Sujet : village de pécheurs viking, reconstitution, création, balade virtuelle. Média : vidéo, infographie 3D Période : haut moyen-âge à moyen-âge central Artiste : Simon Pennington
Bonjour à tous!
mateurs de voyage dans le temps en général et dans le monde médiéval en particulier, aujourd’hui, je vous propose la vidéo d’un infographiste 3D de grand talent qui s’est fendu de reconstituer ou d’imaginer, pourrait-on dire plutôt, un village viking du lointain passé. Entouré de montagnes, le petit bourg se tient, paisible, dans un fjord et au bord de la mer. Il est supposé être en Suède, et si l’artiste lui-même ne le date pas, ce village pourrait sans doute être daté du bas moyen-âge jusqu’au Xe, XIe siècle.
Ce « monde » 3D n’est pas à proprement parler, basé sur des sources archéologiques, mais l’artiste Simon Pennington a passé tout de même autour de 6 mois pour le réaliser. Que l’on connaisse ou pas les techniques utilisées et le travail qu’il y a derrière la scène pour en arriver là, le résultat est totalement époustouflant.
Si cela vous intéresse, vous trouverez plus d’informations (en anglais) et de photos de ce projet sur le site web de cet artiste. Ce designer de mondes 3D, travaille désormais pour la société Creative-Assembly dont nous avions déjà parlé ici et qui édite entre autres, les jeux vidéos de la collection TOTAL WAR. Il y occupe le poste de « Senior Environment Artist »..
Une très belle journée à tous!
Fred
Pour moyenagepassion. « A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »
3. MOTTES & FORTERESSES DE BOIS, efficacité défensive & poliorcétique
près nous être penché sur le foisonnement de mottes castrales, d’enceintes et autres donjons et châteaux-forts que l’on commence à construire vers la fin du Xe siècle, sous la pression des invasions mais encore sous la pression de l’émancipation des seigneurs locaux qui reprennent à leur charge la défense du territoire, il est temps de faire une parenthèse pour aborder l’état des techniques de siège durant ces périodes et ce que l’on en sait. Les avancées de l’architecture médiévale restent en effet indissociables des techniques d’assaut des forteresses et des engins de siège qui évoluent, eux-aussi.
A. Les techniques de siège du temps des forteresses de bois et des mottes castrales
« Absence » de nécessité fait-elle Loi ?
Pour reprendre avec Viollet le Duc, l’histoire des châteaux là où nous l’avons laissée, du dixième au début du douzième siècle, les techniques de siège complexes qui seront à l’oeuvre dans les siècles suivants face aux châteaux-forts de pierre sont peu, sinon pas usitées. L’architecte du XIXe prête à certaines vagues d’invasions la connaissance de ces techniques et on sait par ailleurs que les vikings conduit par Rollon durant le siège de Paris les ont effectivement utilisées (IXe siècle), mais en dehors de cela, dans son dictionnaire raisonné d’architecture médiévale, il reste à peu près catégorique sur le fait que, tant du point de vue de la science de construction de forteresses que des techniques de siège, les francs de l’époque ne sont pas en mesure de les utiliser dans toute leur grande largeur. En réalité, il confesse aussi, assez honnêtement que peu de traces nous sont parvenues de cette période et se montre plutôt expéditif sur ces questions. Là encore, le cours du temps a laissé des vides que seule l’extrapolation théorique peut tenter de combler.
« Nous ne parlerons que sommairement des sièges entrepris contre des places fortes avant le XIIe siècle, parce que le peu de documents écrits qui nous restent sur ces opérations sont trop vagues, trop contradictoires même, pour qu’il soit possible d’en tirer quelque chose ressemblant à un art. » Eugène Viollet Le Duc,
Dictionnaire Raisonné de l’architecture française, 1856
Cette dernière citation d’Eugène Viollet le Duc appelle, on le voit, quelques réserves, mais souvenons-nous du contexte qu’il nous dépeint de cette période du Xe siècle: la Gaulle a oublié ses oppidums, les francs et les héritiers des romains restés sur place se sont peu fortifiés et les invasions extérieures, autant que les raids des normands sédentarisés, n’ont aucun mal à conduire leurs pillages. Pour leur faire face, on a construit, à la hâte, des défenses, souvent mal conçues et peu efficaces que les hommes des seigneurs francs sont, de surcroît, peu nombreux et peu entraînés à défendre. La résistance des installations avoisine donc le zéro pointé et de fait, la facilité de pénétration des territoires et les conquêtes des vikings ou des normands qui se sont depuis sédentarisés semblent venir appuyer favorablement cette thèse.
Je fais une parenthèse que vous me permettrez de juger triviale, mais au rang des informations qui circulent tous azimuts sur le web, j’ai pu voir reprise, ça ou là, une « théorie » qui affirme que catapultes et onagres n’étaient plus utilisés lors des sièges militaires, depuis le début du haut moyen-âge, pour cause « d’humidité ». Très honnêtement, je n’ai pas creusé cet aspect et je ne suis pas un spécialiste des montées subites du taux d’hygrométrie, pas plus d’ailleurs que de la culture du champignon de Paris, mais, en toute logique, je ne vois pas bien comment les romains; les grecs et les assyriens, auraient pu utiliser ces engins de sièges dans leurs conquêtes durant des siècles, sans en souffrir, si cela était vrai. Je vais donc si vous le permettez en écarter l’hypothèse et revenir à des choses plus factuelles.
