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L’amour courtois de Guillaume de Machaut avec Elisabeth Pawelke, Trobairitz contemporaine

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique médiévale, musicien, trouvère, troubadour, poète médiéval, amour courtois, virelai
Titre : « Je vivroie liement»
Auteur: Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période : XIVe siècle, Moyen Âge
Interprète :  Elisabeth Pawelke

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons vers le grand maître de musique Guillaume de Machaut pour partager l’un des trente trois virelais  qu’il nous a laissés. Soucieux de formaliser les genres et les compositions musicales, comme le fut son ami Eustache Deschamps de le faire pour la poésie, Guillaume  Machaut fut un des premiers à organiser de manière systématique son œuvre.

De fait, il nous a légué trois manuscrits complets sur son abondant travail de composition et d’écriture, fournissant même l’ordre dans lequel classer ses différentes œuvres musicales.  Nous retrouvons donc la pièce du jour, le virelai V23 intitulé « Je vivroie liement » (je vivrai dans la joie) dans différents manuscrits anciens enluminés, avec ou sans notation musicale, dont certains qui furent même réalisés de son vivant et à l’élaboration desquels il a certainement participé (la miniature ci-dessous est tirée de l’un deux et même de plus ancien: le manuscrit 1586 de la BnF).

Miniature tirée du plus ancien manuscrit connu des oeuvres de Guillaume de Machaut et contemporain de l'artiste - Manuscrit 1586 - Bnf
Miniature tirée du plus ancien manuscrit connu des oeuvres de Guillaume de Machaut et contemporain de l’artiste – Manuscrit 1586 – Bnf

Le virelai de Guillaume de Machaut
et sa notation musicale du XIVe siècle

Après quelques sérieuses heures de recherche, le nez plongé dans les vieux parchemins et les nombreux manuscrits anciens sur Guillaume de Machaut que l’on peut trouver notamment sur le site de la BNF, nous vous présentons, ci-dessous, ce virelai, accompagné de sa partition. Le tout  est extrait du manuscrit ancien numéroté 9221  ayant pour titre « Guillaume de Machaut: œuvres narratives et lyriques« . Cet ouvrage n’est pas tout à fait contemporain de l’artiste puisqu’il date de 1380-1395 mais il a l’avantage d’être accompagné de la notation musicale d’époque. Il n’est, encore une fois, pas le seul dans ce cas puisque les manuscrits anciens sur l’œuvre de Guillaume de Machaut ne manquent pas et dénotent bien de sa popularité comme de son influence sur la musique de son siècle et de ceux qui suivront.

Si vous en avez la curiosité, le lien direct vers le manuscrit ici.

L’interprète du jour :  Elisabeth Pawelke

On trouve quelques versions de ce morceau à la ronde dont certaines exécutées par des formations de taille moyenne avec des orchestrations conséquentes mais nous avons choisi pour l’interprétation du jour celle de Elisabeth Pawelke, Elisabeth Pawelke est une chanteuse, musicienne et harpiste qui s’est jusque là spécialisée dans les musiques anciennes et médiévales et qui connait, déjà, des débuts de carrière très prometteurs dans ces répertoires. Elle a participé, depuis plusieurs années, à plusieurs formations musique_medievale_virelai_guillaume_de_machaut_Elisabeth_Pawelkemédiévales (le groupe Almara, la formation troubadours du monde, Egeria, l’ensemble Ricci Caprici) mais elle a aussi contribué activement à la réalisation de plusieurs albums du groupe folk néo-médiéval allemand FAUN dont nous avons déjà eu l’occasion de parler ici. Elle se produit également en solo sur divers scènes européennes, où elle propose des répertoires qui vont des lais de Marie de France à des chansons d’amour courtois de troubadours ou Trobairitz médiévaux. Elle nous offre, ici, une version très épurée du virelai de Guillaume de Machaut, sans fioriture et soutenue presque uniquement par sa très belle prestation vocale.

