Sujet : Brocéliande, légendes bretonnes, lyrique courtoise, lecture poétique, spectacle. Période : Moyen-âge central (XIIe, XIIIe siècle) Evénement : Bréchéliant ou les chants de troubadours de Bretagne Auteur : Annick Le Scoëzec Masson Date : le dimanche 13 octobre 2019, à 14h30 Lieu ; Théâtre du Nord-Ouest
13, Rue du Faubourg Montmartre, Paris 9e
« Au cœur du Moyen Âge, en lisière de la forêt de Brocéliande, l’arrivée d’un insolite poète pèlerin bouleverse l’équilibre précaire de la vie au château… »
Bonjour à tous,
ous avions déjà dédié un article à ce spectacle basé sur l’ouvrage Bréchéliant de Annick Le Scoëzec Masson et il sera de retour au Théâtre du Nord-Ouest, à Paris, le 13 octobre prochain.
A l’image du roman, l’univers de cette lecture à plusieurs voix, avec chants et accompagnement musical, est celui d’un château fort imaginaire, au cœur de la célèbre forêt. Dans ce voyage au temps du moyen-âge des légendes bretonnes et des troubadours, il est question de mystère, d’attente, de désir et, plus que tout, de poésie, entre évocation des lais de Marie de France et l’Amour de loin de Jauffre Raudel.
Distribution : avec Anne Langlois, Caroline Duchenne, Claire Patoyt, Yannick Barne, Annick Le Scoëzec, Frédéric Ligier (arrangements musicaux) et Antoine Desmard (violoncelle).
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale, fine amor, fine amant Période : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210) Titre :S’eu fos en cort Interprète : Ensemble Peregrina Album : Cantix (2013)
Bonjour à tous,
n suivant les pas de Peire Vidal et de ses désillusions amoureuses, nous vous entraînons, cette fois, du côté de la Provence médiévale. Nous sommes quelque part entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle et le troubadour nous conte comme il se trouve mis à mal par l’indifférence de sa dame. Sous les formes (habituelles pour l’époque) de la courtoisie, cette chanson médiévale est l’histoire d’une impasse et, comme tout bon loyal amant continue de l’être, quelquefois, au delà de toute raison, le poète s’accroche à ses sentiments autant qu’à son désespoir de ne pas les voir aboutir.
Pour servir cette belle chanson en occitan médiéval, dont nous vous proposerons une traduction, nous avons choisi l’interprétation d’une formation de talent : l’Ensemble Peregrina, ce qui nous donnera l’occasion de vous la présenter.
S’eu fos en cort, de Peire Vidal par l’Ensemble Peregrina
L’Ensemble Peregrina
L’ensemble Peregrina a été fondé à Bâle, en 1997, par la musicologue et chanteuse Agnieszka Budzińska-Bennett(au centre, sur la photo ci- dessous). Il a des relations étroites avec la Schola Basiliensis Cantorum puisque c’est là que ses membres se sont rencontrés. On se souvient que cette école suisse spécialisée dans l’apprentissage des musiques anciennes et médiévales a vu passer des professeurs de renom (voir autobiographie intellectuelle de Jordi Savall) mais qu’elle a aussi favorisé la formation de nombreux ensembles de talent.
Dès sa formation, Peregrina a opté pour un répertoire très clairement médiéval avec une prédilection pour les musiques sacrées ou profanes du Moyen Âge central à tardif (XIIe au XIVe siècle). Depuis sa création, il y a presque 20 ans, l’ensemble a fait du chemin. Il s’est produit en concert sur de nombreuses scènes en Europe (Suisse, Pologne, Espagne, Allemagne, France, Angleterre, Estonie, …) mais aussi aux Etats-Unis. Il a également produit un nombre important d’albums sur les thèmes les plus divers : musiques médiévales de l’Europe du nord (Finlande, Suède et Danemark), musiques du Tyrol, compositions autour de Saint-Nicolas , chants dévots à la vierge du XIIe siècle, etc… A différentes occasions, Peregrina a reçu de nombreux prix et sa reconnaissance sur la scène des musiques médiévales est, aujourd’hui, largement établie.