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Pour reprendre sur les invasions vikings, plus que les lourds engins de siège, au final l’arme principale de ces hommes du nord reste bien plus surement leur stratégie navale ainsi que leur grande mobilité. C’est, en effet, par les fleuves qu’ils conquièrent et c’est par l’eau qu’ils se retirent aussi. ( ci-contre Normands en route pour Guérande, bnf, consulter l’original ici). Dans une de ses formes d’attaque les plus impressionnantes, on parle de sept cents navires ayant remonté la Seine pour s’en aller assiéger Paris à la fin du IXe siècle. Face à une telle flotte, le seul pont de Pitres et ses deux châtelets défensifs destinés à bloquer toute remontée de flotte ennemie en amont de Rouen et dont la construction avait été lancée par le roi Charles le Chauve pour contrer les raids fluviaux, n’aura pu y faire grand chose, même si l’attaque de la cité se révélera pour les vikings plus ardue qu’ils ne l’avaient pensé puisqu’ils finiront par tenir un camp et, justement, construire des engins de siège. Sauf à quelques exceptions près dont celle-là, on peut supposer que dans bien d’autres cas, les faibles enceintes et fortifications rencontrées au hasard de leur pérégrinations le long des fleuves, n’ont pas suffi à arrêter leur détermination. A leur entraînement à la guerre et à leur stratégie de raids fluviaux qui jouent de l’effet de surprise, ils pratiquent encore, comme nous le verrons plus loin, des techniques avancées d’information, usant d’espions ou d’informateurs, ce qui vient avantageusement compléter leur arsenal.
Même si certaines vagues d’invasion connaissaient des techniques de siège avancée et savaient, au moins et à l’évidence, construire des engins de siège – les vikings, cela est établi, mais encore et sans nul doute les byzantins qui frappent alors dans le sud -, la plupart du temps, en dehors de grandes villes historiquement fortifiées, le recours à de tels moyens ne leur est pas nécessaire. A l’évidence, le reste des terres assiégées semble se trouver bien démuni face à ces envahisseurs déterminés et motivés. Au début du Xe siècle, la décision si contestée et impopulaire prise par Charles le Simple de concéder au viking Rollon le duché de Normandie, permettra de voir les invasions diminuer de ce côté là au moins, mais cette fin de siècle autant que le siècle suivant continueront pourtant de voir s’élever de nouvelles fortifications ou de se renforcer les existantes dans un mouvement pour ne pas dire une frénésie, que rien ne semble vouloir atermoyer. Comme nous l’avons dit dans notre article précédent, ce sont les siècles où l’éclatement et la fragmentation du pouvoir central continuent de se poursuivre.
(ci-contre portrait de Charles le Simple par Georges Rouget, XVIIIe siècle)
A la pression d’ennemis extérieurs, viennent donc s’ajouter, désormais, les tensions et les luttes intestines entre seigneuries voisines mais aussi entre vassaux et suzerains. Dans ce climat et dans les quelques deux cent ans qui suivront, il faudra donc que l’on ré-apprenne et que l’on s’aguerrisse aux techniques de fortifications ou de siège, mais dans ces Xe et Xe siècles, à en croire Viollet le Duc, tout ou presque a été perdu des héritages anciens : faute de temps, faute de moyens, faute d’entraînement et d’expérience, peut-être bien plus surement que faute de mémoire ou de savoir-faire.(1)
La question de l’adaptabilité des forteresses
Dans un excellent article d’Universalis sur les fortifications, Jean Delmas énonce une vérité qu’il est utile de garder en tête pour comprendre la difficulté d’adaptation des forteresses face aux agressions qui leur font face :
« À l’inverse de la fortification de campagne – organisation défensive du terrain qui naît au rythme des opérations –, la fortification permanente construite en temps de paix est, par définition, conçue pour durer. Une rapide chronologie prouve que si elle a pu, pendant des siècles, satisfaire à ce besoin de longévité sans connaître de mutations brutales, imposées par l’évolution de l’art de la guerre et de l’armement, elle s’adapte très difficilement – toujours par définition – à l’accélération du progrès technique. Nécessitant de longs et coûteux travaux, elle a été, depuis cent ans, souvent déclassée techniquement dès son achèvement ou n’a pas répondu aux conceptions tactiques et stratégiques nées entre-temps. Le rapport coût-efficacité apparaît alors si négatif que la question est posée : la fortification appartient-elle au passé ? ou a-t-elle seulement changé de nature ? »
Cette vérité est encore plus pertinente quand les siècles dont nous parlons ne connaissent qu’une paix très relative, ceci étant bien sûr à nuancer en fonction des régions, de la proximité des forteresses avec des frontières critiques, de leur éloignement des zones de tension (ou des fleuves!), de la protection naturelle offerte par leur site et leur accessibilité (éperon rocheux, montagnes, présence de l’eau qui permet de ménager des douves, etc…) et encore de la disponibilité des moyens humains à disposition pour les défendre ou les construire; toute chose qui nous renvoie à l’article que nous avions fait précédemment sur le paysage fortifié de la France du Xe, XIe siècle. Quoiqu’il en soit, cette lenteur d’adaptabilité des forteresses reste une constante et devient encore plus cuisante quand leurs dispositifs défensifs naissent déjà, en quelque sorte, avec un effet retard sur les techniques capables de les assiéger. Si l’on se fie à ce que l’Histoire nous enseigne, c’est le cas de nos forteresses de bois des Xe, XIe siècles.
(ci-contre Rollon, chef viking fait premier Duc de Normandie, statue d’Arsène Letellier, XIXe, Rouen)
Réputée avoir été inventée près de cinq cent ans avant J.C., la catapulte et ses projectiles de pierre a, en effet, déjà plus de mille cinq cents ans quand l’on commence à dresser les premières mottes castrales de terre et de bois en Europe. Que l’agresseur se fende de bâtir quelques unes de ces machines de guerre et voilà déjà la motte tremblante. Au delà de l’éventuelle nécessité qu’ils pourraient avoir à le faire, encore faut-il pour cela que les assaillants en aient le temps et la motivation. Encore faut-il aussi qu’ils soient organisés et suffisamment nombreux, qu’ils comptent dans leurs rangs un expert capable de guider les hommes pour la construction de l’engin, qu’ils aient encore des vivres en suffisance pour tenir un camp. La razzia ou le raid sont des formes d’attaque qui par nature, ne font pas toujours montre de patience alors que pour celui qui a le temps d’assiéger et qui sait que le jeu en vaut la chandelle, le temps, s’il en dispose, reste toujours la meilleure arme : établir un camp, couper les routes de ravitaillement, encercler la place, et attendre sagement que la faim ou la soif conduisent les défenseurs à la reddition, voilà bien une technique qui a toujours fait ses preuves dans l’histoire des sièges sans avoir à abattre les arbres dont on fait les machines de guerre. Tout cela pourrait encore expliquer ce peu d’usage supposé de techniques de siège « sophistiqués » et de machines de guerre lourdes durant cette période et abonder dans le sens de la thèse d’Eugène Viollet le Duc. Dans la balance, il faut encore ajouter du côté des assaillants une arme de peu de frais et pourtant impitoyable : le feu qui reste redoutable face aux palissades et aux défenses de bois.
