– Qu’est-ce que tu ne sais Roland, toi qui sait tout? – Et bien ça. – Quoi ça? – Oui, je ne sais pas ce que je ne sais pas. C’est simple!
Citation de Nicolas de Cusa , (1401-1464)
Tirée de la Docte Ignorance.
icolas de Cusa, (ou encore Nicolas de Cues ou Chrypffs) est un religieux (cardinal puis vicaire), philosophe, penseur et savant allemand du moyen-âge tardif. Sa pensée l’inscrit dans une modernité en rupture avec la scolastique du monde médiéval qui l’avait précédé et préfigure déjà l’esprit de la renaissance. On lui prête notamment une grande influence sur la philosophie des sciences, pour les siècles qui suivront, d’Hegel à Descartes, mais aussi sur l’astronomie.
Sujet: histoire médiévale, naissance d’une nation française. Média: conférence Lieu: Ecole des Chartes Titre: la France et les Français aux temps médiévaux Conférencier: Philippe Contamine (1932), Historien Médiéviste
Des Francs aux Français:
la naissance d’une nation française.
our ceux qui s’intéressent à la naissance d’une « France » médiévale, de la notion de « Français » à l’idée de nation française, je vous conseille cette conférence de l’érudit Philippe Contamine. L’historien médiéviste y questionne, en effet, l’instant où on peut commencer à parler de France. C’est une conférence intelligente et étayée qui démontre que l’idée de « nation » française n’est pas du tout une « invention » récente du XIXe siècle mais trouve ses racines dans un passé médiéval lointain.
Contexte idéologique : du « progressisme » de la dissolution des nations
Depuis quelques décennies et notamment avec l’avènement de l’Europe « Maastrichtienne » qui est, semble-t’il, une Europe au service du libre marché, des agences de notation et de la finance bien plus qu’au service des peuples ou même des nations, un certain discours entend minimiser, quand ce n’est pas simplement dissoudre, cette idée de « nation » pour des visées qui servent, sans toujours le savoir, des intérêts bien plus mercantilistes et abscons que fondés sur une idéologie solide et argumentée.
(ci-contre portrait de l’empereur Charlemagne, roi des « francs », Louis-Félix Amiel, 1839)
Au fond, les nations seraient devenues « démodées » et l’on va même volontiers jusqu’à agiter le spectre de la seconde guerre mondiale comme un épouvantail quand il s’agit de prouver combien l’idée est aussi dangereuse que surannée: gommer d’un trait les différences culturelles jusqu’à, pourquoi pas, ignorer ou nier sa propre Histoire serait devenu « moderne » ou « progressiste » autant que « nécessaire » pour un monde meilleur mais, au fond, pourquoi le serait-ce et surtout pour un monde au service de qui et de quoi? Faut-il nécessairement perdre son âme pour faire des alliances économiques? L’idée serait plutôt nouvelle et si vous demandiez à certaines nations du Monde, si elles étaient prêtes à se dissoudre totalement dans le grand tout, – serait-ce pour mieux vendre ou acheter -, je pense que vous vous rendriez vite compte que ce n’est pas du tout d’actualité pour elles.
Bref, tout cela reste tout sauf clair, même si un certain légendaire sens critique « français » semble ne jamais manquer de ressources pour dénigrer ce qui a fait la France, en oubliant quelquefois que son histoire ne commence pas tout à fait au pétainisme. Peut-être l’enseignement de l’Histoire y est-il pour quelque chose? Peut-être nous prenons-nous aussi les pieds dans le tapis de nos propres idéaux humanistes au risque de nous y dissoudre nous-mêmes? Allez savoir…
Je l’ai déjà dit ici mais il me semble utile de le repréciser: l’Histoire est toujours utile pour se comprendre soi-même et c’est même de ce point de vue là une science humaine merveilleuse. On peut, avec elle, se sentir légitimement attaché à l’histoire et à la culture d’un sol sur lequel on est né sans forcément tomber dans l’extrême de la chanson de Brassens et des imbéciles heureux qui sont nés quelque part. Revenue de ses erreurs de jeunesse, l’Ethnologie qui m’a formé se garde bien elle aussi de mettre les cultures en échelleset les embrasse dans leur totalité et leurs richesses mais la question de l’identité culturelle, en l’occurrence nationale, devient toujours plus épineuse quand on tente de démêler quels intérêts elle sert vraiment, qu’il s’agisse de la dénigrer comme de la galvaniser d’ailleurs. En l’espèce quand les vendeurs de salades et de chips commencent à s’en mêler, cela me parait hautement suspicieux.
