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Chanson médiévale : une cantiga de amigo du troubadour Estêvão Coelho par l’Ensemble Manseliña

chanson-medievale_chanson-de-toile_troubadour_moyen-ageSujet :  musique, poésie médiévale,   Cantiga de amigo, galaïco-portugais, troubadour, Portugal médiéval
Période :  XIIIe siècle, moyen-âge
Auteur : Estêvão Coelho (1290/1336 ?)
Interprète  :  Manseliña
Titre:   Sedía la Fremosa  
Album :   Sedía la Fremosa  (2018)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de partir à la découverte d’une nouvelle Cantiga de amigo, ces chansons médiévales originaires de l’Espagne ou du Portugal qui mettaient en scène l’attente d’une jeune amoureuse, ses espoirs ou encore sa tristesse.

Estêvão Coelho, noble troubadour portugais
du moyen-âge central

La pièce du jour nous vient d’un troubadour portugais de la fin du XIIIe siècle et des débuts du XIVe du nom de Estêvão Coelho de Riba Homem. De sang noble, l’homme était le fils d’un vassal du Roi Denis 1er du Portugal : Pero Anes Coelho, lui même descendant direct d’un chevalier et conseiller du roi Alphonse III, João Soares Coelho, connu pour être également troubadour.

Hormis cela, des documents juridiques ou administratifs d’époque ont permis d’avérer quelques détails supplémentaires de la vie de Estêvão Coelho : des possessions autour de la cité portugaise de Santarém, un héritage du côté des Tierras de Santa Maria et encore même de préciser la date supposée de sa mort, autour de 1330-1336. Entre-temps, il a peut-être aussi officié à la cour.

Sources et manuscrits anciens

chanson-medievale_troubadour_Estevao-Coelho_manuscrit_ancien_cancioneiro_da_vaticana_moyen-age_sDu point de vue de son legs, l’oeuvre du troubadour se résume à deux Cantigas de amigo. Ces deux chansons sont mentionnées dans le Cancioneiro da Vaticana. Ce manuscrit médiéval de grand intérêt contient 228 feuillets pour un total de 1205 chansons galaïco-portugaises, datées des XIIIe et XIVe siècles. Il ne fait état d’aucune notation musicale (cliquez ici pour le consulter en ligne). On retrouve encore ces deux pièces de Estêvão Coelho dans le Cancioneiro da Biblioteca Nacional, conservé à Lisbonne. Rien d’étonnant puisque les deux ouvrages sont des copies, réalisées au début du XVIe siècle, à partir d’un même manuscrit original.

Sedia la Fremosa d’Estêvão Coelho par l’ensemble Manseliña

Manseliña : à la redécouverte du répertoire médiéval galaïco-portugais

Originaire de Galice, la jeune formation Manseliña se propose de revisiter la poésie galaïco-portugaise du moyen-âge central. Dans son répertoire de prédilection, on trouve des Cantigas de amigo d’origine variées mais encore des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.

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A travers son exploration de la péninsule ibérique aux temps médiévaux, Manseliña  fait aussi le pari de remettre en musique certains textes de cette période pour lesquels les notations se sont perdues. L’ensemble privilégie ainsi la technique du Contrefactum que n’auraient pas désavouée les artistes médiévaux, qui savaient aussi en faire usage, à l’occasion.  Les emprunts musicaux proviennent de mélodies et rythmes du répertoire médiéval ou traditionnel galicien et permettent de faire découvrir au public ces textes ou poésies anciennes, privés originellement de partitions.

Composition de l’ensemble Manseliña

María Giménez, voix, vièle et percussion. Belén Bermejo, orgue portatif,  Pablo Carpintero, instruments à vent et percussion, Tin Novio, luth et citole

Sedía la Fremosa : l’album

Manseliña a déjà un premier album à son actif. Sorti au tout début de 2019, il a pour titre celui de la chanson du jour. Ce sont d’ailleurs les paroles de cette dernière qui ont donné son nom à la formation avec cette « voz manselinha », « belle voix » que l’ensemble médiéval entend mettre en avant, en prenant soin de ne pas la musiques_medievales_troubadours-galaico-portugais_album_manseliña_ensemble-medieval-espagnolnoyer sous des orchestrations trop prégnantes ou complexes.

