est préférable à l’emploi de la force; quand on ne peut vaincre par les armes, c’est a la modération à fermer les portes de la guerre. La bienfaisance est le talisman le plus efficace contre les agressions de l’ennemi; au lieu de chausse-trappes sème l’or sous ses pas, tes bienfaits émousseront ses dents acérées.» Le boustan ou verger de Saadi, chapitre 1 : des devoirs des rois, de la justice et du bon gouvernement, règle de politique et de stratégie.
Pour être tout à fait honnête intellectuellement avec ce dernier extrait, précisons de notre conteur persan Saadi qu’il n’est pas non plus un pacifiste jusqu’au-boutiste. Pour lui, il n’est question que de s’adapter à la situation quitte à se montrer plus ferme, à un autre moment et si nécessaire.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : Sur l’image d’en-tête, on peut voir un exemplaire du Gulistan, superbement illuminé, daté de 1822. Il est actuellement conservé au National Museum of Iran, de Téhéran.
Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, culte marial, chant de louanges, nom de la vierge, chanson médiévale Période : XIIIe s, Moyen Âge central Auteur : Alphonse X de Castille (1221-1284) Titre : CSM 70, « En o nome de MARIA, cinque letras, no-mais, i há» Interprète : Universalia in Re Album : Cantigas de Santa Maria, Grandes Visiões (2012)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous invitons à poursuivre notre exploration des musiques et chansons médiévales. Nous voguons, cette fois-ci, en direction des rives de l’Espagne du XIIIe siècle pour vous présenter un chant de louanges, la Cantiga de Santa Maria 70.
A partir du Moyen Âge central, le culte marial prend une forte importance dans le monde chrétien occidental et l’homme médiéval s’adresse, de plus en plus, directement à la vierge Marie ; femme et mère, douce et compréhensive, le croyant espère qu’elle pourra intercéder en sa faveur, auprès de son fils, le Christ, le « Dieu mort en croix », comme on le nomme souvent alors.
Pèlerinages, miracles et dévotion
Si l’on prête de l’écoute, de la compassion et de la miséricorde à Marie, on lui reconnaît aussi d’immenses pouvoirs. Pour chercher le salut, le pardon et pour montrer sa dévotion, on fait même de nombreux pèlerinages vers les nombreuses églises ou cathédrales élevées en son honneur. Au Moyen Âge, les miracles qu’on lui prête sont aussi légion aux quatre coins d’Europe et même jusqu’en terre sainte (voir la cantiga 29 sur l’apparition de la vierge sur une pierre à Gethsémani). Ils courent le long des routes des pèlerinages et animent les chants de dévots. Au XIIIe siècle, le roi Alphonse X de Castille lancera une grande compilation d’une partie importante de ces récits dans ses Cantigas de Santa Maria. Ce vaste corpus de 417 chants et chansons sur le thème de la vierge demeure, encore aujourd’hui, une œuvre majeure témoignant du culte marial de la Castille médiévale et même d’au delà les frontières espagnoles.
A cette période, la dévotion à Marie soulève des montagnes en prenant la forme de pèlerinages, de témoignages de foi, de prières et de chants, mais la simple évocation de la sainte chrétienne peut même, quelquefois, suffire à produire des miracles. Dans le même esprit, les seules lettres de son prénom se drapent de vertus magiques et deviennent source de prodiges (voir cantiga 384, les clés du paradis pour l’écriture du nom de la vierge ). C’est le thème de la Cantiga Santa Maria du jour. Ce chant de louanges gravite en effet autour des cinq lettres de « Maria » et nous propose d’en décrypter le sens. Il y a quelque temps, nous avions déjà étudié, ici, une chanson très semblable du roi trouvère Thibaut IV , roi de Navarre et Comte de Champagne (voir du trez doux nom de la virge Marie). Celle de jour ne vient pas de sa cour mais de celle d’Alphonse le savant.
Universalia in Re et les musiques médiévales
Par les hasards de la programmation, l’interprétation que nous vous présentons, aujourd’hui, nous provient d’une formation musicale russe. Cela nous fournira l’occasion de dire qu’en ces temps de conflit, nous formons le vœu pour que la paix revienne et que des compromis soient rapidement trouvés entre ses deux nations historiquement très proches que sont la Russie et l’Ukraine. Nous espérons que les populations ukrainiennes, à l’est comme à l’ouest, se tiennent en sécurité mais également que toutes les parties tiers impliquées feront le nécessaire pour éviter l’escalade.