L’album Cantrix Musique Médiévale pour Saint Jean-Baptiste
Enregistré en 2012 et mis à la distribution l’année suivante, l’album Cantrix a pour vocation de faire tribut aux musiques médiévales autour de Saint Jean-Baptiste, notamment tel qu’on le chantait dans les couvents royaux des hospitalières de Sigena et des Cisterciennes de Las Huelgas.
On y retrouve des musiques principalement liturgiques extraites, dont une grande partie, issues du Codex de Las Huelgas. L’ombre de la Reine Sancha qui fonda un monastère en Aragon plane aussi sur cet album. Ceci explique la présence de pièces issues du répertoire des troubadours, une de Rostainh Berenguier de Marselha et celle du jour de Peire Vidal. On la retrouve sous deux formes dans l’album : en version vocale et musicale. Comme on le verra, dans sa chanson, le troubadour provençal et occitan fait allusion à la grandeur d’une reine d’Aragon et son roi et leur adresse même cette création. Au vue des éloges qu’il y prodigue à leur encontre, il semble bien qu’il s’était fait des deux monarques des protecteurs très appréciés et bienveillants.
Pour revenir à l’album Cantrix, sa sortie coïncidait aussi avec l’anniversaire les 900 ans de l’Ordre de Malte et sa reconnaissance par le pape. Il a d’ailleurs été co-produit par l’Association Suisse pour le règne souverain de l’Ordre de Malte (la Swiss Association of the Sovereign Order of Malta). On y retrouve 24 pièces dont une majorité de chants polyphoniques et motets, mais aussi des pièces plus instrumentales.
Agnieszka Budzińska-Bennett (dir, voix, harpe), Kelly Landerkin, Lorenza Donadini, Hanna Järveläinen, Eve Kopli, Agnieszka Tutton (voix), Baptiste Romain (vièle), Matthias Spoerry (voix)
S’eu fos en cort de Peire Vidal
de l’Occitan au Français moderne
Pour nous guider dans la traduction de cette chanson, nous avons suivi les travaux de Joseph Anglade : Les poésies de Peire Vidal (1913). Nous les avons complétés avec des recherches personnelles sur divers lexiques et dictionnaires occitans. Se faisant, il n’est jamais question d’arrêter une version définitive, ni d’en avoir la prétention, mais plus d’ouvrir d’autres pistes et même, par endroits, de susciter certaines interrogations sur les sens et les interprétations.
S’eu fos en cort on hom tengues dreitura, De ma domna, sitôt s’es bon’ e bela, Me clamera, qu’a tan gran tort mi mena Que no m’aten plevi ni covinensa. E donc per que.m promet so que no.m dona, No tem peccat ni sap ques es vergonha.
Si j’étais dans une cour où on obtienne justice, De ma dame, quoiqu’elle soit bonne et belle, Je me plaindrais, car elle me traite avec tant d’injustice, En ne respectant ni promesse, ni convention (gage, accord). Et puisqu’elle me promet ce qu’elle ne me donne pas; Elle ne craint pas le péché et ne sait ce qu’est la honte.
E valgra.m mais quem fos al prim esquiva, Qu’ela’m tengues en aitan greu rancura ; Mas ilh o fai si com cel que cembela, Qu’ab bels semblans m’a mes en mortal pena, Don ja ses leis no cre aver garensa, Qu’anc mala fos tan bêla ni tan bona.
Il eut mieux valu qu’elle me fut, d’emblée, farouche, Puisqu’elle me tient dans un chagrin (rancune ?) si grand et si sévère Mais elle a fait comme celui qui tend un piège (au moyen d’un leurre) Puisqu’avec ses belles apparences, elle m’a mis dans une peine mortelle, Dont jamais sans elle, je ne crois pouvoir me guérir Tant, pour mon malheur, elle n’eut sa pareille en beauté et en bonté.
D’autres afars es cortez’ e chauzida, Mas mal o fai, car a mon dan s’abriva, Que peitz me fai, e ges no s’en melhura, Que mals de dens, quan dol en la maissela; Que.l cor me bat e.m fier, que no.s refrena, S’amors ab leis et ab tota Proensa.
En d’autres affaires, elle est courtoise et distinguée (indulgente, avisée ?) Mais elle agit mal, car elle s’acharne à me causer de la peine, En me faisant le pire et cela ne s’améliore en rien, Pas plus que le mal de dents quand il s’étend à la mâchoire ; Au point que mon cœur bat et frappe, sans se refréner, D’amour pour elle, dans toute la Provence.
