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« Les troubadours, une histoire poétique » par Michel Zink et avec France-Culture

troubadours_poesie-medievale_Michel-Zink-livre_moyen-ageSujet :  poésie médiévale, amour courtois, troubadours, fine amor, lyrique courtoise, langue d’oc
Période  : moyen-âge central
Auteur :  Michel Zink
Ouvrage :  Les troubadours, une histoire poétique (éditions Perrin, 2013)
Programme : Ça Rime à Quoi
Sophie Nauleau,  France Culture

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn 2014, l’auteur(e), productrice et animatrice de Radio Sophie Nauleau recevait Michel Zink, sur France Culture, dans le cadre de son programme Ça Rime à Quoi.  L’académicien et grand spécialiste de littérature médiévale venait lui présenter son ouvrage, daté de 2013 et ayant pour titre « les troubadours une histoire poétique« .


michel_zink_litterature_medievale_academicien_philologie_citation_moyen-age_medievalisme« C’est le Moyen-âge qui a mis l’amour au centre de la poésie (…) mais il y a quelque de particulier dans la poésie des troubadours, qui est tout à fait délibéré et qui est extrêmement fascinant, c’est que les troubadours considèrent que l’amour est un sentiment essentiellement contradictoire. C’est, à la fois, une exaltation  et une dépression, c’est une joie et une souffrance. L’amour c’est le désir, le désir va vers son assouvissement, mais redoute d’être assouvi, parce qu’assouvi, il disparaîtra comme désir. Donc l’amour est en lui-même quelque chose de contradictoire. »  Michel Zink extraits entretien France Culture (2014)


Après nous avoir touché un  mot de son parcours et sa prédilection pour la poésie médiévale. Michel Zink en profitait pour faire ici, avec sa générosité et sa passion habituelles, une belle incursion dans l’art poétique et l’esprit des troubadours occitans du moyen-âge central, ce « moment où l’amour est devenu la grande affaire de la poésie ». On abordera ainsi, à ses côtés, les particularités de l’Amour Courtois, les liens entre exercice poétique et Fine Amor (fin’amor),  entre savoir-faire littéraire et « compétence amoureuse », le rapport au langage et aux sentiments, le tout ponctué de quelques troubadours_histoire_poetique_Michel-Zink_moyen-age_poesie-medievale_livrelectures et extraits.

Au passage, le médiéviste philologue nous gratifiera encore de quelques « anecdotes » issues des  Vidas et Razos, On sait que leur étude lui a toujours été cher, pour peu qu’on les approche pour ce qu’ils sont :  des « objets » littéraires. Si ces récits postérieurs à la vie des troubadours sont, dans bien des cas, demeurés les seules traces « biographiques’ que nous ayons conservées d’un certain nombre d’entre eux, on sait, en effet, qu’ils mêlent sans complexe, détails factuels et extrapolations, pour nous présenter une véritable romance de la vie des troubadours des XIIe, XIIIe siècles.

Ça rime à quoi :  Les Troubadours : Une histoire poétique. Michel Zink

(si vous avez des difficultés à lire le podcast,  retrouvez le ici sur le site de France Culture  ou même au lien suivant sur youtube)

Depuis 2017, ce livre de Michel Zink  est disponible au format poche chez Tempus Perrin. Voici un lien utile pour vous le procurer : Les troubadours. Une histoire poétique

En vous souhaitant une belle journée.
Fred

Pour moyenagepassion.com
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Au début du XVe siècle, la complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs de France (1)

poesie_satirique_medievale_chroniques_historique_Enguerrand-De-Monstrelet_moyen-age-tardifSujet : complainte, poésie médiévale, poésie satirique, guerre de cent ans,  extraits, moyen-Français, misère, laboureurs
Période : Moyen-âge tardif,  XVe siècle.
Titre : Complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs de France
Auteur : anonyme
Ouvrage : Les chroniques d’Enguerrand de Monstrelet, (milieu du XVe)
Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de découvrir un large extrait d’une poésie satirique du moyen-âge tardif, ayant pour titre la Complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs de France. Du point de vue des sources, cette complainte est tirée des Chroniques de Enguerrand de Monstrelet (1400-1453), 

