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Au Moyen Âge tardif, une ballade désabusée d’Eustache Deschamps sur le temps passé

poesie_ballade_morale_moralite_medievale_Eustache_deschamps_moyen-age_avidite_gloutonnerieSujet : poésie médiévale, littérature,  ballade médiévale,  moyen-français, poésie , satirique, satire,
Période : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle
Auteur :   Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre :  « Que m’est il mieulx de quanque je vi onques?.»
Ouvrage :    Oeuvres complètes d’Eustache Deschamps,  Marquis de Queux Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons au Moyen Âge tardif avec une autre ballade d’Eustache Deschamps.    Elle est également tirée du Manuscrit français   840, conservé à la BnF  et consultable en ligne au lien suivant  (voir également photo ci-dessous).

eustache-deschamps-ballade-francais-840-manuscrit-medieval-moyen-age-tardif_002_sSi le ton de cette poésie demeure satirique par endroits, au sujet des puissants, c’est sous un jour plus désabusé que l’auteur médiéval se présente ici.  Interrogé sur un passé « riche en faits et glorieux », Eustache Deschamps fait le constat de la fuite du temps. A quoi lui sert tout ce qu’il a fait et vu à présent ? Tout s’en est allé et il n’est guère plus avancé.

On pourra faire de cette ballade  une double lecture. S’il nie l’incidence sur le présent de tout ce qu’il a accompli ou de tout ce dont il a été le témoin,  Eustache en profite, en effet, pour surenchérir sur le côté chevaleresque de sa jeunesse et sur ses exploits. Las ! il ne lui reste que le renom, rien des amours nombreuses pour lequel il a pris haut les armes, rien des nombreux pays qu’il a conquis, …  De fait, il en ressort désabusé   mais tout de même un peu grandi et peut-être peut on lire, là,   une  pointe de coquetterie ou même de vanité de sa part.

« Que m’est il mieulx de quanque je vi onques ? »
du moyen-français au français moderne

Pour cette fois, nous nous sommes attelés à une traduction- adaptation de l’ensemble de cette poésie, du moyen-français vers le français moderne. Dans cet exercice, la question la plus épineuse  est sans doute comment traduire et interpréter ce « Que m’est il mieulx de quanque je vi onques ? »  qui rythme cette ballade.

Pour respecter les pieds et le sens   « A quoi me sert tout ce que je vis lors ? » serait le plus correct.  « voir » étant  le plus fidèle à la lettre. Comme il est question de choses vues autant que d’exploits accomplis, nous l’avions traduit, au départ et de manière plus extrapolée  comme   : « A quoi me sert tout ce que j’ai vécu ? »    Cela  nous semblait, et nous semble toujours, plus poétique, parce que plus dramatique et plus profond aussi.  Dans la version que nous donnons ici, l’adaptation s’est toutefois effacée devant la traduction et nous avons gardé le « voir » contre le vécu.

On pourrait même encore dire « A quoi m’a servi ? » ou « Que m’a rapporté  tout ce que je vis lors ».  « En quoi est-ce que je m’en trouve mieux ?  »  Au delà du constat de  la vacuité des choses passées, la question adresse aussi la dimension matérielle. Eustache Deschamps se demande  en quoi tout cela l’a « avancé ». Le double sens est presque contenu dans l’expression.   Il est question de temps qui passe, de l’arrivée de l’âge aussi,  mais encore  d’apports ou de bénéfices concrets.   « Je n’y ai rien gagné », ce n’est pas la première fois que  le poète médiéval   se plaint  dans ses vers, de sa condition mais aussi du manque de reconnaissance reçue pour ses services. Il le fait sans doute, une nouvelle fois ici, de manière plus voilée.

Que m’est il mieulx de quanque je vi onques?

Chascun me dit: “Tu te doiz bien amer
Qui cerchié as honeur en mainte terre
Deca les mons ou pays d’oultre mer
Et en tous lieus que noble cuer doit querre,
Qui as veu mainte dure et fors guerre
Et qui amas bien par amours adonques.”
Lors respons je: “Ce m’a fait po acquerre;
Que m’est il mieulx de quanque je vi onques ?

