Sujet : roman, livre, aventure médiévale, médecine médiévale, alchimie, Moyen-âge chrétien, science médiévale, savant, conte. troubadour. Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Frédéric EFFE Titre : Frères devant Dieu ou la Tentation de l’alchimiste Date de parution : 13 mars 2019
Bonjour à tous,
près d’incomptables heures de travail et de recherche, étalées sur plus de trois ans, nous avons le plaisir de vous annoncer la publication de notre roman « Frères devant Dieu ou la tentation de l’Alchimiste« .
Résumé de l’ouvrage
Début du XIVe siècle. Un vieux moine à l’article de la mort insiste, auprès de son visiteur, pour lui faire consigner une histoire : celle de deux frères ayant vécu à la cour d’un seigneur de Provence, près d’un demi-siècle plus tôt.
Geoffroy, brillant médecin et alchimiste ne vit que pour sa science et ses patients. Guillain, son frère, est un talentueux poète et troubadour. Favori de la cour, c’est un séducteur né qui profite de l’existence, avec insouciance, en accumulant les conquêtes.
Les jours s’écoulent paisibles, au château, mais l’apparition d’une fièvre mystérieuse sur le domaine, bientôt suivie d’autres événements, va balayer cette quiétude. Insidieusement, un voile noir s’apprête à tout recouvrir, mettant le médecin et son frère face aux plus grands des défis.
Où se procurer l’ouvrage ?
FdD ou la tentation de l’alchimiste est dores et déjà disponible à la distribution au format papier, mais aussi au format ebook et liseuse.
Complément : moyen-âge historique et mentalités médiévales
Si le récit de Frères devant Dieu ou la Tentation de l’alchimiste ne s’inscrit pas dans des faits politiques marquants des XIIIe, XIVe siècles, sa toile de fond reste celle du moyen-âge réaliste et historique. On y croisera, ainsi, des éléments documentés sur la médecine et l’alchimie médiévales, avec des références à Hildegarde de Bingen, Avicenne, Arnaud de Villeneuve, Roger Bacon et encore d’autres savants médecins du moyen-âge central. On y assistera aussi à nombre de scènes de vie de cour et de château, d’époque. Derrière tout cela, il est aussi question de susciter une réflexion sur les mentalités médiévales, tout en évitant de tomber dans les poncifs ou les caricatures du genre.
Bien sûr, quelques libertés y sont prises car ce récitreste, avant tout, un divertissement, une invitation au voyage. A ce titre, il possède les ingrédients et le rythme d’un roman d’aventure, de vivants dialogues, une touche d’investigation policière et des éléments qui peuvent le rapprocher d’un conte, un peu comme une vieille histoire oubliée qui viendrait nous parler de la danse complexe du bien et du mal et, finalement, du sens de l’existence, dans une perspective médiévale, mais aussi plus actuelle.
Nous espérons vivement que ce roman vous plaira autant que nous avons pris plaisir à l’écrire. En le lisant ou en l’offrant, sachez également que vous soutiendrez nos efforts à faire vivre moyenagepassion.com.
Une très belle journée à tous.
Frédéric EFFE
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Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : 26 « Non é gran cousa » ou le pélerin de Saint-Jacques Compostelle Ensemble : Evo Medieval Music, Efren Lopez Média : chaîne youtube de la formation
Bonjour à tous,
n route pour l’Espagne du XIIIe siècle et la cour de Castille, à la découverte d’une nouvelle Cantiga de Santa Maria. Témoin de la grande dévotion au culte marial médiéval, ce grand legs du souverain Alphonse X de Castille nous est aussi demeuré précieux pour sa rédaction en galaïco-portugais, cette langue longtemps prisée par les poètes et les troubadours de la péninsule ibérique et qui allait donné naissance au Portugais et au Galicien.
Aux sources de la Cantiga 26
Connue aussi sous le titre du « le pèlerin de Saint-Jacques« , la Cantiga de Santa Maria 26 fait partie des récits les plus célèbres de ce corpus, autour du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Durant le moyen-âge, il semble même qu’une fête lui était dédiée dans la cathédrale de la ville.
