Sujet : fabliau, poésie médiévale, conte populaire satirique, cupidité, vieux français, trouvères d’Arras Période : moyen-âge central, XIIe,XIIIe siècles Auteur : Jean (ou Jehan) Bodel (1167-1210) Titre : de Brunain, la vache du prêtre
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons de partir pour la fin du XIIe siècle avec un fabliau champêtre qui nous conte l’histoire d’un prêtre cupide et d’un Vilain crédule. Nous le devons à Jean Bodel d’Arras, poète et auteur médiéval que l’on considère souvent comme l’un des premiers à avoir écrit des fabliaux en langue française, même si l’origine de ces petites historiettes humoristiques et caustiques date sans doute de bien avant.
Jehan Bodel : éléments de biographie
n ne connait pas précisément la date de naissance de ce jongleur trouvère qui vécut dans la province d’Arras de la fin du XIIe siècle au début du XIIIe. Sa mort est en revanche datée, puisqu’on le retrouve dans le registre de la confrérie des jongleurs d’Arras auxquels il appartenait.
Arras (Pas-de-Calais) est alors une ville en plein développement économique et commercial qui exporte ses produits, ses draps et ses tapisseries jusqu’en Orient. La classe bourgeoisie et marchande y est florissante et les trouvères d’Arras y donneront naissance à une forme de poésie bourgeoise dont Jean Bodel est un des premiers à ouvrir le bal.
Fait cocasse ou étrange suivant la foi que l’on veut y préter, au début de ce même siècle, une légende locale prête à deux trouvères fâchés entre eux d’avoir été réunis par une vision qui les aurait enjoint de se rendre à la cathédrale de la ville. Ils s’y tenaient des malades souffrant du mal des ardents, cette maladie qui surgissait après l’ingestion de seigle contaminé par l’Ergot et qui a frappé, à plusieurs reprises, des villes du moyen-âge. Après moultes hésitations et palabres, les deux jongleurs se seraient réconciliés et la vierge leur aurait alors remis une sainte chandelle avec laquelle ils purent guérir de leur mal tous ceux qui se trouvaient là. Hasard de l’Histoire ou bienveillance de la ville à l’égard des trouvères du fait de cette légende, au XIIe siècle et aux siècles suivants, la province arrageoise donnera naissance à de nombreux poètes et trouvères au nombre desquels on comptera notamment Adam de la Halle.
Jehan Bodel a laissé derrière lui neuf fabliaux, quelques pastourelles, ainsi que diverses pièces poétiques et dramatiques. Passant avec aisance du genre lyrique au drame, avec des incursions dans le genre comique et plus populaire, certains auteurs dont Charles Foulonqui lui a dédié une thèse d’état, en 1958, n’ont pas hésité à le qualifier de génie. Outre ses oeuvres poétiques, on lui doit encore une chanson de geste de plus de huit mille alexandrins qui conte la guerre de l’Empereur Charlemagne contre les saxons : « La Chanson des Saisnes« . ainsi qu’une pièce de théâtre dramatique et religieuse: le Jeu de saint Nicolas, un « miracle » inspiré d’un auteur et historiographe carolingien du IXe siècle, Jean Diacre Hymmonide (825-880) et traduite par le poète normand Wace (1100-1174).
Ce Jeu de Saint-Nicolas, sans doute l’écrit le plus étudié de Jean Bodel, conte la conversion de sarrasins au christianisme. Au moment de la rédaction de cette pièce, connue à ce jour comme une des premières pièces de théâtre écrites en français, le poète avait vraisemblablement déjà pris la croix pour la IVe croisade. Engageant ses contemporains à se joindre à l’expédition en terre sainte à travers, il y mit aussi en avant la subtilité d’une conversion au christianisme pour laquelle les armes ne seraient pas nécessai-rement d’un grand secours; le roi des sarrasins, bien que, vainqueur sur les chrétiens et les ayant décimé, finira, en effet, par se convertir tout de même. En dehors des aspects religieux de la pièce, Jean Bodel y brosse encore des tableaux sociaux et humoristiques de l’époque ayant pour théâtre les tavernes de l’arrageois.
A peine âge de quarante ans et ayant contracté la lèpre, Jehan Bodel fera ses adieux à ses amis et à la société dans ses « congés » avant de se retirer dans une léproserie dans le courant de l’année 1202. Il y mourra quelques huit ans plus tard.