Chacun me dit « Tu dois être bien fier (de toi)
Toi qui chercha l’honneur en maintes terres
Deçà    les monts et pays d’outre-mer
Et en tout lieu que noble cœur  recherche
Qui a vu maintes et très  cruelles guerres
Et qui (servit ) aima bien par amour alors « 
Et j’y réponds : « Je n’y ai rien gagné
A quoi me sert tout ce que je vis lors ? »

“II est certain que j’ay veu caroler
Et pour amours maint fait d’armes requerre,
En temps de paix tournoier et jouster,
Faire chancons et maint pais conquerre,
Oiseaulx voler, chiens chacer a grant erre
Et tous deduit; or court uns autres mondes;
Dire puis bien de quoy le cuer me serre,
Que m’est il mieulx de quanque je vi onques ?

Certes, j’ai vu danser ou bien chanter
Et pour amour, accompli maints faits d’armes,
En temps de paix, fait tournois et jouté,
Et fait chansons et maints pays conquis
Vu vols d’oiseaux et dogues en grande chasse,
Et tout aimé  (pris plaisir  à tout  cela) mais ce monde n’est plus,
Et je puis dire, ce qui me serre le   cœur
A quoi me sert tout ce que    je vis lors ?

“J’ay veu les roys aux sacres couronner
Et leurs grans cours dont l’en doit po enquerre,
Les chevaliers sur riches draps broder,
Leurs grans tresors de joiaulx mis soubz serre;
Sui les ay; pour ce pas ne me terre;
Rien n’ay acquis et ne puis durer longues
Fors que renom; c’est le vent de soulerre;
Que m’est il mieulx de quanque je vi onques ?

J’ai vu les rois aux sacres couronner
Et leurs grandes cours qu’il vaut mieux ignorer (dont il faut peu attendre,   desquelles il vaut mieux se détourner)
Les chevaliers sur de beaux draps brodés
Leurs grands trésors et joyaux mis sous clef (bien cachés),
Je les ais vu, je ne veux m’en cacher;
Rien n’ait acquis et rien ne dure toujours,
Sauf le renom : le vent d’été ne dure.
A quoi me sert tout ce que  je vis lors ? »

L’envoy

“Prince, le temps ne puet gaires durer ;
II fault chascun a son aage finer,
Jeusnes et vieulz, vielles et blondes,
Fors et hardiz, couars au parler,
C’est tout neant; pour ce vueil demander:
Que m’est il mieulx de quanque je vi onques?”

Prince, le temps ne peut guère  durer :
Chacun doit bien mourir quand son temps vient (finir avec son âge)
Jeunes et vieux, comme vieilles et blondes
Forts et hardis ou couards en parole
Tout ça n’est rien. Pour ce  je vous demande (veux demander)
A quoi me sert tout ce que  je vis lors ?

En vous souhaitant une excellente journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

« Puisque Belle dame m’eime », un chant polyphonique courtois du XIIIe

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet : codex de Montpellier,   musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français,  chants polyphoniques, motets,
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre:   
Puisque Bele Dame m’eime
Auteur :    Anonyme

Interprète :  Anonymous 4
Album : 
Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century (1993)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous avions déjà présenté, il y a quelques semaines, une pièce du Chansonnier médiéval de Montpellier  ( ou   Codex de Montpellier  H196 )  et nous poursuivons aujourd’hui son exploration.

Pour rappel, ce manuscrit ancien des débuts du XIVe fait un immense tribut aux chants polyphoniques et aux motets  du  XIIIe siècle. Il présente, en effet, pas moins de 336 pièces de ce type ( voir article précédent sur le Codex de Montpellier). La chanson médiévale que nous vous présentons, ici, est  àamour-courtois-musique-medievale-motets-chansonnier-montpellier-Moyen-age_s  l’image de la majorité d’entre elles puisqu’il s’agit d’un motet  d’amour courtois ayant pour titre « Puisque Bele Dame m’eime ».   On peut  la trouver interprétée par un certain nombre d’ensembles sur la scène des musiques anciennes et médiévales. De notre côté, nous avons choisi la version de la formation américaine Anonymous 4 pour vous la faire découvrir et nous en profiterons pour vous présenter ce quatuor vocal  à la longue    carrière.