Avec cet ouvrage portant sur l’histoire de la première moitié du XVe siècle (1400-1444). le noble chroniqueur d’origine picarde qui servit entre autres seigneurs, les ducs de Bourgogne, entendait poursuivre le travail engagé par Jean Froissard. S’il influença par ses écrits certains auteurs de son temps, on lui prêta, toutefois, moins de rigueur et de talent que ce dernier. Rabelais écrivit même de lui qu’il était « baveux comme un pot de moutarde » ( Molinier AugusteL’Histoire de France 1904, T4  ). Quant à son impartialité, notre auteur n’échappa pas à la règle, maintes fois vérifiée, mais encore bien plus manifeste dans le courant du moyen-âge, qui veut que l’Histoire ait toujours un point de vue.

Cela étant dit, ce qui nous intéresse aujourd’hui, n’est pas tant le récit du chroniqueur que cette complainte du pauvre commun qu’il ne fait que retranscrire, sans l’attribuer, et qui n’est pas de sa plume. Dans son ouvrage La Satire en France au Moyen-Âge (1893) Charles Felix Lenient rapproche ce texte, son ton satirique et une part de son inspiration du Quadrilogue Invectif d’Alain Chartier, mais il hésite tout de même à lui en attribuer, de manière certaine, la paternité. Elle demeure, en tout cas, non signée, dans les Chroniques d’Enguerrand.

Misères des laboureurs & temps troublés

Datée du début du XVe siècle, cette poésie réaliste nous conte le triste sort de nombre de paysans  saignés par la guerre de cent ans, les pillages, les disettes et les taxes. Sous la pression des événements, certains en furent même réduits à fuir les campagnes, tristes hordes de familles en guenilles, mendiant dans les villes, pour subsister. Cette complainte en est restée le témoin. Ces « pauvres communs et laboureurs » en appelaient alors à la charité de tous, dans l’indifférence générale, s’il faut en croire ces vers. Sous la complainte, la menace planait aussi clairement puisqu’ils y mettaient en garde les seigneurs et le roi  des conséquences fâcheuses où  cette  indifférence pourrait les conduire: effondrement du royaume par sa base,  d’abord, mais plus loin menace ouverte de révolte incendiaire ou même encore  désertion du pays. Quant à l’Eglise, nos Manuscrit_anciens_chroniques_Enguerrand_de_Monstrelet_moyen-age_XVe-siecle_spauvres laboureurs l’appelait aussi à leur rescousse afin qu’elle intercède auprès des nobles pour leur rappeler leur devoir de chrétiens.

Ci-contre les  Chroniques de  Enguerrand de Monstrelet, Manuscrit  Cod  37 (A,) Bibliothèque bourgeoise de Bern. voir en ligne)

Il faut, avec Charles Felix Lenient,  constater que cette clameur du peuple et des pauvres gens demeure une des plus poignantes à nous être parvenue de cette période. Ses accents vibrants de sincérité  lui confère une place très particulière dans la poésie satirique et réaliste du moyen-âge.


La complainte du pauvre commun
et des pauvres laboureurs de France

Hélas ! hélas ! hélas ! hélas !
Prélats , princes , et bons seigneurs ,
Bourgeois, marchans, et advocats,
Gens de mestiers grans et mineurs,
Gens d’armes , et les trois estats ,
Qui vivez sur nous laboureurs ,
Confortez nous d’aucun bon ayde ;
Vivre nous fault, c’est le remède.

Vivre ne povons plus ensemble
Longuement, se Dieu n’y pourvoye :
Mal fait qui l’autruy tolt* (enlève, ôte) ou emble* (dérobe, vole)
Par barat* (ruse, tromperie), ou par faulse voye.
Perdu avons soulas et joye
L’en nous a presque mis à fin ,
Car plus n’avons ne blé ne vin.