La notion de « satire » dans les fabliaux
On a pu se poser, quelquefois, la question de savoir s’il fallait ranger les fabliaux, ceux de Jean Bodel compris, dans le genre satirique. C’est une question à laquelle certains auteurs répondent non, mais encore faut-il bien sûr s’entendre sur ce que l’on range sous le terme de satire ou genre satirique. Nous concernant, c’est toujours dans son sens large que nous l’utilisons et l’appréhendons: « Écrit dans lequel l’auteur fait ouvertement la critique d’une époque, d’une politique, d’une morale ou attaque certains personnages en s’en moquant. » ou « Œuvre en prose et en vers attaquant et tournant en ridicule les mœurs de l’époque. »
La notion de « virulence » ou de « violence » n’étant que très relative et sa mesure fortement liée à une époque, il ne semble pas qu’elle puisse véritablement retenue comme pertinente. D’une certaine manière et pour être très clair dans notre définition, la causticité suffit pour faire d’un texte un texte satirique, ce qui n’exclut pas, bien sûr, que la satire puisse avoir des degrés.
Il semble utile d’ajouter qu’une certaine forme d’anticléricalisme qu’on trouve souvent dans les fabliaux ne doit pas nous tromper. Durant le moyen-âge, même si l’on se gausse des prêtres ou des moines débauchés, cupides, goinfres ou même encore fornicateurs, on le fait toujours depuis l’intérieur de la religion. On retrouvera cela dans les fabliaux et dans certaines poésies de Rutebeuf ou même de Villon. Pour autant qu’ils peuvent être acides à l’égard de certains membres du corps religieux (leur soif de pouvoir, leur propension à vouloir s’enrichir, la distance qu’ils tiennent entre le contenu de leurs prêches et leurs pratiques réelles, etc…), ces critiques ne visent pas tant, la plupart du temps, à ébranler l’église comme institution, ni à remettre en cause son existence, mais bien plutôt à la nettoyer de ses mauvais « représentants ». Dans des siècles où le salut de l’âme est une question au centre des préoccupations, on se sent forcément concerné par la probité et la conduite de ceux qui, de la naissance à la mort, sont supposés être les garants de ce salut.
De Brunain, la vache au prestre,
dans le vieux français de Jean Bodel
Le fabliau du jour nous met face à l’image du prêtre cupide et accapareur qui ne pense qu’à s’enrichir, que l’on retrouve souvent dans les fabliaux et du vilain quelque peu en manque de second degré mais qui sortira tout de même victorieux de l’histoire.
D’un vilain cont et de sa fame, C’un jor de feste Nostre Dame Aloient ourer* â l’yglise. (prier) Li prestres, devant le servise, Vint a son proisne* sermoner, (chaire) Et dist qu’il fesoit bon doner Por Dieu, qui reson entendoit ; Que Dieus au double li rendoit Celui qui le fesoit de cuer.
« Os »*, fet li vilains, « bele suer, (de Oïr) Que nos prestres a en couvent : Qui por Dieu done a escient, Que Dieus li fet mouteploier ; Mieus ne poons nous emploier No vache, se bel te doit estre, Que pour Dieu le dotions le prestre ; Ausi rent ele petit lait. « Sire, je vueil bien que il l’ait. Fet la dame, par tel reson.»
A tant s’en vienent en meson, Que ne firent plus longue fable. Li vilains s’en entre en l’est able, Sa vache prent par le lien, Presenter le vait au doïen. Li prestres est sages et cointes. « Biaus Sire, fet-il a mains jointes, Por l’amor Dieu Blerain vous doing ». Le lïen li a mis el poing, Si jure que plus n’a d’avoir. * (n’est plus à lui)
« Amis, or as tu fet savoir Fet li provoires dans Constans, Qui a prendre bee toz tans. « Va t’en, bien as îet ton message, Quar fussent or tuit ausi sage Mi paroiscien come vous estes, S’averoie plenté* de bestes. »* (J’aurais des quantités de)
Li vilains se part du provoire. Li prestres comanda en oirre C’on face por aprivoisier Blerain avoec Brunain lïer, La seue grant vache demaine*. (personnelle) Li clers en lor jardin la maine, Lor vache trueve, ce me samble. Andeus les acoupla ensamble: Atant s’en tome, si les lesse.
