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A la Recherche de Vaubeton, un film documentaire sur les traces de Girart de Roussillon

girart_de_roussillon_vienne_chanson_de_geste_bataille_vaubedon_archeologie_histoire_medievale_film_documentaire_haut_moyen-age_IXeSujet : Girard de Roussillon, chanson de geste,  France carolingienne, monde féodal, histoire médiévale, médiéviste, film, documentaire.
Période
: haut moyen-âge, IXe siècle
Titre : A la recherche de Vaubeton 
Réalisatrice : Michelle Gales
Production  : Le Chemin derrière les murs,  Now & Then et Rivarts  (2018)
Evénement : Projection, échanges
Date : lundi 5 novembre 2018, 19h00
Lieu :  SCAM, Salle Charles Brabant 5, avenue Vélasquez. Paris 5e

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu titre des événements à noter sur les agendas de ceux qui se trouveront en Île de France et à Paris, le 5 novembre prochain, dans les locaux de la Société Civile des Auteurs Multimédias (la SCAM ) sera projeté le film documentaire A la recherche de Vaubeton  de la réalisatrice  Michelle Gales.

Réflexions &  regard poétique au carrefour
du haut moyen-âge  & de la modernité

film_documentaire_video_histoire_medievale_medieviste_chanson_de_geste_girart_de_roussillon_vienne_moyen-ageAu croisement de l’histoire médiévale, de l’archéologie et de l’imaginaire poétique, Michelle Gales s’est engagée sur les traces  de Girart de Roussillon et des légendaires mésaventures de ce Seigneur de Province du temps du haut moyen-âge et de la France carolingienne .

Au cœur d’un petit village de Bourgogne, celui-là même où le célèbre Conte de Vienne avait fondé, au IXe siècle, avec son épouse, une abbaye de femmes, la réalisatrice a suivi les pas d’un médiéviste, à la recherche de possibles vestiges de la bataille de Vaubeton mentionnée dans la célèbre Chanson de Geste (voir plus bas dans l’article)

 » À travers la poésie, la musique, les objets ou les lieux, ces voix du passé nous interpellent. Habitants et visiteurs se réapproprient l’Histoire et la Légende. »  Ardècheimages  (2018)

Précisons-le, il ne s’est pas tant agi pour Michelle Gales de se livrer à un exercice documentaire scientifique et technique, cantonné aux découvertes archéologiques  factuels, mais bien plutôt d’observer et de saisir, au présent, les échos de la légende médiévale dans les esprits et les récits des habitants, artistes ou visiteurs du lieu, avec leurs lots d’imaginaire, de ré-interprétation et de reconstruction. Derrière la caméra, il a donc été question pour elle, de deviner, de lire ou de rêver, des résonances où se mêlent histoire, poésie et modernité, au travers des hommes, mais aussi des paysages et des pierres.

Concernant la projection de ce bel essai documentaire qui pourrait intéresser les passionnés, les initiés ou les amateurs de moyen-âge, autant qu’un public plus large, vous y êtes donc largement conviés. Elle sera suivie d’un échange dans l’ouverture et la convivialité. Attention cependant, les places étant réduites, les réservations sont obligatoires et les entrées seront privatives sur cette base. Pour vous inscrire, merci d’écrire à l’adresse email suivante : chmigabe[@]gmail[.]com

Pour ceux qui ne pourraient pas s’y rendre, voici également un lien utile pour en savoir plus sur ce film-documentaire et pour suivre le calendrier de ses projections : A la recherche de Vaubeton.

Girart de Roussillon :
de l’Histoire à la légende

girart_de_roussillon_vienne_chanson_de_geste_histoire_medievale_moyen-age_france_carolingienne_002Milieu du neuvième siècle, en cette fin de haut moyen-âge, les descendants de Charlemagne et héritiers directs de son fils Louis le Pieux s’entre-déchirent et se jalousent. A la faveur de cette crise, au sein d’un royaume carolingien divisé et affaibli, la féodalité émerge et les grands vassaux tirent déjà leur épingle du jeu. Il en résulte les premières grandes tensions entre pouvoir central et pouvoir délocalisé ou provincial, et il faudra encore de longs siècles de luttes aux couronnes d’Europe pour conquérir à nouveau ce qu’elles considéraient bien leur revenir de droit.

