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D’un dragon et d’un vilain : une fable médiévale de Marie de France sur la cupidité

dragon-moyen-age-fable-ysopets-marie-de-franceSujet  : poésie médiévale, fable médiévale, langue d’oïl, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poète médiéval,   vilain, dragon, convoitise,   cupidité
Période  : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre :  Dou Dragon è d’un Villain    
Auteur    :   Marie de France    (1160-1210)
Ouvrage    :    Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820, 

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, aujourd’hui,  pour le XIIe siècle avec une fable de Marie de France. Il y sera question de vilenie, de trahison, mais aussi d’un œuf de dragon renfermant bien des trésors dont la confiance d’un animal mythique et l’utilisation qu’il en fera pour mettre à l’épreuve un faux ami.

Un autre vilain littéraire « archétypal »

On  reconnaîtra, dans cette poésie sur le thème de la défiance et de la cupidité,  ce « vilain archétypal » de la littérature médiévale  du XIIe siècle. Nous voulons parler de celui qui porte,  si souvent, tous les  travers   : rustre,   « convoiteux »,   avare, indigne de confiance,  malicieux ou, selon, un peu crétin sur les bords (cf de Brunain la vache au prêtre de jean Bodel).

deco-dragon-medievale-bestiaireDans ces premiers usages, dans la littérature médiévale, le terme de vilain finira par désigner souvent autant le travailleur de la terre que  celui sur lequel la société des valeurs et de la bienséance n’a aucune prise :  une profession  de tous les défauts et tous les préjugés, qu’elle cristallise sans doute d’autant plus que le monde médiéval tend à s’urbaniser (opposition « campagne/monde civilisé »  ou encore « nature/culture »  ?).

Avec le temps et au cours des XIIIe et XIVe siècles, cette image viendra se nuancer largement pour donner lieu à des archétypes plus variés du vilain : sagesse populaire, bon sens,  espièglerie même (voir le vilain qui conquis le paradis en plaidant). Le terme sera aussi dissocié, par certains auteurs médiévaux, du statut social et de la fonction paysanne pour devenir un trait qui ne réside que dans les actes : « Nus n’est vilains, se de cuer non. Vilains est qui fet vilonie. » (des chevaliers, des clercs et des vilains  le vilain dans les fabliaux et la littérature du moyen-âge).

Quant au dragon,  s’il a représenté  plutôt, dans les premiers temps du moyen-âge central, une créature maléfique, ici et sous la plume de Marie de France, il incarne la raison. Il se fait même le représentant des hommes (éduqués, fortunés, nobles ?) pour les aider à tirer une leçon de sagesse :  à défaut d’avoir le choix,  méfions-nous toujours de ceux à  qui nous confions nos avoirs.

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Dou Dragon è d’un Villain

Or vus cunterai d’un Dragun
K’un Vilains prist à compaignun ;
E cil suvent li prometeit
Qe loiaument le servireit.
Li Dragons volut espruvier 
Si se purreit en lui fier,
Un Oef li cummande à garder ;
Si li dit qu’il voleit errer.

De l’Uef garder mult li pria
E li Vilains li demanda
Pur coi li cummandeit enssi :
E li Draguns li respundi
Que dedenz l’Uef ot enbatu
Tute sa force et sa vertu,
Tut sereit mort s’il fust brisiez.

Qant li Draguns fu eslungiez
Si s’est li Vileins purpenssez
Que li Hués n’iert plus gardez ;
Par l’Oues ocirra le Dragun
S’ara sun or tut-à-bandun.
E qant li Oës fu despéciez
Si est li Dragons repairiez ;
L’eschaille vit gésir par terre,
Si li cummencha à enquerre
Purquoi ot l’Oef si mesgardé.
Lors sot-il bien la vérité
Bien aparçut la tricherie ;
Départie est lur cumpaignie.

MORALITÉ

Pur ce nus dit icest sarmun,
Q’à trichéour ne à félun
Ne deit-l’en cummander sun or,
N’abandunner sun chier thrésor ;
En cunvoitex ne en aver
Ne se deit nus Hums affier.