Vin ne froment ne autre blé.
Pas seullement du pain d’avoyne ,
N’avons nostre saoul la moité
Une seulle fois la sepmaine :
Les jours nous passons à grand’ peine ,
Et ne sçavons que devenir ;
Chacun s’en veult de nous fuyr,

Fuyr de nous ne devez mie,
Pensez-y, nous vous en prions.
Et nous soustenez nostre vie !
Car, pour certain , nous languissons.
Allangouris nous nous mourons,
Et ne gravons reméde en nous ,
Seigneurs , pour Dieu , confortez-nous.

Confortez-nous, vous ferez bien,
Et certes vous ferez que saiges :
Qui n’a charité, il n’a rien.
Pour Dieu , regardez noz visaiges ,
Qui sont si piteux et si pâlies ,
Et noz membres riens devenir,
Pou nous povons plus soustenir.

Soustenir ne nous povons plus
En nulle maniére qni soit :
Car, quand nous allons d’huys en huys,
Chacun nous dit : Dieu vous pourvoye !
Pain, viandes, ne de rien qui soit,
Ne nous tendez nen plus qu’aux chiens ,
Hélas! nous sommes chrestiens.

Chrestiens sommes-nous voirement* (véritablement) ,
Et en Dieu sommes tous vos frères ,
Si vous avez l’or et l’argent
Ne sçavez si durera guères :
Le temps vous aprestent les biens ,
Et si mourrez certainement ,
Et ne savez quand , ne comment.

Comment dictes-vous et pensez
Plusieurs choses que de nous dictes ,
Que ce nous vient par noz péchez ,
Et vous en voulez clamer quittes.
Pour Dieu jà plus ne le dictes ,
Et autrement nous confortez
Pour ce en pitié nous regardez.

Regardez-nous, et si pensez ,
Que sans labour ne povez vivre ,
Et que tous sur nous vous courez :
( Long- temps a que chacun nous pille)
Ne nous laissez ne croix ne pille,
Ne rien vaillant que vous puissiez ,
De quelque estat que vous soyez.

Soyez, si vous plaist, advisez ,
Et que de cecy vous souvienne ,
Que nous ne trouvons que gaigner ,
Ne nul qui nous mette en besongne.
Chacun de vous de nous s’eslongne ,
Mais s’ainsi nous laissez aller ,
A tard vous en repentirez.

Repentirez vous si acertes,
Que si ainsi nous en allons ,
Vous cherrez les jambes retraictes ,
Et au plus prés de voz talons ;
Sur vous tumberont les maisons ,
Vos chasteaulx et vos tenemens* (propriétés) :
Car nous sommes voz fondemens.

Voz fondemens sont enfondus,
N’y a mais rien qui les soustienne ;
Les murs en sont tous pourfondus,
N’y a pilier qui les retiengne,
N’y estat qui en rien se faingne
De nous mener jusque au plus bas :
Pource nous fault crier , hélas !

Hélas! prélats et gens d’église,
Sur quoy nostre foy est assise,
Chiefs estes de chrestienté ,
Vous nous voyez nuds sans chemise
Et nostre face si eslize ,
Et tous languis de povreté.
Pour t’amour Dieu , en charité ,
Aux riches gens ce remonstrez
Et que vous les admonestez.
Qu’ils ayent pitié d’entre nous autres ,
Qui pour eux avons labouré
Tant que tout leur est demouré :
De noz povretez ils sont causes ,
Comme leur dirons cy en bas :
Pour ce nous fault crier , hélas !

Hélas ! trés puissant roy françois ,
Nous pensons si bien ravisois ,
Et tu feusses bien conseillé,
Qu’aucun pou nous espargnerois :
Tu es le roy de tous les roys ,
Qui sont en la chrestienté,
Dieu t’a ceste grand’ dignité
Raillée , pour raison deffendre,
Et diligentement entendre
Aux complainctes qui vont vers toy ;
Et par ce garder nous pourras ,
De ainsi fort crier , hélas !