L’apparition de la chanson de geste autour de la vie de   Girart de Roussillon  est bien plus tardive que l’époque dont elle relate les faits puisqu’on la date entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle. Elle conte en 10 000 vers la vie d’un grand seigneur féodal et ses démêlés avec le roi de France, Charles le Chauve. Largement étudiée par nombre de médiévistes et d’experts, elle contient tous les ingrédients d’une grande aventure épique : amour, jalousie, convoitise, jeux de pouvoir et trahison, batailles sanglantes et absurdes, folie et orgueil et elle n’oublie pas, au passage, l’importance et le grand rôle des femmes et des reines, prises dans la tourmente de toutes ses affaires « d’hommes ».

Girart, comte et puissant vassal
au milieu d’un empire carolingien morcelé

Le personnage historique (810/815 – 877)

Devenu comte de Paris sous Louis le Pieux, quand l’empire sera divisé en trois, Girart de Vienne prendra le partie de Lothaire, en perdant au passage son titre sur le Comté de Paris revenu aux mains de Charles le Chauve.

En charge du duché de Lyon et du comté de Vienne, il élargira, au fil des années, ses possessions du côté de la bourgogne. A la lutte contre les sarrasins et bientôt contre les raids viking venus par le Rhône jusque Valence, Girart se signera par ses faits au Sud, mais il devra aussi se défier, au nord, des ambitions de Charles le Chauve bien décidé à étendre ses terres, au détriment de celles du puissant seigneur et guerrier acquis à la cause de Lothaire.

girart_de_roussillon_vienne_chanson_de_geste_histoire_medievale_moyen-age_france_carolingienne_001Au milieu des luttes de pouvoir qui opposeront alors les nobles de la lignée de Charlemagne et leurs descendants pour la possession de la Provence, le noble réussira longtemps à maintenir son pouvoir sur le Lyonnais et le Viennois, mais les jeux de succession feront bientôt tomber les deux provinces dans l’escarcelle de Charles le Chauve qui s’empressera d’en chasser l’ancien fidèle de son frère pour placer l’un des siens, Après s’être soulevé, Girart renoncera pourtant. Il rentrera en Avignon et avant que le souverain ne s’empare aussi de ses terres bourguignonnes, il fondera avec son épouse Berte (Berthe), deux monastères qu’il placera sous le protection du Pape pour les soustraire à la main du roi. Il mourra quelques années plus tard, en 877, la même année que Charles le Chauve

Sa vie est celle d »un personnage d’importance dans la France féodale du IXe siècle et dans un monde carolingien écartelé entre l’ambition de frères que leur père, Louis le Pieux, avait déjà échoué à unir de son vivant. Charlemagne était mort et, avec lui, son oeuvre, il n’en resterait plus que des jalousies fratricides et pour les siècles à venir, et même au delà du moyen-âge, un rêve de reconquête qui allait hanter nombre de souverains ou d’empereurs du Saint-Empire.

La Légende et la chanson de geste

Pour en dire deux mots et mieux situer le contexte du film documentaire de Michelle Gales, la chanson de geste Girart de Roussillon est une oeuvre littéraire qui prend de grandes libertés avec la réalité historique, même si, pour une part, elle en reprend peut-être des  éléments, en les retraitant de manière allégorique.  Elle conte ainsi la vie du Seigneur de Vienne et sa longue opposition avec Charles le Chauve, née d’une jalousie du souverain mais qui se poursuivra pour prendre des tours inextricables et suggérer des responsabilités aux contours plus partagés.

Les deux hommes s’étant vu promettre chacun une fille de l’empereur de Constantinople, le roi, ayant entendu de ses conseillers que Girart allait marier la plus belle d’entre elles, ne l’entendit pas de cette oreille. Il fit donc changer les termes de l’arrangement pour la prendre en épousailles, laissant finalement l’autre fille, Berte, au seigneur de Lyon et de Vienne. Dans l’opération, Charles le Chauve dut faire quelques sérieuses concessions dont laisser à Girart la totalité du pouvoir sur ses fiefs dont ce denier n’aurait plus à répondre face à la couronne.