La vache le prestre s’ebesse, Por ce que voloit pasturer, Mes Blere nel vout endurer, Ainz sache li lïen si fors ; Du jardin la traïna fors : Tant l’a menee par ostez*, (maisons) Par chanevieres* et par prez, (champs de chanvres) Qu’ele est reperie a son estre Avoecques la vache le prestre, Qui mout a mener li grevoit. *(A qui il déplaisait tant d’être menée)
Li vilains garde, si le voit : Mout en a grant joie en son cuer. « Ha », tet li vilains, « bele suer, Voirement est Dieus bon doublere, Quar li et autre revient Blere ; Une grant vache amaine brune ; Or en avons nous deux por une : Petis sera nostre toitiaus*. » (étable)
Par example dist cis fabliaus Que fols est qui ne s’abandone* ; (ne se résout pas) Cil a le bien cui Dieus le done,*(Celui qui a le bien c’est celui à qui Dieu le donne) Non cil qui le muce et entuet* : (Non celui qui le cache et l’enfouit) Nus hom mouteploier ne puet Sanz grant eür*, c’est or dei mains. (chance, sort) Par grant eür ot li vilains Deus vaches, et li prestres nule. Tels cuide avancier qui recule. Explicit De Brunain la vache au prestre.
Une très belle journée à tous et longue vie!
Fred
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Sujet : châteaux à mottes, mottes castrales, châteaux forts anciens, histoire médiévale, architecture défensive, invasions vikings et barbares Période : moyen-âge central Média : vidéo-documentaire, images, Réalisation: votre serviteur
Bonjour à tous,
ous partageons une nouvelle petite galerie d’images issues des vidéos documentaires que nous avons réalisé sur l’histoire des mottes castrales et dont les deux premiers épisodes sont déjà sortis.
Episode I. Contexte historique et émergence des mottes castrales
Durée : 26 minutes
Sujet abordés : le contexte historique et la France de l’an Mil, les invasions barbares, naissance de la féodalité, quelques généralités sur les mottes castrales, les abords du châteaux à mottes, la topographie des lieux et les découvertes de ‘archéologie médiévale.
Durée : 40 minutes
Sujets Abordés : architecture défensive, agriculture, élevage, artisanat, conservation, religion, justice, et vie médiévale dans la basse-cour d’une motte castrale. Lien vers la vidéo de l’épisode 2 ici
Quelques unes des références archéologiques et historiques tirées de la vidéo et que vous pourrez y retrouver:
L’épisode 3 sur la haute cour et le donjon est en cours de post-production.
Une excellente journée à tous!
Fred
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Sujet : lieux d’intérêt. idées sorties, ville historique, patrimoine, histoire médiévale, balades culturelles Période : de l’antiquité au Moyen Âge tardif Lieu : Vienne, (Civitas Sancta) Région : Rhône-Alpes Département : Isère
Bonjour à tous,
ans le cadre de nos articles sur les lieux d’intérêt , nous vous proposons de lever avec nous les voiles pour découvrir la belle cité de Vienne en Isère et son histoire. Il y a d’ailleurs tant à en dire que nous allons débordé un peu de notre sujet habituel en survolant son antiquité et sa période gallo-romaine avant d’aborder, ensuite, sa flamboyante histoire médiévale.
A quelques pas de Lyon, sur la route du sud, et en plein cœur de la vallée du Rhône, la riche héritière gauloise qui fut un jour capitale des Allobroges, connut, en effet, de longs siècles de gloire et de prestige, de l’antiquité à la renaissance. Le patrimoine hors du commun qu’elle a su conserver tout autant que son sol chargé d’Histoire, en font aujourd’hui un site d’intérêt pour les amateurs de Moyen Âge ou d’antiquité, comme pour les amants de flâneries culturelles.
D‘un point de vue géographique et géo-stratégique, Vienne occupe un site privilégié. Sise dans la vallée du Rhône, sur cet axe fluvial qui relie le nord au sud et que les romains surent aussi exploiter, la cité se tient encore sur un couloir qui s’ouvre sur le Massif central, à l’ouest, et sur les Alpes, à l’est. De fait, on retrouve les premières traces d’occupation de la zone, autour de l’an 5000 avant Jésus-christ, durant la période néolithique et cette présence humaine s’est confirmé également à l’âge du bronze.
Vienne, capitale des Allobroges
dans la France Gauloise
Durant l’antiquité, le site sera colonisé par les Allobroges, nom sous lequel on a regroupé une certain nombre de tribus celtes en provenance de Hongrie. Il se sédentarisèrent et, semble-t’il, se fédérèrent sur une bande de terre bordée au nord-est par Genève et le lac Léman, et se terminant au sud, en amont de la Ville de Valence en débordant à l’ouest du côté de l’Ardèche actuelle. Bien qu’excentrée et située à l’est du territoire des Allobroges, Vienne deviendra leur capitale, confirmant déjà l’importance stratégique et commerciale du site.