Efficacité contextuelle et évolution « relative »
Pour revenir à ce constat d’effet retard, on peut encore se demander si les mottes castrales de bois furent vraiment des constructions de fortune, inaptes à résister ou si elles étaient plutôt relativement bien adaptées à leur contexte. La réponse est, à coup sûr, contenue dans cette dernière question, sans quoi on n’en aurait pas construit en si grand nombre, pendant plus de trois cent ans. Dans bien des cas, comme pour les enceintes castrales de l’époque, ces constructions ne sont pas de simples châteaux de sable que la première vaguelette venue pourra emporter au loin et l’exercice de les construire n’aurait pu être à ce point vain, ou ne traduire que les « caprices » d’un seigneur désireux de s’élever par le symbole. On peut encore prendre pour preuve de cette efficience des mottes castrales, le fait que les normands en bâtirent en nombre lors de la conquête de l’Angleterre.
Sur les terres de France, même s’il y a, indéniablement, un effet retard qui poussera vers l’avant l’architecture défensive et l’évolution des forteresses de bois, les lignes écrites plus haut nous apportent encore des éléments de réponses. Ces défenses font souvent face à des cavaliers ou des hommes d’armes d’infanterie marine (vikings, normands, hommes du nord) ou terrestre (hongrois, byzantins, seigneuries voisines); dans de nombreux cas, cela reste des exercices légers, équipés de manière légère (armes d’estoc, lances, épées, armes de jet), qui visent le pillage suivi du retrait plutôt que de s’établir sur le terrain conquis. Dans ce contexte, que l’on soit à cheval ou à pied, l’élévation, les fossés ou l’enceinte dissuadent et compliquent indéniablement la tâche de l’assaut qui ne peut se conduire sans risque, sur ce terrain accidenté, jalonné de douves ou de fossés, et sous les jets de flèches. Il faut encore se souvenir que, bien souvent, les défenseurs ne se contentent pas de rester tapis derrière leurs palissades à attendre qu’on les enflamme; une partie de l’exercice sort au devant de la motte pour la protéger et pour devancer les assaillants, ou peut même encore sortir par les poternes, ces sorties dérobées à la vue de l’ennemi, que l’on utilise déjà pour le contourner et pour le prendre par surprise. Pour autant qu’elles ont montré leurs limites face à certaines situations, toutes ces constructions se sont donc avérées efficaces dans les cas les plus fréquents.
Contre le feu, la pierre enfin!
Aussi hautes qu’on ait pu les élever, de manière artificielle ou non, ces fortifications de bois et les mottes castrales sont demeurées, par contre, impuissantes à faire face à certaines agressions, la pierre des projectiles mais surtout, comme nous le disions, le feu. C’est d’ailleurs principalement à ce dernier élément que l’on accorde d’avoir favorisé les évolutions de l’architecture défensive du Xe et XIe siècle. On a donc renforcé, quand on le pouvait ces installations défensives à l’aide de la pierre, quand on ne les a pas simplement désertées au profit de nouvelles constructions, faites de cette même pierre et bâties sur d’autres sites. Souvenons-nous encore, en disant tout cela, que l’archéologie et l’histoire ont établi que sur de nombreux sites, certaines forteresses de bois n’ont été que peu ou pas transformées pendant de longues périodes de temps (revoir l’exemple du Jura et celui du château Gallois de Hen Domen, dans l’article précédent). Cela va encore avec cette idée d’une guerre qui n’est pas si permanente, ni si présente sur tous les territoires qu’on avait pu le penser par le passé. Au fond, la pression du contexte reste la seule loi véritable qui commande l’évolution (ou non) des forteresses et des châteaux de bois. Effet retard donc, c’est indéniable, mais ce retard est compensé plus ou moins vite en fonction de l’efficacité, même relative, de la forteresse face à la nature des attaques qui la menacent et à leur fréquence.
(ci-contre détail, tapisserie de Bayeux, attaque d’une motte castrale par le feu)
Assurément, la pierre qui vient s’imposer graduellement dans le courant du XIe siècle et des siècles suivants, donnera, pour un temps, à nos mottes castrales et nos premiers châteaux (ceux qui ne sont pas déjà faits de pierre), quelques longueurs d’avance, mais il faudra souvent des années pour que les seigneurs même les plus pressés par les nécessités du contexte (et qui disposent en plus des moyens humains et matériels pour le faire), fortifient leurs installations défensives, leurs grandes tours ou leurs demeures pour les faire évoluer vers des édifices de pierre. Concernant les châteaux à mottes, on parle quelquefois de cent ans avant que l’on y juche une grande tour de pierre en lieu et place de celle de bois, et le tassement du terrain créant les conditions nécessaires pour pouvoir le faire ne peut pas toujours expliquer une tel délai d’adaptation. D’autres seigneurs ailleurs n’en auront pas la nécessité, d’autres encore n’en auront ni les moyens, ni même l’expertise.
De fait et en corrélation avec ces évolutions, il faudra aussi du temps pour que l’on se réapproprie ou, à tout le moins, pour que l’on se mette à retrouver l’usage, jusqu’à même les perfectionner, des techniques d’assaut et de siège les plus sophistiquées, héritées du lointain passé. Deux, voir trois siècles, seront nécessaires si l’on en croit les Historiens avec en tête encore une fois notre architecte du XIXe, Eugène Viollet le Duc. Pourtant, oubliées ou simplement peu usitées parce que les modes d’attaques ou la taille des exercices qui leur font face, pas d’avantage que la solidité des défenses ne les requéraient, ces techniques étaient, pendant tous ces siècles là, dormantes bien plus qu’à ré-inventer. Encore si proches dans le cours du temps, mêlées aux empreintes romaines qui avaient foulé la terres de Gaulle et les avaient conquise, ou encore bien actives à quelques frontières de là, elles se tenaient à portée de main, attendant leur heure. Quel est donc cet héritage avec lequel on se préparait à renouer et que certains, à l’évidence n’avaient pas oublié, ni cessé de mettre en pratique? Pour le savoir, il est temps de revenir sur l’histoire des sièges et de la poliorcétique.