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Chronique de Girart de Roussillon. Le mariage de Girart Codes. 2549, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek

La bataille de Vaubeton

Sitôt la concession faite, le roi la regrettant déjà viendra provoquer Girart sur ses terres pour reprendre ses droits sur ce qu’il continuait de considérer à l’évidence comme son bien. Les échauffourées prendront bientôt de plus grandes proportions pour déboucher sur la terrible bataille de Vaubeton dont il est question dans le documentaire de Michelle Gales. L’Ost de Charles le Chauve d’un côté, Girard et ses barons alliés de l’autre, elle verra des pertes sanglantes des deux côtés et la légende conte que Dieu lui-même vint pour y mettre un terme :

« …mais par la volonté de Dieu un orage éclata, fort, fier, horrible et redoutable. Charles vit son enseigne brûler et Girart la sienne tomber en charbon. A la vue de ces signes que Dieu leur manifeste, ils arrêtent le combat. » .
Girart De Roussillon,
Chanson De Geste Traduite Pour La Première Fois,
Paul Meyer 1884

La suite de la geste est une longue suite de péripéties, alternés de conflits et de trêves entre les deux hommes  sur le détail desquels nous aurons l’occasion de revenir plus tard.  L’objectif reste, dans le cadre de cet article, de vous donner quelques clés utiles pour mieux appréhender le film-documentaire de Michelle Gales.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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PS : les deux autres images tirées d’une seule enluminure représentant le chantier d’un église au moyen-âge sont également tirées du Codex 2549, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek

Clément Marot : « d’un doux baiser », joli huitain galant au moyen-âge finissant

clement_marot_poesie_moyen--age_tardif_renaissanceSujet :  poésie, huitain, poésie courte,
Période : fin du moyen-âge, renaissance
Auteur :  Clément MAROT (1496-1544)
Titre : « D’un doux baiser »
Ouvrage : œuvres choisies de Clément MAROT, (1808)

Bonjour à tous,

Un peu de poésie galante, à  l’hiver du moyen-âge,  avec un huitain à la façon unique de Clément Marot et son sens aiguisé de la chute dans les pièces courtes.

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D’un Doux baiser

« Ce  franc baiser, ce baiser amiable.
Tant bien donné, tant bien receu aussi,
Qu’il estoit doux ! o beauté admirable!
Baisez-moi donc cent fois le jour ainsi,
Me recevant dessous vostre merci
Pour tout jamais; ou vous pourrez bien dire
Qu’en me donnant un baiser adouci,
M’aurez donné perpetuel martire. »

Une belle journée.

Fred
Pour Moyenagepassion.com
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Agenda : Périgord Noir, le château médiéval de Castelnaud, au temps des Seigneurs

armoirie_blason_ecu_castelnaud_la_chapelle_nouvelle_aquitaineSujet : agenda, site historique, animations  médiévales. ateliers, banquet médiéval, château-fort, monument classé, site d’intérêt, histoire médiévale
Période : moyen-âge central à tardif
Evénement : Le château de Castelnaud au temps des seigneurs.
Lieu : Castelnaud-la-Chapelle, Dordogne, Périgord Nouvelle-Aquitaine
Date : les 27 et  28 octobre 2018

Bonjour à tous,

L’agenda médiéval  du week-end nous entraîne du côté du Périgord noir au sein d’un site historique d’exception, celui de la forteresse médiévale de Castelnaud.

Un peu d’histoire

A_lettrine_moyen_age_passion quelques 70 km au sud de Périgueux et sur les bords de la Dordogne, le Château de Castelnaud dresse fièrement ses vieilles pierres, du haut de son éperon rocheux. Au XIIIe siècle,  il a vu passer les armées des croisés contre les albigeois, Simon de Montfort à leur tête. Il fut alors pris, puis, un peu plus tard encore, brûlé sur ordre de l’archevêque de Bordeaux. Rebâti dans le courant de ce même siècle, il deviendra bientôt, la demeure des Caumont puis des Seigneurs de Castelnaud.

Plus tard, vers le milieu du XVe siècle, en 1442, après s’être trouvé pris entre les feux de la guerre de cent ans, ayant changé de multiples fois de camps entre Anglais et Français, il finira à la main de la couronne de France sans que de grandes effusions de sang ne soient versées ; le tenant de la place a, en effet, décidé de remettre sagement les clefs de la forteresse au Comte du Périgord, représentant du roi, sauvant ainsi sa peau. Nous sommes alors au crépuscule de la guerre de cent ans à laquelle la grande bataille de Castillon portera un coup de grâce, un peu plus d’une décennie plus tard.