On  retrouvera, dans cet album, diverses Cantigas de Amigo, dont certaines du célèbre troubadour Martin Codax, d’autres encore, en provenance des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.

Vous pouvez le découvrir, dans son entier, sur la chaîne youtube officielle de la formation. Si vous souhaitez l’acquérir, il est également disponible à la vente en ligne au lien suivant (format CD ou mp3) : Sedia la fremosa.  Enfin, vous pouvez aussi retrouver Manseliña sur leur page facebook officielle.

« Sedía la fremosa » de   Estêvão Coelho
Paroles et traduction

La chanson du jour se distingue des Cantiga de amigo habituelles qui mettent souvent les rimes dans la bouche de la demoiselle qui attend le retour de son promis. Ici, la belle se trouve plutôt questionnée par un interlocuteur et elle est aussi affairée à l’ouvrage, ce qui confère à cette pièce, une proximité certaine avec les chansons de toile qu’on trouve, à la même période, en France médiévale. Il n’est pas impossible que Estêvão Coelho se soit inspiré de ses dernières. On se souvient que certains troubadours voyagent alors, avec leurs œuvres, de cour en cour (cf par exemple Peire Vidal) et que leur influence, depuis leur foyer d’Oc d’origine vers l’Europe, est assez sûrement admise.

Si le contenu de cette « Belle assise tournant son fil de soie » s’apparente à nos chansons de toile, son style reste toutefois conforme à celui des Cantigas de amigo de la poésie galaîco-portugaise : faites de peu de vers, très épurés et au sein desquels la répétition vient en soutien, pour renforcer le rythme autant que l’ambiance.

Sedía la fremosa seu sirgo torcendo,
Sa voz manselinha fremoso dizendo
Cantigas d’amigo.

La belle, assise, tordant son fil de soie 
De sa belle voix disait joliment
Des  Chansons à l’être aimé.
 

Sedía la fremosa seu sirgo lavrando,
Sa voz manselinha fremoso cantando
Cantigas d’amigo.

La belle, assise,  travaillant son fil de soie 
De sa belle voix chantait joliment
Des Chansons à l’être aimé.

– Par Deus de Cruz, dona, sei eu que havedes
Amor mui coitado, que tan ben dizedes
Cantigas d’amigo.

—  Par Dieu sur la Croix, Dame, avez-vous 
De si tristes amours, pour dire si bien
Des chansons à l’être aimé ?

Par Deus de Cruz, dona, sei eu que andades
D’amor mui coitada que tan ben cantades
Cantigas d’amigo.

—  Par Dieu sur la Croix, Dame, êtes-vous
si  triste en amour, pour chanter si bien
Des chansons à l’être aimé ?

– Avuitor comestes, que adevinhades.

— Avez-vous manger du vautour (1), pour le deviner ?

(1) Il peut peut-être s’agir du butor qui est nommé vautour dans certain bestiaire médiéval. S’il s’agit du vautour, ce dernier est utilisé alors en fauconnerie et il faut sans doute plus voir ici, une allusion à l’acuité visuelle de l’interlocuteur qu’à des symboles plus péjoratifs et plus actuels attachés à ce rapace.

En vous souhaitant une belle écoute et une excellente journée!

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Les sept péchés capitaux contre le siècle, une ballade médiévale d’Eustache Deschamps

poesie_ballade_morale_moralite_medievale_Eustache_deschamps_moyen-age_avidite_gloutonnerieSujet : poésie médiévale, littérature médiévale,  ballade médiévale, poésie morale, ballade, moyen-français, poésie satirique, satire, péchés capitaux
Période  : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur  : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :   « Onques ne vi si dolereuse gent»
Ouvrage :  Oeuvres complètes d’Eustache Deschamps, Tome I Marquis de Queux Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans le courant du Moyen-Age tardif, Eustache Deschamps, officier de cour de petite noblesse, s’entiche de poésie. Il se réclame de Guillaume de Machaut, mais, contrairement à ce dernier, il penchera pour un art poétique, à part entière, entendons, dissocié de toute composition musicale. Du côté des formes, Eustache affectionnera particulièrement la Ballade et en deviendra même l’un des maîtres médiéval. Il en laissera près de mille sur tout sujet et tout propos, même si c’est sans doute dans les formes satiriques qu’il excellera le mieux : ses « Ballades de Moralité ».