ENTRACTE : UN PEU D’HUMOUR
Efficacité du feu contre les mottes, un moment historique!
Pour me faire pardonner et avant de passer à des choses plus sérieuses, je vous donne le lien du site web du musée de la tapisserie de Bayeux! A visiter si vous passez non loin de là!
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B. L’héritage antique de la poliorcétique
Lapoliorcétique est le terme qui désigne l’ensemble des techniques de siège militaire qu’elles soient offensives ou même défensives. Aux sources écrites qui nous sont parvenues sur les moyens humains et matériels de conduire l’assaut d’une forteresse, se tiennent celles des grandes conquêtes de l’antiquité.
Comme nous le disions en introduction de cette série d’articles, en ce qui concerne l’Art de bâtir des forteresses, les sociétés humaines appliquent, depuis des temps immémoriaux, les mêmes règles de la muraille, des obstacles et de l’élévation pour se protéger. Plusieurs siècles avant Jésus Christ, on construisait déjà de hautes fortifications défensives et ces installations connaissaient à ces mêmes époques des assauts pour les prendre, au moyen des machines de guerre et des techniques de siège les plus avancées. Au vue des traces archéologiques et documentaires qui nous sont parvenues, l’histoire de la poliorcétique passe par les assyriens, (800 ans avant J.C.), est améliorée par les grecs, et reprise ensuite partiellement par les romains. Comme on s’en doute, dans tout le berceau qui les ont vu naître et se propager, les civilisations en subissant les dommages collatéraux vont aussi les adopter ou les améliorer quand elles en auront les moyens techniques et humains. Ce sera le cas notamment des byzantins. Comme l’Histoire occulte souvent l’Asie, nous avons forcément une vision incomplète de ces phénomènes, mais il faut se souvenir que l’on prête à la Chine de nombreuses inventions et innovations dans ces domaines.
Machines de guerre & engins de siège antiques
Onagres, catapultes,balistes ou scorpions, au premier siècle après Jésus-Christ, l’architecte ingénieur Marcus Vitruvius Pollio, mieux connu sous le nom de Vitruve, formalisait et synthétisait déjà, dans son ouvrage « De architectura », les proportions, ainsi que la manière de construire et les usages des machines de guerre et autres engins mécaniques permettant d’assiéger les forteresses (photo ci-dessous version latine de son manuscrit). Se faisant, il se juchait, sans nul doute, sur les épaules du génial Archimède (287-212) qu’il cite d’ailleurs dans son ouvrage. Si l’on en doutait, ce dernier ne faisait donc pas que tremper dans sa baignoire et, dans son ouvrage « géométrie des figures planes », trois siècles avant Jésus-Christ, il décrivait déjà des engins de siège tels que la catapulte. On retrouve, d’ailleurs, dans l’écrit de Vitruve et dans les exemples qu’il prend, toute l’importance de l’héritage grec sur la poliorcétique romaine, héritage que l’on fait remonter lui-même à plus de quatre siècles avant JC avec des ingénieurs tels que Polyeidos de Thessalie.
A l’assaut des Murailles et des portes
Du point de vue des dispositifs d’assaut, outre les armes de tir et de jet « lourdes » qui propulsent roches, pierres, ou flèches, on construit déjà depuis, bien longtemps de grandes échelles pour gravir les hauts murs des fortifications, et encore des tours d’attaques mobiles dans lesquelles les hommes s’embusquent pour être à hauteur des murailles et les prendre d’assaut au moment propice : « hélépoles » chez les grecs, « beffrois » au moyen-âge, (voir photo ci dessous tirée encore une fois du Dictionnaire raisonné d’architecture). Les béliers sont aussi présents pour défoncer portes ou palissades; on les nomme vineae chez les romains et ils sont, la plupart du temps, à roues et couverts. Et, finalement, on connait les tortues, appelées encore chats ou taupes: ce sont des dispositifs à roue, mais aussi quelquefois plus légers, portés à dos d’hommes et souvent recouverts de peaux humides ou même de terre, qui permettent de se tenir à couvert des projectiles et du feu et que l’on utilise pour boucher les fossés ou les douves quand on en rencontre, autant que pour s’approcher des pieds de muraille en vue de les détruire. Dans la famille de ces dispositifs de protection, le mantelet est également connu,. Utilisé par les archers, il permet aussi de protéger les sapeurs, ces équipes affectées à l’ouverture de brèche dans les murailles (voir photo ci-dessous). Concernant des variantes de ce type de dispositif, vous pouvez consulter l’article et le documentaire sur le manuel de Hans Talhoffer, on y trouve, entre autre chose, un test réel fort divertissant fait à partir d’une protection en forme de cloche et en cuir bouilli, retrouvée dans les illustrations de ce manuscrit médiéval et dont on ne sait pas si elle a véritablement servi ou si elle est simplement sortie de l’imagination de ce maître d’armes du XVe siècle.