Cette parenthèse faite, revenons à l’ensemble de musique du jour. Il a pour nom Universalia in Re et est originaire de la ville de Nijni Novgorod. Dès sa création en 2001, ses fondateurs se sont concentrés sur la musique médiévale européenne des XIIIe et XIVe siècles. Par la suite, la formation a eu l’occasion de participer à de nombreux concerts et festivals de musique ancienne en Russie, en Ukraine, mais aussi en Pologne, en Estonie et en Suisse.
Cantigas de Santa Maria: Grandes Visiões
Sortie en 2012, l’album Grandes Visiões propose, sur une durée proche de 50 minutes, 8 cantigas de Santa Maria prises dans le répertoire d’Alphonse X. Le chant de louanges de la cantiga 70 que nous vous présentons aujourd’hui, ouvre l’album. On peut trouver ce dernier en ligne sous forme digitalisée, voici un lien utile pour l’obtenir : Cantigas de Santa Maria: Grandes Visiões. C’est le second album que Universalia in Re a consacré au Cantigas d’Alphonse X. le premier datait de 2005. A date et sauf erreur, cette production est aussi la dernière de l’ensemble médiéval.
La cantiga de Santa Maria 70 Paroles et traduction en français actuel
Esta é de loor de Santa María, das cinque lêteras que há no séu nome e o que quéren dizer.
En o nome de MARIA, cinque letras, no-mais, i há.
« EME » mostra Madr’ e Mayor, e mais Mansa, e mui Mellor de quant’ al fez Nostro Sennor nen que fazer poderia. En o nome de MARIA…
« A » demostra Avogada, Aposta e Aorada e Amiga, e Amada da mui Santa compannia. En o nome de MARIA…
« ERRE » mostra Ram’ e Rayz , e Reyn’ e emperadriz, Rosa do mundo e fiiz quena visse ben seria. En o nome de MARIA…
« I » nos mostra Jhesu Cristo, Justo, Juiz, e por isto foi por ela de nos visto, segun disso Ysaya. En o nome de MARIA…
« A » ar diz que Averemos, e que tod’ Acabaremos aquelo que nos queremos de Deus, pois ela nos guia. En o nome de MARIA…
Celle-ci (cette chanson) est un chant de louange à Sainte Marie, à propos des cinq lettres qu’il y a dans son nom et ce qu’elles signifient.
Dans le nom de Marie il y a cinq lettres, pas plus.
« M » nous montre la Mèreplus grande La plus dotée de Mansuétude, la Meilleure De tout ce que créa notre Seigneur Et de ce qu’il pourrait créer. Dans le nom de Marie…
« A » la montre Avocate, Apprêtée et Adorée, Amie et Aimée De très-sainte compagnie. Refrain
« R » la montre Rameaux (branches) et Racines Et Reine et impératrice, Rose du monde qui comblerait Celui qui la verrait. Refrain
« I » nous montre Jésus Christ Juste, Juge et c’est grâce à elle Qu’il nous fut révélé, Selon ce que dit Ésaïe. Refrain
« A » nous dit que nous Arriverons ÀAvoir et obtenir tout Ce que nous désirons De Dieu, puisqu’elle nous guide. Dans le nom de Marie Il y a cinq lettres, pas plus.
En vous souhaitant une belle journée. Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : sur l’image d’en-tête, l’illustration et l’enluminure sont issues du Codice rico de la Bibliothèque royale du Monastère de l’Escurial, à Madrid. Ce manuscrit médiéval, également référencé Ms. T-I-1, peut désormais être consulté en ligne sur le site de la grande institution espagnole.