L’histoire est, à nouveau, celle d’un Miracle et quel miracle, puisque bien au delà d’une simple guérison, il s’agit ici rien moins que d’une résurrection. Notons que ce récit, repris dans les Cantigas d’Alphonse X, est connu dès les XIe, XIIe siècle. On le trouve, en effet, mentionné dans plusieurs sources dont notamment le Codex Calixtinus, Liber Sancti Jacobi ou Livre de Saint Jacques, daté de la première moitié du XIIe. Sous certaines de ses formes originelles, ce miracle fait une place plus mesuré à la vierge contre le Saint, mais sous la plume du souverain espagnol ou de ses scribes, il était bien naturel que la Sainte Mère de Dieu mort en croix, y retrouve une place centrale.
L’interprétation de Evo medieval music
Pour l’interprétation musicale de ce chant qu’on trouve repris par un certain nombre de formations (sous une forme souvent tronquée car elle est assez longue), nous avons choisi la belle approche de l’ensemble espagnol Evo Medieval Music. Datée de 2011, la prestation fut donnée dans le cadre du IVe cycle des arts scéniques et des musiques historiques de León. Conduit par son talentueux fondateur Efren Lopez, Evo y était accompagné, pour l’occasion, de l’Almodí Chamber Choir de Valencia.
La Cantiga de Santa Maria 26 par Evo & Almodí
Le Miracle de la Cantiga 26
Un pèlerin avait l’habitude de se rendre, chaque année, à Saint-Jacques de Compostelle, mais une de ces nombreuses fois, avant de se mettre en chemin, il s’acoquina avec une femme de petite moralité et passa la nuit avec elle. Facteur aggravant, nous conte le poète, l’homme n’était pas marié avec sa partenaire de passage, mais, pire encore, il ne se lava pas de son péché (en le confessant), avant de prendre la route de Compostelle. C’est ainsi que le diable, attiré par l’odeur du coupable péché, lui apparût en chemin. « Blanc comme une hermine« , le Malin, qui avait pris l’apparence de Saint-Jacques de Compostelle, prétendit vouloir sauver le pécheur et lui demanda pour cela de s’amputer du membre par lequel il avait fauté, avant de se trancher le cou.
Désireux d’échapper aux affres de l’Enfer, le dévot pèlerin suivit scrupuleusement les perfides consignes et, après s’être émasculé, il mit fin à ses jours, en s’ouvrant la gorge. De crainte d’être accusés de l’avoir occis, ceux qui l’accompagnaient s’enfuirent et les démons vinrent bientôt chercher l’âme de l’infortuné pour la porter avec eux, aux enfers. L’affaire ne fut pourtant pas si simple car, comme leur cortège passait devant une belle chapelle dédiée à Saint-Pierre, Saint-Jacques en personne, en sortit pour s’interposer. Le pèlerin avait été trompé en son nom et l’âme égarée ne pouvait être conduite aux enfers ; c’est la ruse du Diable, autant que la grande foi de l’homme en la parole usurpée du Saint, qui l’avaient, en effet, conduit au suicide et non sa propre volonté. Les démons, de leur côté, argumentèrent que, comme le pécheur s’était donné la mort de ses propres mains, il devait être conduit, sans délai, devant l’ange déchu.
Voyant que le débat demeurait sans issue, Saint-Jacques fit appel au jugement de la Sainte-Mère, dont même les démons ne pourraient que convenir de l’impartialité. Dans sa grande mansuétude, la vierge ne donna pas cause à ces derniers et l’âme du pèlerin que la perfidie du Malin avait poussé à l’irréparable, fut retournée dans son corps, afin qu’il puisse vivre : « Non é gran cousa se sabe bon joyzo dar a Madre do que o mundo tod’ á de joigar.« . Ce n’est pas très étonnant qu’elle sache bien juger, la Mère de celui qui, dans le monde entier, est juge de toute chose.
Suite à cela, l’homme put faire pénitence et servit Dieu, le reste de sa vie. L’appendice par lequel il avait péché ne lui fut, toutefois, pas restitué.
