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chanson courtoise médiévale : « La belle se sied au pied de la tour » de Guillaume Dufay

toubadour_trouvere_musique_poesie_monde_medievale_moyen-ageSujet: chant, chanson, musique, poésie médiévale, amour courtois, complainte, manuscrit de Bayeux.
Période : Moyen Âge tardif (XVe siècle)
Auteur : Guillaume Dufay (1400-1474)
Interprète ; Jose Lemos et l’ensemble Pegasus Early Music     –    2015 (concert)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous présentons, aujourd’hui, une chanson médiévale du XVe siècle. C’est un chant d’amour et une complainte, celle d’une belle pour son amant prisonnier. Présente dans le Manuscrit de Bayeux (le ms Français 9346 de la BnF),  on la retrouve aussi chez Guillaume Dufay, auteur-compositeur considéré comme un des plus grands musiciens de son temps et dont il faut dire un mot ici.

Guillaume Dufay : éléments de biographie

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Originaire de la région de Cambray, qui l’a vu naître autour de 1400, il y suivra l’enseignement des plus grands maîtres de musique du Duc de Bourgogne. La ville est alors dotée d’un centre de musique religieuse qui fournit des musiciens à la papauté romaine et, très jeune, Guillaume Dufay sera aussi choriste à la  cathédrale de Cambrai.

Quelques vingt ans plus tard, on le retrouvera en Italie et à Rimini, au service de la famille Malatesta. Après un court épisode en France, il retournera autour de 1430, en Italie où il se tiendra rien moins qu’à la cour pontificale, devenant ainsi le musicien des papes. Il léguera d’ailleurs des messes qui feront longtemps référence auprès des musiciens des siècles suivants. Il y restera plus de six années avant de servir à la cour du prestigieux musique_medievale_guillaume_dufay_gilles_de_binchois_moyen-age_tardifduc de Bourgogne, mais aussi à celle du duc  Louis Ier de Savoie.

(Guillaume Dufay et Gilles Binchois, enluminure tirée du manuscrit Le Champion des dames, de Martin XVe siècle). 

Durant cette longue carrière au service de la haute noblesse et des papes, l’auteur-compositeur, musicien et chanteur fusionnera le style français avec le style Italien, en les enrichissant encore d’apports anglais pour donner naissance à ce que l’on a appelé l’école franco-flamande, une école qui brillera pendant près de deux cents ans, et sera reconnu, notamment, pour son art polyphonique. Guillaume Dufay léguera, à la postérité, de nombreuses compositions liturgiques dont des messes et des motets (compositions à plusieurs voix et à capela, apparues dans le courant du XIIe siècle), mais également des compositions profanes, comme celle que nous vous proposons ici, et plus de quatre-vingt chansons qu’on peut lui attribuer avec certitude et qui on été toutes composées avant que ne débute sa carrière à la cour pontificale.

Manuscrit ancien : le codex Canonici 213

L’ouvrage dont est tirée la chanson et composition du jour est un manuscrit ancien, connu sous le nom  codex Canonici 213 et plus précisément : Manuscrit. Ms. Canonici misc. 213. Conservé à la bibliothèque Bodleian d’Oxford, il contient, essentiellement, des chants polyphoniques, religieux ou profanes provenant de la première partie du XVe siècle.

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On y retrouve les compositions de 55 auteurs, principalement  de l’école bourguignonne et de l’école franco-flamande, tels que Gilles guillaume_dufay_musique_medievale_chansons_poesie_gilles_binchois_ecole_flamande_moyen-age_tardifBinchois (Gilles de Binche), Guillaume Dufay, mais aussi Arnold de Lantins et Hugo de Lantins.

On doit au musicologue et au critique John Stainer (1840-1901), d’avoir fait connaître ce manuscrit, à la fin du XIXe siècle en présentant et éditant plus de 50 de ces pièces. Sauf erreur de notre part et pour l’instant au moins, le manuscrit original, ne semble pas être consultable en ligne.

Les interprètes du jour : quand le monde médiéval conquiert New-York

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Fondé en 2005, Pegasus Early Music est un groupe événementiel spécialisé qui organise des concerts et fédère des artistes et des passionnés autour d’un répertoire musical, allant du moyen-âge à la période romantique.