E car no vei mon Rainier de Marselha, Sitot me viu, mos viures no m’es vida ; E.l malautes que soven recaliva Garis mout greu, ans mor, si sos mals dura. Doncs sui eu mortz, s’enaissi.m renovela Aquest dezirs que.m tol soven l’alena.
Et puisque je ne vois mon Rainier de Marseille, Quoique je vive, ce n’est pas une vie ; Et comme le malade, qui ne cesse d’avoir de la fièvre Est plus dur à guérir, et meurt, si son mal persiste. Ainsi je suis bien mort, si ne cesse de se renouveler, Ce désir qui me prive souvent de respiration.
A mon semblan mout l’aurai tart conquista, Car nulha domna peitz no s’aconselha Vas son amic, et on plus l’ai servida De mon poder, eu la trob plus ombriva. Doncs car tan l’am, mout sui plus folatura Que fols pastres qu’a bel poi caramela.
A ce qu’il me semble, je l’aurais conquise trop tard, Car nul femme ne prend de si dures résolutions, Envers son ami (amant), et plus je l’ai servie De toutes mes forces, plus je la trouve ombrageuse. Ainsi puisque je l’aime tant, je suis encore plus fou Que le pâtre qui joue du chalumeau sur une belle colline.
Mas vencutz es cui Amors apodera ; Apoderatz fui quan ma domn’ aic vista, Car nulh’autra ab leis no s’aparelha De pretz entier ab proeza complida. Per qu’eu sui seus e serai tan quan viva, E si no.m val er tortz e desmezura.
Mais il est vaincu celui que l’amour possède Je fus pris dès que j’ai vu ma dame, Car nulle autre ne lui ressemble, De ses mérites entiers à sa bonté parfaite. Et pour cela je suis à elle et le resterais aussi longtemps que je vivrais Et si elle ne me porte secours ce sera tort et démesure.
Chansos, vai t’en a la valen regina En Arago, quar mais regina vera No sai el mon, e si n’ai mainta quista, E no trob plus ses tort e ses querelha. Mas ilh es franc’ e leials e grazida Per tota gent et a Deu agradiva.
Chanson, va-t-en jusqu’à la vaillante reine En Aragon, car reine plus authentique Je ne connais au monde, et pourtant j’en ai vu plus d’une Et je n’en trouve d’autre, sans tort et sans tâche Mais, elle, est franche, et loyale et gracieuse aimée de tous et de Dieu.
E car lo reis sobr’autres reis s’enansa, Ad aital rei coven aitals regina.
Mon Gazanhat sal Deus e Na Vierna, Car hom tan gen no dona ni guerreja.
Et puisque le roi au dessus des autres rois s’élève, A un tel roi convient une telle reine.
Beau Castiat (1), votre mérite surpasse tous les mérites, car il s’élève par de plus hauts faits (nobles actions).
Dieu sauve mon Gazanhat (profit, protecteur ?) et dame Vierna (2), Car personne ne sait mieux qu’eux donner et guerroyer.
Notes
(1) Castiatz : Raymon V de Toulouse, protecteur du troubadour. d’après M.E Hoepffner suivi par une grande majorité de médiévistes depuis.
(2) Na Vierna : Dame très souvent mentionnée dans les poésies de Vidal, et qui d’après Hoepffner vivait certainement dans l’entourage du comté de Toulouse. Dans ses poésies, Peire Vidal la mentionne, en effet, systématiquement en même temps que Castiatz. Dans un article de 1943, la philologue et médiéviste Rita Lejeune nous apprend que son nom véritable aurait été Vierna de Ganges. Selon elle toujours, cette Na Vierna aurait pu être plus proche du comte de Toulouse que seulement une vassale et lointaine parente. Elle pense même que serait cette dame à laquelle le troubadour aurait volé un baiser qui allait lui coûter son exil de Toulouse par le comte lui même. En suivant son raisonnement, ce serait peut-être encore la dame à laquelle est destinée cette pièce. Très sincèrement, il n’existe aucun moyen de vérifier cela aussi libre à vous de suivre ou non la médiéviste dans ses allégations et son raisonnement. (Voir Les personnages de Castiat et de Na Vierna dans Peire Vidal, Annales du Midi, Tome 55, N°217-218, 1943).