Traduction adaptation de « Je vivroie lentement » en français moderne

On doit au musicologue américain d’origine germanique Leo Schrade d’avoir publié l’ensemble des œuvres de Machaut, dans le courant du XXe siècle, contribuant ainsi à faire mieux connaître  le maître de musique médiéval hors de nos frontières. De fait, si vous cherchez une peu à la ronde sur le web, vous vous rendrez compte qu’on parle pratiquement plus de cette pièce du jour sur des sites anglophones que sur des sites français. Dans la même veine, on trouve aussi plus facilement sa traduction et adaptation en anglaise qu’en français. Pour réparer cette ironie de l’Histoire, nous nous y sommes donc attelés et vous donnons ici quelques clés et définitions qui devraient vous permettre de mieux comprendre ce virelai :

Je vivroie liement*, (dans la joie)
Douce creature,
Se vous saviés vraiement
Qu’en vous fust parfaitement
Ma cure

Dame de meinteing (maintien) joli,
Plaisant, nette et pure,
Souvent me fait dire: « aymi » (Hélas)
Li maus que j’endure

Pour vous servir loyaument.
Et soiés seüre
Que je ne puis nullement
Vivre einsi, se longuement
Me dure.

Je vivroie liement,
Douce creature,
Se vous saviés vraiement
Qu’en vous fust parfaitement
Ma cure.

Car vous m’estes sans mercy
Et sans pité dure,
Et s’avés le cuer de mi
Mis en tel ardure (désir ardent)

Qu’il morra certeinnement
De mort trop obscure,
Se pour son aligement (soulagement)
Merci n’est procheinnement
Meüre.* (votre pitié ne tarde à venir)

Je vivroie liement,
Douce creature,
Se vous saviés vraiement
Qu’en vous fust parfaitement
Ma cure.


(1) que vous êtes l’objet de toute mon attention, mes soins, mon souci

En vous souhaitant une très belle journée !
Fred
Pour moyenagepassion.com
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Saadi : poésie et sagesse persane du moyen-âge

“Quiconque n’a pas pitié des petits
mérite d’éprouver la tyrannie des grands.”
Gulistan ou le jardin des roses –  Mocharrafoddin Saadi (1210-1291), poète et conteur persan du moyen-âge central.

Agenda: une fin de semaine pour célébrer le moyen-âge à Perpignan la Catalane

perpignan_catalane_histoire_medievale_ville_heraldique_moyen-age_fetes_historiquesSujet : fêtes historiques, festival moyen-âge, troubadours, compagnies médiévales.
Evénement : Les Trobades médiévales de Perpignan 2016
Lieu : Perpignan (Pyrénées-Orientales, Occitanie)
Date : les 15 et 16 octobre 2016

Bonjour à tous,

festival_fete_medievale_perpignan_trobades_2016_sortie_moyen-age_week_endC_lettrine_moyen_age_passionette fin de semaine, sur l’agenda des événements célébrant le monde médiéval, c’est vers le sud de la France que nous vous invitons à diriger vos chausses si vous ne vous y trouvez pas déjà, pour une grande fête de deux jours en bord de mer, dans la cité de Perpignan la Catalane.

L’événement, organisé à la fois par la ville et par l’office du tourisme, est de taille puisque pendant ces deux journées de samedi et dimanche ce sont plus de deux cent cinquante figurants et acteurs et près de vingt compagnies médiévales qui investiront le centre historique de la cité catalane, pour la faire revenir pour vous au moyen-âge central des XIIIe et XIVe siècles.perpignan_la_catalane_troubades_medievales_2016_festival_fetes_historiques

Le programme détaillé
des trobades de Perpignan 2016

Eperpignan_la_catalane_troubades_medievales_2016_festival_fetes_ripailles_historiquesntre jeux médiévaux, défilés et parades, animations, concerts de musique, troubadours et jongleurs, de la farce légère aux reconstitutions historiques les plus sérieuses, le programme de ces Trobades 2016, s’annonce fort chargé et ne vous laissera que l’embarras du choix. Au titre des spectacles de rue, il y aura même une troupe humoristique qui vous fera voyager dans la médecine des temps anciens et encore une bande de joyeux goliards pour vous entraîner dans leurs facéties musicales et farcesques.

perpignan_la_catalane_troubades_medievales_2016_festival_fetes_historiques_chevalierLes chevaux seront aussi de la fête et une belle place leur a été ménagée puisque trois compagnies différentes les représenteront, entre camp équestre, numéros de dressage en costumes d’époque, mais encore  joutes et voltiges. En plus de toutes ces animations historiques et festives, vous pourrez, bien sûr, compter sur des campements ou ateliers thématiques à la redécouverte des métiers du moyen-âge mais encore  – que les amateurs de ripailles se rassurent – sur un marché médiéval et « gourmand »! Ajoutons enfin que la fête se veut résolument familiale et que les enfants n’ont pas été oubliés puisque de nombreuses animations leur seront également destinées.