La Cantiga de Santa Maria 26 d’Alphonse X
NB : concernant la traduction, merci de prendre en compte qu’elle n’a la prétention que d’être indicative. Comme ce n’est pour l’instant qu’un premier jet, elle comporte encore certaines imperfections.
Esta é como Santa María juïgou a alma do Roméu que ía a Santïago, que se matou na carreira por engano do dïabo, que tornass’ ao córpo e fezésse pẽedença.
Celle-ci raconte comment Marie a jugé l’âme d’un pèlerin qui allant à Santiago de Compostelle, s’était tué en chemin après avoir été trompé le diable, de sorte qu’elle la fit retourner dans son corps pour qu’il fasse pénitence.
Mui gran razôn é que sábia dereito quen Déus troux’ en séu córp’ e de séu peito mamentou, e del despeito nunca foi fillar; porên de sen me sospeito que a quis avondar.
Non é gran cousa se sabe | bon joyzo dar a Madre do que o mundo | tod’ á de joigar.
Il est très juste que celle qui fit croître Dieu dans son corps, le nourrit de son sein, et ne l’a jamais mécontenté, soit capable de juger justement, car j’ai confiance qu’il l’a doté en abondance (de grands dons).
Ce n’est pas chose étonnante qu’elle sache bien juger
la Mère de celui qui, dans le monde entier, est juge de toute chose.
Sobr’ esto, se m’ oissedes, diria dun joyzo que deu Santa Maria por un que cad’ ano ya, com’ oý contar, a San Jam’ en romaria, porque se foi matar. Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
A ce propos, si vous m’écoutez, je vous parlerai d’un jugement que fit Sainte Marie pour un qui chaque année, allait, comme je l’entendis conter, en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle où il se donna la mort.
Refrain ….
Este romeu con bõa voontade ya a Santiago de verdade; pero desto fez maldade que ant’ albergar foi con moller sen bondade, sen con ela casar. Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
Ce pèlerin de bonne volonté se rendait vraiment à Santiago mais, il se comporta mal, car avant de prendre la route, il coucha avec une femme de peu de moralité, sans être marié avec elle.
Refrain ….
Pois esto fez, meteu-s’ ao caminno, e non se mãefestou o mesquinno; e o démo mui festinno se lle foi mostrar mais branco que un arminno, polo tóst’ enganar.
Cela fait, il se mit en chemin sans confesser son péché, le mesquin, et le démon très rusé se manifesta à lui, plus blanc qu’une hermine, pour le tromper totalement.
Refrain ….
Semellança fillou de Santïago e disse: “Macar m’ éu de ti despago, a salvaçôn éu cha trago do que fust’ errar, por que non cáias no lago d’ iférno, sen dultar. Non é gran cousa se sabe | bon joízo dar…
Sous l’apparence de Saint-Jacques , il lui dit « Même si je devrais te donner le bâton, je vais t’apporter le salut car tu t’es égaré, pour que tu ne tombes pas dans le lac de l’enfer, qui t’attend sinon. »
Refrain ….
Mas ante farás esto que te digo, se sabor ás de seer méu amigo: talla o que trages tigo que te foi deitar en poder do ẽemigo, e vai-te degolar.” Non é gran cousa se sabe | bon joízo dar…
Mais avant cela tu feras ce que je te dis, si tu as le désir d’être mon ami coupe la partie de toi qui t’as fait tomber au pouvoir de l’ennemi et ensuite, tranche toi la gorge.
Refrain ….
O romeu, que ssen dovida cuidava que Santiag’ aquelo lle mandava, quanto lle mandou tallava; poi-lo foi tallar, log’ enton se degolava, cuidando ben obrar. Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
Le pèlerin, qui était persuadé que Santiago était celui qui lui avait commandé de tout couper, trancha tout et ensuite il s’ouvrit la gorge, en croyant bien faire.
Refrain ….
Séus companneiros, poi-lo mórt’ acharon, por non lles apõer que o mataron, foron-s’; e lógo chegaron a alma tomar démões, que a levaron mui tóste sen tardar.