Au début du IIe siècle avant notre ère, autour de l’an -125, les romains viendront y guerroyer dans leur marche conquérante vers le nord des terres gauloises. Poursuivant les Salyens (ou Salluviens) peuple installé au sud et dans le midi qui s’était réfugié sur les terres des Allobroges pour fuir l’avancée de l’armée romaine, cette dernière se heurtera aux guerriers gaulois qui refuseront de lui livrer les Salyens. Suite à l’incident et sur une période de plusieurs années, la vallée du Rhône sera le théâtre de batailles d’envergure qui se solderont finalement, en l’an -121 par la défaite des Allobroges. Les pertes seront considérables et leur alliance avec les puissants Arvernes, peuple gaulois alors installé sur le territoire de l’Auvergne actuelle qui donnera bientôt naissance au légendaire Vercingétorix, n’aura pas suffi à les prémunir de la détermination des romains. Vienne, défaite, tombera aux mains de Rome.
Les riches heures de Vienne, la Romaine
Désormais sous le joug de l’impôt romain, la Vienne des Allobroges se soulèvera encore, un peu plus d’un demi-siècle plus tard, en -61 avant Jésus-Christ, menée par un chef du nom de Catatugnos; en pure perte. Leur valeur guerrière ne pourra rien, là encore, contre les moyens déployés par Rome pour conserver la main mise sur ses conquêtes. Cette fois-ci, les Allobroges rentreront dans les rangs de l’empire, se tenant de son côté durant la guerre des Gaules et levant même des armées pour contribuer à en protéger les frontières. Vienne sera et restera romaine et dans les années qui suivent, elle deviendra même une colonie romaine prestigieuse.
Au premier siècle après Jésus-Christ, de riches familles venues de Rome viendront s’y établir. Ses voies de communication favorisent l’expansion de son commerce et on y exploite la terre au sein de vastes domaines au point que cet essor économique favorisera le développement des cités voisines parmi lesquelles compteront Annecy, Aix-les-Bains et encore Genève. Signe de son opulence autant que de son importance stratégique pour Rome, Vienne se verra même autoriser par l’empire à édifier des fortifications et on y construira des remparts qui deviendront bientôt, les plus longs de la Gaulle romaine. Elle connaîtra, dès lors, de belles heures d’architecture et verra se construire, entre autres monuments, son théâtre antique, son temple d’Auguste et de Livie, et encore un cirque pour les jeux qui sera en bois au premier siècle, puis en pierre au siècle suivant; il en reste encore aujourd’hui pour témoin un monument appelé la pyramide de Vienne.
Dernier épisode anecdotique qui émaille le développement de cette Vienne romaine qui durera près de cinq siècles, à la mort de César, en l’an 44 av JS, les Allobroges feront encore parler d’eux en expulsant certains colons romains qui se seraient alors déplacés vers les plaines du lyonnais, au nord de Vienne. L’année suivante, serait fondée sur leur nouveau site d’élection, une nouvelle colonie romaine qui allait donner bientôt naissance à Lugdunum, ville qui moins de vingt ans plus tard, deviendrait la nouvelle capitale de la gaule romaine.
Pour vous donner une ampleur de l’activité commerciale de la cité de Vienne, durant cette période romaine et ne parlant que de l’activité fluviale, les archéologues du musée gallo-romain de Saint Romain en Gal ont reconstitué d’après fouilles, une maquette de ce à quoi le port de Vienne pouvait ressembler en l’an 200 après Jésus-Christ. En voici un aperçu:
Le haut Moyen Âge florissant de Vienne
au temps de burgondes
A l’effondrement de l’empire romain, l’ancienne capitale des Allobroges, devenue prestigieuse colonie romaine, connaîtra une période mouvementée, mais continuera pourtant sa marche vers le prestige.
A la fin du Ve siècle et sous les méronvingiens, la cité sera devenue burgonde. Le territoire que ces tribus d’origine germaine avait fondé à la faveur de la dislocation de l’empire romain n’était pas encore alors le royaume de bourgogne mais allait le devenir quelques temps après. Vienne, dit-on, y donnera bientôt naissance à une princesse nommé Clotilde, qui deviendra la deuxième épouse de Clovis, permettant à ce dernier de s’allier les puissants burgondes. Dans cette gaule devenant catholique, et du Ve au VIe siècle, l’évêché de Vienne prendra une part active dans la conversion de chefs francs et burgondes prestigieux. Son opulence économique ne s’est toujours pas démentie mais son rayonnement sera alors devenu également religieux et spirituel. On y construira d’ailleurs, en 475, dans l’enceinte du rempart, une église qui sera l’une des plus anciennes de France, l’église Saint-Pierre de Vienne.