Traduction   adaptation en français moderne

Or (à prèsent) vous conterai d’un dragon
Qui vilain prit pour compagnon
Et qui, souvent, lui promettait
Que toujours il le servirait.
Le Dragon voulut éprouver
S’il pourrait   vraiment s’y fier.
Et d’un œuf lui confia le soin 
Pendant qu’il  partirait au loin.

De garder l’œuf,   tant le pria
Que le
  vilain lui demanda,
Pourquoi   il insistait autant.
Lors,  le dragon lui répondit
Que  dedans l’œuf il avait mis
Toute sa force et sa vertu
Et qu’il mourrait s’il fut brisé.

Quand le dragon fut éloigné
Le  vilain se mit à penser
Que l’œuf   il n’allait plus garder
Mais qu’avec  il tuerait le Dragon
Pour lui ravir  ses possessions.
Une fois l’œuf   dépecé
Voilà  dragon qui reparaît.
Voyant    les coquilles à terre

Il  interroge   le compère
Sur les raisons  de sa mégarde.
A découvrir, le vrai ne tarde

Et mesurant la tricherie
Il   met fin à leur compagnie.

MORALITÉ

La    morale de notre histoire
Est qu’à tricheur  ni à félon,
On ne doit laisser son or,
Ni    ne  confier    son cher trésor,
Avares comme convoiteux
Tout homme doit se défier d’eux.


En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Jacques le Goff : l’occident chrétien médiéval entre magie noire et magie blanche

moyen-age-chrétien-citations-jacques-le-goff-satan-dieu-mentalités-medievalesSujet  : citations, Moyen Âge chrétien, diable, Satan, mentalités médiévales, historien, magie noire, magie blanche,  occident médiéval.
Période :  Moyen Âge central, XIe siècle  & suivants.
Auteur : Jacques le Goff
Livre  :  La civilisation de l’Occident Médiéval    (1964)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous retrouvons, ici, une nouvelle citation de l’historien   Jacques le Goff.   Tirée de son ouvrage La civilisation de l’Occident Médiéval , elle aborde le  thème omniprésent au Moyen Âge du bien et du mal, personnifié  par  la lutte  entre Dieu et Satan.

L’homme médiéval  entre  Dieu  et Satan

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histoire_monde_medieval_jacques_le_goff_citations_moyen-âge« Les hommes du Moyen Age sont donc constamment partagés entre Dieu et Satan. Celui-ci n’est pas moins réel que celui-là, il est même moins avare d’incarnations et d’apparitions. Certes, l’iconographie peut le figurer sous une forme symbolique : il est le serpent du péché originel, il se montre entre Adam et Ève, il est le Péché, péché de la chair ou de l’esprit séparés ou unis, symbole de l’appétit intellectuel ou de l’appétit sexuel. Mais surtout il apparaît sous divers aspects plus ou moins anthropomorphiques. A chaque instant il risque pour chaque homme du Moyen Age de se manifester. Il est le contenu de cette terrible angoisse qui les étreint presque à chaque instant : le voir apparaître ! Chacun se sait constamment guetté par  » l’antique ennemi du genre humain ».

(…) Ce dont ne doutent pas les hommes du Moyen Age, c’est que non seulement le Diable peut, comme Dieu, avec sa   permission sans doute, mais cela ne change rien à l’effet produit sur l’homme, accomplir des miracles ; cette faculté   est aussi associée à des mortels, en bien ou en mal. C’est toute la dualité équivoque de la magie noire et de la magie   blanche dont les produits sont en général indécelables par le vulgaire. C’est le couple antithétique de Simon le Magicien et de Salomon le Sage. D’un côté la gent maléfique des sorciers, de l’autre la troupe bénie des saints. »

Jacques le Goff  – La civilisation de l’Occident Médiéval  (1964)


Sorcellerie  &  danse du bien et  du mal
sur toile de fond médiévale

Pour ceux que ces thèmes  intéressent, vous pourrez  les retrouver  au cœur  de   notre roman   Frères devant Dieu ou la tentation de l’Alchimiste.

roman-historique-magie-noire-sorcellerie-moyen-age-aventure-frederic-effeAu Moyen Âge, le chemin des hommes  est étroit  entre  foi et raison, lumière et obscurité,  et les frontières y sont ténues entre science et surnaturel.  Magie noire, sorcellerie,  superstitions  ou tours du malin, quand la vanité s’en mêle, la menace de la chute  n’est jamais loin. Se pourrait-il que ces questions existentielles résonnent encore jusqu’à nous, en projetant un éclairage nouveau sur nos propres choix  ?