Téléchargez le programme complet des Trobades 2016 ici

La riche histoire médiévale
de Perpignyà, la catalane

L’histoire du site de Perpignan et de ses environs ne commence pas tout à fait au moyen-âge. Au VIIe siècle avant notre ère, on trouve, en effet, des traces attestées d’occupation des lieux par les Sordes, une tribu d’origine ibérique, qui y tenaient leur capitale: une cité du nom de Ruscino, qui donnera plus tard son nom à la province du Roussillon. Autour du premier siècle et après la colonisation romaine, les Sordes finiront par disparaître et les romains s’installeront sur ce site, situé à quelques kilomètres de l’actuel cité de Perpignan. Ils y établiront un Forum et feront même de Ruscino une véritable cité romaine mais l’abandonneront pourtant, un peu plus tard dans le temps, pour des raisons que les historiens n’ont pas réussi à percer à ce jour (l’hypothèse d’un séisme a été soulevée sans être, pour l’instant, perpignan_la_catalane_histoire_medievale_catalogne_tour_castell_roussiloavérée). Vraisemblablement, ils iront s’installer  un peu plus loin pour y fonder la ville de Perpignan. De son côté, la ville de Ruscillo restera occupée durant le haut moyen-âge mais son histoire est mal connue, même si des découvertes récentes montrent qu’elle a pu jouer un rôle important, au VIIe siècle, dans la conquête de Narbonne par les Arabes. Quoiqu’il en soit, elle disparaîtra, semble-t’il, de manière définitive à la période carolingienne et la seule certitude que l’on est que le site de la ville actuelle de Perpignan est sans relation avec celui dont les Sordes avait fait, à quelques kilomètres de là leur capitale. Concernant la cité catalane, il faudra attendre le Xe siècle pour en trouver les premières mentions. (ci- dessus la tour de Château Roussillon, construite au XIIIe, XIVe siècles, sur le site de l’ancienne Ruscino ).

Perpignan en Roussillon-Empúries

L’histoire médiévale de Perpignan est assez mouvementée. La cité changera, en effet, plusieurs fois de main, de province et même de nation, du moyen-âge central, jusqu’au XVIIe siècle. Dès son entrée dans l’histoire du Xe siècle, en 927 précisément, elle sera sous l’égide  des comtes de  Roussillon-Empuries.

Unifiés au IXe siècle par le comte catalan Sunyer II, fondateur de la maison d’Empúries (Ampurias), les deux comtés d’Empúries et de Roussillon étaient alors sous la même main et Perpignan la catalane en était devenue la capitale. A la fin du Xe siècle, en 991, et quelques trois générations plus tard, à la mort de Gausfred 1er, les comtés se retrouveront divisés entre deux de ses héritiers: Hug et Guislabert qui deviendront respectivement les comtes Hug 1er d’Empuries et Guislabert 1er de Roussillon. Par un jeu complexe d’alliances, d’obligations et d’héritage, un status quo sera toutefois maintenu perpignan_la_catalane_histoire_medievale_catalogne_blason_conte_empuriasentre les deux provinces pendant encore longtemps et la séparation ne semblera même pas effective jusque dans le courant du XIe siècle. Les alliances résisteront même à de sérieux conflits qui éclateront entre les deux maisons, jusqu’à ce dans le courant du XIIe siècle le comte de Barcelone devenant lui-même de plus en plus puissant s’en mêle. En commençant à faire pression sur le comte d’Empúries, il modifia, en effet, le jeu des forces pour que ce dernier se sépare de manière plus tranchée de ses alliances d’avec le comté de Roussillon. Bien que le Roussillon s’en trouva quitte de céder certaines de ses terres et châteaux, la séparation ne fut pour autant pas consommée et malgré un fort déséquilibre entre les deux comtés né de ces jeux de pouvoirs, les relations loyales complexes qui s’étaient été établies de longue date entre les deux provinces perdurèrent longtemps et même après que le Roussillon et Perpignan aient changé de mains pour passer dans celles d’Aragon*.

D’Aragon à Majorque

Le palais des rois de Majorque construit à Perpignan par Jaume 1, ou Jacques 1er le conquérant
Le palais des rois de Majorque construit à Perpignan par Jaume 1, ou Jacques 1er le conquérant

En 1172, le comté de Roussillon et la ville de Perpignan seront finalement légués par Girard II de Roussillon à la couronne d’Aragon, en la personne d’Alphone II d’Aragon. Pierre II le catholique, le fils de ce dernier crééra vingt ans plus tard dans la cité, un consulat, accordant à la ville et ses habitants des privilèges et droits en matière politique, juridique et civile ce qui marque bien l’importance que la ville avait alors déjà prise. Il faudra pourtant attendre le fils de Pierre II: Jacques 1er d’Aragon, nommé en catalan Jaume el Conqueridor pour que le cours du destin de Perpignan soit changé à jamais.