« Puisque Belle Dame m’eime » par L’Ensemble  New-Yorkais Anonymous 4

Anonymous 4 sur les ailes des chants polyphoniques  de  l’Europe médiévale

L’ensemble Anonymous 4 est le fruit de la rencontre de  quatre chanteuses américaines, à l’occasion d’une session d’enregistrement dans un studio new-yorkais, au printemps 1986. Réunies autour d’une même passion pour  les chants polyphoniques et de musique médiévale,   il n’en fallut pas moins pour donner naissance à cette formation.   A plus de  trente ans de là, Anonymous 4  s’est  produit sur scène au cours de plus de 1500 représentations  sur tout le territoire américain. La quatuor a aussi   fait connaître et voyager son art dans la bagatelle de  trente -cinq pays.

amour-courtois-musique-medievale-chants-polyphoniques-anonymous-4Au cours de cette longue carrière qui  a vu son dernier concert en 2015,   Anonymous 4  a fait paraître  près de 30 albums, incluant quatre anthologies pour saluer leur large contribution à la scène des musiques anciennes et médiévales.   La formation ne s’est pas cantonnée au répertoire médiéval et on la retrouve également sur des chants de Noël, des chansons  du temps de la guerre civile américaine ou encore sur des chants celtiques ou anglais plus folkloriques. Du côté du Moyen Âge qui reste tout de même son terrain de prédilection,  Anonymous 4 a eu l’occasion d’exercer son talent sur de nombreux thèmes :  les visions d’Hildegarde de Bingen, les chants dédiés au culte marial médiéval,   le répertoire de Francisco Landini,  et encore bien d’autres  chansons de l’Europe médiévale : France, Angleterre, Hongrie,  Espagne, etc…

Membres de la formation   Anonymous  4

La dernière formation  était composée de   Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer et Jacqueline Horner-Kwiatek.   Au départ, elle fut  fondée par Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer et Johanna Maria Rose.

Voir le site web de Anonymous  4   (en anglais) – Page FB

Love’s Illusion,   l’illusion de l’amour (courtois) autour  du  chansonnier de Montpellier

En  1993, Anonymous 4   proposait au public un album  intitulé « Love’s Illusion » autour du codex de Montpellier et de ses chants courtois  polyphoniques. Ces pièces étant courtes, le quatuor féminin décidait d’en proposer un bon    chanson-musique-medievale-album-amour-courtois-codex-montpellier-moyen-age nombre et on en retrouve ainsi pas moins de 29 sur cette production.

Publié chez Harmoni Mundi, on peut encore trouver des exemplaires de cet album à la vente  en ligne. Voici un lien pour en savoir plus  : Love’s Illusion – Motets français des XIIIe et XIVe siècles (CD catalogue). Vous pourrez même y écouter des extraits de chacune des pièces.


Flos filius, « Puisque bele dame m’eime« 

Partition de cette chanson médiévale

On retrouve la partition moderne de cette pièce médiévale  chez Hans Tischler.  En 1978,   le compositeur et musicologue américain  a, en effet, réalisé un excellent travail de transcription musicale sur les pièces du Codex de Montpellier : The Montpellier Codex Fascicles 6,7 and 8.

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« Puisque Bele dame m’eime » – chanson médiévale du Codex de Montpellier. Partition de Hans Tischler

Les paroles en    vieux français
et leur traduction en français moderne

Puisque bele dame m’eime
Destourber ne m’i doit nus;
Quar iere si loiaus drus
Que je n’iere ja tensus
Pour faus amans ne vantanz.
Ja li mesdisant
N’en seront joiant,
Car nul mal ne vois querant;
Mes qu’ami me cleime
Je ne demant plus.

 » Puisque belle dame m’aime
Nul ne doit m’en  empêcher ;
Car j’ai toujours été amant loyal
Et jamais on ne m’a accusé d’être
Faux amant (infidèle) ou vantard.
Désormais, les médisants
Ne pourront plus se réjouir,
Car nul autre mal, je ne cherche ;
Qu’elle me proclame  son ami (amant)
Je ne demande rien de plus. »


En vous souhaitant une  excellente journée

Fred
Pour moyenagepassion.com
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En Octobre, Bréchéliant ou les chants de troubadours de Bretagne, au Théâtre du Nord-Ouest

brecheliant-roman-Annick-Le-Scoezec-troubadours-moyen-age-broceliandeSujet : Brocéliande, légendes bretonnes,  lyrique courtoise, lecture poétique, spectacle.
Période : Moyen-âge central (XIIe, XIIIe siècle)
Evénement :  Bréchéliant ou les chants de troubadours de Bretagne
Auteur : Annick Le Scoëzec Masson
Date : le dimanche 13 octobre 2019, à 14h30
Lieu ; Théâtre du Nord-Ouest
13, Rue du Faubourg Montmartre, Paris 9e

« Au cœur du Moyen Âge, en lisière de la forêt de Brocéliande, l’arrivée d’un insolite poète pèlerin bouleverse l’équilibre précaire de la vie au château… »  

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous avions déjà dédié un article à ce spectacle basé sur l’ouvrage Bréchéliant de Annick Le Scoëzec Masson et il sera de retour au Théâtre du Nord-Ouest, à Paris, le 13 octobre prochain.

brecheliant-spectacle-lecture-poesie-medievale-broceliande-moyen-age-centralA l’image du roman, l’univers de cette lecture à plusieurs voix, avec chants et accompagnement musical, est celui d’un château fort imaginaire, au cœur de la célèbre forêt. Dans ce  voyage au temps du moyen-âge des légendes bretonnes et des troubadours, il est question de mystère, d’attente, de désir et, plus que tout, de poésie, entre évocation des lais de Marie de France et l’Amour de loin de Jauffre Raudel.