Sur fond de Moyen Âge réaliste et historique, Frères devant Dieu ou la tentation de l’alchimiste propose une exploration des mentalités médiévales, au cœur de cette opposition entre Dieu et  Satan, Bien et Mal. Son histoire conte les aventures de deux frères, un savant, l’autre troubadour, ayant vécu à la cour d’un seigneur de Provence à la fin du XIIIe siècle.

Disponibilité

Ce roman est disponible au format papier dans toutes les librairies françaises du réseau Hachette-Dilicom   mais également, à la commande, sur certains sites. Vous pouvez également le trouver au format ebook dans toutes les  grandes e-librairies en ligne.

icone_livre Format papier en ligne   :      Amazon  –  Thebookedition

icone_epubFormat  Ebook    à  3,99 €uros   :    Amazon  –  Librinova  –   Cultura    –  Decitre  –   Kobo –   Bayard –  Paris Librairies –    Forum du Livre

Retours de lecteurs

Pour  des retours de lecteurs  et des détails supplémentaires sur ce roman, vous pouvez également télécharger ce fichier pdf.

En vous souhaitant une bonne journée.

Frédéric EFFE
Moyenagepassion.com
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« En ceste note dirai » une chanson médiévale courtoise du très plaisant Colin Muset

poesie_litterature_medievale_realiste_satirique_moral_moyen-ageSujet  : musique, chanson médiévale, humour,  trouvère, ménestrel, jongleur, auteur médiéval, vieux-français, amour courtois, langue d’oïl, bonne chère.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur : Colin Muset (1210-?)
Titre    « En ceste note dirai »
Ouvrage :   Les chansons de Colin Muset
(2e édition)  éditées par Joseph Bédier (1938)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons, aujourd’hui, une nouvelle incursion  au  Moyen Âge central , en compagnie du trouvère Colin Muset.   Entre courtoisie et légèreté,  entre lyrisme et goûts pour les plaisirs de la table,   ce très sympathique auteur médiéval nous a laissé une œuvre courte, d’une vingtaine de pièces,  mais toujours rafraîchissante.

Une chanson courtoise
teintée de joie et de légèreté  

deco_enluminures_rossignol_poesie_medievaleLa chanson du jour  se situe  en plein dans la lyrique courtoise.   Colin Muset y campe le parfait  amant  à la merci du désir et de l’acceptation de  la belle que son cœur a élue.  Conventions obligent, pour peu on y mourrai d’amour.  Pourtant, le ton ici reste léger,  et, au sortir, cette pièce respire  bien plus la  joie,  le divertissement et l’envie  de  célébrer l’amour.

A la différence  de   nombre de ses contemporains, si un baiser de la belle damoiselle fera, à coup sûr, s’envoler le cœur de notre poète, il  sera aussi pour  les deux  amants,  la promesse d’une vie remplie de bonne chère et de  plaisirs Bacchusiens : oies grillées bien grasses et vin à profusion,  chez Colin Muset, les  joies   des banquets et leurs libations ne  sont jamais très éloignées des plaisirs de l’amour. C’est d’ailleurs bien  un   des traits qui fait tout son charme ; à  huit siècles  de  sa maîtrise de la lyrique courtoise et de ses codes,   ses clins d’œil  aux plaisirs de l’estomac comme ici, ou ailleurs à la pingrerie de ses hôtes  (voir sire cuens j’ai viélé) ou même au flirt de leurs dames, sont encore là pour nous faire sourire.

Sources  historiques et manuscrits anciens

Pour la transcription de la pièce du jour en graphie moderne, nous avons choisi  Les chansons de Colin Muset   de  Joseph Bédier. Cet ouvrage,   daté de 1938, fait toujours référence quant à l’œuvre du trouvère. On le trouve encore édité de nos jours : Les Chansons. Edite par Joseph Bedier. Deuxieme Edition Corrigee et Completee. (1938).