Sape et Combat de mines
Dans les vagues d’assaut plus offensives, si l’on ne peut incendier ou gravir les palissades ou les murs de la fortification, on essaye de creuser pour passer en dessous. Ces stratégies d’attaque souterraines sont connues sous le nom de combat de mines. Il y a dans l’ouvrage de Vitruve des exemples de sièges militaires antiques faisant état de ces techniques, mais également de ripostes ingénieuses et spectaculaires des défenseurs pour contrer ce genre de plans d’attaque par le sous-sol. Je vous en livre, ici, un extrait afin que vous puissiez vous en faire un idée :
« Lorsque les ennemis allèrent aussi mettre le siège devant Apollonie, ils s’imaginèrent qu’au moyen d’une mine ils pourraient pénétrer dans la ville. Les habitants furent bientôt instruits de leur projet par les éclaireurs. (…) Il se trouvait parmi eux un architecte d’Alexandrie, nommé Tryphon. Il fit creuser dans l’intérieur de la ville plusieurs contre-mines qu’on étendit en dehors des murailles jusqu’à une portée de trait ; puis il fit suspendre dans toutes ces galeries souterraines des vases de bronze. Dans un de ces conduits, ouvert auprès de la mine que creusait l’ennemi, les vases suspendus se mirent à résonner à chaque coup de pioche qu’on donnait. On apprit par là dans quelle direction minait l’ennemi, et par où il avait l’intention de pénétrer dans la ville. L’endroit ayant été ainsi précisé, Tryphon fit préparer, au-dessus des mineurs ennemis, des chaudières d’eau bouillante et de poix, avec du sable brûlant et des immondices; puis ayant pratiqué pendant la nuit de nombreuses ouvertures dans la mine, il y fit jeter tout d’un coup toutes ces matières, qui firent périr tous les ennemis qui s’y trouvaient. »
Vitruve, De Architecturae. LIVRE X
Isolement, Blocus et guerre d’usure
D’un point de vue des techniques d’assaut, les schémas d’attaque lors des sièges hériteront encore longtemps des stratégies antiques. Comme nous l’avons mentionné, dans de nombreux cas, le temps reste toujours un allié précieux de l’assaillant pendant les sièges. On établit des campements généralement à quelque distance des murs ou des palissades de la forteresse. On l’encercle et on s’assure de couper les accès et les routes d’approvisionnement. L’Histoire des sièges a démontré que ce type de stratégie ne suffisait pas toujours, en fonction de la prévoyance et des ressources de la forteresse attaquée, mais ce sont en général, des dispositions que l’on va prendre systématiquement pour affaiblir le moral des défenseurs, à défaut de parvenir à les affamer.
Espionnage, diversion, dissuasion, négociation
« Un prince avisé et un brillant capitaine sortent toujours victorieux de leurs campagnes et se couvrent d’une gloire qui éclipse leurs rivaux grâce à leur capacité de prévision. Or la prévision ne vient ni des esprits ni des dieux ; elle n’est pas tirée de l’analogie avec le passé pas plus qu’elle n’est le fruit des conjectures. Elle provient uniquement des renseignements obtenus auprès de ceux qui connaissent la situation de l’adversaire. » Sun Tzu, L’art de la Guerre (-500 av JC)
Dans l’Histoire de la guerre et de la stratégie militaire, la communication, mais aussi l’information et la désinformation ont toujours été des alliés précieux. Elles sont pour ainsi dire aussi vieilles que les premiers sapiens sapiens. Le moyen-âge les connaissaient donc aussi et nul doute qu’elles sont intervenues. De même, les phases de pourparlers durant lesquelles les assaillants invitent les défenseurs à la reddition font partie intégrante des stratégies de prise de bâtiments et de territoires. En bref, espionnage, diversion, dissuasion, négociation ont toujours, et de tout temps, fait partie intégrante des Arts de la guerre.
L’exemple du siège de Saint-Dizier
Même si l’affaire date de 1544 et des guerres d’Italie qui opposèrent l’empereur Charles Quint au roi de France François 1er, cette anecdote est tellement représentative de l’importance de l’information et de la désinformation dans les guerres en général, et les guerres de siège en particulier, qu’elle trouve naturellement sa place ici. Durant le siège de la ville Saint-Dizier en Champagne, après près de trente jours d’assaut et de bataille autour de ses remparts, la ville est épuisée et ses assaillants, les armées de l’empereur Charles Quint, s’essoufflent aussi. Sancerre, le gouverneur de la ville commettra alors l’erreur de faire mander une missive au Duc de Guise, lui confessant que la ville est à bout de ressources et de munitions, et par conséquent, sur le point de tomber. Hélas pour lui, les impériaux intercepteront la missive et la décrypteront. L’histoire raconte qu’en possession du sceau du Duc de Guise, Granvelle le chancelier de l’Empereur enverra alors une fausse missive de réponse au gouverneur lui enjoignant la reddition de la ville. On raconte que les négociations s’ouvrirent peu après et que la ville finit par se rendre.
Les Strandhögg des vikings
A titre anecdotique encore, et comme nous le mentionnions déjà plus haut dans cet article, sur l’espionnage en particulier, les peuples du nord se sont faits connaître par l’usage d’un réseau d’informateurs bien en place, développé à partir de leurs nombreux comptoirs commerciaux. Grace à ces alliés invisibles, introduits dans les places, ils pouvaient mieux connaître les moments propices à l’assaut, à l’intérieur des lieux visés. Bien informés, ils pratiquaient alors l’attaque éclair avant de se retirer prestement. Cette technique portait le nom Strandhögg.
C. Mise en perspective de la poliorcétique dans le cadre médiéval des Xe et XIe siècles
Nous voilà donc rendu à notre conclusion sur l’approche des techniques de siège avancées de forteresses et sur les machines de guerre anciennes. Sur les terres de France, elles sont, au vue des sources historiques, plutôt absentes des Xe et XIe siècles mais il faudra pourtant bien les réapprendre ou les pratiquer durant les croisades puisqu’on se heurtera alors à des villes fortifiées. Sur le territoire, elles devront, de fait, être remises en pratique au fur et à mesure que le bois se substituera à la pierre. Nous l’avons dit, du point de vue de la poliorcétique, elles n’étaient que dormantes. Il ne s’agira pas alors d’innover mais bien plutôt de se souvenir ou de les retrouver même si, tout de même, l’empreinte byzantine par sa maîtrise des sciences mathématiques et physiques léguera aux croisés, quelques améliorations reconnues, notamment sur la précision des machines de jet.
Au risque de décevoir les amateurs de nouveautés médiévales et de grandes innovations qui nous proviendraient de cette période, si l’on regarde l’Histoire de la poliorcétique avec un peu de recul et sur une plus large échelle, les techniques d’assaut comme celles de défense n’ont pas évolué de manière spectaculaire de la période romaine, jusqu’au courant des XIIe, XIIIe siècles où l’on verra se généraliser l’utilisation des trébuchets, des Mangonneaux et de leurs variantes autour du bassin méditerranéen. Du point de vue de l’innovation, cela pourrait même ne paraître qu’une légère variante de l’existant n’ayant rien d’une révolution, mais bien plus, la simple mise en exploitation d’une invention passée. C’est véritablement la poudre à canon et même un peu plus tard, l’invention du boulet de métal qui apporteront du point de vue de la poliorcétique, des changements radicaux et il faudra donc attendre les XIVe et XVe siècles pour parler d’évolution véritable dans ce domaines. Pendant quelques temps, l’architecture défensive rattrapera alors, en quelque sorte son retard et donnera du fil à retordre à ses assaillants. Cette période consacrera l’âge d’or des châteaux-forts et nous aborderons tout cela dans un prochain article.