Sous le règne de ce roi chevalier conquérant, la ville connaîtra, en effet, sa période la plus florissante et, pour le dire autrement, un véritable âge d’or. Il en fera la capitale du royaume de Majorque, y fera construire un palais des rois et, de 1276 à 1344, Perpignan connaîtra un essor économique et commercial sans précédent: cuir, draperie, orfèvrerie, artisanat de luxe, elle sera devenue alors le centre d’un royaume nouveau fondé de toutes pièces par ce personnage historique flamboyant dont il faut dire un mot ici.

Jacques 1er ou Jaume le conquérant

Né à Montpellier, cet homme est devenu un véritable héros catalan. Fils de Pierre II et de Marie de Montpellier, il se montrera, en effet, durant son long règne, aussi fin politique que bon stratège. Roi d’Aragon, comte de Barcelone, D’abord contesté par les nobles d’Aragon, il s’imposera bientôt en faisant d’habiles alliances avec la couronne d’Espagne et en mettant en place des réformes sur ses territoires. Sous la pression des marchands et nobles de Barcelone qui se plaindront alors de nombreux raids de pirates maures dans les eaux côtières, tout autant qu’animé par l’idée chrétienne de reprendre des territoires historiques des mains des maures, il organisera bientôt de véritables campagne de perpignan_la_catalane_histoire_medievale_catalogne_jacques_1er_de_majorque_le_conquerantreconquêtes et connaîtra un succès retentissant dans ses entreprises qui lui vaudront son surnom, autant que son entrée dans la postérité: il reprendra, en effet, des mains des musulmans et avec ses armées les territoires de Majorque (Mallorqua), mais aussi la Ville de Valence et plus au sud celle d’Alzira. Il réussira même à soumettre Minorque (Menorqua).

Au sortir de ses conquêtes il fondera le royaume de Majorque et fera de Perpignan sa capitale, faisant entrer cette dernière dans la période la plus faste de son histoire. La liste de titres que Jacques le Conquérant possède alors donne la mesure de son influence et, du même coup, du rayonnement et du prestige qu’il offrira à la cité catalane: souverain de la couronne d’Aragon et comte de Ribagorce,  comte de Barcelone, de Gérone, de Besalú et de Pallars Jussà, Roi de Valence, Comte de Gevaudan, Comte d’Urgell, Seigneur de Montpellier, et pour finir, comte de Roussillon et roi de Majorque.

Au terme d’un règne de plus de soixante-ans,  il laissera derrière lui douze héritiers issus de deux mariages différents. Le royaume de Majorque, la seigneurie de Montpellier, les comtés de Cerdagne et celui de Roussillon et avec lui Perpignan, reviendront alors à son fils cadet Jacques (Jaume) II de Majorque, ce qui n’ira pas sans poser quelques problèmes à son fils ainé, Pierre III d’Aragon dit Pierre le Grand que l’héritage de l’aragonais, de Barcelone et de Valence ne semblait pas seul contenter. Huit ans après la mort de Jaume le conquérant, cette mésentente et les tensions entre les deux frères nés de cette convoitise, se traduiront par une mésalliance. Le roi de France Philippe III le Hardi partant à la conquête de l’Aragonais avec la bénédiction du pape Martin IV qui voulait freiner les ardeurs conquérantes de Pierre III en Sicile, le cadet Jacques II, s’alliera, en effet, avec le roi de France contre son frère aîné. Revenant de cette croisade infructueuse contre Pierre III d’Aragon, c’est d’ailleurs dans la ville de Perpignan que le roi de perpignan_la_catalane_histoire_medievale_catalogne_pierre_IV_aragonFrance trouvera la mort en 1285. Mais le conflit laissera longtemps des traces entre les deux branches familiales et pour le dire trivialement, le ver sera dans le fruit.