Pour le reste, cette chanson est présente dans  trois manuscrits médiévaux d’époque. Depuis Bédier, les nomenclatures ont totalement changé. Il faut donc faire un peu de recherches pour les retrouver. Tout trois sont consultable en ligne sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France. En voici le détail.

colin-muset-musique-chanson-medievale-trouvere-vieux-francais-moyen-age-francais-845-bnf-s  Le Français 845

On citera,  pour commencer le  MS   Français 845 (ancienne cote Regius 7222.2), désigné par Manuscrit N par Bédier. Daté de la fin du  XIIIe  siècle,  ce superbe ouvrage  contient divers chansons, jeux-partis et pastourelles de trouvères avec leur notation musicale.   La chanson de notre trouvère  y est annotée sur son premier couplet, et on peut supposer qu’elle se répète pour le reste de  la pièce.  (voir photo ci-dessus – consulter le manuscrit original sur Gallica)

colin-muset-musique-chanson-medievale-trouvere-vieux-francais-moyen-age-ms-5198-bnf-s

Le MS 5198

On ajoutera à   cela le Manuscrit médiéval désigné  sous le nom de K par Bédier et ses contemporains. On  le retrouve à la BnF sous la cote  Ms  Arsenal   5198 (photo ci-dessus). Ce véritable trésor des débuts du XIVe siècle (1300-1325), également connu sous le nom de Chansonnier de Navarre,  contient pas moins de 420 pages.   Elles sont emplies de pièces et chansons annotées musicalement, de trouvères du   XIIIe, dont, entre autre, l’oeuvre de Thibaut de Champagne.   Vous pourrez  consulter ce manuscrit ancien sur Gallica au lien suivant.

Le   Français 20050

Pour terminer ce tour des sources d’époque, on peut encore trouver cette pièce dans le  manuscrit désigné X (par J Bédier) ou même encore U par d’autres auteurs. Il fait référence au chansonnier occitan X.  A la fin du XIIIe siècle, cet ouvrage à été recopié, avec le  Chansonnier français U, dans le manuscrit référencé Français 20050  à la BnF. Nous vous avons déjà parlé,  à plusieurs reprises, de cet ouvrage médiéval célèbre, également connu sous le nom de  Chansonnier de Saint-Germain-des-Prés (consultation en ligne sur Gallica).


  » En ceste note dirai »  du vieux français
de  Colin Muset au français moderne

Traduction en français moderne

deco_enluminures_rossignol_poesie_medievaleA l’habitude, nous avons nous sommes chargé d’approcher la traduction du vieux français d’oïl de Colin Muset au français moderne. En dehors des dictionnaires et des différents supports sur lesquels nous nous sommes appuyés, nous voulons citer ici une source d’intérêt, trouvée en chemin. Il s’agit d’un site web dédié à la littérature européenne et proposé par l’Université de Rome.  Si vous parlez italien, vous y découvrirez  une véritable mine d’or avec de nombreux auteurs médiévaux approchés et traduits par des chercheurs et universitaires italiens venus d’horizons divers. Voici notamment une traduction (italienne) de la chanson du jour : Colin Muset, letteratura europea,  Università di Roma.

I.

En ceste note dirai
D’une amorete que j’ai,
Et pour li m’envoiserai
Et bauz et joianz serai:
L’en doit bien pour li chanter
Et renvoisier et jouer
Et son cors tenir plus gai
Et de robes acesmer
Et chapiau de flors porter
Ausi comme el mois de mai.

Dans cette chanson je parlerai
D’une amourette (amante) que j’ai,
Et pour elle je me divertirai   (réjouir, divertir)
Et je serai audacieux et joyeux :
On doit bien chanter pour elle
Et se réjouir et se divertir,
Et tenir son corps en joie
Et s’orner de beaux habits
Et porter un chapeau de fleurs (coiffe, couronne)
Comme durant le moi de mai.

II.

Trés l’eure que l’esgardai,
Onques puis ne l’entroubliai;
Adès i pens et penserai:
Quant la vois, ne puis durer,
Ne dormir, ne reposer.
Biau trés douz Deus, que ferai?
La paine que pour li trai,
Ne sai conment li dirai:
De ce sui en grant esmai
Oncore a dire li ai;
Quant merci n’i puis trouver
Et je muir por bien amer,
Amoreusement morrai.