Hélas ! trés noble roy de France ,
Le pays de vostre obéissance
Espargnez-le : pour Dieu mercy ,
Des laboureurs ayez souv’nance,
Tout avons prins en patience
Et le prenons jusques à icy;
Mais tenez-vous asseur, que si
Vous n’y mettez aucun reméde,
Que vous n’aurez chasteau ne ville,
Que tous seront mis à exille ,
Dont jà sommes plus de cent mille
Qui tous voulons tourner la bride ,
Et vous lairions tout esgaré,
Et pourrez cheoir en tel trespas ,
Qu’il vous faudra crier , hélas !

Hélas ! ce serait grand douleur
Et grand’ pitié à regarder,
Qu’un si très excellent seigneur
Criast , hélas ! Or y pensez ,
Pas ne serez le premier ,
Qui par deffaut de raison faire ,
D’estre piteux et débonnaire
Aurait esté mis en exil.
Tenu estes de bon affaire ,
Mais que n’ayez point de contraire
Dieu vous garde de ce péril !
Et nous mettez si au délivre,
Qu’en paix puissions dessoubs vous vivre
Dés le plus haut jusques au bas,
Tant que plus ne crions , hélas !


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Cantiga de Santa Maria n°100 : un chant de louange médiéval avec l’Ensemble Sequentia,

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet :  musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, chanson médiévale, galaïco-portugais, culte marial, louanges, Sainte-Marie, Vierge.
Epoque :  moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Alphonse X  (1221-1284)
Titre : Santa Maria,  Strela do dia,
Interprètes :  Ensemble Sequentia 
Album : 
  Gesänge für König Alfonso X. von Kastilien und León (1992)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, toutes voiles dehors, pour l’Espagne médiévale du XIIIe siècle et l’étude des Cantigas de Santa Maria du souverain Alphonse X de Castille. Celle qui nous intéresse, aujourd’hui, est la Cantiga 100.

Pour varier un peu des Miracles que nous avons étudiés jusque là, c’est un chant de louange. Comme le poète s’adresse ici à la Sainte sous le nom de « Strela do dia« , « étoile du jour », il faut sans nul doute y voir une allusion à un ordre que Alphonse X avait lui-même fonde : l’Ordre de Sainte-Marie d’Espagne. Connu également sous le nom de El orden ordre-sainte-marie-espagne_Alphonse-X_espagne-medievale_XIIIe-sieclede la Estrella, cet ordre militaire et religieux avait vocation à défendre la couronne contre les attaques navales. L’interprétation que nous vous proposons ici est celle de l’Ensemble Sequentia sous la direction de Barbara Thornton et Benjamin Bagby.

La Cantiga de Santa-Maria 100 par Sequentia

Chants pour le roi Alphonse X de Castille et León

En 1991-92, L’ensemble médiéval Sequentia décidait de faire une incursion dans le très célèbre répertoire des Cantigas d’Alphonse X. Sous le titre « Gesänge für König Alfonso X. von Kastilien und León. » ou « Chansons pour le roi Alphonse X de Castille et León (1221-1284) », la formation proposait ainsi une sélection de dix-huit pièces dont 14 Cantigas, accompagnées de quatre autres compositions culte-marial_ensemble-medieval_sequentia_cantigas_de_santa-maria_alphonse-X_moyen-aged’époques.

L’album est encore distribué à ce jour et, à toutes fins utiles, voici un lien pour vous le procurer :  Sequentia performs Vox Iberica III by El Sabio (DHM). Il constitue le troisième volet d’un triptyque nommé Vox Iberica (I, II et III) autour des musiques religieuses de l’Espagne médiévale. Le premier était consacré au Codex Calixtinus, musique du XIIe siècle en l’honneur de Saint-Jacques l’apôtre. ; le second au Codex de Las Huelgas de Burgos et le troisième, celui du jour, aux Cantigas de Santa-Maria.