Au fil de ses observations et de ses mésaventures, Eustache passera ainsi, son époque au crible, devenant un témoin précieux de la deuxième partie du XIVe siècle, d’autant plus précieux qu’il vivra près de soixante ans ce qui lui laissera le temps de léguer une œuvre volumineuse. Au cours de cette longue vie, il a connu les campagnes dévastées par la guerre de cent ans, la famine et la peste. Il a croisé les miséreux, abusés et pillés : il a vu l’ambition sans borne des princes, leur convoitise, leurs soudains revirements à la faveur de nouvelles alliances. Il a encore assisté à la vie curiale, sa cruauté, ses eustache_deschamps_poesie_satirique_ballade_medievale_peches_capitaux_moyen-age-tardiffaux conseillers et toute la vacuité de ses jeux et il nous a encore laissé des réflexions plus existentielles sur les âges de la vie.

Au risque de simplifier, le socle satirique est double chez Eustache. Une partie  de son sens critique repose sur des valeurs telles que la loyauté, la fidélité, le sens du service et les attentes que cela suppose. L’autre partie est plus clairement trempée de valeurs morales chrétiennes. C’est le cas de la ballade du jour. Eustache nous rapporte un de ses rêves pour mieux dresser une critique des maux de son siècle ; les terres et les temps y sont ravagés par les Sept péchés capitaux. Ces derniers y règnent en maître, selon l’auteur médiéval et de scander : « Oncques ne vi si dolereuse gens », autrement dit « Jamais je ne vis de gens si malheureux« , ou même plutôt « si triste compagnie » comme nous suggère de la traduire Jean-Patrice Boudet et Hélène Millet dans leur ouvrage : Eustache Deschamps en son temps, (éditions de la Sorbonne, 1999)


Une Ballade médiévale
(Allégorie satirique des sept péchés capitaux)

N’a pas longtemps qu’en une région
Vi en dormant dolereuse assemblée :
Ce fut Orgueil chevauchant le lion ;
Ire  (colère) emprès lui qui se fiert (férir, frapper, transpercer) d’une espée ;
Sur un loup siet Envie la dervée* (folle).
Dessus un chien aloit fort murmurant
Avarice ; gouverne la contrée.
Onques ne vi si dolereuse (1) gent.

Car elle avoit or, joyaulx à foison,
Et languissoit d’acquerre entalentée* (d’acquérir davantage).
Paresce après dormoit une saison ;
En l’an n’a pas sa quenoille fillée.
Sur l’asne siet la povre eschevelée,
Qui en touz lieux est toudis* (toujours) indigent.
Glotonnie fut sur un ours posée :
Onques ne vi si dolereuse gent.

Celle mettoit tout à destruction ;
Pour gourmander avoit la Pence enflée.
Luxure estoit moult près de son giron,
Qui chevauchoit une truie eschaufée* (ardente, excitée) ;
Mirant (s’admirant), pignant (se peignant), saloit (bondissait) comme une fée,
Et attraioit maint homme en regardant :
Mais trop puoit* (de puir, puer) sa trace et son alée* (chemin, route).
Onques ne vi si dolereuse gent.

L’Envoy.

Princes, moult est la terre désertée
Où telz vices sont seigneur et régent.
Règnes s’en pert, et âme en est dampnée :
Onques ne vi si dolereuse gent.

(1) malheureux, souffrant.


En vous souhaitant une excellente journée.

Frédéric EFFE
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Poésie satirique : pièges de l’avidité et apologie du contentement avec le roman de la Rose

enluminure_roman-de-la-rose_poesie-medievale-satirique_moyen-age_XIIIe-siecle_manuscrit-francais-24392Sujet : poésie médiévale, littérature médiévale, pauvreté, richesse, poésie morale, poèsie satirique, vieux français, langue d’Oïl. manuscrit ancien, enluminure, miniatures.
Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle.
Titre : Le Roman de la Rose
Auteur :  Guillaume De Lorris et Jean De Meung

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passion‘adage ne date pas d’hier : « L’argent ne fait pas le bonheur ». Au XIIIe siècle, l’un des plus célèbres écrit médiéval, le Roman de la Rose, abordait déjà la question des pièges liés à la course interminable aux richesses et aux avoirs. Contre l’avidité, l’avarice, et leur corollaire : la convoitise du bien d’autrui, l’ouvrage prenait ici un tour satirique, en allant jusqu’à montrer du doigt certaines classes de la société particulièrement propices, selon lui, à choir dans ces travers : marchands, usuriers et autres « lombards« , mais encore avocats et médecins.