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De son passé médiéval, le château de Castelnaud conserve encore de très beaux restes architecturaux. Au titre de ses autres intérêts, il héberge également un riche musée dédié à cette période et à son armement :  Le Musée de la guerre au Moyen Âge.  On peut ainsi y découvrir un nombre conséquent de pièces d’armes et armures du moyen-âge central à tardif (250 pièces) et y compter encore d’impressionnants engins de siège et des pièces d’artillerie d’époque.

Classé dans la deuxième moitié du XXe et relativement tardivement comme monument historique, le bel édifice propose de nombreux animations et visites à l’année. Les deux journées médiévales qu’il organise ce week-end font, en réalité, partie d’un vaste programme d’animation que nous vous invitons à découvrir dans son ensemble, sur son site web.

Au temps des seigneurs

Pour dire un mot des réjouissances qui se tiendront, cette fin de semaine, au coeur de cette belle place forte historique, c’est la compagnie médiévale la Massenie de Saint-Michel qui aura en charge leur animation. Ces passionnés d’Histoire vivante et de reconstitution se sont faits une grande spécialité du Moyen-âge tardif et du milieu du XVe siècle  (1473)

chateau_de_castelnaud_site_interet_historique_monument_classe_journee_animations_medievale_2018Le programme est assez panaché. Il comprend un grand banquet ainsi que diverses démonstrations de savoir-faire des temps médiévaux ; la cuisine, le bain au moyen-âge, le travail à la forge, l’essayage d’une armure complète du XVe. On pourra aussi s’y initier à la danse médiévale, assister à un défilé de mode d’époque et encore se divertir au spectacle d’une joute courtoise.

Pour les aspects plus résolument belliqueux, des tirs au trébuchet fourniront un aperçu de la puissance ce cet engin de guerre autant que de la difficulté à le manipuler. Enfin, ceux qui seront sur place pourront en profiter pour suivre une des nombreuses visites guidées programmées à la découverte de ce grand édifice, témoin de notre histoire et peut-être encore chiner quelques ouvrages d’intérêt  au sein de sa boutique.

Voir détails et informations sur le site du château de Castelnaud

Notons encore ici pour anticiper sur le programme à venir des animations du château qu’il donnera, entre noël et la fin d’année, un spectacle conté autour de Merlin l’Enchanteur à l’attention des plus jeunes.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Marcabru, « Dirai vos senes duptansa» : la chanson médiévale désabusée d’un troubadour loin de la Fine amor

Sujet : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson,  musique médiévale,  poésie satirique, sirvantes, sirvantois, occitan
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur  : Marcabru   (1110-1150)
Titre  :  « Dirai vos senes duptansa»
Interprètes :  Ensemble Tre Fontane
Album :   
Nuits Occitanes (2014)

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passiona chanson médiévale du jour nous ramène vers l’un des premiers troubadours qui se trouve être aussi , sans doute, l’un des plus fascinants d’entre eux pour sa poésie hermétique si difficilement saisissable et son style unique.

A des lieues de la lyrique courtoise

Contrairement à nombre d’artistes, musiciens et poètes occitans contemporains de  Marcabru et qui s’affairaient déjà à codifier la poésie en « l’enchâssant » dans la lyrique courtoise, au point quelquefois de l’y noyer entièrement, notre auteur médiéval du jour n’a pas chanté la fine amor (fin’amor). Il en a même plus volontiers  pris le total contre pied. Ecole idéaliste et courtoise contre école réaliste, dont Marcabru se serait fait un brillant chef de file (1) ? Les choses sont dans les faits un peu plus nuancés, mais en tout cas, sur bien des thèmes et le concernant, sa poésie se tient dans l’invective et la satire et l’amour n’y échappe pas (sauf à l’exception qu’il soit de nature divine). A ce sujet, les manuscrits anciens contenant les vidas des troubadours enfonceront d’ailleurs le clou :

« Trobaire fo dels premiers q’om se recort. De caitivetz vers e de
caitivetz sirventes fez ; e dis mal de las femnas e d’amor. »
Le Parnasse occitanien.   S.° Palaye. Manuscrit de Saibante. (1819)

« Il fut l’un des premiers troubadours dont on se souvient. Il fit des vers misérables* et de misérables serventois : et il médit des femmes et de l’amour. »  (misérable  n’adresse sans doute pas tant ici le style que l’état  d’esprit ou la condition du poète).