De fait, deux générations plus tard, en 1344 et durant la guerre de cent ans, le royaume de Majorque périclitera suite à une trahison entre les descendants des deux maisons, Pierre IV d’Aragon (ci-contre) et Jacques III de Majorque, autant que par des prises de position par ce dernier « un peu trop anglaises » au goût du royaume de France, en la personne de Phillipe VI qui aura son rôle à jouer. Indéniablement, sur l’échiquier, il faudra désormais compter sur la couronne française et sur son intérêt pour la province qui ne fera que s’affirmer avec le temps. Au sortir du conflit, la seigneurie de Montpellier sera rachetée par le roi de France et le Roussillon tombera aux mains de Pierre IV. Perpignan sera redevenue aragonaise. Elle perdra alors son statut de capitale mais conservera tout de même son importance se voyant construire une université et, quelques trente ans plus tard, un tribunal de la mer. Entre temps, en 1346, la peste noire l’aura sévèrement mise à l’épreuve.

Perpignan et la Catalogne
prises entre deux couronnes

Au milieu du XVe siècle, le siège de Perpignan par les armées de Louis XI
Au milieu du XVe siècle, le siège de Perpignan par les armées de Louis XI

Au moyen-âge finissant et dans le courant du XVe siècle, la couronne de France confirmera ses visées expansionnistes en occupant Perpignan dans la ferme intention de la reprendre. Les habitants de l’entendront pourtant pas de cette oreille et la cité se soulèvera quelques dix ans plus tard, en pure perte, lors d’un siège cruellement mémorable de deux ans, de 1473 à 1475. A l’issu du conflit, elle restera française mais sa pugnacité sera saluée par les rois d’Aragon. Le coeur catalan n’a jamais eu le goût de la soumission. Vingt ans plus tard, Charles VIII la restituera toutefois avec le Roussillon aux rois catholiques dans une Espagne qui, à l’image des autres royaumes d’Europe, s’unifie et entend bien centraliser son pouvoir. A partir de cette période, la cité fera les frais des conflits entre les deux grandes puissances et son économie en pâtira.

Dans le courant du XVIIe, en 1640, durant la guerre des faucheurs et le soulèvement des catalans contre l’occupation de leur territoire par les troupes madrilènes, Perpignan se révoltera aussi contre Madrid et la ville connaîtra, à nouveau, un siège. Elle sera alors alliée dans ce conflit avec la France. Vingt ans plus tard, le traité des Pyrénées de 1659 la restituera, cette fois-ci définitivement, avec le Roussillon et la moitié du comté de Cerdagne, à la couronne de France, laissant la Catalogne coupée en deux par une frontière qui, dans le coeur de nombre de catalans, n’a toujours existé que sur le papier. Qu’il suffise de lever un peu la tête en se promenant dans Perpignan en toute saison, pour y voir les fetes_festival_medievals_trobades_medievales_perpignan_2016bannières dorées au quatre griffures rouge sang, pour s’en apercevoir (ci-dessus la première page du traité des Pyrénées).

Quelques siècles plus tard et après bien des péripéties, Perpignan la catalane de coeur n’a rien oublié de son histoire et pour aller la découvrir et s’ouvrir à ce riche passé, il n’y a surement pas de plus belles occasions que ces trobades en fête qu’elle vous offre cette fin de semaine. Vous y êtes donc conviés chaleureusement et si vous avez l’opportunité de vous y rendre, n’hésitez pas un seul instant.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

* Sur ces aspects, nous vous conseillons un excellent article de Persée de Stephen P  Bensch : La séparation des comtés d’Empúries et du Roussillon.

« Science quand elle enfle »: analyse approfondie d’une citation médiévale de Jean De Meung

citations_medievales_Sujet : citations médiévales, auteur poète médiéval, vieux français, analyse, contexte, sémantique,  science, arrogance, humilité.
Période : moyen-âge central (XIIIe siècle)
Auteur: Jean de Meung  (1250-1305)
Extrait : le codicille

« Science, quand elle enfle, est chose si parverse, Qu’elle envenime tout, se la boe n’est terse [essuyée], [J. de Meung, Test. 1044] »
Dictionnaire Littré

Adaptation en français moderne :
“Science, quand elle enfle, est chose si perverse, Qu’elle envenime tout, si l’on n’essuie la boue”.