Eloge de la pauvreté
ou Apologie du contentement ?

poesie-satirique-medievale_roman-de-la-rose_Guillaume-De-Lorris_Jean-De-Meung_Moyen-Age_XIIIe-siecle« Le Roman de la Rose »
G de Lorris et J de Meung,
Français 24392  (XVe siècle)  BnF,  
(à consulter ici)

L’extrait proposé ici et sa traduction en français moderne, (revisitée quelque peu) sont tirés d’un ouvrage de Louis Petit de Julleville : Morceaux choisis des auteurs français, Moyen Age et Seizième siècle (1881). Le normalien et professeur d’université du XIXe siècle, spécialiste de littérature médiévale, disait alors voir entre ces lignes, un « Éloge de la pauvreté »On pourrait tout autant y percevoir une mise en garde contre la démesure et l’avidité: « Pour autant qu’on ouvre grand la bouche, on ne peut boire toute l’eau en Seine »Sur le terrain moral de la lutte entre « avoir » ou « être », en littérature et poésies médiévales, c’est souvent ce dernier qui ressort victorieux, plus encore quand la poursuite de l’acquis prend la forme de l’obsession. S’il y a éloge, ici, plus que de pauvreté, c’est sans doute plutôt celle du contentement et d’un contentement finalement plus lié à une disposition d’esprit – une « attitude psychologique », dirait-on aujourd’hui -, qu’à des conditions matérielles :  « Nul n’est misérable, s’il ne croit l’être, qu’il soit roi, chevalier, ou ribaud. »

En relisant ces lignes du moyen-âge central, il est utile de se souvenir aussi, qu‘entre l’idéal christique du dépouillement et les excès des marchands du temple, les valeurs spirituelles chrétiennes du monde médiéval ont ménagé une bonne place à la voix du milieu : « Benoit est qui tient le moyen », nous dira  Eustache Deschamps, un peu plus d’un siècle après le Roman deco_medievale_enluminures_moine_moyen-agede la Rose, en marchant sur les traces d’Horace.

Si la pauvreté se trouve « glorifiée », par endroits dans les lettres, en dehors de certaines voies monastiques, elle n’est pas non plus souhaitée ou considérée comme un idéal à atteindre, loin s’en faut. La misère véritable ferait même plutôt peur à nombre de clercs et auteurs médiévaux qui, encore au XIIIe siècle, sont presque toujours issus d’une certaine noblesse ou bourgeoisie, fut-elle modeste. Du reste, pour coller à cette thématique de classes, dans la deuxième partie de cet extrait, au sujet de ces ribauds de la place de grève que Rutebeuf a su également si bien mettre en vers, on pourrait être tenté, de ressentir une pointe de condescendance même si, sans doute un tel jugement demeure subjectif, en plus d’être à contretemps. L’auteur semble, en effet, sincère et il met même l’accent sur une certaine « exemplarité » de ces classes déshéritées. Toutefois, en l’imaginant vivant lui-même dans une certaine aisance, quand il nous explique « regardez comme ils sont heureux, s’ils n’ont rien il s’en passe, sinon on les fait porter à l’Hotel Dieu, etc..« ,  un certain sens critique (sociologique et moderne) pourrait  avoir tendance à nous aiguillonner. Finalement, la bonne vieille question « D’où parlez-vous ? » n’en finit jamais d’être posée, même si elle se complique d’autant, quand de nombreux siècles nous séparent de celui qui porte la plume.


« Éloge de la Pauvreté ».
(Extrait du Roman de la Rose.)