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : poésie, légendes arthuriennes, oxford, forêt de Brocéliande, magie, luth, roman arthurien, poètes britanniques, romantisme Période : Moyen Âge central pour les légendes, XXe siècle pour la poésie du jour. Auteur : T. W. Earp Titre : « In Broceliande » Sources : Oxford Poetry (1915)
Bonjour à tous,
u début du XXe siècle et plus précisément à partir de 1910, une revue de littérature et de poésie anglaise nommée Oxford Poetry se mit à réunir des textes d’auteurs et poètes du lieu. Présentée sous la forme d’un petit fascicule, elle fut, dès son lancement, éditée de façon annuelle. Tous les thèmes pouvaient y être abordés et on y retrouvait, en général, de très belles pièces d’auteurs, contemporains de chacun de ses numéros. Depuis sa création, Oxford Poetry a traversé le temps, en changeant maintes fois d’éditeurs et elle est, à ce jour, toujours publiée. En plus de cent-dix ans, elle a vu passer de nombreux auteurs et poètes britanniques parmi les plus grands.
Aujourd’hui, c’est l’édition de 1915 qui nous intéresse en particulier. On y retrouve, pour la première fois, un poème de JRR Tolkien intitulé « Goblin feet » (pieds de gobelin) que nous aurons l’occasion de publier plus avant mais ce qui nous occupe, pour l’instant, est une pièce d’un autre auteur, dédiée aux légendes arthuriennes.
En Brocéliande de T.W. Earp
Depuis le Moyen Âge central et après sa constitution en véritable corpus, sous la plume d’auteurs à la fois anglais et français, le roman arthurien n’a cessé d’inspirer les imaginations les plus fertiles, des deux côtés de la manche. A huit siècles de ses pionniers, cela est encore vrai et le restera, sans doute, pour longtemps.
(« Lady Playing a Lute », Bartolomeo Veneto (1530), Getty Museum, Los Angeles)
Daté de 1915, la pièce que nous vous proposons de découvrir a pour titre « In Broceliande » (En Brocéliande), et pour auteur T W Earp, poète et traducteur anglais des débuts du XXe siècle. Théâtre d’une partie importante des récits arthuriens, la célèbre forêt dont la localisation a divisé bien des experts en Bretagne comme en Angleterre, a été, elle aussi, une source inépuisable d’inspiration pour un grand nombre d’écrivains et de poètes (voir Brocéliande, huit siècles de légendes arthuriennes). La pièce du jour et sa mystérieuse joueuse de luth en attestent. Du côté d’Oxford et aux débuts du XXe, on rêve encore de lointain Moyen Âge et de belles légendes. Sans doute sous l’influence des romantiques du XIXe siècle, (voir article sur la ballade médiévale au XIXe siècle), ce monde médiéval, imaginaire et reconstruit, est chargé de magie, de récits épiques et de belle poésie.
Traduire, c’est trahir…
Même en ayant de très sérieuses bases d’anglais, pour quelqu’un dont les racines linguistiques sont profondément latines, la poésie anglo-saxonne a des méandres qu’il n’est pas toujours aisé de démêler. Ses rythmes, la nature incisive de sa langue, comme ses allégories la rendent souvent rebelle à la traduction et, dans bien des cas, je ne suis même pas tout à fait certain qu’on puisse la transposer sans totalement l’adapter ou la réinterpréter. Alors c’est un peu un défi que nous nous lançons ici. De fait, sans doute par peur de trop la dénaturer, la traduction que nous avons faite de cette pièce de T W Earp, de l’anglais vers le français moderne, est pratiquement littérale. Il ne me reste donc plus qu’à espérer que la force et la beauté de ses images résistent au passage d’une langue à l’autre. Sans en avoir tout le recul, il me semble que c’est le cas.
En Brocéliande
In the midst of the forest of silence, Where even the leaves are mute, Where never a bird wanders, She plays upon a lute.
Au milieu de la forêt du silence Où même les feuilles sont muettes Où jamais un oiseau ne vagabonde, Elle joue sur un luth.
With fingers gently passing, She touches golden strings, Till the trees almost remember The long-departed wings,
Avec des doigts pleins de délicatesse Elle caresse les cordes d’or Jusqu’au moment où les arbres se souviennent presque Des ailes envolées depuis longtemps,
And the knights and the gay ladies, And the music that went before, And the days of joy and passion. They will find these things no more.