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
Ses compagnons, par la suite, trouvèrent le mort et de peur qu’on les accuse de l’avoir tué, s‘enfuirent; et après cela, les démons arrivèrent pour prendre l’âme et l’emportèrent sans tarder.
Refrain ….
E u passavan ant’ ha capela de San Pedro, muit’ aposta e bela, San James de Conpostela dela foi travar, dizend’: «Ai, falss’ alcavela, non podedes levar Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
Et ainsi ils passèrent devant une chapelle de Saint Pierre, très belle et bien entretenue. Et Saint-Jacques de Compostelle est venu vers eux, en disant: » Ohé, faux trafiquants !, vous ne pouvez emporter
Refrain ….
A alma do méu roméu que fillastes, ca por razôn de mi o enganastes; gran traïçôn i penssastes, e, se Déus m’ampar, pois falssament’ a gãastes, non vos póde durar.”
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
L’âme de mon pèlerin que vous avez prise de force et qu’en vous servant de moi, vous avez trompé. Grande trahison vous fîtes là et si Dieu me protège, vous ne pouvez persister dans cette erreur, à votre guise,
Refrain ….
Responderon os demões louçãos: «Cuja est’ alma foi fez feitos vãos, por que somos ben certãos que non dev’ entrar ante Deus, pois con sas mãos se foi desperentar.» Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
Les démons répondirent : « Ceci est une âme dévoyée (rendue vide), car nous sommes bien certains qu’elle ne doit pas se présenter face à Dieu, puisque qu’elle s’est donnée la mort de ses propres mains ».
Refrain ….
Santiago diss’: «Atanto façamos: pois nos e vos est’ assi rezõamos, ao joyzo vaamos da que non á par, e o que julgar façamos logo sen alongar.» Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
Santiago dit : « Regardons les choses en face, puisque vous et moi ne pouvons nous accorder, faisons appel au jugement de celle qui est impartiale afin de nous fier ensuite à son jugement, sans plus tergiverser.
Refrain ….
Log’ ante Santa Maria veron e rezõaron quanto mais poderon. Dela tal joiz’ ouveron: que fosse tornar a alma onde a trouxeron, por se depois salvar. Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar..
Puis ils vinrent face à Sainte-Marie et argumentèrent autant qu’ils purent Et celle-ci rendit tel jugement que l’âme fut renvoyée d’où elle venait pour qu’elle puisse ensuite, être sauvée.
Refrain ….
Este joízo lógo foi comprido, e o roméu mórto foi resorgido, de que foi pois Déus servido; mas nunca cobrar pod’ o de que foi falido, con que fora pecar.
Ce jugement fut bientôt exécuté et le pèlerin mort fut ressuscité après quoi il servit Dieu le reste de sa vie ; Mais sans jamais retrouver ce par quoi il avait failli et avec quoi il avait péché.
Refrain ….
Sujet : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson, musique médiévale, chant de croisade. poésie satirique, occitan Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Marcabru (1110-1150) Titre : « Lo vers del lavador» Interprète : Jordi Savall, Hespérion XXI Album: Jerusalem, la ville des deux paix (2014)
Bonjour à tous,
n plein cœur du Moyen-âge central, le troubadour Marcabru exhortait ses contemporains à la croisade, celle d’outre-mer mais plus encore celle, bien plus proche, des terres d’Espagne et de la « Reconquista ». Nous vous proposons, aujourd’hui, d’étudier de près cette chanson médiévale du XIIe siècle, ainsi que de vous en fournir la traduction. Du côté de l’interprétation et pour le temps de ce voyage, nous serons accompagnés de l’Ensemble médiéval Hespèrion XXI et la grande voix de Marc Mauillon, sous la direction de Jordi Savall.
Les vers du lavoir de Marcabru, par Hespérion XXI et Jordi Savall
Jerusalem, la ville des deux paix,
sous la direction de Jordi Savall
En 2008, Jordi Savall et Montserrat Figueiras accompagnés de La Capella Reial de Catalunya, la formation Al-Darwish et l’ensemble Hespèrion XXI, partaient à la redécouverte musicale de Jerusalem. Ils signaient ainsi un livre double-album, riche de 52 pièces, au carrefour de nombreuses influences musicales et civilisationnelles. La virtuosité de l’exercice fut salué par la scène des musiques anciennes et l’album fut primé d’un Diapason d’Or.