Avec des visées de distribution autant que de sensibilisation, la fondation produit, depuis près de douze ans, plus de 400 concerts par an. Elle organise également divers événements et concours pour faire connaître et appuyer de jeunes talents dans le domaine des musiques anciennes. Pour vous donner un aperçu de leur philosophie et de leur vocation, voici ce qu’ils en disent eux-mêmes:

« Pour les musiciens qui se produisent dans nos concerts, la musique ancienne est une forme d’art vivant, avec sa tradition dynamique d’improvisation et d’innovation; Son esprit de collaboration intense; Son incroyable capacité à communiquer des instincts et des émotions humaines sophistiqués; Et l’intimité directe de son style musique de chambre. Nous sommes passionnément convaincus que la musique ancienne peut être pleine de sens dans le contexte de la société contemporaine, et nous voulons partager cela avec notre public. »     –   Pegasus Early Music

chanson_musique_medievale_moyen-age_tardif_guillaume_dufay_jose_lemos_contretenorLa majorité des concerts ayant lieu dans la région de New-York, sauf à être français (ou francophones) expatriés, le meilleur moyen de découvrir leur travail reste leur chaîne youtube sur laquelle ils partagent sans compter, avec de très belles prises de son, là encore, ou même leur site web que vous pourrez trouver ici : Pegasus Early Music.

Il faut souligner ici la prestation du célèbre Jose Lemos (portrait ci-contre), contre-ténor brésilien formé au Conservatoire de Musique de Nouvelle-Angleterre et à ce jour, mondialement reconnu et primé pour ses prestations dans des registres aussi divers que l’opéra et les musiques anciennes.


Les paroles de la chanson médiévale
de Guillaume Dufay

La belle se sied au pied de la tour,
Qui pleure et soupire et mène grand dolour.
Son père lui demande: fille qu’avez-vous
Volez-vous mari ou volez-vous seignour?

Je ne veuille mari, je ne veuille seignour,
Je veuille le mien ami qui pourrit en la tour.
Par Dieu ma belle fille alors ne l’aurez-vous
Car il sera pendu demain au point du jour.

Père si on le pend enfouyés moi dessous,
Ainsi diront les gens ce sont loyales amours.


En vous souhaitant une merveilleuse journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

L’usage du don, une citation de Paracelse et un saut du côté des amérindiens

citations_alchimie_medecine_medievale_moyen_age_paracelse« Si tu as reçu un don, fais en usage librement et joyeusement comme le soleil: donne de ta splendeur à tous !. »
Theophrastus Bombastus von Hohenheim, Paracelse (1493-1541)
Médecin, alchimiste, astrologue et savant, du moyen-âge tardif.

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoilà un belle éloge du don et de son usage, venu de la toute fin du moyen-âge et de Paracelse. A propos de ce dernier, son don, il l’a, assurément trouvé du côté  de la médecine et des sciences, même si son chemin, en marge des universités, lui a valu l’opprobre et les critiques de ses contemporains et d’autres encore bien après sa mort.

Le don chez Paracelse

Pour creuser un peu plus cette notion de don chez Paracelse, il faut faire appel à quelques autres extraits de son oeuvre:

« Mais nous traitons ici des choses naturelles: car combien que ces dons soient de Dieu, on entend et comprend toutefois que ces choses ne se fassent aucunement selon l’ordre de la nature, parce que l’homme apprend les arts et les astres, et est aussi trompé et déçu par eux, d’autant qu’ils l’ont crée tel, qu’il semble avoir été incliné à apprendre les arts et sciences, ou bien à en être ignorant, et à sagesse ou à folie. »
La grand chirurgie de Philippe Aoreole Theophraste Paracelse

medieval_frisure_decoration_ornement_moyen-age_passionPour Paracelse, l’affaire est claire, on naît ou on ne naît pas avec un don pour faire certaines choses. Ce Don vient de Dieu et il faut savoir l’écouter et le reconnaître. Et l’on peut bien faire des pieds et des mains, pour apprendre les Arts et la Science, par exemple, et vouloir se faire médecin, si l’on n’en a pas le Don, on passera simplement à côté. On reconnait bien, là encore, le Paracelse qui se fraye son propre chemin dans l’exercice de son art, en définissant le mauvais médecin, du bon; l’apprentissage des Arts et Sciences n’ayant rien à y voir et ne suffisant, en tout cas, pas pour en faire un bon. Les uns, possédant le don, en seront « embellis et en triompheront encore à cette heure » (dans le domaine des Arts et Science), tandis que les autres se perdront et se feront même « embrouillés de badineries sophistiques, suivant que la nature bonne ou mauvaise du ciel ou firmament  leur a donné cela ».