Et des chevaliers et des dames joyeuses, Et de la musique qu’on jouait alors, Et des jours de joie et de passion. Ils ne retrouveront plus jamais toutes ces choses.
One plaintive lute recalling The loud citoles and shawms, She alone has not left them, Of the beautiful, noble forms.
Un luth plaintif se souvient Des citoles et des chalemies bruyantes, Elle seule ne s’est pas dessaisie De leurs belles et nobles formes.
If she would cease from playing, The people with hearts of stone Would lead her from the forest, And set her on a throne.
Et si elle cessait de jouer, Les gens au cœur de pierre, La conduiraient hors de la forêt Pour l’asseoir sur un trône.
She would be bright with jewels, She would sit crowned on high, But if she left the forest, Alas, the trees would die.
Elle serait étincelante sous les bijoux, Elle porterait haut la couronne, Mais si elle quittait la forêt, Hélas, les arbres en mourraient.
In the midst of the forest of silence, Where even the leaves are mute, Where never a bird wanders, She plays upon a lute.
Au plus profond de la forêt du silence, Où même les feuilles sont muettes, Où jamais un oiseau ne vagabonde, Elle joue sur un luth.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin, Gethsémani. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 29 « Nas mentes sempre teer » Ensemble : Micrologus Album : Madre de Deus (1998)
Bonjour à tous,
u cour de nos nombreuses pérégrinations autour du Moyen Âge, nous avons entrepris, il y a quelque temps, l’exploration et la traduction des Cantigas de Santa Maria. Rédigés en galaïco-portugais, ces chants dévots du XIIIe siècle furent compilés, et peut-être même écrits pour certains, de la main du roi Alphonse X de Castille. Un grand nombre d’entre eux ont trouvé leur inspiration dans les récits de miracles liés au culte marial qui circulaient alors en Espagne et même au delà. Certains provenaient d’ouvrages écrits par divers religieux, d’autres plus directement de récits de pèlerins.
La cantiga 29 ou l’apparition de l’image
de la vierge sur une pierre
Aujourd’hui, nous nous penchons sur la Cantiga de Santa Maria 29. Il s’agit donc d’un nouveau récit de miracle. Il conte l’apparition miraculeuse d’un image de la vierge à l’enfant sur une « pierre » et se réfère à un récit de pèlerins s’étant rendu à Gethsémani. Nous tenterons de jeter quelques lumières sur tout cela. Pour illustrer cette présentation, nous vous proposons également l’interprétation de ce chant marial par l’ensemble italien Micrologus dirigé par la talentueuse Patrizia Bovi.
La Cantiga de Santa Maria 29 par l’Ensemble Micrologus
Les cantigas d’Alphonse X par Micrologus
Si l’on peut trouver la pièce du jour sur la chaîne Youtube de Micrologus, elle provient d’une production de l’ensemble médiéval, datée de 1998 et dédiée aux Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Intitulé Madre de Deus, l’album présente quinze cantigas. On le trouve disponible à la vente en ligne sous forme CD et même sous forme de fichiers MP3. Lien utile : Madre de Deus, Cantigas de Santa Maria.
Pour en apprendre plus sur cette formation médiévale italienne, vous pouvez également consulter l’article suivant : portrait de Micrologus.
La vierge de Gethsémani : aux origines de la cantiga de Santa Maria 29
Dans les Évangiles, Gethsémani est désigné comme le lieu de la dernière cène. Avec le temps, on l’a associé à plusieurs endroits. Situé à l’est de Jérusalem, il peut désigner le mont des Oliviers ou, de manière plus spécifique, son jardin ou même encore la grotte de Gethsémani qui se situe non loin.
En l’occurrence et dans la cantiga de Santa Maria 29, il est vraisemblablement fait référence à l’église du sépulcre de la Sainte Vierge. Suivant le récit ayant inspiré ce chant, c’est, en effet, à l’intérieur du tombeau supposé de Marie et sur une de ses colonnes, que se trouvaient les représentations dont l’auteur nous conte qu’elles n’étaient ni des peintures, ni des sculptures, mais des apparitions miraculeuses.