Comme à son habitude, Jordi Savall était bien décidé à transcender la simple interprétation musicale, pour se situer dans un message résolument humaniste et pacifiste. Sous sa maestria, Jérusalem devenait ainsi la ville des deux paix, paix céleste et paix terrestre et il déclarait à son sujet:
« Ce projet a été conçu comme un hommage à Jérusalem, la ville construite et détruite à l’infini par l’homme, dans sa quête du pouvoir sacré et du pouvoir spirituel. Par le pouvoir de la musique et des paroles, ce fruit de la collaboration passionnée et engagée de musiciens, poètes , chercheurs, écrivains et historiens de 14 pays, ainsi qu’Alia Vox et les équipes de la Fondation CIMA, est devenu une fervente invocation pour la paix. » Jordi Savall
Au delà de son agencement savant de compositions et chants profanes, chrétiens, juifs ou musulmans, le maître de musique catalan nous proposait ici un véritable appel à la paix, en réunissant aussi autour de lui des musiciens européens, juifs, palestiniens et venus encore du monde arabe. D’un point de vue narratif, l’oeuvre évoquait la cité sainte, à travers les âges, au large d’un périple de plus de 3000 ans : Jérusalem la juive de l’antiquité, Jérusalem la chrétienne et médiévale des pèlerinages, puis l’ottomane et musulmane, pour, finalement, s’ouvrir sur une dernière partie plus contemporaine et qui se voulait porteuse de réconciliation et d’espoirs, envers toutes les cultures en présence,
Pax in nomine Domini,
la chanson du lavoir de Marcabru
Contexte historique, 2e croisade et reconquista
Dans ce Pax in nomine Domini, plus connu encore sous le nom de les vers ou la chanson du lavoir (Vers del lavador), le célèbre troubadour comparait l’engagement aux croisades à un « lavoir » dans lequel tout chevalier et combattant chrétien pouvait et devait même « se laver » (se purifier de ses péchés). Mise à l’épreuve de sa foi véritable mais aussi purification de l’âme avec assurance d’y gagner le Paradis, il y pointait du doigt, au passage, les péchés de luxure et l’absence de foi de certains de ces contemporains.
Au sujet des nobles et seigneurs auxquels le poète médiéval fait allusion dans ce chant de croisade, on peut se risquer avec l’appui des médiévistes à quelques conclusions, même si certains éléments sont encore sujets à débat, Du point de vue datation, il semble que cette chanson ait été composée dans l’année 1149 et sans doute dans sa deuxième moitié.
(ci-contre le Pax in nomine Domini de Marcabru tronqué, mais accompagné de sa partition, Mss Français 844 de la Bnf)
Un an auparavant, la deuxième croisade s’enlisait devant Damas et, au début de l’année 1149, Louis VII levait le siège en mettant fin à la deuxième croisade, expliquant sans doute les critiques que Marcabru adresse aux français, dans sa dernière strophe. Du côté espagnol, et depuis quelques années, le comte de Barcelone Raimond-Berenguer IV avait accumulé les succès dans la reconquête de l’Aragonais contre les Maures. Autour de 1147, il leur avait notamment repris Tortosa, héritant ainsi du titre de Marquis de Tortosa. C’est sans doute de lui dont le troubadour nous parle dans l’avant dernière strophe de cette poésie.