Bonjour à tous,

U_lettrine_moyen_age_passionne des sources les plus sérieuses de cette citation du poète médiéval Jean Clopinel, plus connu sous le nom de Jean de Meung, se trouve dans le Littré, prestigieux dictionnaire ancien du XIXe siècle qu’il est toujours agréable de feuilleter et dans lequel une grande majorité des définitions sont illustrées par des quantités de phrases d’auteurs célèbres. Dans le cas présent, la phrase de Jean de
Meung  y est citée pour illustrer un exemple historique  du verbe « enfler ».
littre_dictionnaire_ancien_citation_medievale_jean_meung_litterature_moyen-age
Selon le Littré, elle serait donc tirée  d’un texte de l’auteur médiéval appelé le testament mais il y a une première petite correction à apporter sur ce point et nous allons nous y employer.

Codicille contre testament

E_lettrine_moyen_age_passionntre autres écrits de Jean de Meung et sans parler du célèbre Roman de la rose, deux autres textes de lui peuvent, il est vrai, prêter à confusion: l’un s’appelle le testament et l’autre le codicille.

Pour être certain d’être clair, du point de vue des définitions, un testament, tout le monde sait ce que c’est: soit, un ensemble de dispositions que l’on laisse à la postérité sur ses biens, ses volontés et tout le reste, en espérant qu’elles soient, si possible, respectées Post-mortem. Pour le second terme, codicille: c’est un terme notarial qui désigne un amendement ou des modifications apportées au premier. jean_de_meung_citation_poesie_medievale_codicille_En bref, c’est, techniquement, un second testament:

« Alors, cerné de près par les enterrements,
J’ai cru bon de remettre à jour mon testament,
De me payer un codicille. « 
Georges Brassens – Supplique pour être enterré à la plage de Sète.

Or, et c’est là la première petite mise à jour à faire au Littré, la citation du jour est, en réalité, tirée du Codicille de Jean De meung, et non pas de son Testament. En collant au définition, on pourrait, bien sûr, alléguer que le codicille est une sorte d’annexe au testament ou même un second testament, mais cela n’en changerait toutefois ni le nom, ni le titre pour autant, au moment de le citer.

Une voie « boueuse »

C_lettrine_moyen_age_passioncitation_medievale_jean_de_meung_analyseçvieux_francais_interpretation_moyen-agee petit détail étant réglé, allons à la  source de ce codicille que l’on trouve annexé, comme le testament  d’ailleurs, dans certaines éditions du Roman de la rose dont Jean de Meung fut le co-auteur après Guillaume de Lorris. De fait, dans une édition de 1799 du Roman de la Rose, nous retrouvons au Tome IV, notre fameux codicille et la dite citation,  à peu de chose près, puisqu’il n’y est pas question de boue (boe) mais de Voye (voie). Le mot « parverse » y disparaît aussi au profit de « traverse ». Pour la référence, cet ouvrage de la fin du XVIIIe est basée sur une édition de Lengletdufresnoy « corrigée avec soin, enrichie et publiée » en 1737 par J. B. Lantin De Damerey. Voilà la transcription exacte qui nous y est donnée de cette citation:

« Science quant elle enfle est chose si traverse,
Qu’el envenime tout se la voye n’est terse. »
Jean de Meung (1250-1305) Le Codicille.

traverse: tordu, scabreux, de travers. La traduction par perverse se tient  pour peu qu’on la prenne  dans son sens originel, soit non nécessairement connotée sexuellement.

« La science envenime tout » si la voie n’est: essuyée, polie, nettoyée. Oui mais nettoyée de quoi? Et bien, de toutes les causes possibles de « surgonflement » : arrogance, orgueil, superbe, volonté de briller, , etc…
jean_de_meung_citation_poesie_medievale_codicille_analyse_citation_vieux_francais_moyen-age_centralReste à savoir maintenant quelle version des deux est la plus proche de l’auteur. Dans les temps reculés de l’imprimerie, les erreurs de retranscriptions depuis les manuscrits ou même les coquilles n’étaient pas rares quand ce n’était pas encore des adaptations simples de l’imprimeur ou de l’éditeur pour des questions de « régionalisme » linguistiques, même de modernisation pur et simple de la langue originale de l’auteur pour des questions de compréhension. Difficile dans ce cadre de savoir quel mot a réellement utilisé l’auteur Jean de Meung, sauf à remonter à une source plus ancienne du texte. Or, cela tombe merveilleusement bien puisque la bibliothèque nationale de France, qui, au passage, ne lasse pas de nous surprendre par les trésors historiques qu’elle met à la disposition du public, a justement digitalisé un manuscrit bien plus ancien du roman de la rose, consultable directement sur son site web.

