n passant, nous vous proposons quelques nouvelles images de la motte castrale en cours de reconstitution. C’est un monde 3D que nous réalisons avec le moteur du jeu vidéo Medieval engineers de la société Keen Software et qui s’inspire de diverses lectures sur le sujet: de Viollet le Duc à d’autres études archéologiques plus récentes, en passant bien sûr par l’incontournable colloque de Caen sur l’archéologie médiévale et les écrits de Michel de Boüard et de Michel Bur (voir aussi nos articles sur la naissance et l’histoire des châteaux forts) et encore d’éléments retrouvés dans les chroniques de Guines et d’Ardre, par Lambert, curé d’Ardres (notamment sur la répartition des espaces privatifs et des pièces dans un donjon du milieu du XIIe siècle).
Nous nous attellerons bientôt à la réalisation d’une vidéo qui nous fournira l’occasion d’une visite virtuelle commentée de ce monde, mais en attendant, nous vous proposons un peu d’infographie et de travail sur les lumières, les ciels et les ambiances.
C’est donc un monde « imaginaire » que nous nous sommes proposés de réaliser ici. Il présente une grande motte castrale, ses installations défensives et sa basse-cour, et s’inspire de sources historiques et archéologiques sérieuses pour se situer à la croisée de possibles; l’idée étant donc de fournir le prétexte de parler de ces châteaux à motte et de leurs installations, autant que d’approcher la vie dans ce type de forteresses aux XIe, XIIe siècles.
Comme nous le disions déjà dans un premier article de présentation sur ce projet de motte castrale, ceux qui sont familiers de ce genre de châteaux de bois et de terre noteront que notre butte est d’une hauteur assez exceptionnelle. Elle dépasse, en effet largement, les trente mètres d’élévation, ce qui la rend, de fait, bien plus haute que la plupart de ses contemporaines qui, elles, plafonnent bien plus souvent à des hauteurs maximales de 15 à 20 mètres. Il existe, bien sûr, des exemples de mottes castrales artificielles frappées de gigantisme notamment au niveau du diamètre général d’élévation en pied de butte mais peu d’entre elles atteignent de telles hauteurs que celle de nos captures et de notre monde 3D, en étant artificielles.
Si une telle motte castrale avait existé, elle aurait été assurément juchée sur une butte semi artificielle, voir naturelle comme on a retrouvé certaines, depuis, grâce à l’archéologie ou encore à la photographie aérienne.
A l’image de sa hauteur, le diamètre du plateau de notre motte est aussi particulièrement grand. Bien qu’elles semblent avoir obéi à des standards de construction relativement hétérogènes, les mottes castrales du moyen-âge central présentent bien plus fréquemment des plateaux qui avoisinent les dix à quinze mètres de diamètre et celle-ci les supère largement. Même si notre forteresse imaginaire n’est pas encore de pierre, au vue de sa taille générale – motte et installations défensives et humaines comprises – autant que des moyens déployés nous sommes forcément, ici, en présence d’un seigneur de prestige et nanti. Pour faire bonne mesure nous lui avons d’ailleurs ménager une tour maîtresse (donjon) qui offre tout le confort auquel un tel seigneur aurait pu rêver dans le courant du XIIe siècle et dans ce moyen-âge, devenu féodal.
Vous pouvez, bien entendu, utiliser ces images, comme fonds d’écran gratuits si le coeur vous en dit.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : musique, danse, chanson et poésie médiévale, troubadours Titre : Kalenda maïa, Kalenda maya (Calenda) Auteur : Raimbaut de Vaqueiras, Période : moyen-âge central, XII, XIIIe Interprètes : Clemencic Consort , René Zosso , Album : Troubadours, Harmonia Mundi
Bonjour à tous,
n peu de danse, musique et poésie à la fois, aujourd’hui, avec la chanson célèbre Kalenda Maia. C’est de circonstance puisque nous sommes arrivés aux calendes de mai dont le chant nous parle, soit les premiers jours de ce mois ; contrairement à ce qu’on pourrait quelquefois le crois, rien à voir avec le calendrier maya.