Quant au comte défunt auquel Marcabru souhaite le repos de l’âme, à la toute fin de ce chant de croisade, et bien que les avis soient mitigés sur la question, on peut tout de même avancer qu’il s’agit sans doute de Raymond d’Antioche (1098-1149) (1). Les débats entre experts au sujet de cette identité gravitent principalement autour du fait que le noble était désigné sous le titre de « prince d’Antioche » et non de « comte » (2). Pour le reste, outre le fait qu’il était le second fils de Guillaume IX de Poitiers, lui-même duc d’Aquitaine et comte de Poitiers, Raymond d’Antioche est justement décédé dans le courant de l’année 1149, lors de la prise d’Antioche par le sultan Nur ad-Din, et durant la bataille d’Inab (29 juin 1149). Dès lors et si c’est bien de lui dont il s’agit ici, on peut supputer que Marcabru rédigea ses vers, peu après avoir appris la nouvelle. Cela, du reste, cadrerait tout à fait avec cette « Antioche » dont « le prix et la valeur sont pleurés par la Guyenne et le Poitou » dans la même strophe.
Concernant le lieu où le troubadour écrivit ses vers, là encore les avis ne sont pas tranchés. Il peut les avoir écrit alors qu’il était à la cour d’Espagne (probablement au service d’Alphonse VII) ou bien, ce que pourrait suggérer son chant, alors qu’il se trouvait encore en Aquitaine.
De l’Oc de Marcabru au français moderne
Pour la traduction de cette chanson, nous nous appuyons, à nouveau, largement, sur l’ouvrage de JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909) mais en les croisant avec quelques autres sources (notamment l’article de Silvio Melani(1)) et recherches complémentaires.
Dans l’interprétation musicale proposée plus haut, Jordi Savall a fait le choix de tronquer deux des strophes de la poésie originale (la 3 et la 4). De notre côté, nous vous la livrons dans son entier.
I Pax in nomine Domini Fetz Marcabrus los motz e.l so. Aujatz que di : Cum nos a fait, per sa doussor, Lo Seingnorius celestiaus Probet de nos un lavador, C’anc, fors outramar, no.n fon taus, En de lai deves Josaphas: E d’aquest de sai vos conort.
Pax in nomine Domini Marcabru a fait les paroles et l’air* (la musique) . Écoutez ce qu’il dit : Comme nous a fait, par sa bonté, Le Seigneur céleste, Il a fait près de nous un lavoir tel qu’il n’y en eut jamais, sinon outre-mer, là-bas, vers Josaphat, et c’est pour celui qui est près d’ici que je vous exhorte.
II Lavar de ser e de maiti Nos deuriam, segon razo, Ie.us o afi. Chascus a del lavar legor! Domentre qu’el es sas e saus, Deuri’ anar al lavador, Que.ns es verais medicinaus! Que s’abans anam a la mort, D’aut en sus aurem alberc bas.
Nous devrions nous laver, soir et matin, Si nous étions raisonnables, Je vous l’assure; Chacun peut s’y laver à loisir ! Pendant qu’il est encore sain et sauf, Chacun devrait aller au lavoir
Car c’est pour nous un véritable remède; De sorte que si nous allons à la mort avant cela, notre demeure ne sera pas là-haut, mais nous l’aurons bien bas.
III Mas Escarsedatz e No-fes. Part Joven de son compaigno. Ai cals dois es, Que tuicl volon lai li plusor, Don lo gazaings es enfernaus! S’anz non correm al lavador C’ajam la boca ni·ls huoills claus, Non i a un d’orguoill tant gras C’al morir non trob contrafort.
Mais Mesquinerie et absence de foi Séparent de Jeunesse son compagnon. Ah! quelle douleur c’est Que le plus grand nombre vole là Où on ne gagne que l’Enfer ! Si nous ne courons au lavoir Avant d’avoir la bouche et les yeux clos, Il n’en est pas un si gonflé d’orgueil Qui, dans la mort, ne trouve(ra) son adversaire(3)
IV Que·l Seigner que sap tot quant es E sap tot quant er e c’anc fo, Nos i promes Honor e nom d’emperador. E-il beutatz sera, sabetz caus De cels qu’iran al lavador? Plus que l’estela gallz ignalls Ab sol que vengem Dieu del tort Que’ill fan sai, e lai vas Domas.
Car le Seigneur, qui sait tout ce qui est, Et sait tout ce qui sera et qui fut, Nous y a promis Honneur au nom de l’empereur. Et savez-vous quelle beauté sera celle De ceux qui se rendront au lavoir? Plus grande que celle de l’étoile du matin, Pourvu que nous vengions Dieu du tort Qu’on lui fait ici, et là-bas, vers Damas.