On retiendra encore de ce siècle le nom de Avit de Vienne ou Saint Avit, (gravure ci-contre) prestigieux évêque de Vienne, d’origine Arverne. Diplomate, poète, érudit en langue latine, et écrivain on le décrira comme un des plus illustres hommes de son temps. Oeuvrant pour la paix, autant que pour la bonne tenue et les règles de l’église, il présidera notamment le concile d’Epaone et sera aussi conseiller du roi de burgonde Gondebaud, mais aussi de son fils Sigismond qu’il convertira au catholicisme.
Après cette période, suivra un temps de guerres et de conflits entre les burgondes et un royaume franc devenu catholique qui s’est renforcé et unifié. De fait, les burgondes verront leur règne s’achever au début du VIe siècle avec leur dernier roi Godemar III et leur royaume sera divisé entre les différentes branches mérovingiennes qui se disputeront, tour à tour, la main sur Vienne, jusqu’au IIXe siècle.
Au début de ce même siècle, les remparts de la cité limiteront partiellement les dégâts de l’invasion sarrasine, mais la province et les alentours auront tout de même à en souffrir les conséquences. C’est Charles Martel lui-même qui viendra libérer la vallée du Rhône et la cité de leur joug, quelques années plus tard, en 733.
Du royaume de Provence au Saint-Empire
Quand l’empire carolingien éclatera, Vienne tirera à nouveau son épingle du jeu en faisant partie d’une des toutes premières provinces autonomes de ce nouveau monde en émergence et des nouveaux ordres qui y prennent place. La province, ou plutôt le royaume, dont il est question sera revendiqué et concédé à un homme de guerre, fin seigneur et fin politique : Boson, comte d’Autun, proche et beau-frère par sa sœur du roi Charles le Chauve et qui deviendra bientôt Boson V de Provence. Il sera, en effet, le premier à tenter de fonder un royaume autonome sur les terres carolingiennes ce qui vaudra d’ailleurs à Vienne un siège en règle de plus de deux ans par les autres branches de l’empire carolingien. A l’issu des conflits, Boson l’emportera tout de même en devenant le premier roi du royaume restauré de Burgondie et de la Provence réunie. Nous sommes alors au IXe siècle, et pour rester dans le ton des invasions du temps, Vienne sera bientôt pillée par les envahisseurs hongrois.
Prés de deux siècles plus tard, au début du XIe siècle, à la mort de Rodolphe III de Bourgogne, dit le pieux ou le fainéant, le royaume bâti par Boson tombera dans l’escarcelle du Saint-Empire Germanique. Faute de descendant, Rodolphe III avait, en effet, constitué comme héritier de la province, le mari de sa soeur cadette, l’empereur Conrad II le Salique(enluminure ci-contre).
La passation n’ira pas sans heurt du côté bourguignon puisque Eudes II de Blois, neveu et fils de la soeur ainé du défunt roi, tentera par les armes de récupérer la province perdue, en dressant de puissants vassaux contre l’empereur du Saint Empire.. Les conflits dureront deux ans de 1032 à 1034, au sortir desquels l’homme finira par reculer. En 1037, il fera une nouvelle tentative mais faillira encore et mourra cette même année sur le champ de bataille. Pour ce qui est du sort de la cité de Vienne, ne laissant encore une fois derrière lui qu’un fils illégitime devenu évêque, Rodolphe III l’avait aussi déjà scellé, en cédant le comté viennois à l’église, en la personne de l’archevêque de Lyon Burchard II, qui se trouvait être son demi-frère puisque étant, lui-même, le fils illégitime du père de Rodolphe III, (Conrad III de Bourgogne), Etranges destins parfois, que celui des provinces et seigneuries médiévales qui se maintiennent ou se divisent au fil des méandres des passations familiales.