Le Liber Mariae de Juan Gil de Zamora
Ci-contre, miniature du
Manuscrit médiéval MS T.I 1
de la Biblioteca del Monasterio
de El Escorial, Madrid
D’après les sources, la datation de ce miracle est contemporaine de l’Espagne d’Alphonse X. Il est toujours possible qu’elle soit antérieure, mais, factuellement, on le retrouve dans le Liber Mariae du franciscain Juan Gil de Zamora (1241(?)-1318). Secrétaire du roi et tuteur de son fils Sancho, l’homme était lui-même un érudit. Il collabora aux différentes œuvres du monarque espagnol et, entre les nombreux ouvrages qu’il a légués, son Liber Mariae, compilation de divers récits de miracles mariaux, a, semble-t-il, compté pour la rédaction des Cantigas de Santa Maria.
Hypothèse de médiévistes sur la cantiga 29
Deux historiens américains, spécialisés dans la littérature médiévale espagnole et contemporains du XXe siècle, se sont penchés sur le miracle de la Cantiga 29 (Keller John Esten and Richard P. Kinkade, Myth and Reality in the Miracle of Cantiga 29, la Corónica, 1999). De leurs côtés, ils ont rattaché l’origine possible de ce récit à la Basilique de la Nativité de Bethléem, elle-même sur la route des pèlerinages. On aurait trouvé, en effet, sur les colonnes de cette dernière, des images peintes, dont notamment une de la vierge à l’enfant.
Ces peintures ont été datées de 1130 et la technique utilisée pour les exécuter aurait été particulièrement novatrice pour l’époque ; elle permettait, en effet, de peindre sur le marbre préalablement poli. Selon ces deux auteurs, plus d’un siècle après l’exécution de cette oeuvre représentant la vierge et face à la particularité de la technique usitée et son effet d’incrustation, certains pèlerins auraient pu voir là la trace d’un miracle.
A plus de 700 ans de là et quelle que soit la validité de cette hypothèse, voici les paroles de cette Cantiga de Santa maria 29, accompagnées d’une traduction en français moderne, effectuée par nos soins.
La Cantiga de Santa Maria 29 : traduction
du galaïco-portugais au français moderne
Esta é como Santa Maria fez parecer nas pedras omages a ssa semellança.
Celle-ci (cette cantiga) conte comment Sainte-Marie fit apparaître sur des pierres des images à sa ressemblance (des images d’elles).
Nas mentes sempre tẽer devemo-las sas feituras da Virgen, pois receber as foron as pedras duras.
Dans nos esprits, toujours nous Devons garder les prouesses* (actions, œuvres ?) De la vierge car elles furent Gravées sur des pierres dures.
Per quant’ eu dizer oý a muitos que foron i, na santa Gessemani foron achadas figuras da Madre de Déus, assi que non foron de pinturas.
Nas mentes sempre tẽer …
Parce que j’ai entendu dire Par de nombreuses personnes qui allèrent là bas En la Sainte Gethsémani Qu’on y a trouvé des images De la mère de Dieu, telles Qu’elles n’étaient pas des peintures.
Refrain…
Nen ar entalladas non foron, se Déus me perdôn, e avia y fayçôn da Sennor das aposturas con séu Fill’, e per razôn feitas ben per sas mesuras.
Nas mentes sempre tẽer …
Elles n’avaient pas non plus été sculptées, Et, que Dieu me pardonne, On y voyait les traits Et l’élégance de la dame Avec son fils, et elles étaient bien faites,
Avec raison et de justes mesures (dimensions, proportions).
Refrain…
Porên as resprandecer fez tan muit’ e parecer, per que devemos creer que é Sennor das naturas, que nas cousas á poder de fazer craras d’ escuras.
Nas mentes sempre tẽer …
Par conséquent, il (Dieu) les fit resplendir Et apparaître de manière si parfaite Que nous devons croire Qu’elle est la dame de la nature Qui, sur les choses, a le pouvoir De changer l’obscurité en clarté.
Refrain…
Déus x’ as quise figurar en pédra por nos mostrar que a ssa Madre onrrar deven todas creaturas, pois deceu carne fillar en ela das sas alturas.
Nas mentes sempre tẽer …
Dieu voulut la figurer Sur la pierre pour nous montrer Que toutes les créatures
Doivent prier sa mère Car il est descendu pour s’incarner En elle, depuis les hauteurs (le ciel).