« Ni les calendes de Mai Ni les feuilles de hêtres, Ni les chants d’oiseaux, ou les glaïeuls fleuries Ne sont de mon goût, O noble et joyeuse dame, Jusqu’à ce qu’un messager de la flotte envoyé par votre belle personne vienne me conter de nouveaux plaisirs d’amour et de joie que vous m’apportez » Raimbaut de Vaqueiras, Calendes de mai.
L’estampie : danse médiévale
des XIIe au XIVe siècles
On dit de cette chanson qu’elle a été chantée et même improvisée par le troubadour Raimbaut de Vaqueiras (1150 – 1207) sur la musique d’une estampie qui existait déjà. L’estampie est une danse du moyen-âge qui a été assez populaire du XIIIe siècle jusqu’au XIVe siècle. On la suppose née en France d’où elle s’est répandue jusqu’en Angleterre où elle a connu une grande popularité. Concernant le morceau que nous partageons aujourd’hui, c’est, à ce jour, une des plus ancienne estampie connue qui nous soit parvenue (cf universalis). On notera que cette chanson a été également interprété par le troubadour italien Angelo Branduardi sur son album » « Futuro Antico ». Rien d’étonnant quand on sait qu’en son temps Raimbaut de Vaqueiras fut au moins aussi populaire en Italie qu’en Provence sinon plus.
L’album « Troubadours » du Clemencic Consort
avec René Zosso
Pour la version que nous partageons aujourd’hui, elle est interprétée par le Clemencic Consort, accompagné de René Zosso. Au moment de la publication initiale, nous ne l’avions pas identifiée, aussi merci au visiteur qui a su rappeler à notre attention ce manque dans cet article ! C’était un des rares pour lequel nous n’avions pas l’interprète et l’occasion ne nous avait pas été donnée d’y revenir depuis sa parution. C’est chose faite, grâce à lui aussi merci encore.
On peut retrouver cette chanson, aux côtés d’autres pièces en langue occitane, dans l’album Troubadours de l’excellent Ensemble médiéval de René Clémencic : Raimbaut de Vaqueiras y côtoie Bernart de Ventadorn, Peirol, Peire Vidal, et encore une composition demeurée anonyme du XIIe siècle. Enregistré en 1977, l’album a fait, depuis, l’objet de diverses rééditions. A ce jour, il est encore disponible à la vente en ligne au format vinyle mais aussi au format dématérialisé : lien utile pour plus d’information ici.
Précisons qu’on peut trouver de nombreuses interprétations de Kalenda Maya, mais nous cherchions quelque chose de plus épuré qui puisse un peu nous rapprocher du contexte de sa création originale. Cette version qui reflète du reste bien l’esprit et le travail habituel de ce très bel ensemble médiéval sort clairement du lot.
Raimbaut de Vaqueiras :
guerrier, chevalier et troubadour
Fils d’un chevalier de Provence de petite noblesse et désargenté, les talents de jongleur et troubadour que Raimbaut de Vaqueiras (Vaucluse) développa assez vite le firent admettre à la cour de Guillaume des Baux, prince d’Orange, où il put développer son art du chant et de la poésie tout en apprenant le maniement des armes. Il passa, par la suite, à la cour de Boniface de Montferrat où il demeura, semble-t-il, la plus grande partie de sa vie. Il resta attaché au service de ce dernier dont il fut le vassal et qui le fit aussi chevalier, Entre autres campagnes et batailles, il accompagna notamment le Marquis de Montferrat, à l’occasion de la quatrième croisade.
Raimbaut de Vaqueiras a laissé une œuvre qui se compose de trente trois poésies lyriques mais également d’une « lettre épique » adressée à Boniface et dans laquelle il conte, en plus de deux cent pieds de vers, sa vie de Chevalier et de troubadour. Ce document reste, à ce jour, un des seuls témoignages autobiographiques, écrit de la main d’un troubadour, connu historiquement (cf The Poems of the Troubadour Raimbaut de Vaqueiras by Joseph Linskill, Charles Roth, Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance).