Si ne fait pas richesce riche
Celi qui en trésor la fiche :
Car sofîsance solement
Fait homme vivre richement :
Car tex n’a pas vaillant dous miches
Qui est plus aese et plus riches
Que tex a cent muis de froment.
Si te puis bien dire comment
(…) Et si r’est voirs, cui qu’il desplese,
Nus marcheant ne vit aese :
Car son cuer a mis en tel guerre
Qu’il art tous jors de plus aquerre;
Ne ja n’aura assés aquis
Si crient perdre l’avoir aquis,
Et queurt après le remenant
Dont ja ne se verra tenant,
Car de riens desirier n’a tel
Comme d’aquerre autrui cbatel.
Emprise a merveilleuse peine,
Il bee a boivre toute Saine,
Dont ja tant boivre ne porra,
Que tous jors plus en demorra.
C’est la destresce, c’est l’ardure,
C’est l’angoisse qui tous jors dure;
C’est la dolor, c’est la bataille
Qui li destrenche la coraille,
Et le destraint en tel défaut,
Cum plus aquiert et plus li faut.
Advocat et phisicien
Sunt tuit lié de cest lien ;
Cil por deniers science vendent,
Trestuit a ceste hart se pendent :
Tant ont le gaaing dous et sade,
Que cil vodroit por un malade
Qu’il a, qu’il en eust quarente,
Et cil pour une cause, trente,
Voire deus cens, voire deus mile,
Tant les art convoitise et guile !..

Non, richesse ne rend pas riche
Celui qui la place en trésors.
Car seul le contentement
Fait vivre l’homme richement.
Car tel n’a pas vaillant deux miches
Qui est plus à l’aise et plus riche
Que tel avec cent muids (1) de froment.
Je te puis bien dire comment.
Et, il est vrai, à quiconque en déplaise
Nul marchand ne vit à l’aise ;
Car son cœur, a mis en telle guerre
Qu’il brûle toujours d’acquérir plus :
Et il n’aura jamais assez de biens 
S’il craint de perdre ceux qu’il détient,
Et court après ce qui lui manque,
Et qui  jamais ne sera sien.
Car tel, il ne désire rien 
Que d’acquérir d’autrui, les biens.
Son entreprise a grande peine ;
Il bée pour boire toute la Seine,
Quand jamais tant boire ne pourra , 
Car toujours, il en demeurera.
C’est la détresse, c’est la brûlure,
C’est l’angoisse qui toujours dure ;
C’est la douleur, c’est la bataille
Qui lui déchire le cœur 
Et l’étreint en tels tourments
Que plus acquiert et plus lui manque.
Avocats et médecins
Sont tous liés par ce lien.
Ceux-là pour deniers vendent science;
Et tous à cette corde se pendent,
Gain leur est doux et agréable;
Si bien que l’un, pour un malade
Qu’il a,  en voudrait quarante;
Et l’autre pour une cause, trente,
Voire deux cents, voire deux mille;
Tant les brûlent convoitise vile.

Mais li autre qui ne se lie
Ne mes qu’il ait au jor la vie,
Et li soflit ce qu’il gaaingne,
Quant il se vit de sa gaaingne,
Ne ne cuide que riens li faille,
Tout n’ait il vaillant une maille,
Mes bien voit qu’il gaaingnera
Por mangier quant mestiers sera,
Et por recovrer chauceiire
Et convenable vesteiire ;
Ou s’il avient qu’il soit malades,
Et truist toutes viandes fades,
Si se porpense il toute voie
Por soi getier de maie voie,
Et por issir hors de dangier,
Qu’il n’aura mestier de mangier ;
Ou que de petit de vilaille
Se passera, comment qu’il aille,
Ou iert a l’Ostel Dieu portés,
La sera moult reconfortés;
Ou, espoir, il ne pense point
Qu’il ja puist venir en ce point
Ou s’il croit que ce li aviengne,
Pense il, ains que li maus li tiengno»
Que tout a tens espargnera
Pour soi chevir quant la sera;
Ou se d’espargnier ne li cliaut,
Ains viengnent li froit et li chaut
Ou la fain qui morir le face,
Pense il, espoir, et s’i solace,
Que quant plus tost definera,
Plus tost en paradis ira…
Car, si corne dit nostre mestre,
Nus n’est chetis s’il ne l’cuide eslre,
Soit rois, chevaliers ou ribaus.