Dès lors que je la vis
Jamais plus je ne l’oubliais ;
Je pense toujours à elle et toujours y penserai:
Quand je la vois, je ne peux résister,
Ni dormir, ni prendre de repos.
Bon et très doux Dieu, que vais-je faire?
La douleur que j’endure pour elle,
Je ne sais comment je lui dirai :
Cela me cause un grand émoi ( inquiet),
Car il me faut encore lui dire ;
Tant que je ne peux trouver grâce
Et que je meurs pour bien aimer
Je mourrai avec amour.

III.

Je ne cuit pas ensi morir,
S’ele mi voloit retenir
En bien amer, en biau servir;
Et du tout sui a son plesir
Ne je ne m’en qier departir,
Mès toz jorz serai ses amis.

Je ne pense pas qu’ainsi je mourrais
Si elle voulait me garder auprès    d’elle
Pour bien l’aimer et bien la servir (avec application):
Et en toute chose, je me tiens à son entière disposition
Ni ne veux m’en séparer
Mais toujours demeurer son ami.

IV.

Hé! bele et blonde et avenant,
Cortoise et sage et bien parlant,
A vous me doig, a vous me rent
Et tout sui vostres sanz faillir.
Hé! bele, un besier vous demant,
Et, se je l’ai, je vous creant
Nul mal ne m’en porroit venir.

Eh! Belle et blonde et agréable (notion de valeur, de mérite ?),
Courtoise et sage, au beau parler
A vous je me donne, à vous, je me livre
Et je suis vôtre tout entier, sans faillir.
Eh! Belle, je ne vous demande qu’un  baiser
Et si je l’obtiens,  je vous garantis (créant : de creire, croire)
Qu’aucun mal ne m’en pourrait advenir.

V.

Ma bele douce amie,
La rose est espanie;
Desouz l’ente florie
La vostre conpaignie
Mi fet mult grant aïe.
Vos serez bien servie
De crasse oe rostie
Et bevrons vin sus lie,
Si merrons bone vie.

Ma belle douce amie,
La rose s’est épanouie;
Sous la branche fleurie
Votre compagnie
Me procure un grand réconfort (aïe : aide, secours).
Vous serez bien servi
D’oie grillée bien grasse
Et nous boirons le vin sur la lie,
Et ainsi, mènerons  une bonne vie.

VI.

Bele trés douce amie,
Colin Muset vos prie
Por Deu n’obliez mie
Solaz ne compagnie,
Amors ne druerie:
Si ferez cortoisie!

Ceste note est fenie.

Belle et très douce amie,
Colin Muset vous supplie
Par Dieu n’oubliez jamais
l’amusement, ni la compagnie,
L’amour, ni les plaisirs amoureux (affection, tendresse, galanterie, gages)
Ainsi vous serez courtoise! (vous pratiquerez la courtoisie)

Cette chanson est terminée.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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« L’amour dont sui espris », Blondel de Nesle pris au jeu de la courtoisie

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet :   musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, langue d’oil, fine amor.
Période :   XIIe siècle,  XIIIe s, Moyen Âge central
Titre: 
L’amour dont sui espris
Auteur :    
Blondel de Nesle (1155 – 1202)
Interprète : 
Martin Best Mediaeval Ensemble
Album : Songs of Chivalry (1983)

Oyez, oyez, bonnes gens,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de nous suivre jusqu’aux abords du  XIIe siècle, au temps du  Moyen Âge des trouvères et avec  l’un des plus célèbres d’entre eux : Blondel de Nesle,  noble chevalier croisé, devenu héros de légende et grand compagnon, dit-on aussi, de Richard Cœur de Lion.

Une pièce courtoise dans les règles de l’art

Comme tant d’autres auteurs de son temps, Blondel de Nesle a fait de la courtoisie un de ses cheval de bataille poétique.  Avec  la chanson du jour, il n’y déroge pas et nous livre  la    « complainte » d’un fine amant, dans les règles de l’art. Suspendu à la décision de la belle que son cœur  a élu,  il ne peut qu’espérer : la loyauté dont il  a fait preuve, jusque là, sera-t-elle récompensée ? La question restera en suspens à la fin de cette pièce mais, entre-temps, le trouvère nous aura brossé le portrait conventionnel de l’amant idéal, servant, anxieux, souffrant, à la merci d’un   acquiescement ou d’un rejet de sa dame.