Merci de votre lecture et une excellente journée à vous!
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com « A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »
(1)Je dois bien, de mon côté, le confesser, même si l’absence de sources quantitatives sur cette période enjoint à la prudence, cette idée que l’on ait pas besoin d’avoir recours aux techniques de siège ou aux engins de siège me convient bien mieux que l’idée que l’on ne sait plus du tout faire ou que l’on ait pu tout oublier du côté franc, idée qui semble toujours en filigrane dans les écrits de Viollet le Duc. J’ai vraiment peine à croire que les francs ou les romains subsistant sur les terres de France au Xe et XIe siècles soient rendus, à ce point, dans l’obscurantisme et dans l’ignorance qu’ils en aient même oublié jusqu’à la manière de construire une catapulte. Sans doute que mon bagage ethnologique n’y est pas étranger, mais le mythe du « bon sauvage » ignorant de tout, ne maîtrisant rien, et se tenant en quelque sorte hors du champ des techniques ne me convient guère. Pour tout dire, je le trouve même toujours et par défaut suspicieux. Peut-être est-ce en pensant aux erreurs de jeunesse de l’Ethnologie balbutiante et de ses pionniers, que je ne peux m’empêcher de lire cette même tendance entre certaines lignes « expéditives » de Viollet le Duc mais je crois bien tout de même qu’elle s’y trouve. Chez lui, « l’âne » franc « indiscipliné, individualiste » et peu doté de conscience politique autre que celle qui le pousse à défendre ses propres intérêts, exempt encore de tout savoir-faire technique, fait toujours face au normand aguerri, conscient de l’idée de nation, consciencieux et habile dans ses conquêtes comme dans ses architectures, même si plus loin il caressera les francs dans le sens du poil en mettant sur le compte de ses défauts le fait de ne pas être devenu anglais. Tout cela me donne l’impression de me trouver face à un « remake » façon XIXe du tribal contre le civilisé, transposé sur les terres médiévales. Peut-être que le lyrisme « nécessaire » dont parlait Georges Duby à propos de l’Historien éclipse quelquefois les nuances dans les pièges inévitables de la narration: ce moment où l’Histoire peut se changer en histoire sans qu’on y prenne garde? Il n’y a guère que dans l’imaginaire ou les mythes post nucléaires apocalyptiques ou le début de la planète des singes, ce qui revient à peu près au même, que l’humanité semble avoir vraiment tout perdu et encore, il y a souvent même dans ce genre de littérature quelqu’un pour se souvenir. Alors manque de moyens, manque de temps, manque certain d’experts sur l’ensemble du territoire, les érudits et les meilleurs ingénieurs se trouvant certainement déjà dans les villes et, quand bien même, restent souvent hors de portée budgétaire, pourquoi pas? Mais absence totale de mémoire, je ne peux me résoudre à le croire. Peut-être ais-je encore en tête, en disant tout cela, la qualité des oeuvres de charpente médiévale ou même encore la diversité et la complexité de la vie des carolingiens dont témoigne les fouilles du lac de Paladru? Peut-être encore a-t’on si souvent sous-estimé les hommes de ce monde médiéval et leur niveau de connaissances et de savoir que je ne peux m’empêcher d’en prendre, par prudence et presque par défaut, le contre-pied.
Sujet : musique médiévale, troubadours et trouvères d’aujourd’hui. Titre : Saltarelle, danse italienne médiévale. Période : XIVe siècle, moyen-âge tardif. Interpréte : Arany Zoltán
Musique médiévale : Saltarelle interprétée par Arany Zoltán
eune Artiste hongrois, passionné d’instruments et de musiques anciennes, Arany Zoltán est un touche à tout aux multiples talents qui s’aventure dans de nombreux styles: folk, celtique, renaissance, traditionnel, mais aussi et pour notre plus grand plaisir dans la musique, les danses et même les chants de l’époque médiévale. Sa chaîne youtube est un véritable régal car il y partage sans compter ses créations, ses interprétations et encore sa passion pour les instruments d’époque. Il interprète, ici, avec une grande virtuosité une danse joyeuse et festive du XIVe siècle et plus précisément une Saltarelle,
La Saltarelle est une danse médiévale qui nous vient d’Italie et de la fin du moyen-âge (XIVe) mais qui puise ses racines dans l’époque romaine et latine ancienne. C’est une danse vive et dynamique, qui s’apparente à la tarentelle et fait partie de ce que l’on appelle les hautes danses. Ces dernières utilisent des pas sautés et aériens en opposition aux basses danses dans lesquelles les pas sont plus marchés ou glissés.
Une belle journée à tous!
Fred
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Sujet : poésie mediévale, poésie satirique, satire Période : fin du moyen-âge, moyen-âge tardif Titre : La Requeste Auteur : François Villon (1431 – disparition 1463)
Bonjour à tous,
ous postons encore, aujourd’hui, un peu de la merveilleuse poésie de François Villon. Comme il s’agit là d’une demande de prêt adressée à un roi, il est difficile de ne pas faire le rapprochement entre cette poésie et celle d’un autre auteur médiéval qui relève de la même intention et je veux parler ici de « la pauvreté » de Rutebeuf. Pour ceux d’entre vous qui sont de plus en plus nombreux à revenir régulièrement sur le site, ce dont nous vous remercions chaleureusement, vous vous souvenez surement que nous avons déjà posté plusieurs articles concernant ce dernier texte du grand trouvère du XIIIe siècle: la version que notre poète médiéval avait inspiré à Léo Ferré mais également la version originale de Rutebeuf.