Quoiqu’il en soit et à ce moment précis, cette conférence vient un peu rééquilibrer le jeu des forces et surtout éclairer nos lanternes. Philippe Contamine nous y confirme, en effet, au cas où nous en doutions, que la nation française n’est pas une vue de l’esprit désuète et, mieux même, en clin d’oeil final, enjoint les politiques d’aujourd’hui d’être avisés et de ne pas l’oublier.
Au final, il n’est peut-être pas si facile qu’on le pense, d’effacer d’un simple trait plus de huit cents ans d’histoire. On trouvera sans doute intéressant dans le contexte actuel et avec le peuple anglais qui vient de voter sa sortie de l’Europe d’apprendre aussi ici, que la nation anglaise existe depuis plus longtemps que la France. Cette conscience historique est-elle pour quelque chose dans ce vote, en dehors de la crise sociale et économique qui n’en finit pas de secouer l’Europe et pour laquelle cette dernière a finalement si peu de réponses, ni de solutions à apporter. S’il faut sans doute un peu plus qu’un projet économique de libre échange pour faire une nation, il se pourrait bien que cette loi se vérifie, a fortiori, quand il s’agit de former une confédération.
Conférence : la France et les Français aux temps médiévaux
Philippe Contamine
Un érudit des questions médiévales
Pour en dire un mot, Philippe Contamine est historien médiéviste, membre ordinaire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et encore Commandeur de l’Ordre des Palmes académiques. Agrégé d’Histoire et Agrégé es-Lettres, on lui doit de nombreux ouvrages et publications centrés sur la période médiévale, avec une prédilection pour le moyen-âge tardif. A 84 ans, il porte avec lui l’héritage d’une longue carrière et plus de soixante ans de recherches sur les questions médiévales et c’est un vrai plaisir de pouvoir l’écouter sur ces sujets. Ajoutons que nous devons cette conférence à la prestigieuse Ecole Nationale des Chartes, grande école française fondée en 1821 et qui se dédie à la formation dans les domaines de l’Histoire et de la paléographie (soit l’étude des écritures manuscrites anciennes).
Des conférences sur moyenagepassion ?
Nous inaugurons, avec cet article, une nouvelle catégorie sur le site dédiée aux conférences dans l’idée d’y indexer quelques médias et intervenants d’intérêt sur le monde médiéval. C’est un format qui peut être quelquefois un peu ardu mais les plus patients et opiniâtres d’entre vous pourront grâce à de brillants conférenciers comme celui d’aujourd’hui, mieux comprendre le monde médiéval dans sa profondeur. Comme nous ne cessons de le dire, nous nous intéressons au monde médiéval sous toutes ses formes, et dans ce cadre, toute richesse médiatique (sons, musiques, conférences, lectures audio, vidéos, etc) venant l’illustrer, l’étayer, ou le transmettre s’avère pertinente. Ces conférences autour du moyen-âge trouvent donc très naturellement leur place ici.
En vous souhaitant une très belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com « L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. »Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C
Sujet : poésie médiévale, poésie satirique, ballade, auteur médiéval. Période : moyen-âge tardif Titre : « Guerre mener n’est que damnation », ballade contre la guerre. Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406)
Bonjour à tous,
ans un monde médiéval qui connait de nombreuses guerres, jusqu’à quel point est-il subversif de se positionner contre elle en les désapprouvant? Cette ballade contre la guerre d’Eustache Deschamps, poète-guerrier, commentateur et poète satirique du moyen-âge tardif, dénote, en tout cas, sur l’époque et les textes de ses contemporains par son ton anti-militariste. Il reste difficile de juger comment ce son de cloche a pu le mettre en position délicate, lui qui naviguait dans la cour des rois et les servait par les armes mais cela ne l’a pas empêché, semble-t’il, d’affirmer haut et fort ses idées sur la question.