Sujet : légendes arthuriennes, cinéma, Excalibur, citations médiévales, citations autour du Moyen Âge, roi Arthur, matière bretonne. Période : Moyen Âge central, haut Moyen Âge Film : Excalibur (1981) Réalisateur : John Boorman
« Je ne suis pas né pour vivre une vie d’homme, mais pour être la matière de la mémoire future. » Citation du Roi Arthur (Nigel Terry) , Excalibur de John Boorman (1981)
Version originale anglaise
« I was not born to live a man’s life, but to be the stuff of future memory. »
Bonjour à tous,
‘est en 1981 que les cinéphiles découvrent une très épique et spectaculaire version des légendes arthuriennes, signée du réalisateur et scénariste John Boorman. Servi par une pléiade d’acteurs, dont la plupart sont inconnus du grand public, le film retrace, sur plus de deux heures, la grande épopée arthurienne.
Pour son scénario, le directeur anglais s’est inspiré de l’ouvrage médiéval Le morte d’Arthur de Thomas Mallory (1485). Au vue de la densité des contenus, mais aussi de contraintes posées par la Warner sur la première mouture du scénario, Boorman sera conduit à faire des choix et opérer des raccourcis sur l’histoire originale. Rospo Pallenberg, lui aussi réalisateur et scénariste anglais et qui avait été son complice sur d’autres films, l’aidera dans cette tâche. Le budget, entre 11 et 12 millions de dollars, est plutôt limité pour une production de cette ambition. Mais l’énergie, le talent et la passion des intéressés compensera largement cela. L’ensemble du tournage sera fait en Irlande et s’étalera sur un peu moins de 5 mois.
A la sortie du film, L’accueil par les critiques est assez inégal et mitigé. Le film raflera tout de même quelques prix ; nominé dans plusieurs catégories au festival de Cannes de cette même année, il se verra discerner le « Prix de la contribution artistique ». L’autre prix viendra du Saturn Awards, l’année suivante et portera sur les costumes. Du côté box office, le public sera, quant à lui, au rendez-vous et les producteurs quadrupleront leur mise, sans compter les VHS et autres supports qui débarqueront plus tard dans le temps. Du point de vue des critiques, le film se bonifiera avec le temps et trouvera une sorte de second souffle et de reconnaissance à effet retard.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
NB : sur l’image en-tête d’article, le roi Arthur (incarné par Nigel Terry à l’écran) est tiré du film Excalibur de Boorman. Quant à l’enluminure et la table ronde, au second plan, elle est tirée du Lancelot du Lac de Antoine Vérard, (enluminure Jacques de Besançon), manuscrit de la fin du XVe siècle, conservé à la BnF. A retrouver sur cette page de la Bibliothèque Nationale dédiée aux légendes arthuriennes.
Sujet : chanson médiévale, poésie, amour courtois, roi trouvère, roi poète, lyrisme courtois, trouvères, vieux-français, Oïl Période : Moyen Âge central Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre Titre : « Amors me fet conmencier» Interprètes : Ensemble Athanor Album : Chansons de Thibaut de Champagne Roi-Trouvère (1201-1253) (1983).
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous invitons à nous suivre sur les rives du XIIIe siècle. Nous y poursuivrons l’exploration du répertoire musical du comte de Champagne, roi de Navarre et célèbre trouvère, Thibaut IV, rebaptisé également Thibaut le chansonnier.
Une chanson courtoise et légère
Amors me fet conmencier : le titre de cette composition annonce d’emblée la couleur. C’est le sentiment amoureux qui inspire notre trouvère et le pousse à écrire. Sur l’œuvre assez conséquente qu’il nous a léguée, on se souvient que plus de la moitié reste dédiée à la lyrique courtoise et à la fin’amor. Cette chanson en fait donc partie.
À l’habitude, l’engagement du prétendant à servir l’élue de son cœur est présenté comme total et qu’importe si cette dernière ne s’est pas encore prononcée en sa faveur. Dusse-t-il aller jusqu’à la mort, sans se dédire ni se désengager, l’amant courtois aura, au moins, la satisfaction d’avoir accompli sa quête et d’avoir servi dignement « Amors » et ses règles exigeantes. « Les observateurs pourront même en témoigner » : la réputation du roi trouvère comme loyal amant sera notoire et on est, ici, dans la recherche d’une légitimation sociale de la conduite courtoise, loin des « médisants » auxquels cette lyrique (souvent transgressive) nous a fréquemment habitué. La dame, elle, ses désirs et son bon vouloir, restent attendus et espérés. Elle est la maîtresse des horloges, comme le dit une expression à la mode, mais aussi de la décision.