Distribution : avec Anne Langlois, Caroline Duchenne, Claire Patoyt, Yannick Barne, Annick Le Scoëzec, Frédéric Ligier (arrangements musicaux) et Antoine Desmard  (violoncelle).

Facebook Théâtre du Nord-Ouest –  Téléchargez le programme
Voir notre article précédent sur ce spectacle

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Au sujet de la forêt de Brocéliande, voir également l’article suivant.

« S’eu fos en cort » la chanson médiévale d’un fine amant en peine par Peire Vidal

peire_vidal_troubadour_toulousain_occitan_chanson_medievale_sirvantes_servantois_moyen-age_central_XIIeSujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale, fine amor, fine amant
Période : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Titre : S’eu fos en cort
Interprète : Ensemble Peregrina
Album :   Cantix (2013)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn suivant les pas de Peire Vidal et de ses désillusions amoureuses, nous vous entraînons, cette fois,  du côté de la Provence médiévale. Nous sommes   quelque part entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle  et  le troubadour nous conte  comme il se trouve mis à mal par l’indifférence de sa dame.  Sous les formes (habituelles pour l’époque) de la courtoisie, cette chanson médiévale est l’histoire d’une impasse et, comme tout bon loyal amant continue de l’être,  quelquefois, au delà de toute raison, le poète s’accroche  à ses sentiments  autant qu’à son désespoir de ne pas les voir aboutir.

Pour servir cette  belle chanson en occitan médiéval, dont nous vous proposerons une traduction, nous avons choisi l’interprétation d’une formation de talent : l’Ensemble Peregrina, ce qui nous donnera l’occasion de vous la    présenter.

S’eu fos en cort, de Peire Vidal par l’Ensemble Peregrina

L’Ensemble Peregrina

L’ensemble  Peregrina a été  fondé à Bâle, en 1997, par la musicologue et  chanteuse   Agnieszka Budzińska-Bennett (au centre, sur la photo ci- dessous). Il a des relations étroites avec la Schola Basiliensis Cantorum puisque c’est là que ses membres se sont rencontrés. On se souvient que cette école suisse spécialisée dans l’apprentissage des musiques anciennes et médiévales a vu passer des professeurs de renom (voir autobiographie intellectuelle de Jordi Savall) mais qu’elle a aussi favorisé la formation de  nombreux ensembles de talent.

ensemble-medieval-Peregrina-album-musique-moyen-ageDès sa formation, Peregrina a opté pour un répertoire très clairement médiéval avec une prédilection pour les musiques sacrées ou profanes du Moyen Âge central à tardif (XIIe au XIVe siècle). Depuis sa création, il y a presque 20 ans, l’ensemble a fait du chemin. Il s’est produit en concert sur de nombreuses scènes en Europe (Suisse, Pologne, Espagne, Allemagne, France, Angleterre, Estonie, …) mais aussi aux Etats-Unis. Il a également produit un nombre important d’albums sur les thèmes les plus divers :  musiques médiévales de l’Europe du nord (Finlande, Suède et Danemark),  musiques   du Tyrol,  compositions autour de Saint-Nicolas , chants dévots à la vierge du XIIe siècle, etc… A différentes occasions, Peregrina  a reçu de nombreux prix et sa reconnaissance sur la scène des musiques médiévales est, aujourd’hui, largement établie.

Voir le site web de l’Ensemble Peregrina (anglais)Voir sa Page FB

L’album Cantrix
Musique Médiévale pour Saint Jean-Baptiste

Enregistré en 2012 et mis à la distribution l’année suivante, l’album Cantrix  a pour vocation de faire tribut aux musiques médiévales autour de Saint Jean-Baptiste,  notamment tel qu’on le chantait dans les couvents royaux des  hospitalières de  Sigena et des Cisterciennes de   Las Huelgas.