La Cantiga de Santa Maria 100
et sa traduction en français moderne

Esta é de loor.

Celle-ci est un chant de louanges

Santa Maria,
Strela do dia,
mostra-nos via
pera Deus e nos guia.

Sainte-Marie
Etoile du jour
Montre nous la voie
vers Dieu et guide-nous

Ca veer faze-los errados
que perder foran per pecados
entender de que mui culpados
son; mais per ti son perdõados
da ousadia
que lles fazia
fazer folia
mais que non deveria.

Santa Maria…

Car tu fais voir aux égarés
Qui se sont perdus par leur péchés
Et comprendre qu’ils sont très coupables,
Mais par toi, ils sont pardonnés
De l’audace
Qui leur faisait
Commettre des folies
Qu’ils ne devaient pas.

Sainte-Marie…

Amostrar-nos deves carreira
por gãar en toda maneira
a sen par luz e verdadeira
que tu dar-nos podes senlleira;
ca Deus a ti a
outorgaria
e a querria
por ti dar e daria.

Santa Maria…

Tu dois nous montrer la voie
Pour gagner, en toute chose,
La lumière véritable et sans égale
Que tu es seule à pouvoir nous désigner
Car Dieu; à toi seule
L’a accordé
Et il a voulu te la donner
pour toi et pour que tu  la donnes.

Sainte-Marie…

Guiar ben nos pod’ o teu siso
mais ca ren pera Parayso
u Deus ten senpre goy’ e riso
pora quen en el creer quiso;
e prazer-m-ia
se te prazia
que foss’ a mia
alm’ en tal compannia.

Santa Maria…

Ton jugement peut nous guider parfaitement
plus que tout, vers le paradis,
où dieu a toujours joie et sourires
pour celui qui a voulu croire en lui;
Et il me plairait,
S’il te plait à toi,
Que mon âme se tienne
En telle compagnie.

Sainte-Marie…


Retrouvez l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites et commentés, et présentés par les plus grands ensembles de musique médiévale ici,

En vous souhaitant une très belle journée.

Fred.
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« Li nouviaus tens que je voi repairier », un serventois du trouvère Jacques de Cysoing sur son temps

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet : poésie médiévale, chanson médiévale, sirvantois, servantois, sirventès, poésie satirique,  trouvère, vieux-français, langue d’oïl,
Période :   XIIIe siècle, moyen-âge central
Titre:
Li nouviaus tens que je voi repairier
Auteur :  
Jacques (Jaque) de Cysoing (vers 1250)

Bonjour à tous,

S_lettrine_moyen_age_passionuite au portrait que nous avions fait de Jacques de Cysoing et de son legs (voir article), nous vous proposons, aujourd’hui, de découvrir l’une de ses rares poésies satiriques. Ce trouvère du XIIIe siècle ayant, en effet, chanté principalement l’amour courtois, ce serventois, calqué sur le modèle des Sirventès provençaux, fait donc exception à la règle.

Datations, sources anciennes et manuscrits

Manuscrit-ancien_Francais_844_chanson-medievale_sirvantois_jacque-de-cysoing_moyen-age_XIIIe-siecle_s
Au vu de son contenu, cette chanson a été écrite un peu après la Bataille du Caire (1249-1250) qui, durant la 7e croisade, assista à la défaite des armées de Louis IX. Comme nous l’avions déjà mentionné, ce repère donné par le trouvère, permet encore de supposer raisonnablement que le comte de Flandres auquel il adresse ici est certainement Guy de Dampierre, contemporain lui aussi de l’événement.

On peut trouver cette chanson dans le très précieux Chansonnier du Roy (MS Français 844) (photo ci-dessus), dans lequel elle est incomplète, mais aussi dans le Manuscrit du Vatican 1490 (début du XIVe). Connu encore sous le nom de Chansonnier français A, ce dernier manuscrit a également copié par JB de La Curne de Sainte-Palaye, dans le courant du XVIIIe siècle, pour donner lieu au Manuscrit 3101 de la Bibliothèque de l’Arsenal (Anciennes chansons françoises avant 1300).