« Dirai vos senes duptansa », de Marcabru par l’Ensemble Tre Fontane

Le Marcabru  de l’Ensemble Tre Fontane

L’interprétation du jour nous offre le grand plaisir de recroiser la route de l’excellent Ensemble médiéval Tre Fontane dont nous avons parlé dans un article récent. Loin des rivages du chant lyrique qui couvre une partie importante du répertoire médiéval, cette version très « terrienne » et pleine d’une émotion bien plantée de Jean-Luc Madier, semble vraiment faire écho à celui qui disait dans ses vers et de sa propre voix qu’elle était « rude » ou rauque.

Les troubadours Aquitains
Le chant des Troubadours – Vol. 1

La chanson Dirai vos senes duptansa  est tirée d’un album de 1991 de la formation aquitaine et française. On y retrouve onze pièces occitanes issues du répertoire des tous premiers troubadours du moyen-âge central. Marcabru y côtoie Jaufrey Rudel mais aussi Guillaume de Poitiers,  IXe Duc d’Aquitaine (Guillaume le Troubadour).

chanson_medievale_poesie_marcabru_troubadour_occitan_moyen_age_album_ensemble_tre_FontaneCette production a le grand intérêt de rassembler la totalité des mélodies qui nous sont parvenues de ces trois auteurs. On pourra encore y trouver trois autres compositions de la même période : une de Guilhelm de Figueira, une autre de  Gausbert Amiel et enfin une dernière demeurée anonyme.  L’album ne semble pas réédité pour l’instant mais on en trouve encore quelques exemplaires d’occasion en ligne. Voici un lien utile (à date) pour les dénicher : Tre Fontane – Le chant des Troubadours Vol 1/ Les Troubadours Aquitains

Dirai vos senes duptansa

Comme nous le disions plus haut, il ne faut pas attendre de  Marcabru qu’il se coule dans la peau du fine amant fébrile qui se « muir d’amourette ». C’est bien plutôt dans celle du désabusé et de celui qui se défie d’aimer qu’il faut le chercher. Dans cette chanson qu’il entend nous livrer « sans hésitation », il vient même nous conter dans le détail, tout ce qu’il pense des tortueux sentiers et des pièges de l’Amour. Tout cela n’est, à l’évidence, pas pour lui et il se fait même un devoir d’interpeller son public dans chacune de ses strophes pour mieux l’éveiller et le mettre en garde:  « Ecoutez ! »

Comme pour les autres traductions que nous vous avons déjà proposées de cet auteur, nous nous appuyons largement ici sur celles du Docteur et écrivain Jean-Marie Lucien Dejeanne dans son ouvrage intitulé Poésies complètes du troubadour Marcabru  (1909). Mais comme on ne se refait pas, nous les combinons tout de même avec des sources supplémentaires (dictionnaires, autres traductions, etc…). Au final, elles n’ont pas la prétention d’être parfaites et pourraient même sans doute prêter le flanc à l’argumentation mais, encore une fois, le propos est d’approcher la poésie de cet auteur.

Dirai vos senes duptansa
les Paroles en occitan & leur traduction

I
Dirai vos senes duptansa
D’aquest vers la comensansa
Li mot fan de ver semblansa;
– Escoutatz ! –
Qui ves Proeza balansa
Semblansa fai de malvatz.

 Je vous dirai sans hésitation
de ce vers, le commencement
Les mots ont du vrai, la semblance (l’apparence de la vérité) !
Écoutez !
Celui qui, face  à l’excellence (bonne parole, prouesse, exploit), hésite
me fait l’effet  d’un méchant (un mauvais, un scélérat).

II
Jovens faill e fraing e brisa,
Et Amors es d’aital guisa
De totz cessais a ces prisa,
– Escoutatz ! –
Chascus en pren sa devisa,
Ja pois no’n sera cuitatz.

Jeunesse déchoit, tombe et se brise.
Et Amour est de telle sorte
Qu’à tous ceux qu’il soumet, il prélève le cens (une redevance, un tribut)
Écoutez !
Chacun en doit sa part (Que chacun se le tienne pour dit ? )
Jamais plus, après cela, il n’en sera quitte (dispensé).

III
Amors vai com la belluja
Que coa-l fuec en la suja
Art lo fust e la festuja,
– Escoutatz ! –
E non sap vas quai part fuja
Cel qui del fuec es gastatz.

L’Amour est comme l’étincelle
Qui couve le feu dans la suie,
puis brûle le bois et la paille,
Écoutez !
Et  il ne sait plus de quel côté fuir,
Celui qui est dévoré par le feu.