V Probet del lignatge Cai, Dei primeiran home felho, A tans aissi C’us a Dieu non porta honor! Veirem qui.ll er amics coraus! C’ab la vertut del lavador Nos sera Jhezus comunaus! E tornem los garssos atras Qu’en agur crezon et en sort
Proches du lignage de Caïn, De ce premier homme félon, Il y en a tant ici Qui à Dieu ne portent honneur ! Nous verrons qui sera son ami cordial ! Car, par la vertu du lavoir, Jésus sera avec nous tous. Et nous ferons reculer les misérables* (JML Dejeanne : « mauvais garnements ») Qui croient aux augures et aux sorts.
VI C.il luxurios corna-vi, Coita-disnar, bufa-tizo, Crup-en-cami Remanran inz ei felpidor! Dieus vol los arditz e.ls suaus Assajar a son lavador! E cil gaitaran los ostaus! E trobaran fort contrafort, So per qu’ieu alor anta.ls chas.
Ces libertins, cornes-à-vin* (ivrognes), Presse-dîner, souffle-tison, Ces accroupis sur le chemin (4) Resteront dans les souillures* (folpidor, fumier) Dieu veut les hardis et les doux Éprouver à son lavoir ! Et ceux-là guetteront les maisons ! Et trouveront un rude adversaire C’est pourquoi, à leur honte, je les chasse.
VII En Espaigna, sai, Io Marques E cill del temple Salamo Sofron Io pes E.I fais de l’orguoill paganor, Per que Jovens cuoill avollaus. E.I critz per aquest lavador Versa sobre.ls plus rics captaus Fraitz, faillitz, de proeza Ias, Que non amon Joi ni Deport.
En Espagne, ici, le Marquis Et ceux du Temple de Salomon Souffrent le poids Et le fardeau de l’orgueil des païens Par quoi Jeunesse recueille mauvaise louange. Et le blâme, à cause de ce lavoir, Tombe sur les plus puissants seigneurs, Brisés, faillis, vides de prouesse Et qui n’aiment ni joie ni amusements.
VIII Desnaturat son li Frances, Si de l’afar Dieu dizon no, Qu’ie.us ai comes. Antiocha, Pretz e Valor Sai plora Guiana e Peitaus. Dieus, Seigner, ai tieu lavador L’arma dei comte met en paus: E sai gart Peitieus e Niort Lo Seigner qui ressors dei vas
Dépravés sont les Français S’ils se refusent à soutenir Dieu, Car je les ai mis en demeure. Antioche, ton Prix et ta Valeur Sont pleurés ici par Guyenne et Poitou. Dieu, Seigneur, en ton lavoir Donne paix à l’âme du comte, Et ici, puisse garder Poitiers et Niort! Le Seigneur qui ressuscita du Sépulcre.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.
Sources
(1)« Intorno al Vers del lavador. Marcabruno e la riconquista ispanica », Medioevo romanzo, XXII (s. iii, ii), 1997, Silvio Melani.
(2)Marcabru: A Critical Edition – Marcabrun, Simon Gaunt, Ruth Harvey and Linda Paterson Brewer, Cambridge, UK, 2000.
(3) « C’al morir non trob contrafort ». Contrafort : adversaire. JML Dejeanne (op cité) traduit : « Qui dans la mort ne trouve un vainqueur » ou « Qui ne soit vaincu par la mort ». Concernant cet adversaire, Silvio Melani (1) y voit plutôt sous-entendu « le diable ».