On y retrouve des musiques principalement liturgiques extraites, dont  une grande partie, issues du Codex  de    Las Huelgas.   L’ombre de la Reine Sancha qui fonda un monastère en Aragon plane aussi  sur cet album.  Ceci explique la présence de  pièces issues du répertoire des troubadours, une de Rostainh Berenguier de Marselha et celle du jour de Peire Vidal. On la retrouve  sous deux formes dans l’album :   en version vocale et   musicale.  Comme on le verra, dans sa chanson, le troubadour provençal et occitan  fait allusion à la grandeur d’une reine d’Aragon et son roi et leur adresse même cette création. Au vue des éloges qu’il y prodigue à leur encontre,  il semble bien qu’il s’étaitmusique-medievale-album-ensemble-peregrina-cantix-moyen-age  fait des deux monarques  des  protecteurs très appréciés et bienveillants.

Pour revenir à l’album Cantrix, sa sortie coïncidait aussi avec l’anniversaire les 900 ans de l’Ordre de Malte et sa reconnaissance par le pape.  Il a d’ailleurs été co-produit par  l’Association Suisse pour le règne souverain de l’Ordre de Malte (la Swiss Association of the Sovereign Order of Malta). On y retrouve 24 pièces  dont une majorité de chants polyphoniques et motets, mais aussi des pièces plus instrumentales.

L’album est encore disponible à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations :   Cantrix. Musique Médiévale pour Saint Jean-Baptiste. Ensemble Peregrina.

Membres de  l’Ensemble Peregrina sur cet album

Agnieszka Budzińska-Bennett  (dir, voix, harpe), Kelly Landerkin, Lorenza Donadini, Hanna Järveläinen, Eve Kopli, Agnieszka Tutton (voix),  Baptiste Romain (vièle),  Matthias Spoerry (voix)


S’eu fos en cort de Peire Vidal
de l’Occitan au Français moderne

Pour nous guider dans la traduction de cette chanson, nous avons suivi   les travaux de  Joseph Anglade : Les  poésies de Peire Vidal (1913). Nous les avons complétés avec des recherches personnelles sur divers lexiques et dictionnaires occitans. Se faisant, il n’est jamais question d’arrêter une version définitive, ni d’en avoir la prétention, mais plus d’ouvrir d’autres pistes et même, par endroits, de susciter certaines interrogations sur les sens et les  interprétations.

S’eu fos en cort on hom tengues dreitura,
De ma domna, sitôt s’es bon’ e bela,
Me clamera, qu’a tan gran tort mi mena
Que no m’aten plevi ni covinensa.
E donc per que.m promet so que no.m dona,
No tem peccat ni sap ques es vergonha.

Si j’étais dans une cour où on obtienne justice,
De ma dame, quoiqu’elle soit bonne et belle,
Je me plaindrais, car elle me traite avec tant d’injustice,
En ne respectant ni promesse, ni convention (gage, accord).
Et puisqu’elle me promet ce qu’elle ne me donne pas;
Elle ne craint pas le péché et ne sait ce qu’est la honte.

E valgra.m mais quem fos al prim esquiva,
Qu’ela’m tengues en aitan greu rancura ;
Mas ilh o fai si com cel que cembela,
Qu’ab bels semblans m’a mes en mortal pena,
Don ja ses leis no cre aver garensa,
Qu’anc mala fos tan bêla ni tan bona.

Il eut mieux valu qu’elle me fut, d’emblée, farouche,
Puisqu’elle me tient dans un chagrin (rancune ?) si grand et si sévère
Mais elle a fait comme celui qui tend un piège (au moyen d’un leurre)
Puisqu’avec ses belles apparences, elle m’a mis dans une peine mortelle,
Dont jamais sans elle, je ne crois pouvoir  me guérir
Tant, pour mon malheur, elle n’eut sa pareille en beauté et en bonté.

D’autres afars es cortez’ e chauzida,
Mas mal o fai, car a mon dan s’abriva,
Que peitz me fai, e ges no s’en melhura,
Que mals de dens, quan dol en la maissela;
Que.l cor me bat e.m fier, que no.s refrena,
S’amors ab leis et ab tota Proensa.

En d’autres affaires, elle est courtoise et distinguée (indulgente, avisée ?)
Mais elle agit mal, car elle s’acharne à me causer de la peine,
En me faisant le pire et cela ne s’améliore en rien,
Pas plus que le mal de dents quand il s’étend à la mâchoire ;
Au point que mon cœur bat et frappe, sans se refréner,
D’amour pour elle, dans toute la Provence.