Moyen Âge central: archevêques suzerains, l’âge d’or spirituel de Vienne
De 1023 jusqu’au milieu du XVe siècle, date de rattachement du comté de Vienne à la couronne de France, les évêques resteront les seigneurs de Vienne. Dépendant directement de l’autorité du Saint-Empire et de la papauté romaine, ils y régneront avec prestige et conféreront à la cité de véritables lettres de noblesse au sein de l’église catholique. De son archevêché, déclaré Primat des primats des Gaules, en dépendront, en effet, six autres, ceux de Genève, Grenoble, Valence, Die, Viviers et Maurienne. Fait marquant, autour de l’année 1030, l’archevêque Burchard partagera le comté de Vienne en deux fiefs sans savoir que plus tard ces deux provinces allaient se mettre à guerroyer entre elles. D’un côté, il créera le comté d’Albon qui deviendrait le futur Dauphiné et de l’autre le comté de Maurienne qui serait bientôt la Savoie. Le religieux ne conservera que la cité de vienne elle-même qui restera, quant à elle et pour longtemps, sous la main des archevêques suzerains.
Dans le courant des XIIe et XIIIe siècles, la ville sera plus que jamais florissante tant au niveau économique et politique que spirituelle. La cathédrale Saint-Maurice y sera édifiée et les autres édifices religieux de la ville bénéficieront également des largeurs des évêques et des seigneurs du lieu. La ville attirera ainsi à elle d’autres communautés religieuses qui viendront s’y installer dans le courant du XIIIe siècle.
Les bourgeois et les communautés marchandes de la ville ne seront pas non plus oubliés puisqu’on leur donnera de nouvelles libertés qui favoriseront leur expansion et leur organisation. On bâtira également un prestigieux château-fort, celui de la Bâtie qui deviendra alors le lieu de résidence des archevêques, qui trouvera son usage défensif à plusieurs reprises durant les guerres de religions notamment, montrant bien, s’il en était besoin le sens de la stratégie militaire chez les religieux, au temps médiévaux. Démantelé par Richelieu, il ne reste aujourd’hui de l’édifice qu’une ruine de pierre. Au niveau politique, une nouvelle entité le chapitre de la cathédrale, sera aussi créé qui prendra, bien plus tard, une part active dans les guerres et les conflits opposant la Savoie au Dauphiné.
Point culminant de cet âge d’or des archevêques de Vienne, le tout début XIVe siècle y verra affluer le Roi Philippe le Bel et le pape Clément V, ainsi que les religieux les plus prestigieux de la papauté à l’occasion du concile de Vienne. C’est même là que se jouera le triste sort de l’ordre des templiers puisqu’il sera décidé d’y mettre fin, chose qui, on le sait, sera faite par le roi dans la lettre et dans les faits.
Une présence royale pressante
Peu de temps après le concile, le roi de France qui veut étendre sa couronne convoite la cité de Vienne. Ne pouvant pour autant, lui mettre simplement et directement la main dessus, il décidera d’annexer la ville de Sainte Colombe de l’autre côté du Rhône, sous le prétexte de la mieux protéger des voyageurs.
Il y fera édifier un rempart et une tour, la tour des Valois, et y installera même une garnison, laissant là, ce qui ressemble à un dispositif d’attaque possible de la cité de Vienne, tout autant qu’un message clair à l’attention de ses archevêques sur la proximité pressante de la présence royale. La gravure ci-dessous montre une vue très claire de Vienne depuis Saint Colombe et des remparts construits par Philippe le Bel autour de la ville et du couvent des cordeliers. Le fait que le roi avait, lors du concile de Vienne, passé la nuit dans ce même couvent a-t’il pu influencer d’une quelconque manière cette décision d’annexion? Rien n’est moins sûr et si c’est le cas, c’est un secret que l’histoire a emporté dans son cours. Quoiqu’il en soit, il ne subsiste aujourd’hui de ce dispositif qui ne laissa sans doute, à l’époque, personne dupe sur son utilité réelle, que la tour, et même le pont médiéval d’alors a été, depuis bien longtemps déjà, reconstruit plus loin.
Contre vents et marées: Vienne au Moyen Âge tardif
Frappée par les grands drames des XIVe et XVe siècles: la peste, la famine et les conséquences de la guerre de cent ans, Vienne se relèvera pourtant, maintenant sa position forte. A la cession du Dauphiné à la France par Humbert IIau milieu en 1349, la petite enclave du Saint-Empire se verra désormais cernée de toute part par le royaume de France mais continuera pourtant de converser une relative indépendance bien que de plus en plus sujette aux pressions et aux manoeuvres de la couronne pour l’annexer. Il faudra pourtant encore attendre un siècle pour que l’archevêque de Vienne se résigne à mettre fin à l’indépendance de la cité. Nous sommes alors en 1450 et cette reconnaissance ne ternira en rien le prestige de la ville pas plus qu’elle n’atermoiera la puissance de son économie.