(ci-contre portrait de François Villon par Ludwigg Rullmann, début XIXe, colorisé par nos soins et pour l’occasion)
François Villon d’un côté, Rutebeuf de l’autre, donc. On a souvent et sans doute un peu vite rapproché les deux hommes et c’est ce qui me motive un peu à me pencher sur la question, même si entrer sérieusement dans le détail de cet exercice difficile – qui consisterait au fond à comparer ce qui reste, à certains égards, incomparable – nécessiterait la conduite d’une étude poussée et sérieuse. Mais comme on ne se prive pas, ici ou là, de le faire de manière légère, je voudrais à mon tour en dire deux mots et livrer ici ce qu’il faut sans doute plus appeler des « sentiments » que des analyses.
La Satire comme dénominateur commun?
ans un paysage littéraire médiéval qui semble presque « saturé » d’amour courtois et encore peuplé de chants sacrés et religieux, la poésie de Villon et de Rutebeuf se démarque pour nous, presque de fait, à l’image de celle des Goliards. Entre les quelques points de repère qui nous sont parvenus et les textes qui ont traversé le temps, il n’est pas rare que nous tracions des lignes droites de causalité, cédant quelquefois à la tentation d’établir des influences quand ce ne sont pas de manière un peu plus avancée, des filiations directes. Pourtant, combien d’autres créations poétiques se sont-elles perdues dans le cours du temps pour n’avoir pas été retranscrites dans ce moyen-âge qui nous semble encore se tenir à demi dans une culture de l’oralité et où, dit-on, si peu de gens savent écrire (idée qui nécessiterait surement que l’on y mette quelques bémols*). Combien de Rutebeuf ou de Villon n’approchant pas la cour des grands et dont les créations ne nous seront jamais connues, resteront à jamais dans l’ombre et n’entreront jamais dans la postérité pour n’avoir pas laissé de traces écrites? Outre les auteurs sortis de la littérature, comment mesurer l’incidence de toute cette culture « volatile » et aussi populaire sur nos auteurs? Tout cela ne diminue en rien le talent d’un Rutebeuf ou d’un Villon. Ces deux auteurs médiévaux se démarquent dans l’art poétique, bien au delà du simple fait que nous soient parvenus leurs vers mais pour rester sur les hypothèses causales quand les auteurs eux-même ne se font pas mutuellement allégeance, ce que nous déduisons est bien souvent une projection dans l’espace vide entre deux fragments; des mouvements dans l’histoire des idées qui rendent possible l’émergence d’un Villon plus qu’une filiation.
(ci-contre détail du triptyque du jugement dernier de Jérôme Bosch, mélange savant et extravagant de morale et de satire, Début du XVe siècle)
Les jeux de cour dans la marge
Sans se pencher sur le comptage de pieds et l’analyse stylistique, littéraire et poétique de leur oeuvre respective, il y a, certes, surement plus de similitudes entre ces deux auteurs qu’entre un Guillaume de Machaut et un François Villon, ou encore un Rutebeuf et un Adam de la Halle. Villon, comme Rutebeuf, reste, en effet, « en marge » du social et résiste, même s’il s’y prête aussi à une certaine forme de bienséance. Ces deux-là fréquentent les cours ou la compagnie des nobles et des puissants comme pour mieux s’en affranchir et vivre en décalage de ce monde de faste que leur satire les condamne à ne pouvoir totalement embrasser. Pourtant, chacun d’entre eux, à sa manière, parait suffisamment proche du pouvoir, pour le « courtiser » et s’y adresser au besoin, à défaut d’être toujours entendu de lui.
Il me semble pourtant lire une différence dans leurs deux approches: François Villon se plie plus volontiers au jeu quand il s’agit d’y sauver « littéralement » sa peau, comme un dernier recours du supplicié, ce qui lui vaudra d’ailleurs une grâce. Pour le reste, quand il n’a pas les moyens de survivre et de se nourrir, il semble qu’il s’arrange pour rapiner et quémande peu. Cette « requeste » que nous publions aujourd’hui plaide d’ailleurs en la faveur de cette idée. Rutebeuf semble, lui, plus être un habitué de tendre la main ou le chapeau pour mendier sa pitance, comme il le dit lui-même dans la pauvreté d’ailleurs :
« J’ai vécu d’argent emprunté Que l’on m’a en crédit prêté; Or ne trouve plus de créance, On me sait pauvre et endetté » Rutebeuf
ne forme de satire et de poésie satirique les réunit donc. Est-ce encore suffisant pour établir de grandes filiations, des parentés voir même des legs? Je n’en suis pas certain. De mon côté, plus j’avance dans ces deux oeuvres, plus je mesure des divergences. On alléguera avec David Mus et non sans raison qu’il est plus sûr de se pencher sur les poésies qui nous sont parvenus de Villon, plutôt que de spéculer sur l’homme dont on sait finalement si peu et pourtant, comment y résister? Là où Rutebeuf appelle la curiosité et fait sourire, là où les mystères de ses tournures et de ses mots à double sens, de ronds de jambes en ironie, forcent l’admiration, la puissance évocatrice et quelquefois presque vitriolée de la poésie réaliste de Villon nous laisse toujours sans voix, de telle sorte que nous n’osons encore nous aventurer à tenter de la disséquer, ni n’en éprouvons le besoin. sans doute pour la garder entière dans son écrin.
De la poésie à l’homme
e n’est pas qu’affaire de maîtrise, en juger pourrait être injuste, mais c’est sans doute aussi question de milieu, de fréquentations ou d’expériences. La poésie de Villon est née dans la rue et s’en nourrit, celle de Rutebeuf n’y est pas autant enracinée. Il y a encore, me semble-t’il, quelque chose de lié à la nature profonde de ces deux hommes. D’un côté, ce Villon qui ose tout, se mêle aux brigands, et se tient toujours sur le fil, ce Villon que l’on torture aussi et qui payera jusque dans ses chairs les écarts auxquels le mènent ses fréquentations, ses choix et finalement sa folie d’être jusqu’au bout, son orgueil peut-être encore, de celle que partagent les voyoux. N’est-il pas resté, au fond, ce « mauvais garçon » que nous voulons encore sauver de la corde et des châtiments, jusque plus de six siècles après?