(4) Crup-en-cami. Là encore divergence de traduction entre JML Dejeanne « Accroupi sur le chemin » et une interprétation de Silvio Melani qui se référera de son côté au « Crup-en-cendres » utilisé par ailleurs par Giraut de Borneil. Autrement dit, ceux qui restent accroupi sur le chemin pour l’un et pour l’autre ceux qui restent accroupi auprès de la cheminée ou de l’âtre, pour se chauffer le dos et ne rien faire.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, chanson médiévale, galaïco-portugais, culte marial, louanges, Sainte-Marie, Vierge. Epoque : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Santa Maria, Strela do dia, Interprètes : Ensemble Sequentia
Album : Gesänge für König Alfonso X. von Kastilien und León (1992)
Bonjour à tous,
ous repartons, toutes voiles dehors, pour l’Espagne médiévale du XIIIe siècle et l’étude des Cantigas de Santa Maria du souverain Alphonse X de Castille. Celle qui nous intéresse, aujourd’hui, est la Cantiga 100.
Pour varier un peu des Miracles que nous avons étudiés jusque là, c’est un chant de louange. Comme le poète s’adresse ici à la Sainte sous le nom de « Strela do dia« , « étoile du jour », il faut sans nul doute y voir une allusion à un ordre que Alphonse X avait lui-même fonde : l’Ordre de Sainte-Marie d’Espagne. Connu également sous le nom de El orden de la Estrella, cet ordre militaire et religieux avait vocation à défendre la couronne contre les attaques navales. L’interprétation que nous vous proposons ici est celle de l’Ensemble Sequentia sous la direction de Barbara Thornton et Benjamin Bagby.
La Cantiga de Santa-Maria 100 par Sequentia
Chants pour le roi Alphonse X de Castille et León
En 1991-92, L’ensemble médiéval Sequentia décidait de faire une incursion dans le très célèbre répertoire des Cantigas d’Alphonse X. Sous le titre « Gesänge für König Alfonso X. von Kastilien und León. » ou « Chansons pour le roi Alphonse X de Castille et León(1221-1284) », la formation proposait ainsi une sélection de dix-huit pièces dont 14 Cantigas, accompagnées de quatre autres compositions d’époques.
L’album est encore distribué à ce jour et, à toutes fins utiles, voici un lien pour vous le procurer : Sequentia performs Vox Iberica III by El Sabio (DHM). Il constitue le troisième volet d’un triptyque nommé Vox Iberica (I, II et III) autour des musiques religieuses de l’Espagne médiévale. Le premier était consacré au Codex Calixtinus, musique du XIIe siècle en l’honneur de Saint-Jacques l’apôtre. ; le second au Codex de Las Huelgas de Burgos et le troisième, celui du jour, aux Cantigas de Santa-Maria.
La Cantiga de Santa Maria 100
et sa traduction en français moderne
Esta é de loor.
Celle-ci est un chant de louanges
Santa Maria, Strela do dia, mostra-nos via pera Deus e nos guia.
Sainte-Marie Etoile du jour Montre nous la voie vers Dieu et guide-nous
Ca veer faze-los errados que perder foran per pecados entender de que mui culpados son; mais per ti son perdõados da ousadia que lles fazia fazer folia mais que non deveria.
Santa Maria…
Car tu fais voir aux égarés Qui se sont perdus par leur péchés Et comprendre qu’ils sont très coupables, Mais par toi, ils sont pardonnés De l’audace Qui leur faisait Commettre des folies Qu’ils ne devaient pas.
Sainte-Marie…
Amostrar-nos deves carreira por gãar en toda maneira a sen par luz e verdadeira que tu dar-nos podes senlleira; ca Deus a ti a outorgaria e a querria por ti dar e daria.
Santa Maria…
Tu dois nous montrer la voie Pour gagner, en toute chose, La lumière véritable et sans égale Que tu es seule à pouvoir nous désigner Car Dieu; à toi seule L’a accordé Et il a voulu te la donner pour toi et pour que tu la donnes.
Sainte-Marie…
Guiar ben nos pod’ o teu siso mais ca ren pera Parayso u Deus ten senpre goy’ e riso pora quen en el creer quiso; e prazer-m-ia se te prazia que foss’ a mia alm’ en tal compannia.
Santa Maria…
Ton jugement peut nous guider parfaitement plus que tout, vers le paradis, où dieu a toujours joie et sourires pour celui qui a voulu croire en lui; Et il me plairait, S’il te plait à toi, Que mon âme se tienne En telle compagnie.