La monnaie qu’on y frappera fera encore longtemps référence pour les autres monnaies du royaume, les foires y bâteront leur plein, et les routes qui avaient fait depuis des temps reculés de Vienne ce haut lieu commercial, stratégique et historiques continueront de lui prodiguer la manne de toujours. Sur la route des pèlerinages, les croyants venus du nord, y feront même des haltes pour venir contempler ses merveilles et ses saintes reliques. Contre vents et marées, le destin hors du commun de la cité de Vienne continuera de la faire briller de mille feux au niveau économique comme spirituel durant la renaissance. (ci contre un denier médiéval frappé à Vienne par l’archevêché).
Fidèle à notre objet médiéval, c’est là que nous laissons son histoire, aux portes du siècle des lumières, pour faire un bond dans le temps et vous inviter à achever cette longue balade historique par la Vienne d’aujourd’hui.
Vienne en Fête : histoire et culture
Outre les quelques quarante monuments classés que Vienne a conservé de sa longue et prestigieuse histoire, la ville à encore bien d’autres choses à offrir pour qui viendrait la visiter. Il y a, bien sûr, les fêtes historiques et les médiévales qui se tiennent chaque début septembre mais ce ne sont pas les seuls moments durant lesquels cette belle cité célèbre son histoire et de ce point de vue, vous y trouverez de quoi vous sustentez toute l’année; journées gallo-romaines, vendanges romaines, musée, et encore visites guidées et découvertes des monuments et de l’Histoire de la ville (une a deux fois par mois),.
Côté culture entre grands événements populaires et foires, elle vous proposera encore un festival d’écriture et un autre d’humour et pour les amateurs de musique, son magnifique théâtre antique exceptionnellement conservé est, chaque année, le théâtre de nombreux événements et concerts. Du classique au Jazz en passant par les artistes les plus variés, le lieu a vu passer des invités de prestige à la renommée internationale. Les belles heures de son festival de Jazz font aussi chaque année, au début du mois de juillet, le bonheur des amateurs du genre. On y vient, de toute la France ou de la région, son petit coussin à la main, passer des nuits entières dans la tiédeur de l’été, à se laisser bercer pas les notes chaudes, blues, feutrées ou free jazz d’artistes au sommet de leur art, dans une qualité acoustique exceptionnelle. Croyez le dauphinois qui vous parle, mes amis. Tout cela est du vécu. Il suffit de quelques instants passés au milieu des vieilles pierres du théâtre de Vienne, dans la chaleur de l’été et la magie d’un concert pour vous sentir, ici, plus seulement en terre d’histoire mais aussi en terre d’émotion et d’amitié.
Un de ces prochains week end ou même un de ces mois d’été où l’appel de la mer vous gagne, sur la route de vos vacances, plutôt que de passer trois heures à vous déshydrater dans les embouteillages, au douloureux péage d’autoroute de Reventin-Vaugris, je vous conseille volontiers de faire une belle halte en la cité de Vienne, pour venir vous rafraîchir à l’ombre de sa prestigieuse histoire et de ses merveilles. Il sera bien tant de reprendre la route à la fraîcheur du matin suivant, quand les bouchons auront sauté.
Une excellente journée à tous!
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : musique médiévale, amour courtois, cour d’espagne, manuscrit ancien Période : moyen-âge tardif, début renaissance Titre : « Al alba venid ». Auteur : Anonyme Manuscrit : chansonnier musical du palais, ou chansionnier de Barbieri Interprétes : The Dufay Collective Album : cancionero – music for the spanish court 1470-1520 (2006)
Bonjour à tous,
ous partageons aujourd’hui une pièce d’amour courtois que l’on chantait à la cour d’Espagne dans le courant des XVe et XVIe siècles. C’est un Villancico, soit un chant poétique traditionnel et ancien espagnol. Historiquement, le terme de Villancico recouvre plusieurs sens: à l’origine, on désignait ainsi, en Espagne, les mélodies populaires chantées par les vilains. A la renaissance, certaines d’entre elles se convertirent en chansons à une voix ou plusieurs, accompagnées souvent au luth ou de son cousin aragonais la Vihuela (voir illustration ci-dessous). Avec le temps, certains de ces Villancicos sont aussi devenus des chants que l’on entonnait dans les églises autour de la période de Noel.