Pour lui, il y a donc le don est de nature divine, mais les astres s’en mêlent aussi. Si l’homme sait suivre et écouter la parole du créateur pour découvrir et exercer son don, il pourra alors passer au delà de l’influence des Astres ou même la « dominer ». S’il veut, malgré tout, faire quelque chose de contraire à son don, en suivant uniquement « la nature » et non pas la parole de Dieu, alors il se fourvoiera, non seulement, dans l’activité ou le métier qu’il s’est choisi, mais il ne pourra pas non plus dominer l’influence, éventuellement mauvaise, des astres sous lesquels il est né.

La quête de visions
ou le « connais-toi toi-même » amérindien.

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Pour élargir sur cette citation sur le don, et sans rester à proprement parler sur le terrain médiéval, un certain nombre de tribus de natifs d’Amérique du nord ont toujours pensé, et ils le faisaient sans doute déjà, au moment où Paracelse écrivait ces lignes, que chacun de nous, dès son arrivée dans ce monde, naît avec quelque chose d’unique, qui lui appartient et qu’il peut mettre au service de sa communauté. Quand arrive l’adolescence, dans certaines de ces tribus, le jeune est envoyé dans la montagne pour faire ce que l’on appelle une « quête de visions ». Il y reste quelques jours, seul, à jeûner, à méditer, à affronter ses peurs aussi. Cette période a pour vocation de lui permettre de retrouver, par l’introspection, la solitude et la méditation, ce à quoi il est destiné.

medieval_frisure_decoration_ornement_moyen-age_passionEn général, au sortir de cette recherche introspective, « l’initié » trouve, dans son coeur le pourquoi de sa venue, soit ce à quoi il va consacrer sa vie et en quoi il va contribuer à élever la communauté humaine au sein de laquelle il est né: faire du pain? Confectionner des chaussures? Danser? Chanter? etc… Ce don n’a pas à être quelque chose d’extraordinaire ou de particulièrement « exceptionnel », ce qui le rend tel c’est la conscience profonde qu’il lui appartient en propre, autant que l’intention ou la passion profonde qui l’anime. Selon ces tribus, chacun a un don, il n’en existe pas de petit. et, si l’on n’en a pas encore pris conscience, il suffit de le retrouver au plus profond de soi-même. Il n’y a donc pas pour eux de conditionnel comme dans la phrase de Paracelse, et chacun, une fois ce don trouvé, peut donner de la splendeur à tous. En revanche dans ce questionnement et cette quête de visions, la mystique est omniprésente: l’aide du Grand Manitou est sollicitée et nous rejoignons là d’une certaine manière, la mystique de Paracelse, sur l’origine à la fois innée et divine de ce don qui peut être retrouvé par l’appel à la transcendance.

Ayant dit tout cela, et quelque soit le votre, qu’il brille de toute sa splendeur.

Une belle journée à tous.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

« Pourquoi viens-tu si peu à la cour? » d’Eustache Deschamps, adapté en français moderne.

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie médiévale, politique, satirique, vieux français, oil, traduction, adaptation français moderne, ballade, jeux de cour
Période : moyen-âge tardif (1346-1406)
Auteur : Eustache Deschamps
Titre : « Je n’ai cure d’être en geôle »

Bonjour à tous :

S_lettrine_moyen_age_passionuite à l’article d’hier, nous publions aujourd’hui, une adaptation / traduction en français moderne de l’une des ballades d’Eustache Deschamps que nous y présentions en vieux français, avec un visuel pour l’accompagner.

« Je n’ay cure d’estre en geôle », traduction adaptation en français moderne

Pourquoi viens tu si po a court?
Qui fuit la court, la court le fuit.

– Pour ce qu’il y fault estre sourt,
Et sanz veoir ne que  de nuit,
Estre muyaux; parler y nuit;
Or voy, or oy bien et parole :
Par ces trois poins sont maint destruit :
Je n’ay cure d’estre en geôle.

Pourquoi viens-tu si peu à la cour?
Qui fuit la cour, la cour le fuit.
– Pour ce qu’il y faut être sourd,
Ne pas y voir mieux que de nuit,
Etre muet ; parler y nuit ;
Or, je vois, entends bien et j’use de paroles :
Trois bonnes raisons pour y être détruit :
Je n’ai cure d’être en geôle.

Qui dit voir, nul ne le secourt,
Qui voit trop cler, l’en le deffuit;
Qui voit et entent, sur lui court
Chascuns, lors sera mis en bruit;
Li soulaulx fault, la lune y luit
Ténébreuse, la se rigole;
Tenez vous y toutes et tuit:
Je n’ay cure d’estre en geôle.

Qui dit voir, nul ne le secourt,
Qui voit trop clair, et on le fuit;
Qui voit et entend, sur lui court
Chacun, pour lui faire une réputation;
Les soleils manquent, la lune y luit
Ténébreuse, elle s’en réjouit;
Tenez-vous y toutes et tous:
Je n’ai cure d’être en geôle.