Quand les pingres  Seigneurs
ne savaient s’entourer

Jacques de Cysoing nous conte ici les misères politiques de son temps sous l’angle des cours et des nobles. Il y critique le  manque de largesse, tout autant que la cupidité des seigneurs et barons. Selon le trouvère, ces derniers n’ont d’oreilles que pour les chevaliers de peu de valeur et les moins dignes de confiance ;  l’ombre des mauvais conseillers et des alliances passées pour de mauvaises raisons planent ainsi sur l’ensemble de cette chanson satirique.  C’est même pour lui une des raisons de l’issue défavorable de la Bataille du Caire. C’est un hypothèse mais entre ses lignes, on peut se demander s’il n’exprime pas également quelques difficultés personnelles à trouver un Seigneur qui le prenne à son service.

Ajoutons enfin que dans sa dernière strophe, il prend soin d’abstraire de sa diatribe, le comte de Flandres, en signifiant bien à ce dernier qu’il n’est pas visé par ses vers.

NB : dans un premier temps et pour varier un peu l’exercice, nous avons fait le choix, ici, de l’annotation et des clefs de vocabulaire du vieux-français vers le français moderne, plutôt que de l’adaptation littérale.


Li nouveaus tans que je voi repairier

Li nouviaus tans que je voi repairier* (revenir)
M’eust douné voloir de cançon faire,
Mais jou voi si tout le mont  enpirier
Qu’a chascun doit anuier* (chagriner) et desplaire;
Car courtois cuer joli et deboinaire
Ne veut nus ber* (baron) a li servir huchier* (mander),
Par les mauvais ki des bons n’ont mestier* (n’ont d’utilité)
Car a son per* (semblable, égal) chascun oisiaus s’aaire* (faire son nid).

Nus n’est sages, se il ne set plaidier
Ou s’il ne set barons le lor fortraire (leur soustraire leurs biens).
Celui tienent li fol bon conseillier
Qui son segneur dist ce qui li puet plaire
Las! au besoing nes priseroit on gaire.
Mais preudome ne doit nus blastengier* (blâmer, calomnier).
Non fais je, voir!* (vrai!) ja mot soner n’en quier,
Ne de mauvais ne puet nus bien retraire* (en dire, en raconter).

Une merveille oï dire l’autrier
Dont tuit li preu doivent crier et braire,
Que no jöene baron font espiier
les chevaliers mainz coustans* (honéreux), maiz qu’il paire* (être égal, semblable, s’associer):
Teus les vuelent a lor service atraire.
Maiz ce lor font li malvaiz fauconnier
Qui si durs ges  lor metent au loirrier* (dressé au leurre)
Qu’il lor en font ongles es piés retraire.

Il n’i a roi ne prince si gruier* (expert),
S’il veut parler d’aucun bien grant afaire
Ançoiz n’en croie un vilain pautonier* (scélérat),
Por tant qu’il ait tresor en son aumaire* (coffre),
Que le meillor qu’il soit trusqu’a Cesaire* (Césarée),
Tant la sache preu et bon chevalier.
Mais en la fin s’en set Deus bien vengier:
Encor parut l’autre foiz au Cahaire* (la bataille du Caire).

Princes avers* (avares) ne se puet avancier,
Car bien doners toute valor esclaire.
Ne lor valt rienz samblanz de tornoier* (de tournoi),
S’il n’a en eus de largece essamplaire*(le modèle de la libéralité).
Mais qant amors en loial cuer repaire* (habite),
Tel l’atire qu’il n’i a qu’enseignier* (qui ait toutes les qualités).
Por ce la fait bon servir sanz trichier,
Car on puet de toz biens a chief traire.

Quens* (Comte) de Flandres, por qu’il vos doive plaire,
Mon serventois vueill a vous envoier,
Maiz n’en tenez nul mot en reprovier* (reproche),
Car vos feriez a vostre honor contraire.


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
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