De l’autre côté, en miroir, ce Rutebeuf qui égratigne son monde, son renard roi, ses mauvais prêtres, réfugié derrière ce nom d’artiste qu’il s’est choisi. semble pourtant plus proche des couloirs du pouvoir, plus « bourgeois » jusque dans sa misère et sa marge. Il est aussi plus démonstratif ou enflammé dans son christianisme qu’un Villon.
Il y a, peut-être encore, la barrière de la langue et encore le fait que près de deux siècles les séparent. A la défaveur de Rutebeuf, comprendre sa poésie sans l’aide de la traduction, relève souvent de la gageure, quand comprendre Villon dans sa langue nous semble plus aisé, même s’il ne faudrait pas sous-estimer ce que le verbe de ce dernier nous cache de sens, pour des mots qui ont déjà près de six cent ans.
(ci-contre illustration de Thomas Rowlandson, XVIIIe, « poète affamé et son éditeur ». Le monde a changé, l’artiste demande pitance à son éditeur, et plus aux princes ou au rois)
Encore une fois, tout cela relève bien plus d’impression à leur lecture et des quelques bribes qui nous sont parvenus de la vie de Villon, que du résultat d’une analyse; ce n’est, en somme qu’une réflexion à la surface de ces deux poésies pour essayer d’y deviner les hommes. Il reste que l’attrait pour leur verbe et leurs mots demeure entier, mais indéniablement les deux poètes diffèrent sur le fond. Il y a chez Villon une profondeur qui touche et qui fascine. Elle va de la Satire à l’homme et de la poésie à l’être. Il est à nu dans son humanité et pas seulement dans sa misère.
st-ce le fait que ce poète « maudit » comme on l’a si souvent dépeint se sauva peut-être finalement de la corde avec l’aide de son Art et de sa plume? Cela y contribue sans doute même si la part d’ombre de Villon ne peut suffire à expliquer le goût pour sa poésie, ni à en épuiser le sens. Est-ce encore la musique de ses vers et ses refrains qui reviennent et rythment son oeuvre de manière entêtante? Quoiqu’il en soit, dans cette « Requeste », poésie de celui qui demande, Villon reste d’une dignité et d’une élégance absolue. Il ne le fait que de manière accidentelle et s’engage à rendre pièce pour pièce ce qui lui sera prêté; le reste de ses resquêtes poètiques seront faites pour sauver sa peau. Dans la pauvreté, Rutebeuf, se montre plutôt comme un habitué du genre. Il vit d’emprunt qu’il ne rend pas, et ne garantit pas qu’il rendra. Il est à nu lui et les siens dans sa misère, et à l’évidence ses subsides lui sont toujours venues de cette source: deux époques donc, mais aussi deux hommes, deux styles, deux systèmes de valeurs.
Mais laissons là les comparaisons, peut-être ne faut-il, pour l’instant, pas trop chercher à expliquer la magie qui s’opère à la lecture de cette requête de Villon et simplement le lire et le relire pour laisser le mystère opérer dans son entier.
La Requeste de François Villon
Que Villon bailla à Monseigneur de Bourbon.
Le mien seigneur et prince redoubté, Fleuron de Lys, royale geniture, Françoys Villon, que travail a dompté A coups orbes, par force de batture, Vous supplie, par cette humble escripture, Que luy faciez quelque gracieux prest. De s’obliger en toutes cours est prest; Si ne doubtez que bien ne vous contente. Sans y avoir dommage n’interest, Vous n’y perdrez seulement que l’attente.
A prince n’a ung denier emprunté, Fors à vous seul, vostre humble créature. Des six escus que lui avez presté, Cela pieça, il mist en nourriture; Tout se payera ensemble, c’est droicture, Mais ce sera légèrement et prest: Car, se du gland rencontre en la forest D’entour Patay, et chastaignes ont vente, Payé serez sans delay ny arrest: Vous n’y perdrez seulement que l’attente.
Si je pensois vendre de ma santé A ung Lombard, usurier par nature, Faulte d’argent m’a si fort enchanté, Que j’en prendrois, ce croy−je, l’adventure. Argent ne pend à gippon ne ceincture; Beau sire Dieux! je m’esbahyz que c’est, Que devant moy croix ne se comparoist, Sinon de bois ou pierre, que ne mente; Mais s’une fois la vraye m’apparoist, Vous n’y perdrez seulement que l’attente.
ENVOI.
Prince du Lys, qui à tout bien complaist, Que cuydez−vous, comment il me desplaist Quand je ne puis venir à mon entente? Bien m’entendez, aydez−moi, s’il vous plaist: Vous n’y perdrez seulement que l’attente.
Une très belle journée à vous!
Fred
pour moyenagepassion.com
« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C
* Concernant l’illettrisme médiéval : Bien qu’il semble un peu hardi de prétendre mesurer précisément le niveau d’illettrisme de cette période, on s’y réfère pourtant assez souvent comme un fait. Mais avec les choses du monde médiéval, il semble toujours judicieux face aux « vérités » communément admises d’opposer la déconstruction systématique et la recherche précise, tant les idées qu’on en retient sont si souvent erronées. D’un côté l’on chante le grand Charlemagne qui a « inventé l’école », et de l’autre personne ne s’étonne d’entendre que durant les quelques neuf cent ans qui suivent, on prête à chacun un illettrisme que l’on tient presque pour incontestable. France des villes, France des campagnes, il y a sans doute des disparités, mais entre éducation populaire, montée en puissance et émancipation des universités dès le XIIe siècle, présence des églises et des écoles paroissiales, il parait un peu léger de soutenir que personne ne savait écrire, sauf peut-être à parler du latin et d’un certain degré de maîtrise?
Sur ce sujet, je vous conseille un article très complet et bien documenté que vous trouverez sur France Pittoresque et qui commence d’ailleurs par cette citation de Siméon Luce, Historien médiéviste du XIXe qui introduit bien la question.
« On a cru longtemps que le Moyen Age n’avait connu rien qui ressemblât à ce que nous appelons l’instruction primaire. C’est une grave erreur ; il est fait à chaque instant mention d’écoles dans les documents où on s’attendait le moins à trouver des renseignements de ce genre, et l’on ne peut douter que pendant les années même les plus agitées du XIVe siècle, la plupart des villages n’aient eu des maîtres enseignant aux enfants la lecture, l’écriture et un peu de calcul »
Siméon Luce