Fait qui mérite encore d’être souligné, on lui doit encore une poésie de cinq strophes dont chacune d’entre elle est écrite dans une langue différente : occitan, français, italien, gascon, galeïco-portugais et on dit encore de lui qu’il est un des troubadours qui aura le plus fait pour acclimater son art et la langue provençale dans la péninsule italienne! (ci-dessus Raimbaut de Vaqueiras, enluminures, BnF, Manuscrit 854, Recueil de poésies, en provençal, de troubadours, XIIIe siècle )
Outre le destin exceptionnel de cet homme, issu de famille pauvre et de petite noblesse, finalement adoubé et fait chevalier, Raimbaut de Vaqueiras fut aussi un des premiers troubadours à se rendre populaire dans les cours d’Italie du nord. On lui prête des talents qui vont de la poésie et l’art du troubadour jusqu’aux arts guerriers et on se trouve bien en peine de choisir celui qui le distingue le plus tant il montre des qualités dans les deux domaines. De sa mort, on sait peu de chose et on suppose qu’il est peut-être mort au combat, aux côtés de son suzerain lors d’une bataille qui opposait ce dernier aux bulgares pour défendre son royaume de Romanie.
Les paroles et l’histoire de la Chanson:
Un chant d’amour courtois.
Comme tous les troubadours, Rambaut de Vaqueiras était un provençal. Sa langue est donc, comme celle des troubadours, l’occitan. Nous n’avons pas cette langue dans notre besace et les langues latines que nous possédons sont de peu d’aide pour approcher la traduction de l’occitan. Concernant Kalenda Maya, nous en avons trouvé, pour l’instant une traduction anglaise et une autre italienne. A ce jour, il semble bien en effet que la bible des textes de Raimbaut de Vaqueiras et leur traduction soit anglaise : « The Poems of the Troubadour Raimbaut de Vaqueiras. By Joseph Linskill ». Pour le coup, une telle traduction reste un peu du billard indirect et ne saurait atteindre des sommets en terme d’excellence linguistique, mais cela aura le mérite de nous donner une idée du texte original à défaut de prétendre lui être totalement fidèle. Il faudra toutefois un peu de temps pour arriver au résultat et je la posterais plus tard dans le temps..
En deux mots quand même, et pour ne pas vous laisser trop sur votre faim, l’histoire est un chant d’amour courtois. Le troubadour y déclare donc sa flamme douloureuse à la belle dame qu’il convoite et qu’il n’a pas encore « pécho », conquise pardon! Le voilà donc tout à ses tourments dans l’attente d’un messager aux premiers jours de mai, et même les chants d’un oiseau, les glaïeuls en fleur ou les belles feuilles de hêtres ne peuvent le soustraire à son supplice. Tremblant qu’on ne lui prenne la belle Béatrice avant même qu’elle ne soit à lui mais confiant en ses grandes vertus, il lui déclare son amour transis tout au long du chant. Pour l’anecdote, on ne sait pas vraiment qui était cette dame Béatrice mais plusieurs poèmes de Raimbaut de Vaqueiras y font référence après qu’il ait rejoint la cour de Montferrat.
Les paroles originales de Calenda Maïa, (Kalenda Maïa) en occitan
Kalenda maia Ni fueills de faia Ni chans d’auzell ni flors de glaia Non es qe.m plaia, Pros dona gaia, Tro q’un isnell messagier aia Del vostre bell cors, qi.m retraia Plazer novell q’amors m’atraia E jaia, E.m traia Vas vos, donna veraia, E chaia De plaia .l gelos, anz qe.m n’estraia.
Ma bell’ amia, Per Dieu non sia Qe ja.l gelos de mon dan ria, Qe car vendria Sa gelozia, Si aitals dos amantz partia; Q’ieu ja joios mais non seria, Ni jois ses vos pro no.m tenria; Tal via Faria Q’oms ja mais no.m veiria; Cell dia Morria, Donna pros, q’ie.us perdria.