Car je voy qu’a ces oiseaulx sourt
En geôles po de déduit;
Ilz sont tenuz crêpes et court .
Ceuls qui ont des champs le conduit . 
Vivent frans; franchise les duit,
Et l’angeolé  pas ne vole,
Qui pour yssir hors se deruit :
Je n’ay cure d’estre en geôle. »

Car je vois que ces oiseaux sourds
En geôles ont peu de plaisir;
Ilz y sont tenus à l’étroit.
Ceux qui ont des champs les conduisent.
Vivent libres ; franchise les guide,
Et l’emprisonné pas ne vole,
Qui pour en sortir, se détruit :
Je n’ai cure d’être en geôle.

En vous souhaitant une excellente journée!
Fred
Pour moyenagepassion.com
« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus  Ier s. av. J.-C

D’Eustache Deschamps à Patrice Leconte: deux ballades sur la cruauté et la vanité des jeux de Cour

eustache_deschamps_moyen-age_banquet_jeux_de_cour_cruaute_poesie_realiste_satirique_critiqueSujet : poésie médiévale, morale, critique, politique, satirique, vieux français, oil, ballade, jeux de cour, cruauté.
Période : moyen-âge tardif (1346-1406)
Auteur : Eustache Deschamps
Titre : « Je n’ai cure d’être en geôle » « Pourquoi viens-tu si peu à la cour? » « Trop de périls sont à suivre la cour ».

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons aujourd’hui, vers la poésie médiévale du talentueux Eustache Deschamps pour le retrouver encore en homme lucide et désabusé, jetant sur les XIVe, XVe siècles son regard acerbe et sans concession. Poète de la distance critique et morale, auteur d’une poésie politique et réaliste aussi. il nous fait partager ici son analyse des jeux de cour et de leur hypocrisie, depuis l’intérieur. Il les a côtoyés, comme il a côtoyé le pouvoir et les puissants sa vie entière et pour bien les connaître, il finira même par les déserter. Il s’en expliquera dans plusieurs ballades et poésies et nous publions donc aujourd’hui deux d’entre elles.

moyen-age_banquet_jeux_de_cour_cruaute_poesie_realiste_satirique_critique_eustache_deschamps

« Princes, j’ay veu a mainte court en France
Maint serviteur servir par ce moien;
Et quant g*i voy si doubteuse balance,
Je ne vueil plus fors que vivre du mien. »
Eustache Deschamps   (1346-1406) et la cour des puissants

Eustache Deschamps – Patrice Leconte : anachronisme pertinent?

Qu’est-ce que « l’esprit de cour »? Que s’y passe-t-il au quotidien de ces banquets et de ces fêtes et comment y brille-t-on? On peut difficilement penser aux jeux de cour et à leur cruauté sans évoquer l’excellent film Ridicule de Patrice Leconte. Bien sûr, l’histoire du film se passe sous Louis XVIe et à la cour de ridicule_film_historique_patrice_leconte_jeux_de_cour_cruaute_poesie_realiste_satirique_medievale_eustache_deschamps_moyen-age_tardifVersailles et près de quatre siècles après Eustache Deschamps et pourtant. Sans dire que rien n’a changé du XIVe au XVIIIe, à lire le poète du moyen-âge tardif, il semble qu’il y ait tout de même des constantes qui se dessinent dans ses jeux de pouvoir et de flatterie, dans cette hypocrisie et ces excès, cette prison du paraître dans lesquels les nobles se piègent eux-même et se trouvent intriqués, au risque d’y brûler leurs ailes.

Scène culte 1:
l’esprit au service des enjeux de pouvoir

Pour toutes ces raisons et mis entre guillemets quelques anachronismes, un peu moins de poudre et de perruques et un « esprit » qui se traduit, du temps d’Eustache Deschamps, dans un langage qui n’a pas encore la modernité de celui de la cour de Versailles, nous ne résistons pas à l’envie de partager ici, mêlés de la poésie de l’auteur médiéval, quelques extraits de ce savoureux film: la réalisation est celle d’un virtuose qui aime flirter avec la satire et la causticité, Patrice Leconte (photo plus bas dans l’article), les acteurs sont exceptionnels et nous devons les excellents dialogues  à trois scénaristes : Rémi Waterhouse, Michel Fessler et Eric Vicaut.

eustache_deschamps_poesie_medievale_politique_satirique_jeux_de_cour_film_histoirique_ridicule_patrice_leconte