Au final de l’investigation, qui prend relativement longtemps parce que tout de même l’écriture manuscrite du XIIIe XIVe siècle n’a pas grand chose de commun avec la nôtre, la récompense est là et l’évidence est implacable.. La boue l’emporte sur la voye, mais Jean de Meung a utilisé  traverse contre parverse.  Le littré ne colle donc au texte qu’à ce dernier détail près. D’ailleurs, voici la preuve en image:

Cliquez sur l’image pour l’agrandir

La différence sémantique n’est pas énorme, me direz-vous, mais la boue reste, tout de même, plus connotée que la voie. La bonne nouvelle est que nous conservons notre rime sur le deuxième alexandrin de cette citation, dans la traduction-adaptation en français moderne que nous en avions faite: Qu’elle envenime tout, si l’on n’essuie la boue”. Merci la BnF! Il ne nous reste donc plus qu’à examiner le contexte.

Le contexte

A_lettrine_moyen_age_passionu siècle où nous lisons de moins en moins, saucissonner les auteurs est devenu un sport et il est toujours amusant, autant qu’instructif, face à une citation, de creuser un peu plus avant, pour aller à la racine du texte et pouvoir resituer son contexte.

jean_de_meung_citation_medievale_science_arrogance_jean_de_meungDe notre point de  vue moderne, une fois isolée de son contexte historique et sémantique, cette citation médiévale de Jean de Meung se présente comme une mise en garde générale à l’adresse de la Science, en tant que discipline: science qui enfle, (science sans éthique et sans prudence) qui  envenime tout. Prise telle quelle et de prime abord, cette phrase raisonnerait même d’une sagesse médiévale presque prophétique et plus de sept cents ans après qu’elle fut écrite, le monde moderne ne semble pas, en effet, tarir d’exemples pour l’étayer. Car enfin, sans entrer dans la polémique, dans nos sociétés devenues industrielles et technicistes: scientifiques, mécaniques, robotiques, agro-pétroléo-pharmatico-chimiques, toutes entières menées par les lois de la déesse finance, fusse contre la société des hommes,  on peut légitimement se demander si le fameux principe de précaution en matière d’alimentation, de chimie, de génétique, de pharmaceutique et dans quelques autres domaines technologiques n’a pas été quelque peu galvaudé (sacrifié, voire immolé dans certains cas, serait peut-être plus indiqué), sur l’autel du sacro-saint marché. Et de fait se demander un peu aussi, si, dans le contexte, la Science n’a pas trop enflé.

Prise dans ce sens là, cette citation médiévale était d’ailleurs tellement inspirante que nous vous partageons ici un autre détournement « steampunk » que nous avions fait pour la présenter, en partant du grand peintre hollandais baroque Johannes Veermer et de sa toile la laitière:  The Milkmaid (1658):

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Tout cela étant dit, voyons donc, maintenant, un peu plus loin que les deux alexandrins du Codicille de Jen de Meung qui forment cette citation pour tenter de mieux l’éclairer. Voici les vers qui la précèdent :

« Que se nulz homs sçavoit toute philosophie,
Se il n’est doulx et humble, tout ne vault une ortie.
Estre humble sans clergie vault mieulx que la converse,
Que quanque Iy ungz dresse, ly autre tumbe et verse:
Science quant elle enfle est chose si traverse,
Qu’el envenime tout se la boe n’est terse. »

Et leur adaptation/Traduction libre par nos soins:

Qu’un homme qui connaitrait toute la philosophie
Sans être doux et humble, vaudrait moins qu’une ortie.
Etre humble sans instruction vaut mieux que le contraire,
Que quand les uns sont droits, les autres tombent et versent:
Science quant elle enfle est chose si perverse,
Qu’elle envenime tout, si l’on n’essuie la boue. 

E_lettrine_moyen_age_passionn réalité, la notion de science replacée dans son contexte,  comme celle de clergie (qui par ailleurs désigne aussi l’enseignement des clercs, leur cursus, et même la réunion de clercs dans d’autres cas) s’adresse plus, ici, à la notion de savoir, d’instruction, d’étude, et à l’arrogance qui peut en naître vis à vis des autres, qu’à ce que nous nommons, au sens propre, dans notre monde moderne, la Science en tant que discipline. Dans l’ensemble de ce passage, avant et après, Jean de Meung adresse d’ailleurs une critique envers les clercs et les religieux que leur instruction peut quelquefois « enfler » et rendre prompts à élever des débats et des querelles à tout propos, pour en « rabattre », comme on dit trivialement. Un peu plus loin, ce brillant auteur médiéval que la satire n’effrayait point, ce qui n’est pas pour nous déplaire, élargira même le propos à la vanité qui résulte du fait de vouloir accumuler des richesses par les frères, les ordres et les moines. Le passage dont est extrait cette citation se présente donc comme un rappel à l’ordre, aux valeurs et à l’humilité, pour ceux qui étaient, alors, les détenteurs principaux de l’instruction: les clercs et, par extension, les religieux. La science dont il est question est peu ou prou la même que celle contenue dans l’expression populaire: « Arrête d’étaler ta science », autrement dit: « ton instruction ».