Mais cet autre qui ne se lie
Qu’à chaque jour gagner sa vie
Et à qui suffit ce qu’il gagne,
Quand il peut vivre de son gain ;
Il ne craint que rien ne lui faille,
Bien qu’il n’ait vaillant une maille.
Mais il voit bien qu’il gagnera
à manger, quand besoin aura
De quoi se procurer des chaussures
et un vêtement convenable.
Ou s’il advient qu’il soit malade,
Et trouve toutes viandes fades,
Il réfléchit à toute voie,
Pour se sortir du mauvais pas
Et pour échapper au danger,
Qu’il n’ait pas besoin de manger,
Ou que la moindre victuaille
Lui suffise, vaille que vaille;
Ou à l’Hôtel-Dieu, se fera porter
Où sera bien réconforté.
Ou peut-être ne pense-t-il point
Qu’il puisse en venir à ce point.
Ou s’il craint que tel lui advienne,
Il pense, avant que mal le prenne,
Qu’il aura le temps d’épargner
Quand il lui faudra se soigner,
Et s’il ne se soucie d’épargner,
Viendront alors le froid, le chaud
Ou la faim, qui l’emporteront,
 Peut-être, pense-t-il, et s’en console,
Que tant plus tôt il finira,
Plus tôt en paradis ira.
Ainsi, comme dit notre maître,
Nul n’est misérable, s’il ne croit l’être,
Qu’il soit roi, chevalier, ou ribaud.

Maint ribaus ont les cuers si baus,
Portans sas de charbon en Grieve ;
Que la poine riens ne lor grieve :
Qu’il en pacience travaillent
Et baient et tripent et saillent,
Et vont a saint Marcel as tripes,
Ne ne prisent trésor deus pipes *;
Ains despendent en la taverne
Tout lor gaaing et lor espergne,
Puis revont porter les fardiaus
Par leesce, non pas par diaus,
Et loiaument lor pain gaaignent,
Quant embler ne tolir ne l’daignent;
Tuit cil sunt riche en habondance
S’il cuident avoir soffisance ;
Plus (ce set Diex li droituriers)
Que s’il estoient usuriers !…

Maints ribauds ont les cœurs si vaillants,
Portant sacs de charbon en Grève* (la place de Grève),
Que la peine en rien ne leur pèse;
Mais ils travaillent patiemment,
Et dansent, et gambadent, et sautent;
Et vont à Saint-Marceau  aux tripes* (en acheter),
Et ne prisent trésor deux pipes;
Mais dépensent en la taverne
Tout leur gain et toute leur épargne ;
Puis retournent à leurs fardeaux,
Avec joie et sans en gémir,
Ils  gagnent leur pain avec loyauté,
Et ne daignent  ravir, ni voler;
Tous ceux-là sont riches en abondance,
S’ils pensent avoir leur suffisance,
Plus riches (Dieu le juste le sait)
Que s’ils étaient usuriers ! …

(1) Unité de mesure ancienne.


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
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Le monde médiéval au Festival de l’Histoire de l’Art de Fontainebleau

evenement-festival-histoire-de-l-art-patrimoine-FHA-2019_conferences-documentaires_monde-medievalSujet : festival, conférences, film-documentaires, histoire de l’art, Salon du Livre, monde médiéval, patrimoine, ministère de la Culture.
Evénement : Festival de l’Histoire de l’Art
Lieu : Château de Fontainebleau,
Seine-et-Marne, Île-de-France
Dates : du 7 au 9 juin 2019

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passiones 7, 8 et 8 juin prochain, le  Festival de l’Histoire de l’Art se tiendra à nouveau à Fontainebleau. Il s’agira de la 9ème édition de ce grand événement, organisé par le ministère de la Culture, l’Institut National d’Histoire de l’Art et le château de Fontainebleau.

Un festival d’exception
autour de l’Histoire de l’art et du patrimoine

festival-histoire-de-l'art_FHA-2019_Fontainebleau_conferences_documentaire_monde-medieval_patrimoineLe programme de cette mouture 2019  proposera près de 300 manifestations autour de l’Art et de son histoire : spectacles, expositions, visites guidées grand salon du Livre d’art réunissant plus de 80 éditeurs, mais encore projections de films documentaires, ainsi que conférences et tables rondes. En plus des nombreux chercheurs et experts en Histoire de l’Art ou issus de disciplines diverses (sciences de la nature, sciences humaines, etc …) on pourra y échanger avec des artistes, écrivains, cinéastes, réalisateurs, comédiens, musiciens, o encore architectes.

Cette année, c’est le thème du Peuple qui a été choisi et les pays du nord de l’Europe y seront particulièrement à l’honneur puisqu’ils  font partie des invités de choix du festival.