Ridicule : deux mots sur l’histoire du film

Au XVIIIe siècle, Grégoire Ponceludon de Malavoy (Charles Berling), un jeune aristocrate et ingénieur des Dombes – zone marécageuse, constellée d’étangs de la région bressane -, projette d’en faire assécher les marais pour assainir son domaine et mettre ses terres en exploitation. Les paysans y vivent dans la misère, dévorés par les moustiques et les maladies et les marécages condamnent toute possibilité d’y cultiver.

satire_jeux_de_cour_film_histoirique_ridicule_patrice_leconte_realisateur_talentVenu devant la cour pour porter son projet et rencontrer le roi, le baron de Malavoy apprendra que pour progressistes et empreints de bonnes intentions qu’ils soient, ses plans ne suffiront pas seuls à gagner sa cause. Pour se faire entendre du roi et s’en rapprocher, il lui faudra, en effet, entrer à la cour, mais, plus que tout, savoir y montrer de l’esprit et y briller s’il veut espérer un entretien avec le souverain. Prêt à tout pour porter haut son projet et sauver ses gens, sous la protection du marquis de Bellegarde (Jean Rochefort) qui le prendra sous son aile, il se pliera donc au jeu et y brillera. Moeurs dissolues, cruauté, hypocrisie, perfidie , mépris, rien ne lui sera pourtant  épargné dans un Versailles décadent et abjecte sous ses perruques poudrées. Il y trouvera notamment pour ennemi cruel, sous des dehors de joutes verbales, un l’abbé au nom tout trouvé de Vilecourt (Bernard Giraudeau), religieux plein d’esprit mais totalement dévoyé, amant de la très belle et perverse Madame de Blayac (Fanny Ardant).

Si vous n’avez pas encore vu ce film plus historique que médiéval, nous vous conseillons vivement une séance de rattrapage non sans conseiller aux âmes sensibles de s’abstenir, une des premières scènes du film étant, en effet, assez vitriolé.

La poésie d’Eustache Deschamps
dans le moyen-français du XIVe siècle

« Pourquoi viens tu si po a court?
Qui fuit la court, la court le fuit.
– Pour ce qu’il y fault estre sourt,
Et sanz veoir ne que  de nuit,
Estre muyaux; parler y nuit;
Or voy, or oy bien et parole :
Par ces trois poins sont maint destruit :
Je n’ay cure d’estre en geôle.

Qui dit voir, nul ne le secourt,
Qui voit trop cler, l’en le deffuit;
Qui voit et entent, sur lui court
Chascuns, lors sera mis en bruit;
Li soulaulx fault, la lune y luit
Ténébreuse, la se rigole;
Tenez vous y toutes et tuit:
Je n’ay cure d’estre en geôle.

Car je voy qu’a ces oiseaulx sourt
En geôles po de déduit;
Ilz sont tenuz crêpes et court .
Ceuls qui ont des champs le conduit . 
Vivent frans; franchise les duit,
Et l’angeolé  pas ne vole,
Qui pour yssir hors se deruit :
Je n’ay cure d’estre en geôle. »
Eustache Deschamps

Ballade : de la douleur qui peut advenir à ceux qui suivent la cour de Prince

« Mon corps se pert , use , gaste et destruit
,A court suir , qui est doubteuse vie :
On dort le jour, et y veille-on la nuit;
Et y fait-on trop de gourmenderie.
Vin barillié et viande pourrie
Y ont pluseurs ; tant d’ordure y a court
Qu’eureus est cilz qui ne la poursuit mie :
Trop de périlz sont à suir la court.

A apetit d’aucuns fault estre duit,
Et que frans cuers au félon s’umilie ,
Et telz se faint amis d’autre qui nuit ;
Blandir convient, doleur, paine et envie,
A suir ceuls qui ont la seignourie;
Aveugle fault estre, muet et sourt,
Bon fait fuir tele merancolie :
Trop de périlz sont à suir la court.

On est logiez non pas à son déduit
En poures draps et en paillarderie ;
Souventefoiz en grant noise et en bruit;
Et maintefoiz , qui bien n’y remédie,,
Plus y despent qui plus a de mesgnie.
Le temps s’en va, viellesce sus y court
Sanz guerdon ; qui s’i tient c’est folie :
Trop de périlz sont à suir la court.

Prince , li homs qui suffisance instruit,
Vit liement, et n’eust c’un seul pain cuit;
Mais curiaux en grant doleur décourt :
L’un a joie, tristeur l’autre conduit.
Or avisez ci , toutes et tuit :
Trop de périlz sont à suir la court. »
Eustache Deschamps

En vous souhaitant une excellente journée et une belle semaine!
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.