Ce n’est pas surprenant d’ailleurs, au XIIIe siècle, la science telle que nous la connaissons ne connait pas encore son âge d’or, loin de là! Il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour  conquérir son autonomie théorique, inventer le matérialisme et pouvoir enfin trouver les financements nécessaires pour mettre au point: la bombe atomique, la chaise électrique, le clonage et les manipulations génétiques, le neuro-marketing ou les OGMs entre autre florilège. Bon mais je plaisante! Il n’y a pas eu que cela, bien entendu. De grâce,  n’allez pas penser que je suis passéiste. Je suis de mon temps tout comme vous. Nier les apports de la science moderne serait absurde, même si faire un bilan juste et réel de certaines de ses applications ou effets secondaires peut s’avérer sain et utile, de temps en temps. Je rebondissais simplement, ici, sur la possible interprétation moderne « erronée » des pieds de vers tronqués de Jean de Meung, et la question de la conduite de la science et de ses valeurs éthiques que tout cela pouvait soulever.

On peut toujours se demander, cela dit, si Jean de Meung avait assisté à l’avènement de la science comme nous y assistons depuis le XXe siècle, s’extasiant, assurément, des progrès gigantesques et de premier ordre effectués, ces derniers années, dans le domaine de la téléphonie mobile, mais lucide aussi sur certaines autres conséquences néfastes de ses applications, s’il aurait lui-même décidé de tronquer quelques uns de ses alexandrins pour élargir le sens de sa citation et nous en proposer une lecture plus moderne comme celle que nous en faisons, de nos jours, en nous fourvoyant la plupart du temps et en lui faisant dire ce qu’il n’a pas dit.

C’est encore un léger glissement sémantique, me direz-vous, celui de la citation du grand Khal Kubilai Khan dans sa lettre à Saint Louis était largement plus abusif, mais il illustre encore une fois assez bien le fait que les citations, pour séduisantes qu’elles soient, valent souvent qu’on en remonte un peu le cours, au risque de faire dire n’importe quoi à leurs auteurs et, du même coup, de dire n’importe quoi aussi. Rien de bien nouveau, me direz-vous, la technique du saucissonnage et de la phrase sortie de son contexte, bien connue et pratiquée en journalisme a fait plus d’une victime. Pour le reste, tout cela est aussi une belle illustration du fait que même quand les mots ressemblent comme deux gouttes d’eau à poesie_citation_medievale_jean_de_meung_analyse_manuscrit_ancien_littre_interpretation_semantiqueceux que nous employons, il y a toujours une distance à parcourir pour se rapprocher du monde médiéval, des ses réalités et de sa compréhension.

Tout cela étant dit et pour conclure. Qu’on la prenne dans son sens originel et fidèle à l’auteur en appliquant cette leçon d’humilité aux détenteurs individuels d’un savoir, ou dans l’autre sens – loin de la réalité médiévale de son auteur – en l’appliquant à l’ensemble d’une discipline, cette citation contient une sérieuse dose de sagesse qui ne lasse pas de me séduire. J’en viendrais presque, d’ailleurs, à me poser la question de la transposition possible de l’une à l’autre de ces deux interprétations médiévales et modernes en me demandant si les « valeurs » d’un savoir ou d’une discipline humaine quelle qu’elle soit et à supposer qu’elle  en véhicule, n’est pas simplement la somme ou le reflet des valeurs des acteurs qui la compose et de leur éthique. Dit autrement, peut-on légitimement renvoyer dos à dos une discipline dans sa globalité et ses applications, et ses détenteurs? Comment, en effet, une discipline ou un savoir pourraient-ils devenir « arrogant », ou enfler tout seul, si chacun de ses détenteurs, individuellement, se tenait dans une stricte réserve , une éthique irréprochable et une certaine humilité? Cela me semble un vrai question.

En vous souhaitant à tous une très belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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