Con er perduda Ni m’er renduda Donna, s’enanz non l’ai aguda Qe drutz ni druda Non es per cuda; Mas qant amantz en drut si muda, L’onors es granz qe.l n’es creguda, E.l bels semblanz fai far tal bruda; Qe nuda Tenguda No.us ai, ni d’als vencuda; Volguda, Cresuda Vos ai, ses autr’ajuda.
Tart m’esjauzira, Pos ja.m partira, Bells Cavalhiers, de vos ab ira, Q’ailhors no.s vira Mos cors, ni.m tira Mos deziriers, q’als non dezira; Q’a lauzengiers sai q’abellira, Donna, q’estiers non lur garira: Tals vira, Sentira Mos danz, qi.lls vos grazira, Qe.us mira, Cossira Cuidanz, don cors sospira.
Tant gent comensa, Part totas gensa, Na Beatritz, e pren creissensa Vostra valensa; Per ma credensa, De pretz garnitz vostra tenensa E de bels ditz, senes failhensa; De faitz grazitz tenetz semensa; Siensa, Sufrensa Avetz e coneissensa; Valensa Ses tensa Vistetz ab benvolensa.
Donna grazida, Qecs lauz’ e crida Vostra valor q’es abellida, E qi.us oblida, Pauc li val vida, Per q’ie.us azor, donn’ eissernida; Qar per gencor vos ai chauzida E per meilhor, de prez complida, Blandida, Servida Genses q’Erecs Enida. Bastida, Finida, N’Engles, ai l’estampida.
Voilà, pour la traduction complète en français, ce sera pour un peu plus tard. 🙂
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
« Ne lisez pas pour contredire ou pour réfuter, ni pour croire et pour accepter sans approfondir, mais pour peser et pour réfléchir. » Roger Bacon (1214-1294), « Docteur admirable », philosophe, savant, médecin, linguiste, astrologue et alchimiste.
oilà une belle éloge du sens critique de la part d’un des grands savants du moyen-âge central. Elle n’a pas pris une ride et même peut-être n’a-t’elle jamais été aussi pertinente en ces temps d’inflation et de surabondance de l’information où nous sommes rendus.
D’une certaine manière, cette citation médiévale pleine de sagesse recoupe une phrase que je lisais l’autre jour et qui faisait remarquer qu’à l’ère de l’information, chacun peut trouver les ouvrages, ressources, articles, sites, etc, sur à peu près tous les sujets. Me concernant, je n’en finis pas d’être confondu par la masse des ouvrages et des sources qui ont été numérisés et qui sont désormais disponibles par le simple canal du web. Il y a encore à peine vingt ans, il aurait fallu écumer bien plus d’une seule bibliothèque pour accéder à une telle richesse livresque et documentaire. Même si j’aime les livres papiers, je dois admettre que cette petite révolution moderne est largement bienvenue.
Au fond, disait encore l’auteur de la phrase, « dans ce contexte, il y a, en quelque sorte, de moins en moins d’excuses à l’ignorance » et il encourageait les gens à fouiller, à chercher par eux-mêmes. Je sais que cela n’est pas du goût de tout le monde. C’est un choix, il faut se garder de juger, on peut avoir des difficultés à trouver l’énergie pour creuser ou s’informer, ou simplement ne pas en avoir l’envie, ni la curiosité. D’une certaine manière, nos sociétés s’arrangent toujours pour nous faire courir après l’argent, le travail et finalement le temps, jusqu’au moment où il ne nous en reste plus. C’est un piège dans lequel nous tombons souvent et qui s’accompagne presque toujours du sentiment que nous manquons de temps pour tout quand, au final, nous en prenons aussi pour d’autres choses. Tout est vraiment question de choix, en définitive, mais, en tout cas, concernant l’information, tout est là, à disposition et aujourd’hui, comme au XIIIe siècle, il faut, avec Roger Bacon, approfondir pour trier et peser!
En vous souhaitant une belle journée!