Si tous les codes de l’amour courtois sont bien présents dans cette pièce du roi trouvère, on notera que le ton reste plutôt léger et optimiste. À tout le moins, il se montre moins « dolent » ou affecté que l’amant qu’on retrouve, parfois, dans certaines chansons courtoises de ce même Moyen Âge central ; on pense à des auteurs plus fébriles et transis qui y présentent leur vie sur le fil, toute entière suspendue au désir de la belle, pour des chansons faisant un peu l’effet (passez-nous l’expression) d’être écrites du haut d’un pont. Entre ivresse de l’amour, impatience mortifère et morsures du désir inassouvi (dont l’amant courtois aime à se délecter), Thibaut semble, pour cette fois, avoir choisi son camp. On le retrouvera, ici, plus du côté de la joie que du « pathos » (modernisme hors contexte historique mais assumé). Pour verser un peu dans le marxisme — pas celui de Karl, mais celui de Groucho en médecin prenant le pouls d’un homme en se servant de la petite aiguille de sa montre (film A day at the race, 1937) « Soit cet homme est mort soit ma montre est arrêtée » — : soit la belle est à demi-acquise, soit notre noble chevalier est optimiste, soit il se situe totalement dans la distance de l’exercice littéraire.
Sources manuscrites médiévales
On retrouve cette chanson courtoise de Thibaut IV de Champagne dans un certain nombre de manuscrits d’époque. Pour vous la présenter avec sa notation musicale, nous avons opté ici pour le MS Français 24406. Cet ouvrage du XIIIe siècle, actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF, contient sur 155 feuillets, 301 pièces de trouvères et d’auteurs du Moyen Âge central : Adam de la Halle, Blondel de Nesle, Gace Brûlé, Guiot de Dijon et bien d’autres plumes des XIIe et XIIIe siècles s’y trouvent présentées. Si vous en souhaitez le détail, le manuscrit est consultable sur Gallica. Vous pourrez également trouver l’ensemble de ces auteurs, jeux partis, textes et chansons référencés dans la Bibliographie des Chansonniers Français des IIIe et XIVe siècles signé de Gaston Reynaud (1884).
Pour la transcription en graphie moderne, nous nous appuyons sur l’ouvrage Les chansons de Thibaut de Champagne, roi de Navarre. Édition critique publiée par A. Wallensköld (1825, aux éditions Champion).
L’ensemble Athanor et Laurent Aubert
On retrouve Laurent Aubert à la création de cet ensemble suisse formé vers la fin des années 70. Voyageur, chercheur, ce musicien et anthropologue, c’est, jusqu’à nos jours, un artiste bien connu de la scène de l’Ethnomusicologie et des Musiques du Monde. Il est également à l’initiative de la revue des Cahiers d’ethnomusicologie et auteur de nombreux ouvrages de référence dans ce domaine. Il a également été en charge du Musée Ethnographie de Genève (MEG) pendant près d’une décennie.
En réalité, si Athanor s’est dédié principalement aux musiques médiévales, elles ne représentent qu’un aspect de la longue carrière de Laurent Aubert. Ce dernier s’est consacré intensément à leur pratique à la sortie de ses études, avec sa formation mais aussi en collaborant avec d’autres grands noms de la scène médiévale : Thomas Binkley, Jordi Savall et Montserrat Figueras, Paul van Nevel, l’ensemble Huelgas,,.. Pourtant, cette longue parenthèse de 10 ans n’a été que le prélude à bien d’autres aventures et l’appel du large l’a bientôt entraîné sur d’autres terrains (Népal, Afghanistan). Il s’y est passionné des musiques traditionnelles du monde, au sens large et c’est autour de ces dernières, de leur défense et de leur diffusion, qu’il a forgé la majeure partie de sa carrière.
L’album « Chansons de Thibaut de Champagne »
En 1983, l’ensemble Athanor proposait au public L’album Chansons de Thibaut de Champagne Roi-Trouvère (1201-1253). Bien centrée sur son sujet, cette production propose neufs chansons empruntées au répertoire médiéval du roi de Navarre. On y trouvera une sélection assez variée du point de vue thématique : amour et lyrique courtoise, tenson, chant de croisade, mais aussi des compositions plus pieuses.