Il faut bien comprendre, en remettant cette ballade dans son contexte qu’Eustache Deschamps a lui-même été soldat et a participé à des campagnes. C’est donc de l’intérieur, en homme avisé et visiblement lassé, autant qu’en témoin des conflits sur le terrain, qu’il fait ce plaidoyer contre la guerre. Dans d’autres poésies, on le retrouvera encore s’exprimant sur la misérable condition des soldats, autant que sur les ravages de la guerre sur les petites gens et sur le monde rural. Il s’élèvera notamment dans son Lay de Vérité contre les dégâts des pillages et leur nature immorale en jetant l’opprobre sur ceux qui s’en rendent coupable.
« Vous qui la guerre menez Vous Dampnez Quant contre raison prenez Du peuple communement Les biens et les rançonnez »
Eustache Deschamps. Extrait du Lay de Vérité
Guerre mener n’est que dampnacion
Les paroles en vieux français
J’ay les estas de ce monde advisser Et poursuiz du petit jusqu’au grant Tant que que je suis du poursuir lassez Et reposer me vueil doresnavant Mais en trestouz le pire et plus pesant Pour aame et corps, selon m’entencion Est guerroier qui va tout detruisant Guerre mener n’est que dampnacion
Autres estas ont de la labour assez En seuretë vont leurs corps reposant Et se vivent de leurs biens amassez Jusques a fin vont leur aage menant Et l’un estat va l’autre confortant Sanz riens ravir, loy et juridicion Tiennent entr’eulx, dont bien puis dire tant Guerre mener n’est que dampnacion
Car on y fait les septs pechiez mortelz Tollir, murdir, l’un va l’autre tuant Femmes ravir, les temples sont cassez Loy n’a entr’eulx, le mendre est plus grant Et l’un voisin va l’autre deffoulant Corps et aame met a perdiction Qui guerre suit, aux diables la comment Guerre mener n’est que dampnacion.
L’ENVOY
Prince, je vueil mener d’or en avant Estat moien, c’est mon oppinion, Guerre laissier et vivre en labourant : Guerre mener n’est que dampnaction.
Guerre mener n’est que damnation
Les paroles adaptées en français moderne
J’ai les états de ce monde avisé
Et poursuivi du petit jusqu’au grand,
Tant que je suis de poursuivre lassé,
Et reposer me veut dorénavant
Mais entre tout, le pire et le plus pesant;
Pour âme et corps, selon mes conclusions,
Est guerroyer, qui tout va détruisant;
Guerre mener n’est que damnation.
Les autres états ont bien assez à faire
En sûreté vont leurs corps reposant,
Et vivent sur tous leurs biens amassés,
Jusqu’à la fin, vont leurs âges menant:
Et l’un état va l’autre confortant,
Sans rien ravir, loi et juridiction
Tiennent entre eux, dont bien puis dire tant:
Guerre mener n’est que damnation.
Car on y fait les sept péchés mortels,
Voler, meurtrir, l’un va l’autre tuant,
Femmes ravir, les temples sont cassés,
Loi n’a entre eux, le moindre est le plus grand,
Et l’un voisin va l’autre défoulant.
Corps et âme met à perdition
Qui guerre suit; aux diables la comment
Guerre mener n’est que damnation.
Envoi
Prince, je veux mener dorénavant
Etat moyen, c’est mon opinion,
Guerre laisser et vivre en labourant:
Guerre mener n’est que damnation.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : monde médiéval, chanson, hommage à François Villon. poésie satirique Titre : le moyenageux Auteur : Georges Brassens Période : contemporaine Année : 1966 Album : Supplique pour être enterré à la plage de Sète
Bonjour à tous,
‘est sans doute un des plus bel hommage de Georges Brassens à Maistre François Villon que cette poésie et chanson : le moyenâgeux. C’est un texte qui fera écho chez tous les amateurs de Villon, autant que les familiers du site puisque nous n’en sommes pas à notre première publication concernant le grand poète du moyen-âge tardif. Brassens a truffé son texte de référence à la vie et aux amitiés de Villon et lui emprunte même directement quelques vers par endroits, notamment tirés du testament de Villon et de « ses hontes bues ».