Visitez le site officiel du FHA 2019 – Page Facebook officiel

Le Moyen-Age au FHA 2019

On l’aura compris, l’événement est en soi d’un grand intérêt, mais sur le sujet plus particulier du moyen-âge, vous y trouverez des conférences et projections réunissant des intervenants de grande qualité.  En voici un digest.


 Les Vikings  entre archéologies et mythes

Conférence sur le monde matériel et spirituel Viking. Rapprochement des modes de vies et croyances de ces peuples nordiques avec celles des peuples d’Europe et du Moyen-Orient, du haut Moyen Âge.

Isabelle Bardiès  Musée de Cluny
Jeanette Varburg  Musée National de Danemark
Vendredi  7 juin de 14h à  15h – Château de Fontainebleau
Fresque; La Dormition, Abbaye d'Abou Gosh, XIIe siècle, Jerusalem, Moyen-Age central
Fresque; La Dormition, Abbaye d’Abou Gosh, XIIe siècle, Jerusalem, Moyen-Age central

L’église d’Abu Gosh et ses peintures du Moyen-âge central

Au XIIe siècle, une église fut élevée sur le lieu reconnu comme celui de la rencontre d’Emmaüs. Conférence sur ses fresques, réalisées par des artistes byzantins, à destination de fidèles hétéroclites (pèlerins, locaux, moines guerrier, etc…)

Jean-Baptiste Delzant (Université d’Aix- Marseille)
Samedi 8  juin de 10h à  11h – Château de Fontainebleau

La tapisserie de Bayeux : mondes vikings et  tradition tardo-antique et carolingienne.

Une conférence autour de cette tapisserie de choix pour comprendre l’héritage et les coutumes vikings en Normandie, mais aussi la vie des XIe et XIIe, ainsi que les décors des demeures civiles les plus prestigieuses. 

Xavier Barral i Altet, Universités de Rennes et de Venise
Samedi 8  juin de 11h à  12h
– Château de Fontainebleau


Les Chansons de troubadours  par Yvette Guilbert

Conférence sur Yvette Guilbert, chanteuse de la fin des XIXe/XXe siècle, qui a fait revivre les mélodies et chansons médiévales en les adaptant à la scène pour créer un répertoire hybride propre à séduire le grand public. 

Isabelle Ragnard musicologue, maître  de conférence Sorbonne
Samedi 8  juin de 17h30 à  18h30 – Château de Fontainebleau
Conférence sur la tapisserie de Bayeux, Moyen-Age
Conférence sur la tapisserie de Bayeux, Moyen-Age

Vie quotidienne, calendriers runiques et fresques d’églises

Au Xe siècle, les Islandais introduisent un calendrier de 52 semaines et 364 jours. Avec le Christianisme, l’Église lui substituera le calendrier Julien. Une conférence sur les systèmes calendaires et runes scandinaves préservés en France, et sur les fresques des églises scandinaves.

Jens Ulff-Meller Colombia University
Dimanche 9 juin de 10h à 11h – Hôtel Aigle noir – Fontainebleau

Film documentaire :  Bazin roman 

Un peu avant sa mort, le cofondateur des Cahiers du Cinéma, André Bazin entreprit un tournage autour des églises romanes de la Saintonge. Ce documentaire suit les pas du critique et son projet inachevé tout en abordant l’histoire, l’art roman et les paysages.

Projection, suivi d’un, échange en présence des réalisateurs.
Marianne Dautrey et Hervé Joubert-Laurencin
Dimanche 9 juin de 14h15 à 16h15
–  Cinéma Ermitage


Film documentaire : À la recherche de Vaubeton

documentaire_monde-medieval_archeologie-architecture_girart-de-roussillon_moyen-ageSur les traces de Girart de Roussillon et la bataille de Vaubeton, Michelle Gales parcoure le pays bourguignon et le questionne. La Fête des moissons, les vestiges archéologiques, les pratiques locales peuvent-elles évoquer l’histoire et se réapproprier les légendes ?   (voir notre article sur ce documentaire).

Le film sera suivi d’un échange avec Michelle Gales, réalisatrice, et Isabelle Ragnard musicologue,  maître de conférence à la Sorbonne

Dimanche 9 juin de 16h15 à 19h00
Cinéma Ermitage, Fontainebleau


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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