E car no vei mon Rainier de Marselha,
Sitot me viu, mos viures no m’es vida ;
E.l malautes que soven recaliva
Garis mout greu, ans mor, si sos mals dura.
Doncs sui eu mortz, s’enaissi.m renovela
Aquest dezirs que.m tol soven l’alena.

Et puisque je ne vois mon Rainier de Marseille,
Quoique je vive, ce n’est pas une vie ;
Et comme le malade, qui ne cesse d’avoir de la fièvre
Est plus dur à guérir, et meurt, si son mal persiste.
Ainsi je suis bien mort, si ne cesse de se renouveler,
Ce désir qui me prive souvent de respiration.

A mon semblan mout l’aurai tart conquista,
Car nulha domna peitz no s’aconselha
Vas son amic, et on plus l’ai servida
De mon poder, eu la trob plus ombriva.
Doncs car tan l’am, mout sui plus folatura
Que fols pastres qu’a bel poi caramela.

A ce qu’il me semble, je l’aurais conquise trop tard,
Car nul femme ne prend de si dures résolutions,
Envers son ami (amant), et plus je l’ai servie
De toutes mes forces, plus je la trouve ombrageuse.
Ainsi puisque je l’aime tant, je suis encore plus fou
Que le pâtre qui joue du chalumeau sur une belle colline.

Mas vencutz es cui Amors apodera ;
Apoderatz fui quan ma domn’ aic vista,
Car nulh’autra ab leis no s’aparelha
De pretz entier ab proeza complida.
Per qu’eu sui seus e serai tan quan viva,
E si no.m val er tortz e desmezura.

Mais il est vaincu celui que l’amour possède
Je fus pris dès que j’ai vu ma dame,
Car nulle autre ne lui ressemble,
De ses mérites entiers à sa bonté parfaite.
Et pour cela je suis à elle et le resterais aussi longtemps que je vivrais
Et si elle ne me porte secours ce sera tort et démesure.

Chansos, vai t’en a la valen regina
En Arago, quar mais regina vera
No sai el mon, e si n’ai mainta quista,
E no trob plus ses tort e ses querelha.
Mas ilh es franc’ e leials e grazida
Per tota gent et a Deu agradiva.

Chanson, va-t-en jusqu’à la vaillante reine
En Aragon, car reine plus authentique
Je ne connais au monde, et pourtant j’en ai vu plus d’une
Et je n’en trouve d’autre, sans tort et sans tâche
Mais, elle, est franche, et loyale et gracieuse
aimée de tous et de Dieu.

E car lo reis sobr’autres reis s’enansa,
Ad aital rei coven aitals regina.

Bels Castiatz, vostre pretz senhoreja
Sobre totz pretz, qu’ab melhors faitz s’enansa.

Mon Gazanhat sal Deus e Na Vierna,
Car hom tan gen no dona ni guerreja.

Et puisque le roi au dessus des autres rois s’élève,
A un tel roi convient une telle reine.

Beau Castiat (1), votre mérite surpasse
tous les mérites, car il s’élève par de plus hauts faits (nobles actions).

Dieu sauve mon Gazanhat (profit, protecteur ?) et dame Vierna (2),
Car personne ne sait mieux qu’eux donner et guerroyer.


Notes

(1)   Castiatz : Raymon V de Toulouse, protecteur du troubadour. d’après M.E Hoepffner suivi par une grande majorité de médiévistes depuis.

(2)   Na Vierna : Dame très souvent mentionnée dans les poésies de Vidal, et qui d’après Hoepffner vivait certainement dans l’entourage du comté de Toulouse. Dans ses poésies, Peire Vidal la mentionne, en effet, systématiquement  en même temps que Castiatz.  Dans un article de 1943, la philologue et médiéviste Rita Lejeune  nous apprend que son nom véritable aurait été  Vierna de  GangesSelon elle toujours, cette Na Vierna aurait pu être plus proche du comte de Toulouse que seulement une vassale et lointaine parente. Elle pense même que serait cette dame à laquelle le troubadour aurait volé un baiser qui allait lui coûter son exil de Toulouse par le comte lui même. En suivant son raisonnement, ce serait peut-être encore la dame à laquelle est destinée cette pièce. Très sincèrement, il n’existe aucun moyen de vérifier cela aussi libre à vous de suivre ou non la médiéviste dans ses allégations et son raisonnement. (Voir Les personnages de   Castiat  et de  Na Vierna  dans Peire Vidal,  Annales du Midi, Tome 55, N°217-218, 1943). 

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
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