Sources  et manuscrits

blondel-de-nesle-chanson-medievale-amour-courtois-amour-sui-espris-manuscrit-chansonnier-cange-francais-846-moyen-age-sOn peut retrouver cette chanson du chevalier trouvère dans un certain nombre de manuscrits médiévaux. Dans ces diverses sources, elle lui est, quelquefois,  attribuée sous le nom de  Blondel de Nesle, de Blondeaus ou encore de  Blondiaus.

Sur la photo ci-contre, nous avons choisi de vous présenter la version du Chansonnier Cangé. Conservé au département des manuscrits de la BnF sous la  référence  Français  846. ce manuscrit du XIIIe siècle, riche de 351 pièces d’époque, a l’avantage de nous fournir une notation musicale de cette composition (pour le consulter en ligne c’est ici). Il n’est d’ailleurs pas le seul dans ce cas. Cette pièce a, en effet, fait l’objet de plusieurs contrefactum, dont l’un d’eux, attribué à Gautier de Coinci, peut être retrouvé dans le Manuscrit de l’Arsenal   3517.

Transcription, interprétation, traduction

Pour la retranscription de cette chanson médiévale en calligraphie moderne, nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage de Prosper Tarbé daté de  1862 :  Les Œuvres de Blondel de Néele (collection des poètes de Champagne antérieurs au XVIe siècle).  Enfin, pour mieux  la  découvrir, nous vous proposons l’interprétation qu’en fit l’ensemble  Martin Best dans le courant des années 80 et nous terminerons, en vous gratifiant d’une traduction maison de l’oïl de Blondel au français moderne.

L’amour dont sui espris  ,   Blondel de Nesle par Martin Best

Martin Best et son album Songs of Chivalry.

Nous avons déjà eu l’occasion de vous présenter la formation   Martin Best, ainsi que son excellent album « chansons de chevalerie ».  Nous n’allons donc pas y revenir dans le détail et  vous pouvez vous reporter à l’article suivant pour en savoir plus : Martin Best Mediaeval Ensemble.

musique-medievale-album-Martin-best-medieval-ensemble-trouveres-troubadours-moyen-ageRappelons simplement que, des années 70 aux 90, l’ensemble médiéval anglais a légué un nombre considérable d’interprétations et d’enregistrements sur la période  du Moyen Âge central. Sorti en 1983, Songs of Chivalry  n’en est qu’un échantillon mais il présente, tout de même, 19 pièces empruntées au répertoire des trouvères et des troubadours, interprétées de main de maître.  Vous pouvez retrouver  cet album à la vente en ligne  au format CD ou digitalisé   Mp3   : plus d’informations sur l’album Songs of chivalry.


L’amour dont sui espris, Blonde de Nesle
Du vieux français au français moderne

Notes sur la traduction :   c’est une première approche  qui n’a que le mérite d’un premier jet. Dans l’optique d’une publication, elle devrait, bien sûr, faire l’objet de quelques revisites  pour être précisée. N’hésitez pas à commenter si vous avez quelques lumières  à  apporter.

L’amour dont sui espris
Me force de chanter,
Si fait com hom sorpris
Qui ne puet amender.
Petit i ai conquis,
Mès bien me puis vanter :
Que j’ai pièça appris
A loyaument amer.
A li sont mi penser
Et seront a tous dis ;
Ja nès en quier oster.

L’amour dont je suis épris
Me commande de chanter,
Aussi, je le fais comme celui, pris au dépourvu,
Qui ne peut s’y soustraire.
J’y ai peu gagné
Mais je puis  bien me vanter
Que j’ai appris depuis longtemps
À aimer loyalement.
À elle vont mes pensées
Et y seront toujours ;
Jamais je ne voudrais les en ôter.

Remembrance du vis
Frés et vermeil, et cler,
A mon cuer en tel mis
Que ne l’en puis tourner ;
Et se j’ai les maus quis,
J’es doi bien endurer.
Se ai je trop mespris
Ains la doi mieux amer.
Comment que j’aie comper,
N’i ai rien , ce m’est vis
Que de merci crier.