IV
Dirai vos d’Amor com signa;
De sai guarda, de lai guigna,
Sai baiza, de lai rechigna,
– Escoutatz ! –
Plus sera dreicha que ligna
Quand ieu serai sos privatz.

Je vous dirai comment  Amour s’y prend
D’un côté, il regarde, de l’autre il  fait des clins d’œil ;
D’un côté, il donne des baisers, de l’autre, il grimace. —
Écoutez !
Il sera plus droit qu’une  ligne
Quand je serai son familier.

V
Amors soli’ esser drecha,
Mas er’es torta e brecha
Et a coillida tal decha
– Escoutatz ! –
Lai ou non pot mordre, lecha
Plus aspramens no fai chatz.

Amour jadis avait coutume d’être droit,
mais aujourd’hui il est tordu et ébréché,
et il a pris cette habitude (ce défaut )
Écoutez !
Là où il ne peut mordre, il lèche,
Avec un langue plus âpre que celle du chat.

VI
Greu sera mais Amors vera
Pos del mel triet la céra
Anz sap si pelar la pera
– Escoutatz ! –
Doussa’us er com chans de lera
Si sol la coa-l troncatz.

Difficilement Amour sera désormais sincère
Depuis le jour il put séparer la cire du miel ;
C’est pour lui-même qu’il pèle la poire.
Écoutez !
Il sera doux pour vous  comme le chant de la lyre
Si seulement vous lui coupez la queue.

VII
Ab diables pren barata
Qui fals’ Amor acoata,
No·il cal c’autra verga·l bata ;
– Escoutatz ! –
Plus non sent que cel qui’s grata
Tro que s’es vius escorjatz.

Il passe un marché avec le diable, 
Celui qui s’unit à Fausse Amour;
Point n’est besoin qu’une autre verge le batte ;
Écoutez !
Il ne sent pas plus que celui qui se gratte
jusqu’à ce qu’il se soit écorché vif.

VIII
Amors es mout de mal avi
Mil homes a mortz ses glavi,
Dieus non fetz tant fort gramavi;
– Escoutatz ! –
Que tot nesci del plus savi
Non fassa, si’l ten al latz.

Amour est de très mauvais lignage ;
Mille hommes il a tué sans glaive .
Dieu n’a pas créé de plus terrible enchanteur (savant, beau parleur),
Écoutez !
Qui, du plus sage, un sot (fou)
Ne fasse, s’il le tient  dans ses lacs.

IX
Amors a uzatge d’ega
Que tot jorn vol c’om la sega
E ditz que no’l dara trega
– Escoutatz ! –
Mas que puej de leg’en lega,
Sia dejus o disnatz.

Amour se conduit comme la jument
Qui, tout le jour, veut qu’on la suive
Et dit qu’elle n’accordera aucune trêve,
Écoutez !
Mais qui vous fait monter, lieue après lieue,
Que vous soyez à jeun ou repu.

X
Cujatz vos qu’ieu non conosca
D’Amor s’es orba o losca?
Sos digz aplan’et entosca,
– Escoutatz ! –
Plus suau poing qu’una mosca
Mas plus greu n’es hom sanatz.

Croyez-vous que je ne sache point
Si Amour est aveugle ou borgne ?
Ses paroles caressent et empoisonnent, 
Écoutez !
Sa piqûre est plus douce que celle de l’abeille,
Mais on en guérit plus difficilement.

XI
Qui per sen de femna reigna
Dreitz es que mals li-n aveigna,
Si cum la letra·ns enseigna;
– Escoutatz ! –
Malaventura·us en veigna
Si tuich no vos en gardatz !

Celui qui se laisse conduire  par la raison d’une femme
Il est juste que le mal lui advienne, 
Comme  l’Écriture nous l’enseigne :
 Écoutez !
Malheur vous en viendra
Si vous ne vous en gardez !

XII
Marcabrus, fills Marcabruna,
Fo engenratz en tal luna
Qu’el sap d’Amor cum degruna,
– Escoutatz ! –
Quez anc non amet neguna,
Ni d’autra non fo amatz.

Marcabru, fils de Marcabrune,
Fut engendré sous telle étoile
Qu’il sait comment Amour s’égrène;
Écoutez !
Jamais il n’aima nulle femme,
Ni d’aucune ne fut aimé.

En vous souhaitant une agréable journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.

(1)  Voir la première génération des troubadours d’Alfred Jeanroy persée