Fred « L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publilius Syrus Ier s. av. J.-C
Sujet : fabliau Titre ; la housse partie Auteur présumé : le trouvère Bernier Période : XIIIe siècle, moyen-âge central Tiré de l’ouvrage : morceaux choisis des auteurs français, moyen-âge et seizième siècle. XIXe siècle. Auteur : Louis Petit de Julleville
Bonjour à tous,
ujourd’hui nous vous proposons une adaptation, traduction et mise en vers d’un fabliau du moyen-âge, plus précisément du XIIIe siècle, qui a pour titre: « La housse partie ». En français moderne, on pourrait traduire ce titre par « la couverture partagée » ou « coupée en deux ». Au passage, il est intéressant de noter que l’espagnol a gardé du latin ce sens de « partager » : « compartir » partager des biens de la nourriture avec autrui et encore « partir »: séparer, couper en deux. Dans le mot « partir » en français, l’étymologie est la même et vient du latin « partire » (séparer) et il y a encore finalement ce sens de séparation mais le verbe « partir » dans le sens de « faire des parts » n’est plus usité.
Ce fabliau « la housse partie » est attribué au trouvère Bernier et nous l’avons tiré d’un ouvrage du XIXe siècle, « Morceaux choisis des auteurs français, moyen-âge et seizième siècle », de Louis Petit de Julleville (1841-1900), érudit, docteur es lettres et professeur de littérature médiévale. La version de ce fabliau que nous présentons ici est la même que la sienne, à ceci près bien sûr que nous l’avons adapté en vers. C’est une version un peu raccourcie qui passe, assez rapidement, sur l’introduction du fabliau pour aller au coeur de l’histoire et jusqu’à sa fin.
Vous noterez, au passage, les similitudes du langage employé dans ce fabliau avec celui de Rutebeuf – le testament de l’âne – que nous avions déjà adapté en vers ici et même mis en lecture audio. Je ne parle pas, bien sûr, que du vocabulaire mais également des tournures et du style.
Le Début de l’histoire
Pour permettre à son fils de marier une noble, un riche bourgeois d’Abbeville lui a cédé tous ses biens; l’homme vit donc, désormais, chez le couple mais sa belle fille, lassée de l’entretenir presse son mari de mettre son père dehors ce que l’époux ingrat autant que soumis consent finalement à faire.
La couverture partagée »
Traduction, adaptation en vers
Celui qui sa femme redoute
Maintenant vient trouver son père
Et lui dit d’un air empressé
« Père, père, allez-vous en.
Allez chercher pitance ailleurs,
On vous a donné à manger
En ce logis douze ans ou plus
Mais faîtes vite et sans tarder »
Le père l’entend, durement pleure,
vient à maudire le jour et l’heure
Qui l’ont fait vivre si longtemps:
« Ha! Beau doux fils que me dis-tu?
Par Dieu, si honneur tu me portes
Laisse-moi ici devant la porte
J’y occuperais peu de place
ne demanderais point de feu
ni courte-pointe ni tapis
Je me tiendrai dehors, ici
sous le couvert de l’appentis
fais-moi porter un peu de paille.
(Le fils, hélas, reste intraitable,
Et voilà le père qui s’en va,
Mais avant de sortir de là
Il supplie encore son fils
de lui concéder un service)
« Beau doux fils, tout mon coeur tremble
Je redoute tant la froidure
Donne moi une couverture
De celle dont tu couvres ton cheval
Que le froid ne me fasse mal. »
Pressé de s’en débarrasser
et voyant qu’il ne peut le faire
s’il ne lui donne quelque chose
Avant que son père s’en aille
L’homme fait appeler son fils
Quand il l’appelle l’enfant accourt
« Que vous plait sire? » dit l’enfant
« Mon cher fils, je te demande
Si tu trouves l’étable ouverte,
donne à mon père la couverte
qui est sur mon cheval noir.
(L’enfant descend à l’écurie,
Prend la couverte sur la bête,
La coupe en deux et s’en revient
Une moitié dans une main.
« Pourquoi donc l’as-tu coupée? »
Demande le père irrité.