L’album est sorti originellement en vinyle mais il semble aujourd’hui difficile à trouver dans ce format. Si des versions CD ont pu exister, elles se sont, elles-aussi, raréfiées. Par les vertus du numérique, on peut toutefois trouver l’ensemble de l’album et de ses pièces à la vente, au format dématérialisé MP3. Voir le lien suivant pour plus d’informations : Les Chansons de Thibaut de Champagne roi-trouvère par Athanor.
Amors me fet conmencier en langue d’oïl et français actuel
Amors me fet conmencier Une chançon nouvele, Qu’ele me veut enseignier A amer la plus bele Qui soit el mont vivant: C’est la bele au cors gent, C’est cele dont je chant. Deus m’en doint tel nouvele Qui soit a mon talent! Que menu et souvent Mes cuers por li sautele.
Amour me fait commencer Une chanson nouvelle, Car il veut m’instruire Comment aimer la plus belle Qui soit vivante en ce monde. C’est la belle au corps gracieux, C’est celle que je chante. Dieu m’en donne des nouvelles Qui soit selon mon désir ! Car, souvent et fréquemment, Mon cœur bondit pour elle.
Bien me porroit avancier Ma douce dame bele, S’ele me voloit aidier A ceste chançonele. Je n’aim nule riens tant Conme li seulement Et son afetement, Qui mon cuer renouvele. Amors me lace et prent Et fet lié et joiant, Por ce qu’a soi m’apele.
Bien me pourrait devancer Ma douce belle dame, Si elle voulait m’aider Avec cette chansonnette. Je n’aime nulle chose autant Qu’elle, et elle seule, Et ses belles manières* Qui ravivent mon cœur, . Amour m’enlace et me prend Et me remplit de joie et de gaieté, En m’appelant à lui.
Quant fine amor me semont, Mult me plest et agree, Que c’est la riens en cest mont Que j’ai plus desirree. Or la m’estuet servir Ne m’en puis plus tenir – Et du tout obeïr Plus qu’a riens qui soit nee. S’ele me fet languir Et vois jusqu’au morir, M’ame en sera sauvee.
Quand Fine Amour m’invite, Grande joie et satisfaction m’en viennent, Car c’est la chose en ce monde Que j’ai le plus désirée. Et, désormais, il me faut la servir, Je ne m’en puis plus retenir – Et je dois lui obéir en tout, Plus qu’à toute autre créature enfantée. Si elle m’affaiblit (me fait languir), Et que j’aille à en mourir, Mon âme en sera sauvée.
Se la mieudre de cest mont Ne m’a s’amor donee, Tuit li amoreus diront Ci a fort destinee. S’a ce puis ja venir Qu’aie, sanz repentir, Ma joie et mon plesir De li, qu’ai tant amee, Lors diront, sanz mentir, Qu’avrai tout mon desir Et ma queste achevee.
Si la meilleure en ce monde Ne m’a son amour donné, Tous les amoureux diront Que c’est, là, fâcheuse destinée. Et si je ne puis jamais parvenir A obtenir, sans me dédire Ma joie et mon plaisir Par celle que j’ai tant aimée, Lors ils diront, sans mentir, Que je serais venu à bout de tout mon désir et de toute ma quête.
Cele pour qui souspir, La blonde coloree (1), Puet bien dire et gehir Que por li, sanz mentir, S’est Amors mult hastee.
Celle pour qui je soupire, La blonde couronnée Peut bien dire et avouer Que pour elle, sans mentir, L’Amour s’est beaucoup hâté.
* Afetement, afaitement, affaitement : peut désigner un certain nombre de choses qui vont de l’éducation, la largesse, les bonnes manières, la convenance, la courtoisie. En chevalerie, il peut encore désigner la notion d’accomplissement. On le retrouve également en fauconnerie où il désigne la manière de dresser un rapace à la chasse.
(1) Variante dans un manuscrit : la blonde coronée
En vous souhaitant une belle journée. Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : en arrière plan de l’image d’en-tête, on peut voir les enluminures et miniatures du feuillet 1 du MS Français 24406.