L’auteur de la chanson que nous vous présentons ici est demeuré anonyme mais elle existait sans aucun doute à l’état oral avant sa transcription. Quoiqu’il en soit, bien que très simple et très épurée cette poésie n’aurait sans doute pas tellement sa place dans une église. Elle est, en effet, chantée par une dame à son amant et traite de l’attente amoureuse et du secret, thème récurrent de l’amour courtois qui pour être très pur ou très allégorique, n’en est pas moins souvent polisson, disons-le, puisqu’il n’est pas rare qu’il se plaise à jouer avec les frontières de l’interdit et des conventions dans le dos des maris.
Du point de vue de son contenu, cette chanson s’inscrit encore dans la tradition des troubadours provençaux du XIIe siècle et du moyen-âge central qui ont chanté l’aube mieux que personne, ce moment déchirant où les amants doivent se séparer. En l’occurrence dans cette chanson là, il est question qu’ils s’y réunissent et d’un rendez-vous à l’aube, ce que l’on nomme en bon espagnol, une alborada, et non plus une aubade, un albada.
Venez à l’aube, mon bon ami
Le chansonnier musical du palais ou chansonnier de Barbieri
Conservé à la bibliothèque royale de Madrid, le Cancionero Musical de Palacio, appelé encore le chansonnier de Barbieri est basé sur un manuscrit ancien datant du XVIe siècle qui contient des compositions musicales et des chansons datant du XVe au début du XVIe siècle. Nous sommes donc à la lisière de la fin du moyen-âge et du début de la renaissance. Ce travail de compilation, effectué par neuf personnes différentes au cours du temps, se serait vraisemblablement étalé sur une période d’environ quarante ans, sous le règne de rois catholiques espagnols.
Redécouvert à la bibliothèque du palais royal, dans le courant du 17e siècle, on doit Francisco Asenjo Barbieri, célèbre compositeur madrilène du même siècle, considéré comme le créateur de la zarzuela, une forme de théâtre lyrique espagnol, de l’avoir retranscrit et publié pour la première fois en 1890.
(ci-contre portrait du compositeur Francisco Asenjo Barbieri)
Originellement, l’ouvrage contenait plus de 548 pièces, mais certains feuillets se perdirent et il n’en reste plus aujourd’hui que 469. Dans leur grande majorité, les compositions sont en castillan, mais il en demeure quelques unes en latin, français, catalan, basque et portugais. On y trouve des chants pour une voix, mais aussi des pièces polyphoniques qui touchent des thèmes aussi variés que l’amour, la religion, la chevalerie, l’histoire, mais encore des sujets plus politiques, burlesques ou satiriques. Hormis les compositions qui sont restées anonymes comme celle d’aujourd’hui, on y dénombre pas moins de cinquante compositeurs et ce manuscrit ancien se présente aujourd’hui comme une véritable anthologie de la musique et des chants polyphoniques de l’Espagne du début de la renaissance et de la fin du moyen-âge.
The Dufay Collective, les interprètes du jour
Crée en 1987 par une bande de joyeux musiciens anglais, le groupe s’est spécialisé, depuis son origine, dans l’interprétation des musiques anciennes, sur une période allant du moyen-âge à la renaissance. Leur nom « The Dufay Collective » est d’ailleurs directement inspiré de celui de Guillaume Dufay (1397-1474), compositeur franco-hollandais qui fut au milieu du XVe siècle considéré comme comptant parmi les plus grands de son temps,
On doit, à ce jour, près de 11 albums au Dufay collective et ils ont aussi collaboré à la composition de plusieurs bandes originales cinématographiques de films d’époque et même d’un Harry Potter. Vous noterez, au passage, que les groupes anglais sont quand même bien les seuls à se fendre d’une couverture d’album décalée, humoristique et presque rock pour présenter des musiques médiévales, interprétées finalement de manière plutôt « classique » et « conventionnelle ». Si vous allez faire un tour sur leur site web, vous retrouverez d’ailleurs bien cet esprit.
Les paroles originales en espagnol
Al alba venid, buen amigo, al alba venid.
Amigo el que yo más quería, venid al alba del día.
Amigo el que yo más amaba, venid a la luz del alba.
Venid a la luz del día, non trayáis compañía.
Venid a la luz del alba, non traigáis gran compañía.
Leur traduction en français
A l’aube venez, bon ami A l’aube venez.
Ami, celui que je voudrais le plus Venez à l’aube du jour.
Ami celui que j’aimais le plus Venez à la lumière de l’aube.
Venez à la lumière du jour N’amenez point de compagnie.
Venez à la lumière de l’aube N’amenez pas grande compagnie.
Une très belle journée à tous!
Fred
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