(ci-contre partition de la chanson le moyenâgeux de Brassens, cliquez sur l’image pour ouvrir)
En l’an trentiesme de mon eage, Que toutes mes hontes j’eu beues, Ne du tout fol, ne du tout sage. Nonobstant maintes peines eues, Lesquelles j’ay toutes receues Soubz la main Thibault d’Aussigny. S’evesque il est, seignant les rues, Qu’il soit le mien je le regny!
François Villon (1431-1463?), le testament (extrait)
Brassens sur les pas de François Villon
Sur les traces de Villon et de ses facéties, autant que de ses amitiés délictueuses, entre quelques clins d’oeil au « Prince » de l’envoi des ballades du Maistre, Brassens fait encore allusion au « trou de la pomme de pin », taverne fameuse de l’époque que le poète médiéval fréquentait et qu’il a mentionné, à plusieurs reprises, dans ses poésies et ses ballades. On retrouve aussi dans cet hommage, l’inévitable spectre du gibet de Montfaucon qui hantait les nuits d’un Villon, emprisonné et qui se pensait alors condamné à la corde. A coup sûr, le mauvais garçon et illustre maître de poésie médiévale n’aurait pas renié le grand Brassens comme brillant disciple, pour son anticonformiste profond comme pour son amour de la poésie et de la langue,
Le Moyenâgeux de Georges Brassens,
hommage à François Villon
Le seul reproche, au demeurant, Qu’aient pu mériter mes parents, C’est d’avoir pas joué plus tôt Le jeu de la bête à deux dos. Je suis né, même pas bâtard, Avec cinq siècles de retard. Pardonnez-moi, Prince, si je Suis foutrement moyenâgeux.
Ah! que n’ai-je vécu, bon sang! Entre quatorze et quinze cent. J’aurais retrouvé mes copains Au Trou de la Pomme de Pin, Tous les beaux parleurs de jargon, Tous les promis de Montfaucon, Les plus illustres seigneuries Du royaum’ de truanderie.
Après une franche repue, J’eusse aimé, toute honte bue, Aller courir le cotillon Sur les pas de François Villon, Troussant la gueuse et la forçant Au cimetièr’ des Innocents, Mes amours de ce siècle-ci N’en aient aucune jalousie…
J’eusse aimé le corps féminin Des nonnettes et des nonnains Qui, dans ces jolis temps bénis, Ne disaient pas toujours » nenni « , Qui faisaient le mur du couvent, Qui, Dieu leur pardonne ! souvent, Comptaient les baisers, s’il vous plaît, Avec des grains de chapelet.
Ces p’tit´s sœurs, trouvant qu’à leur goût Quatre Evangiles c’est pas beaucoup, Sacrifiaient à un de plus : L’évangile selon Vénus. Témoin : l’abbesse de Pourras, Qui fut, qui reste et restera La plus glorieuse putain De moine du quartier Latin.
A la fin, les anges du guet M’auraient conduit sur le gibet. Je serais mort, jambes en l’air, Sur la veuve patibulaire, En arrosant la mandragore, L’herbe aux pendus qui revigore, En bénissant avec les pieds Les ribaudes apitoyées.
Hélas ! tout ça, c’est des chansons. Il faut se faire une raison. Les choux-fleurs poussent à présent Sur le charnier des Innocents. Le trou de la Pomme de Pin N’est plus qu’un bar américain. Y’ a quelque chose de pourri Au royaum’ de truanderi’.
Je mourrai pas à Montfaucon, Mais dans un lit, comme un vrai con Je mourrai, pas même pendard, Avec cinq siècles de retard. Ma dernière parole soit Quelques vers de Maître François, Et que j’emporte entre les dents Un flocon des neiges d’antan…
Ma dernière parole soit Quelques vers de Maître François…
Pardonnez-moi, Prince, si je Suis foutrement moyenâgeux.
Près de cinquante ans tout juste après que cette chanson fut révélée au grand public, elle n’a pas pris une ride. Au delà du tribut à Villon, il y a même des fois où l’on se sentirait presque, avec Brassens, foutrement moyenâgeux.
Une excellente journée à tous!
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
historiques, contemporaines ou imaginaires.