Le souvenir du visage
Frais et vermeille et clair,
A mis mon cœur dans un tel état
Que je ne puis plus l’en détourner
Et puisque j’ai voulu ces maux
Il me faut bien le endurer,
Si, en cela, je me suis fourvoyé
Alors je dois l’aimer plus encore.
Pour ce que j’y ai gagné (1)
Il ne me reste plus, à mon avis,
Qu’à crier merci.

Lonc travail sans esploit
M’eust mort et traï.
Mes mes cuers attendoit
Ce pour quoi l’a servi.
Si pour lui l’ai destroit,
De bon cuer l’en merci.
Je sai bien que j’ai droit,
Qu’onc si bele ne vi.
Entre mon cuer et li
Avons fait si à droit
Qu’ains de rien n’en failli.

Une long effort  (tourment, peine) sans réussite (avantage, gain)
m’eut tué et trahi
Mais mon cœur  attend
Ce pour quoi il la servit.
Si pour elle je l’ai tourmenté (destreindre : tourmenter, torturer, contraindre)
Je l’en remercie de tout cœur.
Je sais bien que j’ai bien agi
Car jamais je ne vis si belle,
Entre mon cœur et elle
Nous nous sommes comportés si justement
Qu’ainsi rien ne faillit (ne fut mal fait, ne fit défaut)

Dex ! pourquoi m’occiroit,
Quant ainz ne li menti ?
Sé ja joians en soit
Li cuers, dont je la pri !
Je l’aim tant et convoit
Et cuid pour voir de li
Que chascuns, qui la voit
La doie amer ausi.
Qu’est ce, Dex, que je di !
Non feroit, ne porroit
Nul ne l’ameroit si.

Dieu ! Pourquoi m’occirait-elle
Quand jamais je n’ai failli à ma parole (je ne lui ai menti)
Si c’est le cas (2),  qu’en soit heureux
mon cœur,  je l’en implore !
Je l’aime et la désire tant
Et crois à la voir
Que chacun qui la voit
Doit l’aimer aussi.
Mais, Dieu, qu’est-ce que je dis ?
Nul ne le ferait, ni ne pourrait
l’aimer autant, ni aussi bien que moi.

Plus bele ne vit nus
Ne de cors ne de vis ;
Nature ne mist plus
De biauté en nul pris.
Pour lui maintiendrai l’us
D’Enéas et Paris,
Tristan et Piramus,
Qui amèrent jadis,
Et serai ses amis.
Or pri Dieu de lassus
Qu’à l’eure soie pris.

Jamais je ne vis plus belle qu’elle,
Ni de corps ni de visage :
La nature ne mit plus
De beauté en personne.
Pour elle, je suivrais l’usage
D’Enéas et Paris,
Tristan et Piramus,
Qui aimèrent jadis,
Et je serais leur égal (ami, parent ou « je serais son amant » (?)) ,
Or, je prie Dieu du ciel
Qu’il en prenne acte sur le champ. (que le sort en soit scellé)

Sé pitiez ne l’en prent,
Je sai qu’a estovoir
M’ocirra finement :
Ce doi je bien voloir.
Amé l’ai loiaument,
Ce me doit bien valoir,
Amors de gréver gent
N’eust si grant pooir.
De grans maus m’a fait hoir.
Dont Tristans soffri tant :
D’ameir sens decevoir.

Si elle ne me prend pas en pitié,
Je sais que, nécessairement,
Elle finira par me tuer.
Mais je dois bien le vouloir.
Je l’ai aimé loyalement,
Cela doit bien me valoir,
Que l’amour me fasse souffrir aimablement
S’il n’avait un si grand pouvoir.
Il m’a fait hérité de biens grands maux.
Dont Tristan souffrit tellement
Pour aimer sans tromperie.

(1) «  Comment que j’aie comper »   :    Pour ce que j’y ai gagné ?  Comperer : acheter, gagner, acquérir, expier, être puni – comment que : quoique, de quelque manière que )

(2) « Sé ja »  :    « Si c’est le cas »   Si jamais (?)


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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