Donne-lui au moins les deux moitiés! »)
« Je n’en ferais rien, dit l’enfant
Avec quoi seriez-vous payé?
Je vous en garde l’autre moitié!
Car de moi vous n’aurez pas plus
Et si je suis un jour le maître
je serais juste avec vous
Comme vous le fûtes envers lui.
Et comme il vous légua ses biens
Pareillement je les veux bien
Et de moi, alors n’obtiendrez
Qu’autant que vous lui donnerez
Si le laissez mourir chétif
Tel ferais de vous si je vis
Le père l’entend et puis soupire
entre en lui-même et réfléchit
Et des paroles que l’enfant dit
L’homme, un grand exemple, prit
Lors, vers son père tourna le chef,
« Père fait-il, revenez donc là,
C’était le Diable et le péché
qui, par ma bouche, s’exprimaient
Mais qu’a Dieu plaise, ce ne peut-être
Et je vous fais seigneur et maître
de ma maison à tout jamais… »
Le texte original en vieux français
Cil qui sa fame doute et crient Maintenant a son père vient, Ce li ad dit isnelement : « Pères, pères, alés vous enl… Alès vous aillors porchacier. On vous a doné a mangier En cest ostel douze ans ou plus. Mes fetes tost, si levés sus… » Li peres l’ot, durement pleure, Sovent maudit le jor et l’eure Qu’il a tant au siècle vescu : « Ha, biaus dous fis, que me dis-tu?’ Por Dieu itant d’onor me porte Que ci me lesses a ta porte. Je me girrai en poi de leu. Je ne te quier ne point de feu, Ne coûte pointe ne tapis, Mes la fors sous cel apenlis Me fai baillier un pou d’es train. »
(Comme le fils reste intraitable, le vieillard s’éloigne mais avant de sortir, il supplie qu’on lui donne au moins une couverture pour se prémunir du froid.)
Biaus dous fis, tos li cuers me tremble, Et je redout tant la froidure. Done moi une couverture De qoi tu cuevres ton cheval, Que li frois ne me face mal. » Cil qui s’en bee a descombrer Voit que ne s’en puet délivrer S’aucune chose ne li baille. Por ce que il veut qu’il s’en aille, Commande son fil qu’il li baut. Quant on le huche, l’enfes saut : « Que vous plest, sire? dist l’enfant. « Biaus fis, fet-il, je te commant Se tu trueves l’estable ouverte Done mon pere la couverte Qui est sus mon cheval morel… »
(L’enfant descend à l’écurie, trouve la couverture, la coupe en
deux et en rapporte la moitié : « Pourquoi l’as-tu coupée?, demande le père irrité. Donne-lui au moins les deux parts! »)
» Non ferai, dit l’enfes, sens doute . De qoi seriiés vous paiié? Je vous en estui la moitié, Que ja de moi n’en avrés plus, Si j’en puis venir au desus. Je vous partirai autressi Comme vous avés lui parti. Si comme il vous dona l’avoir Tout ausi je le vueil avoir. Que ja de moi n’en porterés Fors que tant com vous li donrés. Se le laissiés morir chetif, Si ferai je vos, se je vif. » Li peres l’ot, parfont souspire, Il se repensse et se remire ; Aus paroles que l’enfes dist, Li peres grant exemple prist.
Vers son pere torna sa chiere: « Peres, fet-il, tornés arriere. C’estoit enemis et pechié Qui me cuide avoir aguetié : Mes se Dieu plest, ce ne puet estre Or vous fas-je seignor et mestre De mon ostel a tos jors mes…. »
Voilà, mes amis, un peu de saveur médiévale sur la gratitude des enfants que nous aurons réussi à partager, nonobstant la mauvaise humeur manifeste de l’équidé atrabilaire qui s’est invité sur cette page et qui, visiblement n’aura pas apprécié l’histoire, on se demande bien pourquoi. Quoiqu’il en soit et concernant notre fabliau, il est heureux que les temps aient changé!
Fred
pour moyenagepassion.com « A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »